Groupe des classes d'idéaux
Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.
En mathématiques, la théorie des corps de nombres algébriques fait apparaître un groupe abélien fini construit à partir de chaque tel corps : son groupe des classes d'idéaux.
Sommaire |
[modifier] Histoire et origine du groupe des classes d'idéaux
Les premiers groupes de classes d'idéaux rencontrés en mathématiques le furent dans le cadre de la théorie des formes quadratiques : dans le cas des formes quadratiques binaires, dont l'étude a été faite par le mathématicien allemand Gauss, une loi de composition est définie sur certaines classes d'équivalence de formes. On obtient ainsi un groupe abélien fini.
Plus tard au XIXe siècle, Kummer travailla à une théorie des corps cyclotomiques. Il comprit alors qu'il y avait une bonne raison pour que les tentatives de donner une démonstration complète du cas général du dernier théorème de Fermat par de simples méthodes de factorisation utilisant les racines de l'unité échouent : l'absence d'un analogue adéquat du théorème fondamental de l'arithmétique, dans les anneaux engendrés par ces racines de l'unité, était un obstacle majeur. La première étude de cette obstruction à la factorisation se trouve dans le travail de Kummer. L'obstruction obtenue par Kummer est, en langage contemporain, une partie du groupe des classes d'idéaux : en fait, Kummer a isolé la p-torsion dans ce groupe, pour le corps, dit cyclotomique, engendré par les p-racines de l'unité, pour tout nombre premier p, et l'a identifiée comme la raison de l'échec des tentatives classiques de résolution du problème de Fermat (voir nombre premier régulier).
Dedekind formula ensuite le concept d'idéal, que Kummer n'avait pas énoncé. Ce langage donnait un cadre pour l'unification des divers exemples étudiés notamment par Kummer. Il fut montré qu'alors que les anneaux d'entiers algébriques n'ont pas toujours une décomposition unique en facteurs premiers (ils ne sont notamment pas des anneaux idéaux principaux), ils possèdent la propriété que chaque idéal propre admet une unique décomposition comme produit d'idéaux premiers (c’est-à-dire, chaque anneau d'entiers algébrique est un anneau de Dedekind). Le groupe des classes d'idéaux est un outil théorique pour étudier la question : quels idéaux sont des idéaux principaux ? Il mesure en fait le défaut de principalité de l'anneau considéré, et, en particulier, tous les idéaux sont principaux, si et seulement si le groupe des classes d'idéaux (qui est un groupe fini) est réduit à un élément.
[modifier] Développement technique
Si R est un anneau intègre, définissons une relation ~ sur les idéaux non nuls de R par : I ~ J lorsqu'il existe des éléments non nuls a et b de R tels que (ici, la notation (a) signifie l'idéal principal de R constitué de tous les multiples de a). On montre facilement que ceci est une relation d'équivalence. Les classes d'équivalences sont appelées les classes d'idéaux de R. Les classes d'idéaux peuvent être multipliées : si [I] désigne la classe d'équivalence de l'idéal I, alors la multiplication [I][J] = [IJ] est correctement définie et est commutative. Les idéaux principaux forment la classes d'idéaux [R] qui sert d'élément neutre pour cette multiplication.
Si R est un anneau d'entiers algébriques, ou plus généralement un anneau de Dedekind, la multiplication définie ci-dessus munit l'ensemble des classes d'idéaux d'une structure de groupe abélien : on obtient le groupe des classes d'idéaux de R. La propriété d'existence d'éléments opposés pour la loi de groupe n'est pas immédiate, et nécessite un développement spécifique (voir idéal fractionnaire).
Le groupe des classes d'idéaux est trivial (c.a.d. contient seulement son élément identité) si et seulement si tous les idéaux de R sont principaux. Dans ce sens, le groupe des classes d'idéaux mesure un défaut de principalité de l'anneau R (est-il loin d'être un anneau principal?), et par conséquent a fortiori un défaut de factorialité : lui manque-t-il beaucoup pour que la propriété de décomposition unique en facteurs premiers soit vérifiée ? (les anneaux de Dedekind sont des anneaux factoriels si et seulement s’ils sont des anneaux principaux). Principalité et factorialité sont des propriétés de l'anneau des entiers rationnels ; le groupe des classes donne une première indication sur l'éloignement entre l'arithmétique de cet anneau et celle des anneaux d'entiers algébriques.
Le nombre d'éléments du groupe des classes d'idéaux (appelé nombre de classes de R) peut être infini en général. Cependant, si R est un anneau d'entiers algébriques, un théorème affirme que ce nombre est toujours fini. C'est un des principaux résultats de la théorie algébrique des nombres classique. Le calcul du groupe des classes est difficile, en général; il peut être fait à la main pour les corps de nombres algébriques de petit discriminant, en utilisant un théorème de Minkowski. Ce résultat donne l'existence d'une borne (, où n est le degré du corps, dk est son discriminant, et r2 est le nombre de plongements complexes conjugués) telle que dans chaque classe d'idéaux, il existe un représentant, un certain idéal, dont la norme soit plus petite que cette borne. Sachant qu'il n'existe qu'un nombre fini d'idéaux dont la norme soit plus petite qu'une borne donnée, il ne reste plus qu'un nombre fini de combinaisons à tester. Cependant, en général, la borne n'est pas assez fine pour rendre le calcul praticable à la main dans un corps dont le discriminant est grand ; mais les ordinateurs suppléent efficacement le mathématicien dans cette tâche.
Pour continuer à étudier l'arithmétique des anneaux d'entiers algébriques, il faut introduire un autre groupe : le groupe des éléments inversibles, appelé groupe des unités ; dans le cas des entiers rationnels, ce groupe est réduit à 1 et -1. Quelles nouvelles unités trouve-t-on dans les autres anneaux ? L'existence de nouvelles unités est une autre obstruction à ce que l'arithmétique des anneaux d'entiers algébriques soit semblable à celle de .
Ces deux obstructions, groupe des classes et groupe des unités peuvent être liées comme suit : définissons une application de K\{0} vers l'ensemble de tous les idéaux fractionnaires différents de zéro de R en envoyant chaque élément du corps vers l'idéal (fractionnaire) principal qu'il engendre. Ceci est un homomorphisme de groupes ; son noyau est le groupe des unités de R, et son conoyau est le groupe des classes d'idéaux de R. La non trivialité de ces groupes, qui mesure la distance entre l'arithmétique de R et celle de , est précisément le défaut d'isomorphie de l'application.
L'association à un anneau d'entier de son groupe des classes est fonctorielle, et le groupe de classes peut être interprété en termes de K-théorie algébrique : K0(R) est le foncteur assignant à R son groupe des classes d'idéaux ; plus précisément, , où C(R) est le groupe de classes. Les groupes Kn pour n plus élevé peuvent aussi être employés et interprétés arithmétiquement en relation avec les anneaux des entiers.
[modifier] Exemples de groupes des classes d'idéaux
Les anneaux , , et , (où i est une racine carrée de -1 et w est une racine cubique non réelle de 1) sont tous des anneaux idéaux principaux, et possèdent donc un nombre de classe 1 : c’est-à-dire, chacun possède un groupe des classes d'idéaux trivial. Si k est un corps, alors l'anneau polynomial est un anneau intègre. Il possède un ensemble infini dénombrable de classes d'idéaux.
Si d est un entier sans facteur carré (en d'autres mots, un produit de nombres premiers distincts) autre que 1 ou -1, alors est une extension finie de . En particulier, c'est un espace vectoriel de dimension 2 sur , appelé un corps quadratique. Si d < 0, alors le nombre de classes de l'anneau R des entiers algébriques de est égal à 1 pour précisément les valeurs suivantes de d : d = -1, -2, -3, -7, -11, -19, -43, -67, et -163. Ce résultat fut conjecturé en premier par Gauss et démontré par Kurt Heegner ; cependant, la démonstration d'Heegner ne fut pas reconnue jusqu'à ce qu'Harold Stark donne une démonstration en 1967, et que le même Stark montre que sa propre démonstration était en fait équivalente à celle de Heegner.
Ceci est un cas particulier du célèbre problème du nombre de classes.
D'un autre côté, si d > 0, alors on ignore s'il existe une infinité de corps avec un nombre de classe 1. Des calculs numériques indiquent qu'il existe pour le moins un grand nombre de tels corps.
[modifier] Connexions avec la théorie des corps de classes
La théorie des corps de classes est une branche de la théorie algébriques des nombres qui cherche à classifier toutes les extensions abéliennes d'un corps de nombres algébriques donné, ce qui signifie des extensions de Galois avec un groupe de Galois abélien. En particulier, un magnifique exemple est trouvé dans le corps de classe de Hilbert d'un corps de nombres, qui peut être défini comme l'extension abélienne maximale non ramifiée d'un tel corps. Le corps de classe de Hilbert L d'un corps de nombres K est unique et possède les propriétés suivantes :
- Chaque idéal d'un anneau d'entiers de K devient principal dans L, c'est-à-dire, si I est un idéal intègre de K alors l'image de I est un idéal principal dans L.
- L est une extension de Galois de K avec un groupe de Galois isomorphe au groupe des classes d'idéaux de K.
Aucune des propriétés n'est particulièrement facile à démontrer.