Jean Lejeune
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Jean Lejeune, religieux et théologien français, prêtre de l'Oratoire, surnommé le P. l'Aveugle, fils d'un conseiller au parlement de Dole, naquit en 1592 à Poligny, où ses ancêtres occupaient depuis plus d'un siècle les premières charges de la magistrature.
Il était chanoine d'Arbois, lorsque, attiré par la réputation du P. de Bérulle, il entra, en 1621, dans la nouvelle congrégation de l'Oratoire. Ses supérieurs l'ayant envoyé, au bout de trois ans, pour être directeur du séminaire de Langres, M. de Zamet, évêque de cette ville, le chargea, conjointement avec le P. Bence, d'établir la réforme parmi les religieuses de l'abbaye du Tard ; et les vues du prélat furent parfaitement remplies.
Le P. Lejeune avait un talent particulier pour annoncer la parole de Dieu, et il l'exerçait de préférence envers les pauvres et les gens de la campagne ; mais il ne put se refuser aux vœux, d'un grand nombre d'évêques et aux ordres de ses supérieurs, qui l'obligèrent d'aller remplir les stations d'avent et de carême dans les principales villes du royaume. La cour ayant voulu l'entendre, au lieu de choisir un de ses plus beaux sermons pour faire briller ses talents, il se contenta de faire une instruction familière sur les devoirs des grands, et spécialement sur l'obligation où ils sont de veiller à l'éducation de leurs enfants, à la conduite de leurs domestiques, et à tout ce qui peut contribuer au maintien du bon ordre dans leurs familles. Le sujet était nouveau pour les courtisans. L'air humble et mortifié du prédicateur, la simplicité de son débit et de sa composition, les surprirent encore bien davantage. Il trouva le moyen de les attacher par des détails qui prêtaient peu à l'éloquence, mais beaucoup à l'instruction. C'est ainsi qu'il fit goûter à la cour des vérités usuelles et élémentaires qu'on n'était guère accoutumé d'y entendre prêcher, et qui furent écoutées avec intérêt. Son zèle se reproduisait sous toutes sortes de formes pour détruire les abus, les vices, les erreurs dont les désordres des guerres civiles et religieuses du siècle précédent avaient inondé nos provinces.
Ce fut pendant que le P. Lejeune prèchait le carême à Rouen, en 1655, qu'il perdit entièrement la vue. Quelque temps après, une fluxion douloureuse l'ayant privé d'un œil, il disait plaisamment qu'on voyait eh lui le contraire de ce qui arrive aux autres hommes, qui de borgnes deviennent quelquefois aveugles, au lieu que d'aveugle il était devenu borgne. Ce double accident ne fut capable ni de ralentir son zèle, ni de lui faire suspendre ses travaux apostoliques. Le gouvernement, qui était alors occupé de ramener les protestants par la voie de la persuasion, ne manqua pas de l'y employer.. Les missionnaires de ce temps-là étaient dans l'usage de traiter en chaire les matières de controverse ; le P. Lejeune crut devoir suivre une méthode opposée : il s'attacha à exposer, les vérités fondamentales de la religion qui sont communes aux catholiques et aux protestants, et à les établir solidement.
Cette méthode nouvelle, dont il fit le premier essai dans la mission d'Orange, eut le plus heureux succès : elle inspira une grande confiance pour le missionnaire ; sa vie exemplaire contribua beaucoup à l'accroître. Il en résultait des entretiens familiers, dans lesquels il lui était plus facile de gagner les cœurs qu'il avait déjà ébranlés par ses discours publics. : tout cela réuni ramenait insensiblement les réformés de leurs préventions contre l'Eglise romaine, et produisit de nombreuses conversions. Dans la mission de Grignan, qui suivit celle d'Orange, il joignit à ses travaux ordinaires des conférences pour l'instruction des curés et des vicaires accourus de divers endroits, afin d'apprendre d'un si excellent maître à prêcher l'Evangile aux pauvres et aux habitants des campagnes.
Le P. Lejeune consacra les vingt dernières années de sa vie à faire des missions dans le diocèse de Limoges. Il en parcourut la plupart des paroisses, à la tête d'une société de missionnaires qu'il avait lui-même formés, sans être effrayé par l'âpreté du climat, par les difficultés de ce pays monlueux, couvert de bois, entrecoupé de torrents et de ravins, ni par la grossièreté des habitants. Forcé dans les deux dernières années de sa vie, par le poids de l'âgé et des infirmités, à ne plus sortir de sa chambre, il se dédommagea de ne pouvoir plus continuer ses courses évangéliques en rassemblant autour de lui tous les enfants du peuple que sa chambre pouvait contenir, pour leur expliquer les vérités élémentaires de la religion et leur donner toutes les instructions dont ils étaient susceptibles. Ce fut dans ce saint exercice que le zélé missionnaire termina sa carrière à l'âge de 80 ans, le 19 août 1672. A peine eut-il rendu le dernier soupir, que le peuple se précipita avec une telle affluence dans la maison de l'Oratoire, pour vénérer mort celui qu'il avait tant respecté vivant, qu'on fut obligé d'étayer la salle dans laquelle il était exposé, de peur que le plancher ne s'écroulât.
Chacun cherchait à emporter dans sa famille, comme une relique, quelques lambeaux des vêtements du pieux missionnaire, quelque meuble qui eût servi à son usage.
Les sermons du P. Lejeune furent imprimés à Toulouse, en 40 volumes in-8°, et années suivantes. Les 2 derniers ne parurent qu'après sa mort ; ils sont intitulés le Missionnaire de L'Oratoire, etc. Le docteur Grandin, censeur royal, s'étant permis de faire des changements dans le 5e volume, sans en avertir l'auteur, celui-ci se plaignit amèrement dans l'avertissement du 7e volume, rétablit ce que le censeur en avait retranché, réfuta ce qu'il avait ajouté, et obtint un nouveau censeur. Il y a deux autres éditions de ce recueil : l'une de Rouen, en l'autre de Paris, en 1669. Il ne faut chercher dans ces sermons ni la richesse des exprès- ions, ni la pureté du style, ni le sublime des pensées. L'état de la chaire, à l'époque où le P. Lejeune entra dans cette carrière, ne comportait pas encore ces ornements ; et le genre d'instruction auquel il s'était spécialement consacré ne lui permettait pas de s'élever aux grandes formes de l'éloquence chrétienne. On y trouve même quelques histoires qui ne résisteraient pas à une critique judicieuse ; mais elles sont racontées avec tant de simplicité, elles s'adaptent si bien au sujet, elles paraissent si propres à faire goûter ses instructions aux gens du peuple et aux gens de la campagne, qui furent toujours le principal objet de son ministère, qu'on doit les lui pardonner. Le mérite de ses discours consiste dans l'attention de l'auteur à en bannir ce mélange bizarre de citations profanes et de passages de l'Ecriture sainte, qui défigurent les sermons de la plupart dé ses contemporains, dans l'exposition claire et nette du sujet, dans ses divisions tracées avec beaucoup d'ordre et développées avec une juste étendue, enfin dans la solidité des preuves de la vérité qu'il veut établir.
Massillon, lorsqu'il était consulté par ceux de ses confrères qui se proposaient de suivre la carrière de la prédication, leur conseillait la lecture réfle'chie du P. Lejeune, disant qu'il le regardait comme un excellent modèle d'éloquence chrétienne, pourvu qu'on eût assez de goût pour savoir discerner ce qu'il fallait y prendre de ce qu'il fallait y laisser ; que quant à lui il avait tiré de grands avantages de cette lecture. On aurait désiré que l'auteur, avant de les livrer au public, en eût corrigé les expressions surannées. Il en avait chargé le P. de Lamirande ; mais celui-ci n'ayant osé remplir cette commission, le Père Julien Loriot l'a exécutée d'une manière satisfaisante dans une édition qu'il a publiée en 1695. Les sermons choisis du P. Lejeune furent traduits en latin, et. imprimés en un volume in-4° à Mayence, en 1667, sous ce titre : Joannis Junii deliciœ pastorum, sive conciones. Quelques biographes, trompés par la ressemblance du nom, lui ont attribué une traduction du traité de Grotius, De ventate religionis christianœ, qui est de Pierre Lejeune, ministre protestant. Le P. Ruben, disciple du P. Lejeune, avait prononcé l'oraison funèbre de son maître en présence de l'évêque de Limoges. Quoiqu'elle fût déjà fort longue, il y inséra depuis plusieurs circonstances dont il avait été lui-même témoin, et la donna au public sous ce titre : Discours funèbre sur la vie et la mort du R. P. Lejeune appelé communément l'Aveugle, etc., Limoges, 1674, in-8° ; Toulouse, 1679, même format.
[modifier] Source
« Jean Lejeune », dans Louis-Gabriel Michaud, Biographie universelle ancienne et moderne : histoire par ordre alphabétique de la vie publique et privée de tous les hommes avec la collaboration de plus de 300 savants et littérateurs français ou étrangers, 2e édition, 1843-1865 [détail édition]