À nos amours
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À nos amours est un film français réalisé par Maurice Pialat sorti le 16 novembre 1983.
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[modifier] Synopsis
Suzanne a quinze ans. En vacances sur la Côté d'Azur elle repousse Luc, le jeune homme qui est amoureux d'elle, puis se donne à un américain inconnu sur la plage. De retour à Paris elle multiplie les aventureuses amoureuses. Ses parents se séparent. Elle doit faire face à l'hostilité de sa mère et de son frère. Son mariage se solde par un échec. Après avoir revu son père elle part rejoindre un ancien amant aux États-Unis.
[modifier] Éléments d'analyse
À nos amours trace l'histoire de Suzanne. Elle n'est pas, ne devient pas une femme libre. Elle butine, multiplie, collectionne les amants mais, si elle trouve la jouissance (elle ne se sent bien que « dans les bras d'un mec »), elle ne connaît pas la satisfaction, ce qui la condamne à la fuite en avant. En choisissant de ne pas avoir de relation physique avec Luc, elle sépare sexualité et amour. Le film montre son cheminement, mais elle ne va nulle part.
[modifier] Paradis perdu
La première fois que Suzanne rencontre Luc, elle le rejoint en pleine nature (plans 21 à 27). Il pratique le camping sauvage. Sincèrement amoureux, il a fait des centaines de kilomètres dans l'espoir de faire l'amour avec elle. Il lui montre son désir mais Suzanne le repousse. Pourquoi ? Pialat nous donne une piste. Dans les plans qui précèdent immédiatement la rencontre (plans 18 à 20, qui paraissent rompre le rythme du film), il montre Suzanne se faire klaxonner par le conducteur d'une voiture rouge. Elle le regarde avec dédain, mais elle doit se sentir agressée par l'homme qui la prend pour une prostituée au bord de la route. Ce regard concupiscent posé sur elle pervertit sa rencontre avec Luc. Ils sont dans une sorte de jardin d'Eden, mais la sexualité rôde autour. Suzanne refuse de la faire pénétrer.
Le plan de la séparation, au bord de la route, est très beau (27). Suzanne se retourne et s'éloigne de Luc. Son geste fait écho à celui du générique (7) où, en se tournant, elle s'offrait au regard de trois hommes (dont son frère). Luc repart comme il est venu (en auto-stop) après avoir offert un cadeau dont le spectateur ne sait rien, sinon qu'il est beau (26).
Ce n'est pas par refus de la sexualité que Suzanne repousse Luc, c'est à cause d'une vision culpabilisée du sexe. Luc l'aime, il le clame à plusieurs reprises, et elle l'aime aussi. Elle ne le lui dit jamais clairement, elle le dit à un autre, à Bernard, dans le plan 118. C'est pour ne pas salir cet amour pur, innocent, sans tache, qu'elle se refuse à lui. L'analyse des autres rencontres avec Luc le confirme. Nous y reviendrons. Mais, entre-temps, Suzanne multiplie les amants. Elle devient une collectionneuse. Le choix du premier amant est très symptomatique.
[modifier] Le choix de Suzanne
Après avoir quitté Luc, Suzanne va draguer. La robe qu'elle porte n'a qu'une seule bretelle, elle ne dévoile que la moitié d'elle-même, comme si elle se coupait en deux. Sa personnalité se déséquilibre. À plusieurs reprises, ses gestes (plans 30-31) prouvent son malaise, son mal-être.
Alors qu'elle pourrait choisir un Français, de surcroît un marin vêtu de blanc (elle aime les uniformes), elle jette son dévolu sur un Américain habillé de noir avec lequel toute communication, tout partage autre que physique est impossible. Les plans 30 et 31 montrent l'incommunicabilité par des dialogues totalement insignifiants, mélangeant, dans un insupportable sabir, des bribes de français et d'anglais. Quant au plan 32, qui précède l'acte, il est totalement silencieux. Suzanne couche avec l'Américain, ce sont ses termes ; elle ne dit pas, elle ne dira jamais, avoir fait l'amour (plan 37). Après, elle ne prononce qu'une seule phrase : « Pas de quoi, c'est gratuit ». Le mot « gratuit » a un double sens : il signifie que Suzanne n'est pas une prostituée. Elle éprouve le besoin de l'affirmer pour éviter d'en être accusée : c'est une réponse au regard de l'automobiliste. Il signifie aussi que son geste ne l'engage à rien.
Les commentaires qu'elle fait elle-même sur son comportement sont contradictoires et montrent qu'elle éprouve à la fois de l'attirance et de la répulsion pour le sexe : « C'était super… mais c'est moche » (plan 41). Dès les plans suivants (42-50), on la voit avec un nouvel amant et elle repousse Luc qu'elle rencontre à nouveau, y compris juste avant son mariage.
[modifier] Brèves rencontres avec Luc
Luc et Suzanne se revoient quatre fois, deux fois à l'initiative de Luc, deux fois à celle de Suzanne. Ils ont du mal à renoncer l'un à l'autre. C'est manifeste pour Luc qui crie son amour malgré le comportement « volage » de Suzanne. C'est montré plus discrètement pour Suzanne qui téléphone à Luc sans oser lui parler (elle le dit dans le plan 114), va le voir pendant son cours de peinture (61-65) et dans le magasin de vêtements (154-160) où le regard de Luc fuit celui de Suzanne quand il se pose sur lui. Il est fort probable que dans le plan 167, pendant la scène où elle erre solitaire dans les rues de Paris après l'altercation avec Luc dans le magasin, elle lève son regard vers l'appartement de ce dernier. Cette scène grise, sombre et pluvieuse (164-168), la seule du film, hormis les génériques, où l'on entend de la musique extra-diégètique, montre le désarroi de Suzanne. L'utilisation de la même musique que sur le générique du début (ensoleillé, sur un bateau, l'horizon grand ouvert) fait ressentir, par contraste, l'impasse dans laquelle Suzanne s'est fourvoyée.
[modifier] Le rêve de Suzanne
La rencontre la plus instructive sur la sexualité de Suzanne a lieu dans un bar (plans 106-116). Avant l'arrivée de Luc, Suzanne raconte un rêve à ses camarades : « J'ai fait un drôle de rêve cette nuit… J'ai rêvé que je marchais dans un couloir de métro… et il y a quelqu'un qui me saisit par le bras, vachement fort… Puis je me retourne, c'était Luc ! Puis il me dit : »Maintenant que tu t'es bien fait baiser, salope, je vais pouvoir te baiser à mon tour…« Il me serrait vachement fort, il m'entraînait vers lui… Puis, après, je me suis réveillée… ».
Rêve ou cauchemar ? Ce que Suzanne reproche à Luc, c'est de vouloir faire avec elle ce que les autres font alors qu'il l'aime. La vulgarité des mots employés prouve sa vision impure de la sexualité. Luc arrive tout de suite après dans le bar. Ils sortent discuter. Le cadre est très serré, leurs corps se touchent et, à partir du moment où Luc essaye de l'embrasser, Suzanne se ferme et devient agressive. Elle traite Luc de « salaud » et dit qu'il la dégoûte, comme si le rêve était réalité, elle en reprend les termes. Elle ne donne aucune explication, ne répond pas aux interrogations de Luc dont le seul tort est de ne pas séparer sexualité et amour.
Sur Luc, nous savons peu de choses mais le fait que Pialat en fasse un étudiant en peinture montre sa sympathie pour lui, car c'est également sa formation initiale. Il tente une dernière fois de conquérir Suzanne à la veille de son mariage. Ils se rencontrent encore dans un bar (197-209). Le dialogue est très serein et instructif. Suzanne dit qu'elle a atteint le bonheur avec lui et qu'elle a voulu mourir à Courchevel… « Sur la luge » ! Le bonheur serait donc un jeu d'enfant que le sexe ne doit pas souiller. Luc propose à Suzanne de la « rendre heureuse » et lui « offre ses quinze ans », c'est-à-dire une relation sexuelle et le retour à la pureté perdue. Suzanne lui répond que c'est impossible. Pour elle, le sexe n'est pas innocent. Pendant ce dialogue filmé en champs/contrechamps, on remarque un faux raccord (volontaire ?) sur une bouteille de Coca-Cola. Que symbolise cette bouteille ?
Suzanne choisit de se marier avec Jean-Pierre parce qu'il la « rend calme ». Son mariage échoue très vite, elle a d'autres amants et son père dit qu'elle « part en voyage de noces avec un autre… qu'elle n'arrivera jamais à aimer quelqu'un » (plan 281). À la fin du film, elle s'en va avec Michel, présent dès le début, comme si elle avait tourné en rond. Elle part loin, en Amérique, à San Diego où il y a beaucoup de marins américains, vers un milieu identique à celui du début, ensoleillé et chaud. Mais sa fuite en avant ne sert à rien. Elle cherche de nouveaux horizons, mais son horizon intérieur est fermé. Pialat clôt le film par un arrêt sur image très significatif. Suzanne est immobile, figée, prisonnière d'elle-même.
À nos amours est un film pessimiste sur le vide annoncé d'une existence.
[modifier] Fiche technique
- Titre : À nos amours
- Réalisation : Maurice Pialat
- Scénario : Arlette Langmann, Maurice Pialat
- Producteur : Daniel Toscan du Plantier pour Gaumont, France 3 Cinéma et Les Films du Livradois
- Musique : Henry Purcell
- Décoration : Arlette Langmann, Jean-Paul Camail
- Montage : Yann Dedet, Sophie Coussein, Valérie Condroyer
[modifier] Distribution
- Sandrine Bonnaire : Suzanne
- Evelyne Ker : la mère
- Dominique Besnehard : Robert
- Pierre-Loup Rajot : Bernard
- Cyril Collard : Jean-Pierre
- Maurice Pialat : le père
- Anne-Sophie Maillé : Anne
- Maïté Maillé : Martine
- Christophe Odent : Michel
- Cyr Boitard : Luc
- Jacques Fieschi : Jacques
[modifier] Récompense
César du meilleur Espoir Féminin pour Sandrinne Bonnaire 1984 Pris Louis Delluc 1983
[modifier] Autour du film
- On remarquera dans la distribution quelques noms exceptionnels : outre la présence de Pialat lui-même, le directeur de casting le plus connu du cinéma français, Dominique Besnehard tient un des rôles principaux ; Cyril Collard y fait sa seule apparition en tant qu'acteur (hormis son propre film Les Nuits fauves) et on notera également la présence du scénariste Jacques Fieschi.
[modifier] Voir aussi
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