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ESSAI D’ÉPISTÉMOLOGIE DE L’HOMOPHOBIE


Présenté par : Christophe Gentaz


TABLE DES MATIÈRES

Introduction.................................................................................................................... 1 Inscription dans un groupe de recherche................................................................. 1 1. Présentation de la recherche:.................................................................................. 2 2. Relativisme Et Déconstruction Des Catégories Existantes De La Sexualité.......................................................................................................................... 3 2. 1. De la catégorisation de la sexualité.............................................................. 3 2. 1. bis. ... à sa normalisation................................................................................ 6 2. 2. Labilité de la sexualité humaine................................................................... 8 2. 3. Études sur la sexualité masculine, préjugés et tendances......................... 9 2. 4. Persistance de discours et de constructions scientifiques homophobes....... 11 3. Les Phobies Ou Les Peurs Irrationnelles............................................................ 12 3. 1. Origine étymologique du terme homophobie............................................ 15 4. Évolution Et Diversité Des Acceptions Autour Du Mot Homophobie........ 17 5. Les Multiples Acceptions Composant L’homophobie.................................... 23 5. 1. L’homophobie restrictive ou l’hétérosexisme............................................. 23 5. 1. 1. L’homophobie restrictive libérale................................................. 24 5. 2. L’homophobie institutionnelle...................................................................... 26 5. 3. L’homophobie générique............................................................................... 28 Conclusions.................................................................................................................. 32 ANNEXE 1:................................................................................................................... 36

Introduction. I l s’agit ici dans cette deuxième partie de mémoire de DEA de sciences sociales, de percevoir comment un tel terme homophobie a su partiellement s’imposer dans notre champ lexical au niveau du langage militant et, aussi comment sa construction, en tant que concept scientifique, est a l’oeuvre. À travers une analyse étymologique, il s’agira de comprendre les conditions sociales de son émergence ainsi que les autres concepts qui lui sont directement rattachés. Ainsi, nous opérerons une analyse historique autour des premières conceptualisations liées au mot homosexuel pour montrer l’absence de véritables constructions scientifiques des catégories sexuelles, ainsi que leur inadaptation actuelle pour envisager les mécanismes de rejet de l’homosexualité et, en quoi elles influent sur la construction de l’identité masculine. Ensuite, par une analyse des phobies au sens clinique et, par une recherche lexicographique sur l’ensemble des concepts désignant la peur ou la phobie de l’homosexualité, nous essayerons de comprendre en quoi le mot homophobie aujourd’hui recouvre de multiples acceptions et définitions, parfois contradictoires, et comment il a pu s’imposer dans le champ lexical face aux autres termes. Nous étudierons par la suite l’homophobie dans ses inscriptions multidisciplinaires. Puis, il s’agira de conceptualiser l’homophobie dans sa version générique, et de l’inscrire dans le cadre de la crise de l’identité masculine, résultante de la crise de la modernité, en essayant de proposer une définition englobant ses différentes acceptions. "A l’opposé d’un moi actif, d’un sujet acteur déterminant une histoire en marche, tel qu’il s’est progressivement imposé au XVIIIe siècle et au XIXe siècle, le moi se dilue dans une entité visqueuse plus confusionnelle."[1]

Inscription dans un groupe de recherche

C’est au cours d’une recherche exploratoire et qualitative du CREA[2] de Lyon II financée par l’Agence Nationale de Recherche contre le Sida (ANRS), à laquelle j’ai pris part en tant que chargé de mission, que j’ai pu participer aux travaux du CREA et faire passer une série d’entretiens semi-directifs auprès d’hommes en majorité hétérosexuels. A travers l’analyse des entretiens, par leur catégorisation en sous catégories d’analyse, j’ai pu commencer avec l’aide des autres membres du CREA, à dégager ce qui faisait sens dans la construction de l’identité masculine, au regard de l’attitude envers la sexualité et l’homosocialité en général et, de l’homosexualité en particulier. Les résultats généraux de cette recherche seront exposés dans un ouvrage à paraître en 1994[3]. Pour ma part, je me suis attaché à comprendre ce qui dans l’homophobie participait à la construction identitaire de la masculinité hétérosexuelle. Pour cela, j’ai combiné une recherche bibliographique et lexicographique et, des entretiens d’hommes hétérosexuels.

1. Présentation de la recherche: Ici, dans cette deuxième partie de DEA, à travers une analyse des premiers écrits sur l’homosexualité, sur l’identité masculine ou féminine, sur les phobies et, par une recherche des premiers écrits sur l’homophobie en France, en Allemagne, au Québec et aux États-Unis, je vais tenter de montrer en quoi l’apparition du mot homophobie correspond à la conjonction de plusieurs phénomènes liant les mouvements sociaux des années soixante-dix et la crise des valeurs dominantes de notre société moderne. "Avec plus ou moins de sérieux ou d’intérêt, le productivisme, dans ses diverses formes, est maintenant l’objet de critique. Le travail, le progrès ne sont plus des impératifs catégoriques. (...) donc, tel est le retour du refoulé, la dépense improductive tend à remplacer le progressisme énergétique."[4]

Il s’agira notamment de mieux cerner les contours de l’homophobie en tant qu’élément structurant des frontières du genre et, notamment du genre masculin. A ce jour, la remise en cause et la déconstruction des représentations et valeurs culturelles traditionnellement associées au féminin et au masculin se développent. Les premiers écrits sur l’identité masculine datent, certes, de la fin du XIXe siècle[5]; certains ouvrages existaient antérieurement mais sous des perspectives différentes. Mais ceux de la période actuelle prennent une tout autre acuité du fait de la crise de la modernité et de ses valeurs dominantes. Pourtant, malgré cette fin des certitudes, certaines constantes persistent dans la construction de la virilité et, à en croire la recherche quantitative allemande[6], sur la tolérance à l’égard de l’homosexualité. “En 1991, 71 % des Allemands de l’Ouest et 64 % des Allemands de l’Est se prononcent pour une discrimination professionnelle des hommes homosexuels sous forme d’une restriction à l’embauche, ou d’une interdiction d’embauche visant les emplois politiques ou le métier d’enseignant.”[7]

De même, 21 % des Allemands de l’Ouest approuvent l’idée d’une castration des hommes homosexuels qui ne peuvent “se contenir”. Malgré une certaine diffusion de l’homosexualité dans la société et une certaine confusion des identités socio-sexuelles, il persiste donc, en Allemagne des attitudes franchement anti-homosexuelles. Gageons qu’en France, où aucune enquête sociologique n’a vu le jour à ce propos, les résultats soient similaires[8].

2. Relativisme Et Déconstruction Des Catégories Existantes De La Sexualité. 2. 1. De la catégorisation de la sexualité... La catégorisation "morale" qui s'est construite autour de la sexualité au XIXe siècle a fortement imprégné les différents sous-champs de la psychologie (psychanalyse, psychologie clinique, psychologie sociale, psychopathologie). D’ailleurs, la sexualité était beaucoup moins normalisée et canalisée au Moyen Age qu’au XIXe siècle[9]. Le puritanisme récurrent de notre société provient essentiellement des normes fixées par la bourgeoisie montante de l’époque dans sa volonté de contrôler et de canaliser toutes les formes de sexualité.[10] (La sexualité monogame et reproductrice est alors opposée à toutes les autres). “(...) Pour parler d’homosexualité, il faut disposer déjà d’une catégorie, d’une pré-catégorie: celle de sexualité tout court, dont homosexualité, bisexualité, hétérosexualité ne sont que des attributions prédicatives, des spécifications en somme. Or c’est un des apports majeurs de la pensée foucaldienne (que) de nous l’avoir montré, la sexualité comme telle est une invention récente[11].”

“Avant le XVIIe siècle ou le XVIIIe siècle, il n’y a pas de sexualité.”[12]

Les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes ont toujours été désignés par la vindicte populaire[13]. Jusqu’au XVIe siècle, les termes suivants étaient utilisés: sodomite, vaudois, hérite, ganimède, bougre, mignon, barbache, dorelot, pédéraste. Avant la révolution française, les termes ont évolué dans le sens de la stigmatisation par des attributs physiques: infâme, non-conformiste, antiphysique, giton, puériseur, rivette. A partir du XIXe siècle, sont intégrés au vocabulaire “spécialisé” des termes à connotation scientifique: troisième sexe, tante, emproseur, jésus, pédé, tapette, pédéro, inverti, homosexuel, philopède, uraniste, homophile. Nous pouvons très bien voir à travers cette liste que les mots utilisés au XIXe siècle persistent encore dans le vocabulaire de sens commun. Certains termes utilisés renvoient une image féminine ou peu virile des homosexuels masculins. Le pas qui consiste à designer les hommes qui ont des relations sexuelles avec d’autres hommes comme des non-hommes, qui les renvoie dans l’autre genre, est très vite franchi avec ce type de définitions stigmatisantes. Les derniers nés sont gay [14] et homo[15] ; à noter la création du terme hétérosexualité en 1894 en distinction d’homosexuel. Pour saisir comment un tel terme “homosexuel” apparaisse dans le champ lexical à la fin du XIXe siècle, il nous faut préciser ses différentes molécules lexicales. Sa création vers 1869[16] juxtapose un homo qui en raison de sa racine grecque Ómos signifie “le même” au sexualis des latins. L’homosexuel s’inscrit dès sa formation dans le registre de l’hétérogénéité étymologique[17]. En tant que sexualité des hommes ou en tant que sexualité avec des personnes de son sexe, l’homosexuel représente la figure du désadapté socialement, du déséquilibré, du maladroit ou du malade. La conclusion logique de cet état de fait est soit la castration, soit l’isolation par l’internement. La première caractérisation du terme homosexuel renvoie à cette période historique où toutes les formes de sexualité hors du mariage étaient proscrites. “Dans la liste des péchés graves, séparés seulement par leur importance, figurait le stupre (relations hors mariage), l’adultère, le rapt, l’inceste, la sodomie ou la caresse réciproque. Quant aux tribunaux, ils pouvaient condamner aussi l’homosexualité que l’infidélité, (...) dans l’ordre civil comme dans l’ordre religieux, ce qui était pris en compte, c’était un illégalisme d’ensemble. ”[18]

La création, au XIXe, siècle par la science d’une nouvelle entité nosographique, l’homosexualité, permet d’expliquer, de traiter voir d’enfermer les personnes jugées anormales, opérant en ce sens une fonction religieuse: la codification des conduites normales et amormales. C’est en 1877, dans son ouvrage “psychopatia sexualis” que le psychiatre Krafft-Ébing[19] a essayé d’expliquer l’origine de l’homosexualité en tant que comportement sexuel pervers. Pour lui, l’homosexualité est l’expression d’une dégénérescence cérébrale (ou physique pour d’autres[20]); les enfants sont des êtres sexuellement neutres et le comportement homosexuel signe un dérèglement du cortex cérébral qui peut être héréditaire et entraîner des troubles neuropathologiques. Les théoriciens de l’époque et leurs héritiers voudront absolument découvrir ce qui, dans l’anatomie ou l’histoire familiale du patient, a pu provoquer ce trouble ou cette anomalie, cette forme “inversion de l’instinct normal”. Des études ethnologiques et anthropologiques ont démontré la relativité et la variabilté dans le temps et dans l’espace de la masculinité et de la féminité voire même de ce qui est sexuel ou ce qui ne l’est pas. Issues de la confrontation à d’autres sociétés et à d’autres formes de construction sociale du masculin et du féminin[21], ces recherches ont permis de mieux comprendre et définir les notions d’identité, d’orientation, de préférence et de rôles sexuels. L’identité sexuelle, souvent confondue avec l’orientation sexuelle, est la reconnaissance par l’individu et les autres de son appartenance au sexe masculin ou féminin. L’orientation sexuelle correspond à l’attrait érotique ressenti envers des personnes de l’un ou l’autre sexe. Les préférences sexuelles viennent caractériser et préciser l’orientation sexuelle en termes de choix de pratiques sexuelles et de partenaires, selon leurs caractéristiques physiques, psychologiques, ou relationnelles. Le rôle socio-sexuel ou le genre provient des stéréotypes culturels et des prescriptions et attentes sociales à propos de ce qui serait du domaine masculin et du domaine féminin[22]. 2. 1. bis. ... à sa normalisation. Selon Michel Foucault, la catégorisation de la sexualitépar le pouvoir médical et ses avatars correspond à une volonté de canalisation et de régulation sociale. Ainsi le discours scientifique a modelé la conception moderne de la sexualité à partir des normes sexuelles établies au XIXe siècle. “L’ensemble perversion-hérédité-dégénérescence a constitué le noyau solide des nouvelles technologies du sexe. Et on n’imagine pas qu’il s’agissait là seulement d’une théorie médicale scientifiquement insuffisante et abusivement moralisatrice. Sa surface de dispersion a été large et son implantation profonde. La psychiatrie, mais la jurisprudence, la médecine légale, les instances du contrôle social, la surveillance des enfants dangereux ou en danger ont fonctionné longtemps “à la dégénérescence“, au système héréditaire. Toute une pratique sociale, dont le racisme d’État fut la forme à la fois exagérée et cohérente, a donné à cette technologie du sexe une puissance redoutable et des effets lointains.”[23]

Même dans la psychanalyse, des tendances moralisatrices ont existé, y compris dans l’oeuvre de S. Freud: “Le psychanalyste n’a jamais réussi facilement à guérir une inversion génitale. Son but est de rétablir la voie à l’autre sexe (...).”[24]

Nous devons cependant relativiser les tendances moralisatrices de la psychanalyse. La psychanalyse est désormais multiple et n’intègre pas forcément toute la dimension biologique contenue dans l’oeuvre de S. Freud ; lui-même opérait une rupture dans l’air de son temps: “On peut maintenant revenir sur ce qu’il pouvait y avoir de volonté normalisatrice chez S. Freud; on peut aussi dénoncer le rôle joué depuis des années par l’institution psychanalytique ; dans cette grande famille des technologies du sexe qui remonte si loin dans l’histoire de l’Occident chrétien, et parmi celles qui ont entrepris, au XIXe siècle, la médicalisation du sexe, elle fut, jusqu’aux années quarante, celle qui s’est imposée rigoureusement, aux effets politiques et institutionnels du système perversion-hérédité-dégénérescence.”[25]

Certains individus ont quelque chose que d'autres n’ont pas (la présence ou l’absence de pénis) et il est affirmé de façon non-discutable l'existence de différences essentielles entre les individus des deux sexes à partir de cette présence ou absence. Celles-ci sont la plupart du temps envisagées à trois niveaux: anatomophysiologique, psychologique et social.

2. 2. Labilité de la sexualité humaine. Les trois niveaux n'ont jamais été appréhendés en même temps dans le champ de la psychanalyse. Les caractéristiques sexuelles spécifiques de chacun des sexes -dit-on- entraînent sur le plan psychologique et social des différences dans le comportement et, par conséquent, aussi dans les traits de caractère. Autrement dit, on considère que les différences de comportement sexuel des adultes résultent de l'élaboration psychique que fait l'individu des caractéristiques sexuelles inscrites biologiquement dans chaque sexe. Car cette biologisation abusive des différences sexuelles a fait systématiquement de quiconque ayant un comportement sexuel différent, un immature, un incapable ou un anormal. De plus, si nos règles sociales qui organisent l'échange sexuel s’étayent sur des règles naturelles alors le comportement homosexuel est considéré comme antisocial. Or la sociologie et l'anthropologie des sexes nous ont montré clairement que les différences ou les comportements sexuels varient selon l'environnement socioculturel considéré. “Une confusion s’est faite entre identité, pratique et orientation sexuelle. Les anthropologues américains Ford et Beach[26] ont montré que l’homosexualité était, comme désir et comportement, virtuellement universelle: ce qui varie, c’est la réaction qu’elle suscite dans les sociétés humaines, réaction qui va de la répression à l’encouragement (en passant par divers degrés de tolérance). Shere Hite[27] a su, par ses enquêtes, en redonnant la parole aux enquêtés eux-mêmes, confirmant les résultats de Kinsey[28] sur l’homosexualité, montrer la diversité, la complexité et la labilité de la sexualité humaine.”[29]

Notre “imaginaire social des sexualités”[30] fonctionne selon les représentations sociales dominantes. “Les pratiques sexuelles, orientations sexuelles, et identités sexuelles sont parfois beaucoup plus nuancées dans la réalité que ne le laisseraient supposer nos catégories contemporaines d’homosexualité, d’hétérosexualité et de bisexualité.” [31] 2. 3. Études sur la sexualité masculine, préjugés et tendances. La psychologie récente nous offre peu d’ouvrages sur la sexualité masculine: à noter cependant le livre de Didier Dumas[32] “La sexualité masculine”, et quelques livres de psychopathologie traitant des déviations sexuelles... (Kraff-Ébing, Westphal) En fait, la masculinité allant de soi dans notre société, peu de chercheurs se sont intéressés à cette question sinon en y faisant référence en tant que norme[33]. Comparée aux voiles dont on enrubanne celle de la femme[34], la sexualité virile a été ainsi banalisée. Elle a été réduite à la crudité d’une fonction biologique: capacité ou non d’érection, attirance ou non devant les femmes. Si nous voulons trouver les traces des premières élaborations sur l’identité sexuelle nous devons faire un retour à Sigmund Freud dans son ouvrage “Trois essais sur la théorie sexuelle[35]“ qui traite de la tension sexuelle, source de l’excitation sexuelle chez l’espèce humaine. Cela suppose que notre sexualité serait “naturellement” axée vers la décharge d’une tension prétendument incontournable et qui ne peut se satisfaire que dans l’éjaculation, quel que soit l’objet sexuel en question. Le pénis n’est pas forcément le seul organe érogène du corps masculin; la pointe du mamelon, l’anus et d’autres parties du corps peuvent être une grande source de jouissance. On a en effet démontré[36] que ni l’érection ni l’éjaculation n’étaient strictement indispensables à la jouissance sexuelle des hommes et que la sexualité masculine vécue différemment peut même être pluriorgasmique. Il en découle des conséquences importantes pour un réexamen attentif des présupposés hétérosexuels dans la sexualité humaine. Dans un ouvrage, “Introduction à la psychanalyse”, Freud[37] rattache les homosexuels (ainsi que ceux qui pratiquent la fellation) à la catégorie des pervers[38], c’est à dire hors des normes sexuelles en vigueur (début du XXe siècle). Selon lui, ils auraient renoncé à la différence et la complémentarité des sexes. La théorie freudienne est insuffisante pour expliquer à elle-seule la construction psychique de la virilité, car elle attribue à la mère, puis au père, les facteurs déterminants dans l’imaginaire du garçon[39]. Or nous savons grâce aux apports de l’anthropologie et à ceux de la théorie de Jacques Lacan, à travers la notion de phallus comme “signifiant du désir”, combien les rapports homosociaux et la place et le rôle du père[40] structurent notre identité sexuelle. Le relativisme culturel de notre société a été étudié longuement par de nombreux anthropologues, et il nous a permis de voir les autres formes de construction sociale du masculin et du féminin[41]. Pourtant dès 1914, des premières ruptures théoriques partielles vont apparaître. Sàndor Férenczi[42] dans son article sur "la nosologie de l'homosexualité masculine" fit le constat suivant: “Il est en effet étonnant de voir à quel point se perdent chez les hommes d'aujourd'hui le don et la capacité de tendresse et d'amabilité réciproque. A leur place règnent ouvertement entre hommes la rudesse, l'opposition et la rivalité (...) Une partie de l'homoérotisme reste librement flottante et réclame satisfaction, mais comme cela est impossible dans les relations régies par notre civilisation, cette quantité de libido doit subir un déplacement, se déplacer sur les relations affectives avec l'autre sexe (...) Les hommes sont tous, sans exception, des hétérosexuels compulsifs: pour se détacher des autres hommes, ils deviennent les valets des femmes. “

Pourtant, dans ces brefs mais néanmoins intéressants propos, Sàndor Férenczi ne pourra s’empêcher de se dédouaner de tout prosélytisme envers l'homosexualité en affirmant: "je trouve naturel et fondé dans l'organisation psychophysique des sexes que l'homme préfère de beaucoup la femme à son propre sexe."

Les paradoxes de cet article sont éclairants pour comprendre les multiples positions théoriques simultanées et souvent contradictoires qui se sont élaborées depuis bientôt deux siècles sur l'homosexualité dans le champ de la psychologie et/ou de la psychanalyse. A ce jour la psychologie ne s'aventure plus dans une "nosologie de l'homosexualité" ; d'ailleurs le terme d'homosexualité n’apparaît plus dans le DSM3R[43] depuis 1976. Nous sommes passés d'une ontologisation des dites homosexualités à une ontologie du sujet homosexuel. 2. 4. Persistance de discours et de constructions scientifiques homophobes. Pourtant en 1971, certains auteurs dans le champ de la psychologie et de la psychanalyse continuent d’user des représentations homophobes de sens commun pour stigmatiser les homosexuels. Tous les stéréotypes de la féminité sont attribués aux homosexuels dans un ouvrage scientifique censé expliquer l’homosexualité masculine: “L’homosexuel, avons-nous dit, est coquet, il est toujours tiré à quatre épingles. Il aime l’originalité vestimentaire et une certaine élégance dictée par la mode (...) Le déviant marque une nette préférence pour les vêtements à la mode avec des pantalons qui moulent les formes destinées à capter le regard et éveiller le désir. (...) Les couleurs tendres, comme le bleu pâle, le rose, le mauve, le blanc, seront plus prisées que les couleurs neutres ou ternes. (...) La chaîne en or se portera à l’extérieur, sur la chemise ou le pull-over, la chevalière se passera de préférence à l’auriculaire, et surtout, on arborera une alliance, en argent, ou en or, à l’annulaire droit.”[44]

En 1962, certaines recherches en sciences sociales ne sont pas non plus exemptes de représentations homophobes. Un sondage sur l’homosexualité du centre d’information et de recherche économique de juin 1962 propose les questions suivantes, tout en supposant a priori que l’enquêteur a en face de lui un hétérosexuel[45]: (1) Pensez-vous qu’il y ait à l’heure actuelle, en France, plus ou moins de personnes souffrant de troubles sexuels qu’autrefois?

(2) Pensez-vous qu’il y ait beaucoup d’homosexuels en France? Combien à votre avis? (...)

(8) Si vous étiez chef du personnel, et que vous apprenez que l’un de vos employés est homosexuel, désireriez-vous le renvoyer?

(10) Quelles sont à votre avis les précautions à prendre pour éviter qu’un enfant devienne homosexuel?

L’homosexualité apparaît ici comme un danger pour l’ordre moral et social établi car elle déstabilise les frontières de genre, elle remet en cause la question de l’identité masculine et de l’identité féminine.

3. Les Phobies Ou Les Peurs Irrationnelles. Avant d’étudier les premières émergences lexicales du mot “homophobie”, il nous faut d’abord rappeler l’étiologie des phobies, dans leur sens clinique ainsi que leurs différentes formes en isolant dans cette molécule lexicale ses atomes constitutifs. Dans le langage psychologique, les phobies correspondent à des peurs irrationnelles entraînant des comportements désadaptés socialement (phobos = peur). Ces peurs créent soit le dégoût, soit la répulsion envers l’objet phobique; elles déclenchent souvent des réactions de fuite ou d’évitement. Ce sont des “réactions de peur excessive et inadaptée liées à des constellations de stimuli hautement spécifiques”.[46] Les phobies sont pourtant structurantes dans notre enfance, notamment à travers la vie relationnelle, la construction de notre identité en tant que sujet et dans l’élaboration psychique de notre désir.

Souvent l’enfant a peur de façon non contrôlée et sans raison apparente, dès lors qu’il n’est plus en présence de personnes connues ou reconnues de son entourage immédiat.

Les phobies peuvent créer chez le sujet atteint, des attaques de panique, c’est-à-dire des crises d’angoisse, et des modifications physiologiques importantes (sueurs, chaleur, augmentation du rythme cardiaque, tremblements, vertiges, fourmillements dans les extrémités). L’ensemble de ces manifestations ou quelques-unes d’entre elles entraînent une sensation de gêne chez l’individu. les phobies semblent mettre le moi en danger, en crise. La personne phobique adapte (structure) donc sa personnalité en fonction de sa phobie et, par là même, en évitant toute rencontre, tout contact direct avec l’objet phobogène. Il existe plusieurs types reconnus de phobies[47]:

  • Les phobies simples correspondent principalement aux peurs d’animaux, d’objets, de bruits, de sang ou de blessures.
  • L’agoraphobie constitue à elle seule une catégorie, elle correspond à la peur de certains espaces publics, et par extension à la peur de tout espace vide, de la foule, des lieux fermés, des transports en commun et des salles de spectacle.
  • Les phobies sociales correspondent à une anticipation anxieuse et à l’évitement de certaines situations sociales ou de certains groupes sociaux (ex: l’éreutophobie (érythrophobie): la peur de rougir en public).

Le sujet, face à une phobie, a deux possibilités, soit l‘évitement de la situation anxiogène, soit l’agression pour la destruction de l’objet phobique[48]. Prenons l’image classique de “la ménagère” : face à une souris, la ménagère peut soit grimper sur un tabouret soit prendre son balai et expulser hors de sa vue la petite bête pourtant inoffensive. En ce qui concerne notre objet, l’homophobie, l’agression des homosexuels par certaines bandes de “zonards” et de jeunes “skinheads[49]“, représente une forme de phobie sociale permettant de se distinguer de ce qui fait désordre dans la masculinité traditionnelle: l’homosexualité (la distinction pouvant même se faire jusqu’au viol de l’autre). Parfois, les personnes phobiques compensent cette peur dans des comportements désadaptés socialement (dépression, alcoolisme chronique ou toxicomanie). Selon le DSM3R, les phobies, à l’exception des phobies simples, ne concernent pas les enfants. Dans ce type de définitions restrictives utilisées dans le champ de la psychologie, les termes comme xénophobie ou anglophobie ne sont pas mentionnés. Ils ne correspondent pas à la même référence sémantique. Ils correspondent plus à la stigmatisation sous forme de haine ou d’aversion à l’encontre de certains groupes sociaux ou ethniques. Pourtant avec la notion freudienne d’inconscient, l’étrange, le différent ne sont pas étrangers à nous mêmes, l’étrangeté est en nous[50], elle nous interpelle dans notre identité psychique et nous oblige à réagir. “L’inquiétante étrangeté est cette variété particulière de l’effrayant qui remonte au depuis longtemps connu, depuis longtemps familier.”[51]

Freud note plus loin dans son ouvrage sur l’inquiétante étrangeté, que le moi qui n’est jamais clairement délimité par le monde extérieur, projette hors de lui ce qui fait désordre pour en faire un double, un étranger, un personnage représentant ce qu’il éprouve en lui-même comme menaçant. Comme Julia Kristeva, nous dirons “l’autre, c’est mon (propre) inconscient.”[52] Ainsi la rencontre personnelle avec l’homosexuel ou l’homosexualité va-t-elle pour un individu de sexe masculin le renvoyer à cette inquiétante étrangeté, elle va créer une situation angoissante, provoquer le retour d’un refoulé, en donnant à l’autre, le semblable différent, le nom d’étrange ou d’étranger à ses propres pratiques. Pourtant en raison de notre bisexualité psychique[53], notre propre homosexualité ne nous est en rien étrange, elle l’est en apparence du fait de son refoulement. Sa reviviscence en présence de l’homosexualité, ou de ce qui lui est associé, entraîne des modifications dans notre appareil psychique et, par voie de conséquence, des réaménagements ou des conduites de type phobique d’évitement, de rejet ou d’agression. 3. 1. Origine étymologique du terme homophobie Le mot homophobie n’existe pas (encore) dans le langage de sens commun, ni dans nos dictionnaires français. Force nous est donc, de procéder à nos propres recherches étymologiques. Nous venons de voir que le terme phobie appartient au langage scientifique dans le champ de la psychologie. Il est issu des premières recherches de Freud sur l’agoraphobie ou sur la claustrophobie. Le terme phobie s’est ensuite inscrit dans le champ du social pour désigner différentes formes de peurs conscientes ou inconscientes d’objet ou de personnes différentes. Ces deux acceptions autour du terme phobie ne renvoient pas exactement à la même réalité sociale. Notre champ lexical s’est adjoint de toute une série de termes utilisant le suffixe phobie, celui-ci ayant eu depuis un siècle une productivité lexicale fort importante[54]. Des tas de mots ont été alors crées pour désigner toutes les formes de phobies existantes ainsi que leurs correspondances plus ou moins symétriques en terme de philie[55]. L’apparition du terme homophobie croise en fait les deux dimensions lexicographiques, son sens clinique et son sens commun. Pour le docteur Georges Weinberg le sens technique, clinique, sera choisi et, au contraire dans les sphères militantes, c’est le sens commun qu’il faudra comprendre. La réponse à cette contradiction entre ces deux acceptions (clinique et commune) n’est qu’apparente, l’homophobie tel un mot-valise correspond à un carrefour entre ces deux origines mêlant les phobies de la psychologie clinique et les phobies de sens commun. À la lecture du tableau en annexe 1, on voit très nettement qu’il s’agit presque uniquement des phobies d’objets ou de classes d’objets, ou des groupes de personnes: les colorants acides, les espaces publics, les livres, la vie, les cartes (postales ou de géographie), le cinéma, les espaces clos, les coquillages, les porte-clés, les étiquettes de bouteilles de vins (ou de boîtes de fromage, ou de sucre, ou de cigares), les Français (les Anglais, les Russes, les Allemands...), les vieux, les pots de yaourt, les projectiles pour frondes, le sel, les poids, le sang, l'eau, les jetons, les petites filles, les corps gras, les marques postales, les palets de marelle, les minéraux, les cadavres, la nouveauté, l'azote, les enfants, la lumière, les cachets de plomb, les fers à repasser neufs ou anciens, les excréments, les documents sur papier timbré, le tabac, la chaleur, les étrangers, les animaux. Les exceptions demeurent assez rares : l'érythrophobie, crainte maladive de rougir en public, renvoie sans doute plus à un processus qu'à un objet. De même, probablement, pour l'hémophilie et la spasmophilie. Parallèlement, il existe la biphilie, dont on peut penser structurellement qu'elle est à la bisexualité ce que l'homophilie est à l'homosexualité: une catégorie d'auto-désignation applicable aux personnes qui ressentent du désir pour des individus des deux genres, sans pour autant concrétiser ce désir dans les rapports sexuels. L’homophobie renvoie à une forme particulière de phobie juxtaposant une phobie de personnes (les homosexuels masculins) à une phobie d’un type de comportement (les conduites dites féminines ou par exemple le fait d’être pénétré), en ce sens ce serait le seul exemple en la matière. Après avoir décomposé le suffixe phobie, il nous faut procéder de même avec le préfixe homo.. Bien que le préfixe homo nous invite à définir "l'homophobie" comme la peur du même, il semble bien, notamment si l'on intègre l'acception populaire du terme homo, que "l'homophobie" se situe dans une tension entre l'homme (le mâle) et le même. La peur du même chez l'homme ou la peur de l'homme chez l'homme, quelle que soit l'étymologie choisie[56] "l'homophobie" concerne d'abord une problématique intra-genre, l'orientation sexuelle étant différente du genre[57]. Comme homologue ou encore homogène le terme homophobie pourrait signifier le fait d’être porteur d’une seule et même phobie, mais en fait, il correspond à la phobie de l’homo L’homosexuel pourrait désigner, avec la racine latine, la sexualité de l’espèce humaine dans son entièreté. Le choix d’utiliser la racine grecque pour désigner les amours entre garçons renvoie l’homosexuel à une problématique intra-hommes, intra-genre, invisibilisant de ce fait les amours saphiques. L’homophobie en tant “qu’appellation contrôlée” correspondant à une théorie, une attitude bien définie, est une acquisition récente. Depuis le commencement des temps dits historiques, le rejet des amours entre garçons a toujours existé et variait en fonction des normes sexuelles en vigueur. La création du mot servant à désigner le vécu quotidien des homosexuels hommes et femmes dans une société hétérosexuelle, permet une meilleure reconnaissance et une meilleure acceptation du fait homosexuel.

4. Évolution Et Diversité Des Acceptions Autour Du Mot Homophobie. Sàndor Férenczi[58] utilisera au début de ce siècle le terme “homoérotisme refoulé” désignant par là le refus des hommes hétérosexuels de s’investir affectivement entre eux et reportant de façon exagérée cette affection sur les femmes. C’est le seul écrit de l’époque dans le champ de la psychanalyse connu sur ce sujet. Durant les années soixante-dix, l’émergence du mouvement homosexuel, notamment à travers la création du FHAR (Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire) va permettre aux homosexuels de désigner la stigmatisation dont ils font l’objet. “Vous ne vous sentez pas oppresseurs. Vous baisez comme tout le monde, ça n’est pas de votre faute s’il y a des malades ou des criminels. Vous n’y pouvez rien, dites-vous, si vous êtes tolérants. Votre société —car si vous baisez comme tout le monde, c’est bien la vôtre— nous a traités comme un fléau social pour l’État, l’objet de mépris pour les hommes véritables, sujet d’effroi pour les mères de famille. Les mêmes mots qui servent à nous désigner sont vos pires insultes.”[59]

C’est donc le mouvement social qui a introduit de nouveaux termes dans notre champ lexical, tout en les limitant à la stigmatisation des homosexuels, tels que: “hétéro-flic”[60] ou “paranoïa anti-homosexuel”[61]. D’autres termes aux États-Unis vont être utilisés[62]. “Homosexphobia” a été utilisé par Levitti et Kassen en 1974 en tant que phobie de l’homosexualité. “Homosexism”, sera utilisé par Leyne en 1976, il désignera par ce terme le sexisme à l’égard des homosexuels. “Homonegativism”, utilisé par Hudson et Riecketts en 1980, désignera les attitudes négatives à l’égard des homosexuels hommes et femmes. Par la suite, le terme “hétérosexisme” sera choisi par Morin et Garfinckle[63] reprenant une version plus sociologique du terme militant “hétéro-flic. Pourtant parallèlement un philosophe issu du mouvement homosexuel va juxtaposer le préfixe homo au suffixe phobie pour créer le terme homophobie en l’inscrivant dès ses premières utilisations dans le champ du social. La première occurrence française du mot homophobie retrouvée à ce jour, date de 1977, par Claude Courouve, dans son ouvrage sur “les homosexuels et les autres”[64]. “Les ouvriers et paysans de province, surtout mariés, sont les plus hostiles. C’est chez eux que l’on rencontrera la plus grande proportion d’homophobes (...) L’homophobie semble aussi liée au culte de la virilité et au statut encore inférieur de la femme dans notre société. (...) Le lien entre homophobie et misogynie apparaît clairement dans certaines bandes de jeunes où le terme pédé ne désigne pas seulement l’homosexuel, mais aussi celui qui aime une femme et s’attache à elle. L’amour est alors perçu comme dévirilisant.”

Cependant, quelques années plus tard, Claude Courouve, dans son dictionnaire de l’homosexualité masculine[65] ne va pas indiquer l’homophobie comme concept opérant, même si pourtant ce fut l’un des premiers chercheurs à étendre ce concept du coté de la construction de la virilité. L’homophobie, en tant que forme particulière de la stigmaphobie,[66] représente pourtant bien une stigmatisation des homosexuels dans un monde à dominante hétérosexuelle. Doit-on penser, que Claude Courouve à force d’avoir intégré les peurs des hétérosexuels à l’encontre des homosexuels, ne juge plus utile de designer cette évidence qu’est pour lui l’homophobie, ce qu’on pourrait rattacher à une forme de stigmaphilie.[67] Dans le même ordre d’idée, on pourrait taxer les homosexuels d’hétérophobie par leur refus de la relation d’altérité que constitue la relation hétérosexuelle. "L’hétérophobie est un mécanisme très archaïque qui a vraisemblablement toujours existé, que l’on trouve même chez les animaux. Ce pourrait être la peur de l’autre. Quand un animal en aperçoit un autre qu’il ne connaît pas, (...) il a des réactions de recul, de peur et d’agressivité. C’est l’une des réponses possibles devant l’inconnu."[68]

Or l’hétérophobie n’est pas antinomique avec l’homophobie ; tel homosexuel et hétérosexuel ils représentent tous deux les deux faces d’une même réalité, la peur de l’étrange ou de l’étranger dans l’autre ou à l’intérieur de soi. L’homophobie et l’hétérophobie sont constituantes du racisme en tant que théorie ou pratique qui conclut à la nécessité d’imposer une norme dite supérieure sur une autre. Dans ce sens, l’homophobie correspondrait plus à la haine antisémite, tandis que l’hétérophobie correspondrait à la haine anti-maghrébine. L’homophobie, dans sa version générique en tant que peur de l’autre en soi, combinerait ses différentes racines étymologiques et la peur du différent que certains appellent hétérophobie, elle permettrait une meilleure compréhension du vécu des hommes homosexuels et hétérosexuels dans une société dominée par le sexisme et l’hétérosexualité[69]. Le premier scientifique à avoir utilisé le concept homophobie est Georges Weinberg en 1972[70]. Il s’est inspiré de Churchill[71] qui en 1967 a parlé d’homoérotophobie en tant que phobie des amours entre hommes. Ceci est du même ressort que le travail de Sàndor Férenczi sur “l’homoérotisme refoulé” dans sa tentative d’une nosologie de l’homosexualité masculine[72]. Ces premières recherches s’inscrivent dans le champ de la psychanalyse, le terme “phobie” est utilisé dans son terme technique et clinique. Pour lui, tout patient sain doit avoir surmonté son préjugé[73] envers l’homosexualité. l’homophobie représente la peur, la répugnance d’être en contact avec des homosexuels. L’origine de l’homophobie se situe, pour Weinberg, à plusieurs niveaux:

               1.  La peur d’être soi-même homosexuel, celle-ci entraînant une formation réactionnelle au sens freudien, c’est-à-dire un déplacement de l’impulsion en soi-même vers une expression à l’encontre des homosexuels, à l’extérieur du sujet.

“Certaines excitations sexuelles éveillent des contre-forces qui, pour pouvoir réprimer efficacement ce déplaisir (résultant de l’activité sexuelle), établissent des digues psychiques (...) telles que: dégoût, pudeur, moralité.”[74]

               2. L’influence de la religion, et par là de la morale judéo-chrétienne, a entraîné un préjugé défavorable à l’encontre de toutes les formes de plaisir non liées à la reproduction sexuelle. En effet, notre code culturel traditionnel issu des Saintes Écritures, interdit de “répandre la semence” en dehors de la matrice et, de pratiquer certaines  positions sexuelles jugées “trop jouissives” car trop dissociées de l’acte de reproduction ; l’homosexualité, dans ce cadre, est entièrement prohibée.
               3. “L’envie réprimée”, en lien avec ses propres préjugés, laisse considérer l’hétérosexuel comme supérieur. C’est ce même sentiment qui structure le racisme ou le sexisme: l’homosexuel, avec ses multiples partenaires et son accessibilité, dénuée de sentiments, à la sexualité, devient ainsi objet d’une envie réprimée ou refoulée[75].

Après Weinberg, de nombreuses études américaines ont été menées sur ce thème en psychologie expérimentale[76]. Parallèlement à une approche étiologique à partir de la psychologie individuelle, il existe dans le monde sociétal, des schèmes de la discrimination, de la stigmatisation, et de la répression envers les homosexuels hommes et femmes: “l’homophobie institutionnelle” correspond, entres autres, et nous le verrons plus loin, aux dispositions juridiques qui vont limiter les droits politiques, économiques et sociaux des personnes qui ont des pratiques sexuelles avec des personnes du même sexe[77]. Aux États-Unis l’homophobie en tant que concept scientifique existe: “Bien que la définition soit variable, l’homophobie fait normalement référence à des attitudes négatives envers les personnes homosexuelles ou l’homosexualité en général. Le fait qu’on caractérise les attitudes négatives envers les homosexuels comme une phobie a été critiquée pour de nombreuses raisons. Une de ces raisons c’est l’insinuation que ces préjugés proviennent d’une crainte irrationnelle et sont une manifestation individuelle pathologique plutôt qu’une norme culturelle. Malgré ces limitations, l’homophobie est plutôt utilisée en Américain jusqu’au jour où un meilleur terme sera trouvé. Des précautions doivent être prises pour identifier l’homophobie comme un préjugé comparable au racisme et à l’antisémitisme et non pas comme une crainte irrationnelle assimilable à la claustrophobie ou l’agoraphobie (...).”[78]

La visibilité sociale accrue pour les homosexuels hommes et femmes va participer à la modification des rapports sociaux de sexe. Mais loin de remettre en cause entièrement l’homophobie, de nouveaux discours vont apparaître pour la transformer en homophobie libérale. L’homosexualité est acceptée tant qu’elle ne “touche” pas directement l’homme ou sa famille. [79]R: “ Moi je me dirais, j’ai dû me planter quelque part. Oui, je me dirais ça, dans son éducation.” (En cas de fils homosexuel)

R: “Personnellement, non, à partir du moment où ils n’essaient pas d’engager une relation avec moi, mais c’est vrai que le fait même de l’envisager me répugne profondément.”

Un discours sur la différence apparaît, centré sur l’hétérosexualité comme norme dominante, et l’homosexualité ou la bisexualité comme pratiques particulières, bizarres, étranges. Les homosexuels hommes et femmes sont acceptés à la seule condition qu’ils restent confinés dans l’enceinte du ghetto, qu’ils ne viennent pas perturber la tranquillité hétérosexuelle, qu’ils ne viennent pas déconstruire les normes masculines dominantes. D’ailleurs l’homophobie libérale masculine ne fait pas de lien entre l’homosexualité et la construction sociale du masculin ; cela est peut-être dû au fait que la figure de l’homosexuel n’est plus toujours vue uniquement sous l’angle de la “folle”. Cette position limite la question de l’homophobie à la stigmatisation des gays et des lesbiennes et empêche la déconstruction des barrières de genre. Si l’homophobie a su s’imposer comme concept militant dans le milieu homosexuel[80], c’est peut-être parce qu’elle résumait de façon claire ce que vivait quotidiennement les homosexuels dans un monde hétérosexuel. Aussi il nous faut comprendre pourquoi certains homosexuels rejettent certaines formes d’homosexualité, notamment celles reprenant les stéréotypes de la féminité[81]. Pour saisir cette homophobie intra-gaie il est nécessaire de donner une acception plus large que la stricte peur de l’homosexualité et qui intègre les frontières de genre. Pour Élisabeth Badinter[82], dans son dernier ouvrage, l’homophobie représente la peur des qualités féminines chez un homme, elle renforce l’hétérosexualité d’un certain nombre d’hommes en structurant son identité masculine.

5. Les Multiples Acceptions Composant L’homophobie. En intégrant toutes les dimensions contenues dans le rejet de l’homosexualité et de la féminité, nous avons été amenés à établir cette définition de l’homophobie: “L'homophobie est la discrimination et la stigmatisation des personnes qui montrent, ou à qui l'on prête, certaines caractéristiques majoratives ou péjoratives, attribuées à l'autre genre.”[83]

Après avoir vu l’ensemble des termes utilisés en lieu et place de l’homophobie et, après avoir commencé à approcher les différentes conceptions de l’homophobie, il nous faut désormais préciser l’ensemble des acceptions qui composent l’homophobie, caractérisée par une double opposition: l’homophobie restrictive opposée à l’homophobie large et l’homophobie individuelle opposée à l’homophobie institutionnelle. 5. 1. L’homophobie restrictive ou l’hétérosexisme L’homophobie restrictive représente l’ensemble des injonctions faites aux homosexuels ; injonctions servant soit à les désigner soit à les repérer, soit à les stigmatiser. Elle est la forme la forme la plus connue de l’homophobie, celle reprise par le monde homosexuel pour désigner les stigmatisations dont ils sont l’objet. L’homophobie restrictive s’intéresse donc uniquement aux homosexuels repérés ou assimilés, dans ce sens, le code homophobe sanctionne tout homme qui ne le respecte pas en le renvoyant du coté du genre féminin. Une des sanctions possibles est le viol. ”Ce n'est que longtemps plus tard, lors de mes travaux sur le viol, à la lumière d'une interview d'un homosexuel qui vraisemblablement avait été agressé à cette époque par les jeunes que nous étions chargé-e-s de suivre, que j'ai réalisé que «la chasse au pédés» consistait, aussi, pour une part de la bande, au viol collectif de ces derniers. Avouez qu'il y a de quoi y perdre son latin. Des jeunes qui agressent des homosexuels, et qui pour les punir de leur homosexualité, les violent.”[84]

L’homophobie restrictive n’est qu’une conséquence de l’homophobie générale apprise à tous les hommes quelle que soit leur orientation sexuelle. Pourtant les gais et les lesbiennes subissent une discrimination spécifique liée à leur orientation sexuelle. Ces discriminations peuvent aller du refus d’embauche, de location d’appartement, jusqu’au rejet par la famille et les amis. L’oppression des personnes homosexuelles prend racine dans la certitude qu’ont ses détracteurs et ses détractrices, que l’hétérosexualité est supérieur. On peut donc considérer l’homophobie restrictive comme de l’hétérosexisme. Pour un des hommes interrogés: R: “Ils ont un rôle passif, il y en a un qui n’agit pas ; il y en a toujours un qui fait la femme, ils s’enculent; l’homosexualité est liée à la sodomie ; ils ont des relations mauvaises avec les femmes ; ils ont un problème du coté de leur trou du cul; ils sont mous.”

Aujourd’hui de plus en plus, ce modèle semble être dépassé, le degré d’acceptation de l’homosexualité augmente, les homosexuels semblent mieux acceptés dans la société parmi ceux qui ont un niveau socioculturel élevé[85], même si le fait d’en côtoyer directement gêne encore une grande partie de la population. 5. 1. 1. L’homophobie restrictive libérale. L’homophobie libérale correspond en fait aux tendances actuelles d’acceptation de l’homosexualité. R: non pfff je sais pas. Ben c'est la même chose hein, ils sont homosexuels, c'est à dire, ils vivent en couple en étant du même sexe..., ça change pas grand-chose. Deux hommes ou deux femmes... Il n'y en a pas un qui soit... Je veux dire par rapport à la société il y a toujours des tabous ou c’est toujours un peu tabou l'homosexualité... Que ça soit 2 hommes ou 2 femmes. Quoiqu'en ce moment j'ai l'impression que les hommes homosexuels sont peut-être plus à l'aise, les femmes homosexuelles, on les voit peut-être moins facilement. Les hommes homosexuels, il y en a certains, ils n'hésitent pas à se montrer, à notre époque, ça passe peut-être plus facilement Des fois ils ont un côté vachement exubérant. J'ai peut-être plus souvent rencontré des hommes homosexuels que des femmes. Pour moi, ça change pas grand chose, pas de différence

“(....) Quelqu’un qui me paraît l’archétype du vrai homme, je ne me poserais jamais la question.”

Pour un autre, animateur socio culturel: R: “Si tu connais quelqu’un d’homosexuel, où tu te dis cette personne là serait une femme, ça serait différent mais là c’est un homme tu vois, il y a quelque chose qui se joue qui est différent de d’habitude, et on est gêné avec ça quoi.”

L’homophobie libérale concerne l’acceptation croissante de l’homosexualité. L’homosexualité est intégrée comme différence. Le monde homosexuel est perçu comme une partie différente du monde social, composée de personnes qui sont par “essence” différents. “Cette libéralisation des moeurs a mis en question les normes elles-mêmes et, en conséquence, les définitions de perversion et de déviance. (...) Le multi-partenariat sexuel, aussi bien que la «des-perversion» ou la banalisation de certaines pratiques sexuelles sont quelques unes des conséquences de cette «révolution». (...) De même en ce qui concerne la des-hiérarchisation progressive des genres avec une mise en question plus aiguë des rapports entre les hommes et les femmes.”[86]

Même si ces modifications ont mis en route des processus de reconstruction des genres, ceux-ci étant moins soumis à des pressions sur les enveloppes de genre, il n’en demeure pas moins, comme l’attestait Claude Courouve en son temps, que certains milieux sociaux ruraux et/ou ouvriers fortement homosexués restent fortement réticents à toute reformulation des genres et à toute forme d’intégration du fait homosexuel. Dans mes entretiens, la phobie de l’homosexualité reste pourtant présente chez ceux qui ont les modes de vie les plus stéréotypés au niveau des rapports hommes/femmes. Même si l’homosexualité semble de plus en plus acceptée, elle reste fortement stigmatisée lorsqu’elle “touche” directement l’individu dans son intimité familiale et/ou corporelle. R: “ J'aimais pas trop. Si tu veux, il s'approchait de moi, il me prenait par l'épaule, des choses comme ça. J'étais pas à l'aise.”

R: “... Moi je dis, chacun, chacun fait comme il veut, pourvu qu'ils n'embêtent pas ceux qui sont à côté, quoi. Moi ça ne me dérange pas, ils ne me dérangent pas, moi. Ils ne me dérangent pas... Ils font ce qu'ils veulent, ils se marient... pfff!”

Un homme interrogé sur l’éventualité d’une relation homosexuelle indique: R: “C’est, je sais pas si c’est vraiment la peur de la pénétration proprement dite, ça serait la peur d’être possédé par un mec, d’être... Même s’il n’y avait pas pénétration, je me sentirais violé quand même.”

Pour un autre : R: “Personnellement, non, à partir du moment où ils n’essayent pas d’engager une relation avec moi, mais c’est vrai que le fait même de l’envisager me répugne profondément”.

Dans ce système de représentations[87] et de classifications normatives, celui qui parle des homosexuels considère son modèle comme normal/général/ordinaire/évident et il classe les pratiques homosexuelles comme un sous-produit, une dérivation. 5. 2. L’homophobie institutionnelle. Au niveau institutionnel, on observe l’homophobie à travers l’hostilité envers les lesbiennes et les gais ou la non-reconnaissance du fait homosexuel comme composante à part entière de la sexualité humaine. Combien de livres d’éducation sexuelle ou de plaquettes de prévention contre le sida destinées au grand public traitent-elles de l’homosexualité autrement que sous l’angle d’une déviation ou d’une perversion?[88] L’homophobie institutionnelle se manifeste par des lois à l’encontre des homosexuels[89], des politiques de discriminations prononcées dans les tribunaux, par les religions ou dans les ouvrages de vulgarisation scientifique (les lois anti-homosexuelles existent toujours à Cuba et en Russie, celles-ci n’ont d’ailleurs jamais réussies à enrayer la progression du sida, elles ont seulement réussies à nier sa réalité). L’homophobie institutionnelle, par de nombreux processus sociaux invisibilise généralement les gays et les lesbiennes[90]. De plus, les recherches depuis maintenant près d’un siècle sur la sexualité en sociologie et en anthropologie ont montré le caractère subjectif, androcentrique des définitions, trop souvent axées sur la désapprobation de l’homosexualité. D’ailleurs, encore aujourd’hui, les définitions sont loin d’être objectives. Définitions relevées dans le Petit Robert de 1990: Hétérosexualité: sexualité normale de l’hétérosexuel.

Homosexualité: tendance, conduite des homosexuels.

Hétérosexuel: qui éprouve une appétence sexuelle normale pour les individus de sexe opposé.

Homosexuel: personne qui éprouve une appétence sexuelle plus ou moins exclusive pour les individus de son propre sexe, cf. inverti.

Bisexualité: dispositions psychiques à la fois masculines et féminines inhérentes à tout individu. “La bisexualité est un phénomène humain universel qui ne se limite pas, par exemple, au cas pathologique de l’homosexualité” (Laplanche et Pontalis).

Bisexuel: qui a des relations sexuelles aussi bien avec des hommes que des femmes; qui est à la fois hétérosexuel et homosexuel.

Inversion: (...) inversion sexuelle, anomalie psychique, qui porte quelqu’un à n’éprouver d’affinité que pour un être de son sexe.

Homo: qui vient du grec homos qui veut dire semblable, le même.

Homme: qui vient du latin homo qui veut dire être appartenant à l’espèce animale la plus évoluée de la terre.

“Notre société a toujours eu besoin de définir et de maintenir des rôles stricts de genre et, d’allier le comportement sexuel avec la procréation. Ces deux facteurs idéologiques sont jugés nécessaires pour la promotion des familles hétérosexuelles comme lieu de reproduction et de socialisation des enfants pour accéder au système économique et social.”[91]

Ces définitions sont éclairantes pour mesurer à quel point, l’homosexualité dérange les normes établies de la masculinité hétérosexuelle. Même en 1990, l’homosexualité est encore assimilée à une tendance, une anomalie psychique ou encore comme une déviation génétique. En fait, des tendances contradictoires existent dans les institutions en ce qui concerne la reconnaissance du fait homosexuel. La récente autorisation de reconnaître “le bénéfice de la sécurité sociale aux compagnons du même sexe”[92] va permettre une plus grande efficacité dans la lutte contre le sida. Pourtant dès qu’une avancée en faveur des personnes homosexuelles est prononcée, les réactions homophobes ne se font point attendre de la part de certaines institutions. “Une telle négation de la différence entre l’homme et la femme conduit au démantèlement de la famille, qui est le berceau de la société de demain. (....) il faut faire cesser cette course à la normalisation de comportements déviants par rapport à une éthique saine”[93]

Si l’hétérosexisme est une promotion incessante de la supériorité de l’hétérosexualité, l’homophobie au sens large est le mode de gestion sociétale des relations masculines et opère de ce fait un contrôle social de l’homosexualité. 5. 3. L’homophobie générique. Dans notre société, la virilité a été de tout temps associée aux arts de la guerre, aux sports, à la politique, à l’argent et à la compétition, en fait, à une fantasmagorie guerrière ou agressive qui s’identifiait dans l’expression sociale du masculin. La dimension homosexuée des fantasmes guerriers, sportifs, valorise ainsi un pendant de la masculinité, la virilité. Cette forme de socialité a une dimension orgiastique, elle permet aux êtres masculins de prendre du plaisir ensemble en se dissociant des femmes. “Ce plaisir d’être avec un proche va donner la diversité des micro-agrégations (...) On y fuit la routine de l’amour conjugal, ou celle de l’amante.(...) Que ce soit les confréries religieuses, les chambrettes montagnardes, les loges maçonniques, aux autres clubs d’hommes, que ce soient les Stamtisch de la tradition germanique ou les bistrots d’habitués dans la vie courante, il existe comme une structure anthropologique qui peut prendre des formes multiples, (...) mais qui d’une manière constante redit le plaisir d’être ensemble au plus proche, autour d’un «foyer». Ainsi la proxémie devient une valeur publique, elle est le vecteur d’une homosocialité aux expressions multiples, qui dans tous les domaines de la vie sociale va favoriser l’éclosion de ces groupes d’hommes ou de femmes où chacun pourra vivre sans masque sa part d’ombre.”[94]

Ainsi l’homme s’inscrit, tout au long de sa vie dans de nombreux groupes, partis, syndicats, associations, églises, armées, la plupart du temps majoritairement composés d’hommes: “l’homme fait bande avec son semblable”[95]. La mafia italienne par exemple, “représente un ensemble d’individus qui font corps ensemble”[96]. Ces “maisons des hommes”[97] auraient pour fonction de modeler le corps et la sexualité des hommes sur un modèle viril. L’homophobie générique est un prescripteur des rapports sensibles, en ce sens, elle organise aussi les rapports sexuels des hommes autour de la peur de la pénétration sexuelle, affective et corporelle et devient structurante dans la construction psychique de la masculinité hétérosexuelle[98]. “Oui mais disons que personnellement, je ne suis pas complètement, vraiment homosexuel. Pas vraiment. Je n'apprécie pas les relations homosexuelles dans le sens de pénétration, mais ce que j'aime c'est les caresses, les attouchements, tout ça...”

“Ben la différence, c'est que moi je n'apprécie pas les relations proprement dites ni en tant que pénétrant, ni en tant que pénétré. Non le reste euh, caresses, relations, embrassades tout ça, j'apprécie.”

Le paradigme de la peur de la pénétration sexuelle, affective et/ou corporelle par les hommes, peut se concevoir comme l’équivalent de l’interaction sociale entre supérieur et inférieur, entre actif et passif, entre vainqueur et vaincu, ainsi que comme l’élément déterminant dans l’étanchéité des frontières de la virilité. Dans cette image, la femme, l’homosexuel, l’homme “doux” sont perçus comme des objets sexuels, des choses à prendre, sans identité personnelle. L’homophobie est une sorte de prescripteur des rapports homosociaux masculins au niveau des conduites et des représentations. Par une légitimation de certaines conduites homosociales et, par une stigmatisation d’autres conduites assimilées culturellement à l’homosexualité ou ses formes dérivées, l’homophobie se veut un organisateur de la vie sociétale[99] virile. Les hommes qui contestent cet ordre des choses sont désignés et critiqués par leurs pairs, puis renvoyés du coté de l’autre genre, le genre féminin. Déjà dans la Rome Antique, ce paradigme existait[100], et il serait désormais intéressant de vérifier si cette peur a été partagée dans d’autres cultures. L’homme moderne, viril, ne peut accepter des intrusions dans l’ensemble de ses espaces intimes[101]. Souvent il va se limiter à accepter une intrusion dans un seul espace privé. Ses enveloppes psychiques[102] seront ainsi protégées de la présence des pairs. La pénétration psychique affective se retrouve très mal acceptée quand elle se situe dans la douleur. Les hommes que nous avons interrogés ont très peu d’amis intimes, ils n’osent pas se confier ni parler de leurs problèmes intimes. Bien peu d’hommes affirment avoir de vrais amis, bien peu osent affirmer (ou avouer) leurs faiblesses devant un autre homme. Pour quelques-uns, le fait d’avoir des amis hommes s’inscrit dans une relation du même type que celle qu’ils ont avec leur femme ou qu’ils ont eu avec leur mère. Comme si la relation intime à l’autre ne pouvait exister que dans l’écoute maternelle, comme si leur construction sociale de genre leur interdisait ce type de relations en dehors de toute présence maternelle ou féminine. Ces résultats corroborent ceux de l’enquête ACSF[103]: pour 62% des hommes, leur confident est une confidente, et 64 % ont un seul confident au maximum dans leur vie et ce pourcentage augmente tout au long de leur vie. La virilité se construit autour du mythe de la consistance, de la pénétration, de la dureté. Or affirmer ses états d’âme, reconnaître ses faiblesses, accepter un autre soi-même, un double, dans sa propre intimité, c’est risquer d’être pénétré par l’autre agissant, c’est risquer d’être en quelque sorte contaminé par la présence masculine. “Le silence relatif des hommes me frappe d’autant plus que les femmes s’en plaignent lorsqu’elles parlent d’eux. «Il ne me dit rien. Il ne me parle pas. Il ne me dit jamais qu’il m’aime». Les hommes, il est vrai, parlent peu. Même au médecin. Ils sont presque toujours embarrassés de venir, mais camouflent de temps à autre cet embarras sous une attitude agressive, supérieure; ils viennent contraints et forcés. (....) Contrairement aux femmes qui décrivent en détail ce qu’elles ont ressenti dans leur sexe (sans avoir vu ni touché), les hommes qui consultent ont déjà regardé et touché. Ils en savent déjà plus que le médecin. Ils sont désolés de venir nous embêter avec ça. (....) S’il arrive que les hommes verbalisent leurs craintes, je ne les vois presque jamais manifester leur chagrin. Quand ils en ont, ils le masquent.”[104]

Cette conception de “l’être pénétré” est associée à la “féminité”, aux yeux des autres hommes ; elle lui fait rejoindre le rang des femmes. “Ainsi la virilité, par l’intermédiaire de son appareil répressif, l’homophobie, doit assurer une protection imaginaire et physique des différentes enveloppes psychiques structurant la virilité. L’homophobie, en raison de sa fonction socio-psychique «préserve», telle une capote, les hétérosexuels de “la féminité” en empêchant toute forme d’intrusion masculine extérieure.”[105]

D’ailleurs une des insultes majeures de notre langage est de traiter quelqu’un «d’enculé»[106] et non d’enculeur. Le sens commun assimile le fait d’être pénétré, aux femmes et aux dominés en général. Dans les institutions masculines, ou à forte composante masculine, la pénétration sexuelle est un sujet de discussion qui revient souvent. Les plaisanteries multiples autour des savonnettes dans les douches ou de ceux qui sont trop efféminés renvoient à cette peur consciente ou inconsciente de la pénétration. “Oui, on connaît tous le phénomène des douches, où les gens sont tous à poils entre eux. Enfin, je n’ai pas trop vécu ça, donc je ne peux pas en parler.

“J’aurais peur de me faire sodomiser, en fait de me retrouver dans un rapport de force qui me serait inférieur, qu’on me fasse violence.”

L’homophobie, générique en tant qu’acception qui appartient à un genre et, en tant que verrouillage des frontières de genre correspond à la surface immergée de la peur de l’homosexualité. Tout ce qui appartient à l’autre genre est stigmatisé, rejeté et, les hommes qui auront des pratiques, des comportements, des attitudes, attribués culturellement par notre culture au genre féminin, quels que soit leurs orientations sexuelles, subiront les critiques de leurs pairs du fait de l’homophobie générique. En ce sens, l’homophobie générique ne concerne pas uniquement les homosexuels mais la plupart des hommes, dès qu’ils ne voudront plus rentrer dans le moule socialement imposé de la virilité. Conclusions. Nous avons pu voir comment les catégories sexuelles du XIXe siècle n’ont jamais été construites scientifiquement. Celles-ci n’étaient destinées qu’à stigmatiser les pratiques sexuelles en dehors de l’acte stricte de reproduction. Dans ce cadre, l’homosexualité, de par ses multiples désignations, est toujours rentrée en contradiction avec notre morale judéo-chrétienne[107]. L’étiologie des phobies au sens clinique montre l’inadaptation de ce concept pour désigner et comprendre l’homophobie. L’émergence de ce nouveau terme dans notre champ lexical français fait suite à la constitution d’un véritable corpus sémantique américain servant à la désignation de la peur, chez les hommes hétérosexuels, de l’homosexualité masculine. Or, une extension de ce concept du côté de la construction de l’identité masculine et du verrouillage des frontières de genre a été nécessaire pour comprendre l’homophobie sous ses différentes formes, y compris celle qui existe à l’intérieur du monde homosexuel dans la stigmatisation des “folles”. Certains auteurs trouvent ce terme inadapté et en proposent d’autres. Pour Michaël Bochow, le terme homophobie est soit trop coloré de façon psychologique ou trop limitant du coté de la seule stigmatisation des homosexuels. Pour lui, “ce concept ne saurait décrire qu’un segment extrêmement étroit de ce qui est possible en matière d’attitudes et de modalités de réactions envers les homosexuels (...) Nous utiliserons les catégories d’hostilité envers les homosexuels et d’attitude anti-homosexuelle. Ces termes embrassent un spectre réellement plus large, quant aux formes de réactions émotionnelles et psychiques que le concept de phobie.”[108] On pourrait en suivant cet auteur considérer que l’homophobie n’est pas un concept scientifique, pourtant c’est un terme adapté, une sorte de mot-valise , connu désormais par les homosexuels et largement utilisé par la presse homosexuelle[109] (surtout aux États-Unis). Il correspond à une réalité sociale vécue par les personnes accusées, agressées ou exclues du fait de leur orientation sexuelle. En fait, cette discussion sur le concept le mieux adapté, renvoie à la relation qu’il existe entre le "normal" et le "stigmate", entre la norme hétérosexuelle et les sexualités dites hors-normes, où comment designer chez les prétendus normaux cette peur du stigmate, de l’étrange qui dérange. Alors un concept comme "stigmaphobie” serait plus adapté mais en même temps trop large, car il ne désignerait pas uniquement les stigmatisations dues aux pratiques sexuelles. "Bien plus, on peut voir apparaître un culte du stigmate, de telle sorte que la «stigmaphobie» du normal se trouve contrecarrée par la «stigmaphilie » de l’initie."[110] Suite à cette première recherche exploratoire française sur l’homophobie, nous pouvons à présent adopter une nouvelle définition. (citée p.23) Cette définition permet d’intégrer l’homophobie féminine, qui même si elle n’a pas encore été déconstruite existe sans aucun doute[111]. Il convient d’intégrer que l’homophobie masculine est en lien direct avec la peur de l’homosexualité masculine, celle-ci renvoyant, dans l’imaginaire social[112] des hétérosexuels, à la peur d’être pénétré dans ses espaces intimes (sexuels, corporels et affectifs) et à l’assimilation au genre féminin. On peut considérer maintenant que l’identité masculine reste basée aujourd’hui, malgré “ses formes confusionnelles de reformulation des genres[113]“, autour de deux pivots essentiels, le sentiment de domination sur les femmes et, à l’intérieur des groupes masculins homosexués par la phobie de l’homosexualité en tant que prescripteur des rapports sensibles. “Ainsi, (…) s’il n’y a plus de mouvements féministes ou homosexuels conquérants, il est frappant de constater que leurs idées forces “contaminent” l’ensemble du corps social. Et il n’est pas de domaines, activités professionnelles, publicité, création artistique, construction idéologique et surtout vie quotidienne où la part d’ombre féminine ou homosexuelle ne s’exprime”[114]

La virilité a été ébranlée mais ses structures élémentaires restent vivaces. La compréhension et l’ancrage de l’homophobie dans le champ lexical scientifique commencent. Il faut dès à présent peaufiner ces premières ébauches de conceptualisation pour les inscrire définitivement dans le champ sociologique et anthropologique en vue d’une meilleure efficacité dans la lutte contre l’infection au VIH.

Bibliographie

[1]. Michel Maffesoli, "L’ombre de Dyonysos", Biblio Essais, 1989, p 17. [2]. Cette recherche s’est déroulé sous la responsabilité scientifique de Daniel Welzer-Lang, sociologue en réponse à l’appel d’offre de l’ANRS de mars 1992; elle a été menée conjointement avec Pierre Dutey, biologiste, philosophe, Patrick Pelège de Bourges, sociologue, et Chantal Picot-Bernard, éducatrice sexologue. Cette recherche exploratoire sur l’homophobie visait à mieux comprendre les mécanismes de construction masculine, en vue d’une meilleure adaptation des messages de prévention contre le sida aux identités masculines. [3]. Ouvrage collectif à paraître en 1994, dirigé par Welzer-Lang (D) et Dutey (P) “De la peur de l’autre en soi, du sexisme à l’homophobie”, Éditions VLB, Montréal [4]. Op.cit. M. Maffesoli, pp. 37-38. [5]. Avec notamment la naissance de la psychanalyse autour de Sigmund Freud. [6]. Recherche dirigée par Michaël Bochow et réalisée en février et mars 1991 par l’institut GFM-GETAS de Hambourg. Ont été interrogés 1002 Allemands de l’Est et 1220 Allemands de l’Ouest. [7]. Michaël Bochow, “Attitudes toward gay men in the east and West German Population: has AIDS brought about a signifiant change?”, Communication à la seconde conférence européenne sur l’homosexualité et le VIH, Amsterdam, 14-16 février 1992. Une version plus étendue de ce texte sera accessible en français dans Bochow, M, “Attitudes et appréciations envers les hommes homosexuels en Allemagne de l’Ouest et en Allemagne de l’Est”, in De la peur de l’autre en soi, du sexisme à l’homophobie, Welzer-Lang (D.) et Dutey (P.) (eds.), VLB Éditions, à paraître en janvier 1994. [8]. En janvier 1981, le journal Elle , publia un sondage montrant l’intolérance des parents à l’idée d‘avoir un enfant homosexuel: 61 % des personnes interrogées refusaient d’avoir un président de la République homosexuel et 64 % un éducateur homosexuel. En juillet 1991, 37 % des sondés, dans L’Événement du jeudi du 4 au 10 juillet 1991, avouaient ne pas admettre l’homosexualité contre 58% qui l’admettaient. Cité par Élisabeth Badinter dans “XY de l’identité masculine” Éditions Odile Jacob, 1992, p. 178. [9]. Didier Dumas, “La sexualité masculine”, Albin Michel, 1990, p 63. [10]. Michel Foucault, “la volonté de savoir”, tome 1, NRF, Gallimard, 1976. [11]. Pierre Dutey, “Orientations, catégories, et homosexualités”: questions sur le sens, In Homosexualités et Sida, Actes du colloque international des 12 et 13 avril 1991, Cahiers Gai Kitsch Camp Université 4, p 52. [12]. Op.cit. Michel Foucault, p 91. [13]. Claude Courouve, “Introduction”, in Vocabulaire de l’homosexualité masculine, Éditions Payot, 1985. [14]. Gay est un mot d’origine anglaise qui s’oppose à straight : qui est resté droit. Il veut aussi dire “gai' dans le sens joyeux en anglais [15]. Diminutif d’homosexuel. [16]. “Homosexuel est un mot barbare, qu’il convient cependant de garder, parce que déjà généralement employé. Il semble dater de 1869 et avoir été inventé par un médecin allemand , qui n’est connu que sous son pseudonyme de Kertbeny”. Havelok Ellis, “Études de psychologie sexuelle II. L’inversion sexuelle”, Mercure de France, 1914, note p. 13-14. En fait, une confusion s’est installée, Kertbény fut le véritable nom de Benkert. “(…) Kertbény fut le nom que prit officiellement Karl Marin Benkert en 1846 (…)” Jean Claude Ferray et Manfred Herzer “Homosexualité et lesbianisme”, in Actes du Colloque international des 1 et 2 décembre 1989, Cahiers Gai-Kitsch-Camp, Série histoire, Sorbonne, p. 23. [17]. homo peut par ailleurs signifier selon la racine latine l’Homme , l’être humain par opposition à l’individu de sexe masculin (vir.is). [18]. Op cit. Michel Foucault, p 52. [19]. R. Krafft-Ébing, “Psychopatia sexualis”, Première Édition en 1878, Paris, Payot, 1931. [20]. Au XIXe siècle, le docteur Tardieu voulait caractériser les homosexuels par la conformation infundibuliforme de leur anus in A. Tardieu, “Études médico-légales sur les attentats aux moeurs”, Paris Baillieu, 1807, pp. 187-189. [21]. Notamment les ouvrages de Margaret Mead, ‘L’un et l’autre sexes: les rôles d’hommes et de femmes dans la société”, Paris Gonthier, 1966 ou “Moeurs et sexualité en Océanie”, traduit de l’américain par Georges Chavassu, Paris, Plon. [22]. Nous utiliserons ici les travaux de Nicole-Claude Mathieu pour distinguer le sexe biologique du sexe social (le genre). Nicole-Claude Mathieu, “Conscience, identités de sexe/genre et production de connaissance”, in L’anatomie politique, Éditions côté femmes, 1991, pp. 131-227. [23]. Op cit. Michel Foucault, p 157. [24]. Sigmund Freud, “Névroses, psychoses et perversions”, PUF, 1973. [25]. Op cit., Michel Foucault, p 158. [26]. Ford. C. & Beach.F., “le comportement sexuel chez l’homme et l’animal”, Robert Laffont, Paris, 1970. [27]. Shere Hite, “le rapport Hite sur les hommes”, Robert Laffont, Paris, 1977. [28]. Alfred Kinsey, “Sexual Behavior in the Human Male”, Philadelphie, Saunders, 1948. [29]. Michel Dorais, “La recherche des causes de l’homosexualité: une fiction?”, à paraitre en 1994 in De la peur de l’autre en soi, du sexisme à l’homophobie, Welzer-lang et Dutey (EDS), VLB Éditions Monréal. [30]. Rommel Mendes-Leite, “De quelques esthétiques du plaisir: jalons pour une socio-anthropologie des (homo) sexualités”, Sociétés (27), Paris, Dunod, 1990. [31]. Rommel Mendes-Leite, “La culture des sexualités à l’époque du Sida”, In Homosexualités et Sida, Actes du colloque international des 12 et 13 avril 1991, Cahiers Gai Kitsch Camp Université 4, p 153. [32]. Op. Cit. Didier Dumas. [33]. Cependant depuis quelques années une série d’ouvrages a commencé à apparaître sur les hommes et/ou les rapports sociaux de sexes: notamment en France les publications des chercheur-e-s du CREA groupe anthropologie des sexes et de la vie domestique dirigé par Daniel Welzer-Lang de l’université Lyon II et celles du GREH (groupe de recherche et d’étude sur les homosocialités) présidé par Rommel Mendes-Leite de l’Université Paris V Sorbonne. [34]. Freud à la fin de sa vie parlait de la sexualité féminine comme “d’un continent noir”. [35] Sigmund Freud: “Trois essais sur la vie sexuelle”, Gallimard, première édition 1905; réédité en 1987 par Folio Essais p 146 [36]. John Stoltenberg, “Refusing to be a Man”, in International Journal of Women’s studies, Vol. 17, N° 1. [37]. Sigmund Freud, “Introduction à la psychanalyse”, Petite Bibliothèque Payot, septembre 1982, p 284. [38]. Dans l’esprit de Freud, le terme “pervers” (en allemand perversion) est beaucoup moins chargé de morale qu’en France, ou du sens courant qui l’associe à contre nature. Pour lui, la perversion est une composante essentielle de la sexualité humaine qui se manifeste à chaque âge de la vie sous des formes diverses, elle se doit d’être dépassée à l’âge adulte dans la phase génitale. [39]. Même si, dans l’analyse de la phobie des espaces publics du petit Hans, Freud l’attribue à la peur que Hans éprouvait à l’égard de son père et à l’omniprésence de sa mère. (Freud, cinq psychanalystes, 1954 première édition). Dans la construction de la virilité, la psychanalyse n’a pas su intégrer la dimension sociologique des rapports hommes/femmes qui sont pourtant au combien important, de même que les rapports hommes/hommes structurés sur le même modèle par l’intermédiaire de l’homophobie. Aujourd’hui cependant, la psychanalyse intègre certaines dimensions sociales dans la construction des identités sexuelles. [40]. Joël Clerget et Marie-Pierre Clerget, “Places du père, violence et paternité”, Presses Universitaires de Lyon, 1992. [41]. Notamment les ouvrages de Margaret Mead, “L’un et l’autre sexe : les rôles d’hommes et de femme dans la société”, Paris, Gonthier, 1966 ou “Moeurs et sexualité en Océanie”, traduit de l’américain par Georges Chevassu, Paris, Plon. Ces deux ouvrages permettent de relativiser certaines conceptions sur les différenciations sexuelles et sur le couple passivité/activité. [42]. Sàndor Férenczi, “Nosologie de l’homosexualité masculine”, in Psychanalyses II, Payot, 1978, pp. 117-119. [43]. Ouvrage scientifique décrivant toutes les formes de pathologie mentale reconnues à ce jour. Le DSM3 (Diagnostic and statistical manual de l’association psychiatrique américaine) a été modifié en 1976 sous la pression des homosexuel-le-s et est devenu DSM3R (rectifié), le terme d’homosexualité ayant été purement et simplement supprimé. Seul apparaît désormais certaines pathologies résultantes d’une homosexualité mal assumée. [44]. Docteur Jacques Beaudouard, “Psychosociologie de l’homosexualité masculine”, ESF, Paris, 1971, pp. 105-106 [45]. Cité par Claude Courouve dans son livre, “les homosexuels et les autres”, Éditions de l’Athanor, 1977, p. 34-35. [46]. Walter de Gryter, “Psychembel Klinisches Wöterbuch stichwort Phobie”, Berlin et New York,, 1986, p 1298 [47]. Jean Cottraux, Évelyne Mollard, “Les phobies, perspectives nouvelles,” PUF, 1986 b première édition P 36. [48]. Cette conception agressive de réactions face à l’objet phobique n’est pas présente dans les manuels classiques de psychologie. [49]. Voir à ce sujet le très bon ouvrage de Jean-Yves Barreyre sur les loubards, les loubards, une approche anthropologique, Chez L’Harmattan, 1992, p 94. Il est pour nous évident, que ce ne sont pas les seuls groupes qui stigmatisent/agressent/violent les homosexuels. [50]. Julia Kristéva, “Étrangers à nous mêmes”, Folio Essais, Chez Gallimard, 1988, P 268 à 270. [51]. Sigmund Freud, “L’inquiétante étrangeté et autres essais”, Gallimard, 1985, p 215. [52]. Ibid., p 271 [53]. Pour Freud, nous avons tous une bisexualité psychique constitutionnellement inscrite au niveau biologique. Le concept de bisexualité, est pour Freud et Wilheim Fliess lors de leur correspondance (1), un phénomène humain universel, qui existe à la naissance et qui, au cour de l’évolution s’oriente dans la plupart des cas, vers la monosexualité. Aussi, il ne s’agira pas ici, de confondre bisexualité psychique et pratiques ou orientations bisexuelles. (1) Freud, “Aus den Anfangen der psychoanalyse”, 1887-1902. Passim [54]. Voir tableau en annexe 1 sur l’apparition des acceptions utilisant le suffixe phobie ou son antonyme philie ainsi que leur réalité dans les dictionnaires traditionnels. [55]. Le cinéphile est bien celui qui apprécie le ciné , mais la zoophobie n’est pas l’aversion pour les zoos mais plutôt la lutte pour la désincarcération des animaux. De même, la photophobie ne désigne pas la peur ou la haine des photographies mais au contraire une profonde aversion pour la lumière. [56]. Selon la racine grecque ou latine, l’homo désigne le même, le semblable ou l’homme en tant qu’espèce humaine. Pourtant l’homo désigne dans le sens commun, l’homosexuel masculin. [57]. Si cette partie du texte est volontairement androcentrique, c’est avant tout dans un but pédagogique. On pourrait naturellement tenir la même démonstration en ce qui concerne les femmes. [58]. Op.cit. Sàndor Férenczi. [59]. FHAR, “Rapport contre la normalité”, Champ libre (ED.), Paris, 1972, p 8. [60]. Notamment par le FHAR qui parle de “celui ou celle qui érige son hétérosexualité en seule forme «normale» d’amour et en profite pour réprimer ceux ou celles qui ne l’imitent pas”, Op.cit., FHAR, p 14. [61]. Guy Hocquenghem, “Le désir homosexuel”, Éditions universitaires, 1972. [62]. Grégory Herek, “A social psychological perspective on attitudes toward lesbians and gay men”, in Journal of homosexuality, n° 10, beyond homophobia, 1984, pp. 1-21. [63]. Morin et Garfinkle, “Male homophobia,” in Journal of Social Issues, vol 34, n° 1, 1978, p 7. [64]. Claude Courouve, “L’homophobie, maladie sociale”, in les homosexuels et les autres, les éditions de l’Athanor, Paris, 1977, pp. 38-45. [65]. Claude Courouve, “Vocabulaire de l’homosexualité masculine”, Payot, 1985. [66]. Erving Goffman, "Stigmate, les usages sociaux des handicaps", Les Éditions de minuit, 1975, p 44. [67]. Ibid Erving Goffman, p. 44 [68]. Albert Memmi, "les fantasmes de races supérieures, in Revue Autrement, février 1984, p. 109. [69]. Si homophobie a su s’imposer sur hétérophobie c’est peut-être dû au fait qu’hétérophobie était un concept qui entretenait la confusion entre l’objet et l’auteur de la stigmatisation. [70]. Dr George Weinberg, “Society and the healty homosexual”, St Martin’s press, New York, pp. 1-22. [71]. Wainwright Churchill, “homosexual behavior among mâles, a cross-cultural and cross-species investigation”, USA, New York, Hawthorn Books, 1967, p.82-93. [72]. Op.cit. Sàndor Férenczi. [73]. En paraphrasant Jean Didier Vincent qui considère "l’homosexualité comme un déficit de la fonction d’altérité", nous pourrions dire que l’homophobie correspond à un excès de la fonction d’altérité. Ainsi l’homophobie inciterait les hommes à un amour exagère des femmes pour se protéger de celui de ses pairs. Jean Didier Vincent, "La biologie des passions", Odile Jacob, 1986. [74]. Sigmund Freud, “Trois essais sur la théorie sur la sexualité,” Gallimard, 1987, p 99. [75]. Voir à ce sujet l’article de S.Freud: “De quelques mécanismes névrotiques dans la jalousie, la paranoïa et l’homosexualité,” première édition en 1922, Nouvelle Revue de Psychanalyse, 1936. [76]. Morin et Garfinkle, “Male homophobia,” in Journal of Social Issues, vol 34, n° 1 1978, p 7. [77]. Hervé Liffran, “La loi homophobe”, 9 000 condamnations”, in Homophonies, n° 15, 1982, p. 9. [78]. Grégory Herek, “L’homophobie”, in “Encyclopedia of homosexuality”, sous la direction de Duynes (M), vol I, New York, p 552. [79]. Extrait de mes entretiens. [80]. De 1980 à 1985, le CUARH (Comité d’urgence et d’action contre la repression homosexuelles) a décerné annuellement un grand prix d’homophobie aux personnalités françaies les plus homophobes. [81]. À travers la lecture de la presse homosexuelle, on s’aperçoit très vite du culte attribué à la virilité et du rejet de tout ce qui est associé à la féminité. Notamment dans la revue Illico du mois d’aout 1993. [82]. Élisabeth Badinter, “XY de l’identité masculine”, Éditions Odile Jacob, Septembre 1992, p 174. [83]. Définition adpotée par l’équipe du CREA à l’issue de sa recherche sur l’homophobie et reprise par Daniel Welzer-Lang, "L'homophobie", in La peur de l'autre en soi, du sexisme à l'homophobie, à paraître chez VLB Éditions, 1994. [84]. Op.cit. Daniel Welzer-Lang. [85]. Cf résultats de la recherche dans le mémoire principal joint à celui-ci. [86]. Rommel Mendes-Leite, “Des «révolutions sexuelles» à l’ère du sida: bascule et reconstruction(s) des sexualités”, in Sexualités et sida, revue Sociétés n° 39, 1993, pp. 21-22. [87]. Référence aux catégorisations abusives sur l’homosexuel comme inverti, malade ou perverti du XIXe siècle. [88]. Mark Anguenot-Franchevin, “La quasi invisibilité de l’homosexualité dans la prévention du sida”, in Échanges: le sida et le milieu scolaire, n° 271, Mai juin 1993, p 18. [89]. Voir à ce sujet l’article 331 alinéa 2 du code pénal qui a été abrogé sous la pression des homosexuels hommes et femmes le 4 Aout 1982. [90]; “Dès qu’intervient un rapport hiérarchique, hommes et femmes taisent plus frequemment leur homosexualité, et les lesbiennes se taisent encore plus que les homosexuels”, in Rapport Gai, Jean Cavailhes, Pierre Dutey, Gérard Bach-Ignasse, Personna, 1984, p. 106. [91]. Grégory Herek, “l’homophobie institutionnelle”, in Encyclopedia of Homosexuality”, sous la direction de M. Duynes, vol. 1, par, p 553. [92]. “Instruction du 11 mai de la Caisse Nationale d’Assurance Maladie des travailleurs salariés et son application Parisienne du 3 Août 1993” cité par le journal “Le Monde” du 6 Août 1993. [93]. Monseigneur Julien, Archevêque de Rennes, dans une interview au journal “Le Figaro” le 6 Août 1993. [94]. Michel Maffesoli, “De l’identité à l’identification”, in Au creux des apparences, Plon, 1990, p 259. [95]. Didier Dumas, “La sexualité masculine”, Édition Albin Michel, 1990, p 31. [96]. Michel Maffesoli, “L’ombre de Dyonysos”, Le livre de Poche, 1985, p 103 [97]. Op. cit., Daniel Welzer-Lang, à paraître en 1994. [98]. Christophe Gentaz, "L'homophobie, préservatif psychique de la virilité?", in La peur de l'autre en soi, du sexisme à l’homophobie, Welzer-Lang D. et Dutey P.(EDS), VLB Éditions, à paraître en janvier 1994. [99]. "La socialité est une caractéristique essentielle de l’être ensemble, c’est l’expression quotidienne et tangible de la solidarité de base, le sociétal en acte.” Op. Cit. M.Maffesoli, p. 16. [100]. “Un mépris colossal accablait donc l’adulte mâle et libre qui était homophile passif ou, comme on disait, impudicus ou diatithemenos. La malice publique soupçonnait certains stoïciens de camoufler sous une affectation de virilité exagérée une féminité secrète, et je crois qu’on songeait au philosophe Sénèque, qui préférait les athlètes aux garçons. On chassait de l’armée les homophiles passifs.(...) Ce rejet de l’homophile passif ne vise pas son homophilie mais sa passivité, car cette dernière relève d’un défaut grave: la mollesse. L’individu passif n’était pas mou à cause de sa déviation sexuelle, tout au contraire: sa passivité n’était qu’un des effets de son manque de virilité et ce manque demeurait un vice capital en l’absence de toute homophilie”, Paul Veyne, “L’homosexualité à Rome”, in Sexualités occidentales, Éditions du Seuil, 1982, p 45. [101]. Selon l’enquête ACSF, seuls 28% des homosexuels pratiquent la sodomie réceptive (le fait de se faire sodomiser par quelqu’un) lors de leur dernier rapport sexuel. Pour les femmes multi-partenaires hétérosexuelles, seules 24 % l’ont déjà accepté au moins une fois dans leur vie, et seulement 8 % au niveau de leur dernier rapport sexuel (et 3 % chez les monopartenaires). Cette pratique sexuelle est donc minoritaire chez les homosexuels, par contre du côté des représentations dominantes des hétérosexuel-le-s ils/elles l’associent tout de suite à l’homosexualité. Elle correspond en fait à une représentation déformée de la réalité de par l’ensemble des images qu’elle véhicule. Les comportements sexuels en France, Enquête, dite ACSF (Analyse des Comportements Sexuels des Français), réalisée sous la direction d’Alfred Spira et Nathalie Bajos dans un Rapport au ministre de la Recherche et de l’espace, La documentation Française, Janvier 1993 p 153 [102]. Référence à la théorie psychanalytique de Didier Anzieu sur les enveloppes psychiques. Le moi d’un individu est constitué de différentes enveloppes, partie intégrante de son identité psychique. C’est en référence à cette théorie que j’ai formulé plusieurs hypothèses concernant l’identité psychique masculine (Op.cit. Christophe Gentaz, 1993). [103]. Op.cit., enquête dite ACSF , 193. [104]. Martin Winckler, “Le corps des hommes et le médecin”, in Les hommes en miettes, Le groupe familial, avril/juin 1993, pp. 33-36. [105]. Op.cit. Christophe Gentaz, 1994 [106]. Dans le petit Robert, «enculer» contrairement à «enculeur» existe et signifie: très vulgaire, posséder physiquement quelqu’un, relatif à la sodomie et «enculé»: très vulgaire, pédéraste passif, terme d’injure à l’adresse de quelqu’un. Voir à ce sujet l’ouvrage d’Emmanuel REYNAUD, la sainte virilité, Éditions Syros, 1981, p 76. [107]. Sur la base du même corpus textuel (bible, nouveau testament, ancien testament), on a en effet structuré au cours du temps des morales et des praxis sociales variant du tout au tout, de l’encouragement relatif des relations homosexuelles à leur sanction. Cependant même si notre morale a subi de multiples évolutions depuis plusieurs siècles, elle reste fondée actuellement sur l’abstinence sexuelle et le mariage, J. Boswell, ”Christianisme, tolérance sociale et homosexualité”, NRF, Gallimard (Éd.), Paris, 1985, pp. 61-63. [108]. Michaël Bochow, “Attitudes toward gay men in the east and West German Population: has AIDS brought about a signifiant change?”, in Communication à la seconde conférence européenne sur l’homosexualité et le VIH, Amsterdam, 14-16 février 1992. Une version plus étendue de ce texte est accessible en français dans Bochow, M, “Attitudes et appréciations envers les hommes homosexuels en Allemagne de l’Ouest et en Allemagne de l’Est”, in De la peur de l’autre en soi, du sexisme à l’homophobie, Welzer-Lang (D.) et Dutey (P.) (eds.), VLB Éditions, à paraître en janvier 1994. [109]. La lecture de la presse homosexuelle française donne ce résultat : deux articles titraient avec la même occurence dans le numéro d’Aôut 1993, Jean Paul II et l’Abbé Pierre: l’homophobie à deux voix et Euro-Dysney homophobe. [110]. Op.cit. Erving Goffman, p 44. [111]. Cf chapitre dans le mémoire principal sur l’homophobie féminine. [112]. Op.cit. Rommel Mendes-Leite., p. 22. [113]. Michel Maffesoli, “l’ombre de Dyonysos: contribution à une sociologie de l’orgie”, Paris, librairie des Méridiens, 1982. [114]. Michel Maffesoli, “Homosocialité et identification”, in Actes du colloque international des 1 et 2 décembre 1989, Sorbonne, Cahiers Gai-Kitsch-Camp, p. 3.

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