Chevalier de La Barre
Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.
François Jean Lefebvre de La Barre, dit le chevalier de La Barre (du fait du statut de son père) est né en 1746 au château de Férolles-en-Brie, aujourd'hui Férolles-Attilly, et décédé à Abbeville le 1er juillet 1766.
Vers l’âge de 16 ans, le chevalier de La Barre et son frère Jean-Baptiste sont envoyés à Abbeville chez leur tante, Anne Marguerite Feydeau, abbesse de Willancourt, après la ruine de leur père (qui avait dilapidé une fortune de plus de 40 000 livres en rentes héritée de son propre père, lieutenant général des armées). Or, Abbeville est une cité de province très pieuse; dans une si petite ville, les quelques agissements (anticléricaux ?) du jeune Jean-François prirent rapidement de l'ampleur.
Le procès et l’exécution du chevalier de La Barre a été une des causes célèbres défendues par les philosophes des Lumières.
Sommaire |
[modifier] La profanation de la statue du Christ
L’affaire commence suite à la dégradation, découverte le 9 août 1765, de la statue du Christ s'élevant sur le Pont neuf d'Abbeville. Cette statue avait été tailladée à plusieurs endroits par "un instrument tranchant" qui, comme l'écrivit l'huissier du roi, provoqua ainsi à la jambe droite "trois coupures de plus d'un pouce de long chacune et profonde de quatre ligne" et "deux coupures à coté de l'estomac". L'émotion dans la cité picarde est immense car par ce geste c'est Dieu, et non pas seulement son symbole, qui est frappé. Ainsi, signe de la gravité de ce sacrilège, l'évêque d'Amiens lui-même, Mgr d'Orléans de La Motte mène la cérémonie de la "réparation" (pieds nus) pour réparer cette offense, en présence de tous les dignitaires de la région.
[modifier] Le coupable idéal
Qui a commis ce sacrilège ? Les rumeurs vont bon train mais, faute de preuve, il faut recourir aux interrogations pour réparer l'offense. Les curés incitaient même à la délation lors des messes du dimanche. Finalement, l’enquête est menée par Duval de Soicour, lieutenant de police d’Abbeville, qui s'implique avec acharnement (n’hésitant pas à fournir de fausses accusations et de faux témoignages) et par le lieutenant du tribunal d’élection Belleval, qui est un ennemi personnel du chevalier de La Barre (depuis que sa tante, l’abbesse de Willancourt, repoussa ses avances). Intimidées, les personnes interrogées accusent le chevalier de La Barre et deux « complices », Gaillard d'Etallonde et Moisnel, d’avoir chanté deux chansons libertines irrespectueuses à l’égard de la religion et d’être passés devant une procession en juillet 1765 sans enlever leur couvre-chef. Pire, les trois hommes par défi, refusent de s'agenouiller lors du passage de cette même procession. Après dénonciation, une perquisition menée au domicile de La Barre amène à la découverte de trois livres interdits (dont le Dictionnaire philosophique de Voltaire et des livres érotiques) qui achève de le discréditer en dépit d'un solide alibi. Cas aggravant pour La Barre, l'évêque d'Amiens et les notables locaux (encouragés par d'influents dévots attachés à la tradition) souhaitaient faire de ce cas un véritable exemple.
Pensant être innocenté grâce aux relations de sa famille, le chevalier de La Barre ne prépare pas sa fuite et, malgré le remarquable plaidoyer du journaliste et avocat Linguet et la défense des amis de l’abbesse de Willancourt devant le Parlement à Paris, la condamnation aux galères obtenue en première instance est commuée en condamnation à mort. Le roi de France lui-même, Louis XV, est sollicité, mais peu convaincu des arguments des défenseurs du chevalier, il lui refuse la grâce malgré l'intervention de l'évêque d'Amiens. Le chevalier de La Barre est donc condamné à subir la torture ordinaire et extraordinaire pour dénoncer ses complices, à avoir le poing et la langue coupés, à être décapité et brûlé avec l’exemplaire du Dictionnaire philosophique. Cette sentence pour blasphème est exécutée le 1er juillet 1766 à Abbeville par cinq bourreaux spécialement envoyés de Paris (dont le bourreau Sanson qui lui tranchera la tête). « Je ne croyais pas qu’on pût faire mourir un gentilhomme pour si peu de chose » auraient été ses dernières paroles. Il avait seulement 19 ans...
[modifier] La mobilisation des Lumières
Mis en cause dans cette affaire, Voltaire prend alors fait et cause pour le chevalier de La Barre et ses coaccusés. Il rédige la Relation de la mort du chevalier de La Barre à Monsieur le marquis de Beccaria et le Cri d'un Sang Innocent pour lesquels il sera condamné sans que la sentence puisse être exécutée du fait de sa présence en Suisse. Du fait de son éloignement, c'est Diderot qui le tiendra au courant des évènements.
Voltaire utilisera ses relations pour innocenter Gaillard d’Etallonde, qui s’était enfui en Hollande, et le protéger en le faisant engager dans l’armée prussienne. Quant à Moisnel, qui reconnut quelques impiétés et n'avait que 15 ans, il ne fut pas inquiété.
L’affaire du chevalier de La Barre a constitué, avec d’autres comme l’affaire Calas ou l’affaire Sirven, une des causes célèbres qui ont été l’occasion pour Voltaire et les philosophes des Lumières de lutter contre l’arbitraire de la justice au XVIIIe siècle. Voltaire a rajouté à son Dictionnaire philosophique un article intitulé « Torture » dénonçant l’injustice et la barbarie de l’affaire du chevalier de La Barre.
[modifier] Conclusion
Le chevalier de La Barre fut le dernier condamné à mort pour blasphème.
La Révolution le réhabilita en novembre 1791.
En 1897, un comité de libres-penseurs obtient l’érection d’une statue du chevalier de La Barre devant la basilique du Sacré-Cœur, à Montmartre. Déplacée en 1926, square Nadar, la statue est déboulonnée le 11 octobre 1941 par le gouvernement de Vichy. Le 24 février 2001, une nouvelle statue est érigée en remplacement. Il existe également une « rue du Chevalier-de-La-Barre » juste derrière le Sacré-Cœur, entre la rue Ramey et la rue du Mont-Cenis.
Aujourd’hui, le nom et la statue de cette victime de l’intolérance religieuse demeurent un point de ralliement pour les tenants de la laïcité. Il existe même deux associations au nom du chevalier de La Barre.
A noter qu'une théorie avance que la dégradation de la croix à l’origine de l’affaire aurait été causée par l’accident d’une charrette chargée de bois.
[modifier] Bibliographie
- Max Gallo, Que passe la justice du Roi : vie et supplice du chevalier de La Barre, Robert Laffont, 1987.
Une autre ouvrage sur notre chevalier : "Le fantôme du sacré-coeur" de Jean-Paul Le goff. Aux éditions le livre libre.