Negro spiritual
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Le negro spiritual est un type de musique vocale et sacrée né chez les esclaves noirs des États-Unis au XVIIe siècle qui sera à l'orgine du mouvement gospel. Le mot désigne également une œuvre, un chant, appartenant à ce courant musical.
- On peut écrire « negro-spiritual ». Au pluriel « des negro spirituals » ou « des negro-spirituals ».
L'histoire du negro spiritual débute avec la déportation de douze à quinze millions d'Africains par le Vieux Continent — Portugal, Espagne, Hollande, Grande-Bretagne, France, Italie, Suède et Danemark — pour le commerce. Composées d'hommes et de femmes, ces ethnies déportées sont originaires d'Afrique Occidentale. La plupart sont déjà des indésirables au sein de leurs ethnies respectives, des prisonniers des Africains mais aussi des marchands arabes. Par ailleurs les Occidentaux attisent les conflits africains, notamment en livrant des armes à des ethnies minoritaires afin qu'elles puissent renverser les ethnies dominantes, et en faire des prisonniers pour l'esclavagisme occidental. Un véritable négoce s'établit. L'esclavage en Amérique a plusieurs visages en fonction du lieu géographique. En effet, en Amérique du Nord, l'esclavage est plutôt graduel. Au XVIIe siècle, le statut de serviteur temporaire de l'esclave passe à un statut d'esclave à vie.
Pour rythmer le travail pénible dans les champs — interdiction de parler —, les esclaves noirs pratiquent les Work Songs — chants de travail. Il s'agit de chants simples sans accompagnement. Ils utilisent le Shout qui est une technique de chant : phrase courte et cinglante. C'est une expression solitaire. La voix humaine devient alors un médiateur avec les dieux et les forces surnaturelles auxquels chaque ethnie, aussi différente soit-elle, tente de s'accrocher pour survivre sur une terre encore inconnue.
Au début de l'esclavage — XVIIe siècle —, les opinions des planteurs diffèrent sur une évangélisation possible des esclaves. Certains sont d'accord car elle pourrait insuffler une paix durable. Pour les opposants, l'évangélisation serait un véritable danger pour le système établi car ils seraient égaux devant le Christ. Cependant, malgré les différences de langues entre chaque ethnie, le mélange avec la langue anglaise va s'opérer lentement. Les références des esclaves noirs sont désormais la Bible — Saint Paul, Saint Jean Baptiste. L'utilisation du vocabulaire religieux est prépondérante. L'accompagnement instrumental est graduel. Dans un premier temps, il s'agit d'outils d'esclaves — hache, marteau, pioche, etc. Dans un second temps, c'est une musique clandestine qui se joue avec des tambours, des flûtes de roseau, des violons, et se nourrit d'influences européennes — berceuses, gavottes. Il en va différemment dans les colonies espagnoles, portugaises et françaises, qui tout en martyrisant autant les esclaves que leurs homologues nord américaines ne conçoivent pas les accompagnements instrumentaux comme un danger immédiat pour eux.
Les premiers negro spirituals — c'est-à-dire, chants noirs religieux — de la révélation sont une libre interprétation des Écritures Saintes. Les sujets abordés sont le couple Adam et Ève, Noé, Moïse, l'Exode et le Christ. En effet, les esclaves noirs s'identifient notamment aux Hébreux que les Égyptiens oppressent, mais qui finiront par être libérés par Moïse. Les esclaves noirs attendent eux aussi leur libération. Les negro spirituals sont avant tout des chants mélangeant traditions africaines et mélodies liturgiques européennes, souvent chantés a capella par un groupe vocal. Ils ont été transformés et inventés par les esclaves noirs de manière anonyme.
Des cérémonies clandestines se déroulent dans les bois en pleine nuit : Hush Harbors — havres de paix. Puis, la pratique religieuse s'effectue dans des Praise House — maison de louange — ou des églises blanches, à l'écart. La qualité vocale des esclaves noirs lors des offices se fait ressentir. Bien qu'il n'y ait pas d'égalité de race entre les Noirs et les Blancs, il y a tout de même une communion spirituelle très importante. Les premières églises noires indépendantes font leur apparition vers 1770 quand les colonies d'Amérique du Nord souhaitent devenir indépendantes. La première église noire indépendante est en Caroline du Sud en 1774.
À partir de 1780, les Camp-meetings remplacent d'une certaine manière les Praise House. Leur apogée se situe entre 1800 et 1830. Les Camp-meetings sont des rassemblements religieux multiraciaux en plein air sous des tentes durant lesquels la musique et le chant jouent un rôle essentiel. Ils vont fortement contribuer à l'éclosion du negro spiritual. C'est ce que l'on appelle plus communément le Second Réveil religieux. Les esclaves sont désormais convertis. Les Tabernacle Songs deviennent rapidement des spirituals constitués, d'une part, de blue notes — notes particulières (troisième et septième degré de la gamme) infléchies d'un demi-ton vers le grave — permettant de traduire certains climats émotionnels ; d'autre part, d'improvisations, de Running Verses — phrases passe-partout — et des Ring & Shuffle Shouts — danses d'inspiration africaine, en pas traînés, sans croisement des pieds. Ces derniers représentent l'apport essentiel des esclaves noirs aux offices blancs où la danse était interdite. Là encore, il y a une plus grande tolérance dans les États du Nord et du Centre.
Après la Guerre de Sécession — 1861-1865 — gagnée par les Nordistes, l'esclavage se transforme en ségrégation raciale bien que les esclaves soient affranchis. Le Ku Klux Klan voit le jour en 1866 et assassinera plus de trois mille cinq cents Noirs entre 1866 et 1875. Les Noirs continuent d'interpréter des negro spirituals pour faire face à la dure liberté mais aussi pour entrevoir un début d'éducation et d'enseignement. Pour financer tout cela, les Fisk Jubilee Singers sont créés par la Fisk University, la première université noire du Deep South fondée en 1866 à Nashville — Tennessee. Les Fisk Jubilee Singers sont composés d'étudiants et de professeurs. Ils chantent des negro spirituals, mais également des ballades irlandaises et des hymnes sacrées pour toucher un plus large public. Ils chanteront même devant la Reine Victoria en 1873. Ces negro spirituals à caractère joyeux et rythmique sont appelés Jubilee Songs. Dans le même temps apparaissent des Minstrels Shows ou Chanteurs Éthiopiens faits par des Noirs. À l'origine, vers 1830, il s'agissait de troupes itinérantes d'artistes blancs outrageusement maquillés — Blackface Minstrels — parodiant la vie des Noirs du Sud de l'Amérique dans les plantations. Mais après l'émancipation — 1865 — sont apparues des troupes de minstrels noirs comprenant des comédiens, chanteurs, danseurs et musiciens se servant d'instruments folkloriques comme les tambourins, les claquettes en os — bones —, le violon et le banjo. En somme, des spectacles caricaturaux et des parodies outrageuses.
Le negro spiritual va plus ou moins s'occidentaliser et laisser place au gospel.