Comment Wang-Fô fut sauvé
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« Comment Wang-Fô fut sauvé » est la première nouvelle du recueil Nouvelles orientales de Marguerite Yourcenar.
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[modifier] Résumé de la nouvelle
Sur les routes de l'empire de Han, vagabondent deux hommes : Wang-Fô, vénérable vieillard, est un maître en peinture ; Ling, son disciple, porte les œuvres et les pinceaux. Depuis leur rencontre, un soir dans une taverne, leurs destins sont tressés : le maître a montré comment voir le monde à travers le filtre de l'art et le disciple a quitté la maison familiale pour suivre celui qui lui a fait prendre conscience de la beauté de l'éclair et la grâce de la fourmi. L'épouse de Ling n'a pas survécu à cette chaste infidélité ; Wang-Fô a peint son corps sans vie suspendu à la branche d'un prunier. De village en village, ces nouveaux père et fils cherchent des paysages à peindre
Un jour, les gardes de l'empereur arrêtent les deux hommes. Là, ils apprennent de la bouche du Fils du Ciel que son enfance n'a connu pour seul décor que les toiles du vieux peintre, mais que leur beauté a modifié la perception de l'enfant : lorsque âgé de seize ans, il est sorti du palais, il n'a pu supporter la trivialité du monde réel. Pour se venger d'être l'empereur impuissant d'un monde imparfait, il a décidé de faire mutiler le peintre. Ling s'élance pour poignarder le Dragon Céleste ; un garde l'intercepte dans son élan meurtrier et décapite Ling.
Attristé, Wang-Fô se met à la tâche. À la fin de la nouvelle il s'enfuit avec son disciple Ling sur une mer de jade bleue.
[modifier] Analyse du style
Marguerite Yourcenar raconte l'histoire d'un peintre dont la vie est consacrée à son art, ce qui l'amène à adapter son écriture pour la faire correspondre à une nouvelle forme d'expression artistique. Peinture et littérature se conjuguent dans la nouvelle. L'ambiance picturale influe sur la proportion descriptive du récit. La narration est suspendue à de rares péripéties et se déploie, dans la plus grande partie du texte, sous la forme d'une description : la rencontre dans la taverne, le corps de l'épouse pendue, le palais de l'empereur, sa jeunesse, la peinture inachevée, autant d'éléments qui sont caractérisés de manière précise et imagée par de nombreux adjectifs, notamment relatifs à la couleur.
Cependant, le chatoiement du texte n'atteint pas à l'exubérance ; au contraire, l'écriture est sobre, la syntaxe rigoureuse et les émotions des personnages contenues. Il faut voir là l'élégance classique de l'écriture yourcenarienne, qui par sa concision et sa densité semble être « naturelle ». Comme les peintures de Wang-Fô, le style de l'auteur donne l'illusion de la réalité par l'extrême maîtrise de la technique picturale ou littéraire.
La multiplication des comparaisons et des métaphores ajoutent encore à la grâce du texte et lui assurent une dimension poétique certaine. La prose de Marguerite Yourcenar se détache du seul rôle narratif pour s'acheminer progressivement vers le pur plaisir d'exprimer la beauté artistique. Finalement, les règles de la simple réalité se délitent et la poésie emporte le récit, comme la peinture emporte le vieux peintre.
[modifier] Interprétation du sens
Comprendre « Comment Wang-Fô fut sauvé », c'est pouvoir donner un sens à un récit dont la fin fantastique ne semble pas annoncée par le début plus réaliste.
Comme les personnages qui vagabondent sur les routes de l'empire avant de fuir sur une mer peinte, le lecteur suit un parcours dont il doit tirer un enseignement. À l'instar de Ling, le lecteur découvre comment regarder le monde différemment, sans poser sur lui le regard quotidien de l'habitude. Le disciple de Wang-Fô est la représentation, dans la nouvelle, du lecteur : il forme son esprit à déceler les grâces de l'insignifiant au cours d'un récit qui peut être défini comme « initiatique ».
De plus, la nouvelle peut être considérée comme un apologue, dans la mesure où la narration est brève, allégorique et porteuse d'un enseignement. Si la brièveté apparaît aisément, l'allégorie, par définition, est plus discrète ; ce n'est qu'en interprétant la disparition de Wang-Fô que l'implicite se manifeste : y a-t-il là une esthétisation de la mort ? ou plutôt une réflexion sur la nécessité du retrait de l'artiste pour qu'une œuvre soit parachevée ?
Ainsi, la signification de la nouvelle reste incertaine, mais le texte n'en est pas appauvri, car il demeure disponible et interprétable par chaque lecteur. Ce dernier, s'il est engagé à porter sur le monde un regard d'esthète, est surtout sollicité pour se faire sa propre opinion sur le texte : si le sens n'est jamais assuré, sa recherche rassure l'homme sur sa capacité à penser.