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Nicolas Gilbert

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Pour les articles homonymes, voir Gilbert. 

Nicolas-Joseph-Florent Gilbert est un poète français né le 15 décembre 1750 à Fontenoy-le-Château, mort à Paris le 16 novembre 1780.

Nicolas Gilbert

Sommaire

[modifier] Biographie

Nicolas-Joseph-Florent Gilbert naît de parents d'origine modeste à Fontenoy-le-Château dans les Vosges. Son éducation est confiée au curé du village, qui, voyant en lui un esprit apte à être éduqué, lui apprend le latin, puis il part pour le collège de l'Arc à Dole pour y faire ses humanités. Peu avant 1770, il monte à Nancy, où il côtoie quelques temps les cercles littéraires ; il y fait ses débuts, avec un roman « persan » et quelques pièces poétiques.

Après 1770, il part pour Paris, avec en poche ses premiers vers, ainsi qu'une lettre, signée Mme de La Verpillière, femme du prévôt des marchands de Lyon et mécène. Cette lettre recommande le jeune poète à d'Alembert. Il semble que d'Alembert, lui ayant promis une place de précepteur, n'honore pas cette espérance, et le reçoit d'ailleurs assez froidement. Gilbert se retrouve donc comme tant d'autres, reclus dans une mansarde, à tâcher de vivre de sa plume, misérablement en somme. Il fait publier ses premières pièces en vers en 1771 : le volume est en butte à l'indifférence générale : Grimm écrit dans sa Correspondance littéraire : "M. Gilbert a donné, il y a quelques temps, un Début poétique qui n'a été lu de personne."

Il présente successivement en 1772, puis en 1773, deux pièces au concours de l'Académie française. Son œuvre Le Poète malheureux, emplie d'accents élégiaques, non dénuée d'un certain talent ou en tout cas, d'une certaine sensibilité, n'obtient pas même une mention ; c'est Jean-François de La Harpe, directeur du Mercure de France, qui reçoit le prix. Sa deuxième pièce, L'Ode du Jugement Dernier, subit le même sort. Gilbert en concevra alors une haine certaine pour La Harpe en particulier, ainsi que pour les philosophes en général, qui tiennent tout le Parnasse littéraire français : ainsi nomme-t-on à ce moment l'élite des écrivains. De son côté, La Harpe n'aura de cesse de tenir en mépris tout ce que Gilbert produira.

Probablement en 1774, par l'entremise de Baculard d'Arnaud, Gilbert rencontre Élie-Catherine Fréron, qui dirige L'Année littéraire, pendant du Mercure de France [1]. Gilbert assiste probablement à des dîners organisés par Fréron et s'engage à ses côtés, sans doute par rancœur envers le milieu littéraire parisien dans un premier temps. Grâce à la recommandation de Fréron, Gilbert obtint les faveurs de l'archevêché et plusieurs pensions, dont une du roi.

En 1775 paraît sa première pièce majeure, qui marque son temps. C'est une satire en vers, Le Dix-huitième siècle, qui donne la caricature féroce de son temps ; la philosophie y est le principe de la « chute des arts », de la « perte des mœurs ». Tout y est matière à charge — nous sommes bien dans une satire — : la bourgeoisie, la noblesse, le clergé libertin ; la littérature du moment y est passée au peigne fin. À la fin de la satire, le nom honni paraît enfin : Voltaire. Le Dix-huitième siècle est véritablement à sa parution, et pour reprendre une expression de Huysmans, « un météore dans le champ littéraire » de l'époque ; il n'est en effet pas vraiment de bon ton de se moquer de ceux qui sont à l'origine du Progrès, et pensionnés par les plus grandes têtes couronnées d'Europe. La critique se déchaîne, mais Grimm verra tout de même la marque d'un certain talent chez Gilbert. Vivement critiqué ou applaudi, il est indéniable qu'à partir de 1775, le jeune poète est une figure reconnue de la littérature en cette fin d'Ancien Régime.

C'est dans le genre satirique que Gilbert fera au reste fortune, durant le peu d'années qu'il lui reste à vivre. En 1776 — année de la mort de Fréron et de la reprise de l'Année littéraire par son fils —, paraît une Diatribe sur les prix académiques. Le poète n'a en effet pas oublié ses cuisants échecs aux prix de l'Académie quelques années auparavant, et fustige dans cette pièce en prose la teneur fade des œuvres primées au concours. Puis il fait publier en 1778 une défense de la satire, Mon apologie, dialogue en vers entre un philosophe nommé Psaphon, et Gilbert lui-même mis en scène ; c'est son deuxième succès du genre.

Peu avant sa mort, il écrit une Ode inspirée de plusieurs psaumes, plus généralement connue sous le nom d'Adieu à la vie, un poème dont la thématique pré-romantique sera reprise par Alfred de Vigny dans Stello et Chatterton.

Le 16 novembre 1780, après une chute de cheval et à la suite de l'opération du trépan, Gilbert meurt, à seulement 29 ans.

Il laisse, selon Van Bever, « le souvenir d'un esprit chagrin et d'un génie malheureux ».

[modifier] L'émergence d'un mythe

Toutefois, la mort de Gilbert ne signe pas l'oubli définitif de son nom. Il y a plusieurs seuils à passer pour assurer la postérité d'une œuvre ; la mort est un de ces seuils, et c'est bien malgré lui La Harpe qui va d'une manière ou d'une autre, permettre au nom de Gilbert de survivre, et de connaître une certaine fortune littéraire durant tout le siècle qui va suivre. La Harpe, tâchant une fois de plus de ridiculiser le poète, va effectivement rédiger une notice nécrologique qui paraîtra dans le Mercure de France en 1780, puis qu'il intègrera plus tard dans sa Correspondance littéraire, notice dans laquelle il relate dans ses moindres détails, la mort supposée du poète :

« Gilbert s'était logé à Charenton, dans le voisinage de la maison de campagne de M. de Beaumont, archevêque de Paris, car, en sa qualité d'apôtre de la religion, il se croyait obligé de faire sa cour au prélat, qui l'avait, en effet, recommandé à M. de Vergennes, et avait obtenu pour lui une des pensions que le ministre des Affaires étrangères peut prendre sur le privilège qu'il accorde aux papiers politiques. Il était allé chez l'archevêque, qui ne le reçut pas avec toute la distinction qu'il en attendait, et qui le fit manger avec ses secrétaires et ses valets de chambre. Gilbert, déjà mal disposé, fut tellement aigri de cette réception, qu il rentra chez lui la tête absolument tournée. La fièvre le prit pendant la nuit, et le matin il alla, en chemise et en redingote, demander les sacrements au curé de Charenton, qui l'exhorta vainement à rentrer chez lui. Il courut de là chez l'archevêque, et la plupart des gens de la maison n'étant pas encore levés, il parvint jusqu'à la chambre de ce prélat, se roula par terre comme un possédé, en criant qu'on lui donnât les sacrements, qu'il allait mourir, et que les philosophes avaient gagné le curé de Charenton pour lui refuser les sacrements. L'archevêque, effrayé de ses cris et de ses convulsions, le fit porter à l'Hôtel-Dieu, dans la salle où l'on traite les fous. Là, sa folie ne fit qu'augmenter ; il faisait sa confession à haute voix ; et, comme un autre fou avait la manie de crier les arrêts du parlement, Gilbert criait de son côté que c'était lui qu'on allait pendre. Dans un de ces accès, il avala la clef de sa cassette, qui lui resta dans l'œsophage. Il mourut vingt-quatre heures après, ne pouvant pas être secouru, et s'accusant toujours lui-même, sans qu'il en faille pourtant rien conclure contre lui, car le cri de la folie n'est pas toujours celui de la conscience. »

Ce texte, on le voit, nous présente Gilbert agonisant dans les affres de la folie. Ce n'est pas tout ; les détracteurs du poète accuseront le parti anti-philosophe d'avoir laissé mourir de faim leur supposé protégé. Ces légendes qui courent sur la mort de Gilbert sont toutefois fausses. Loin d'avoir agonisé sur un grabat d'hôpital, malheureux, pauvre et affamé comme on tente alors de la faire accroire, le poète, dans les dernières années de sa vie, reçoit plusieurs pensions de la cour : 800 livres du roi, 600 livres de Mesdames, 100 écus sur le Mercure de France, 500 livres de l'archevêché. C'est tout au moins une aisance raisonnable, aisance attestée, au moment de sa mort, par divers indices caractéristiques : un cheval qu'il possédait, le linge fin dont il était couvert, les dispositions testamentaires qu'on a trouvées chez lui, les legs qu'il a faits (il laisse, entre autres, dix louis à un jeune soldat, qui n'est autre que Bernadotte).

Cette série de fables courant sur la mort du poète, loin de le desservir, lui permettent de passer à la postérité sous le signe du poète maudit, à l'exemple de Chatterton, ou de Malfilâtre.

[modifier] Postérité

De ce fait, Gilbert passe l'épreuve de la mort avec un certain succès, sous l'image du poète malheureux, maudit, rejeté par son siècle. Quoique le poète ait connu une gloire littéraire certaine durant sa vie, grâce à son œuvre satirique, ce sont ses œuvres plus personnelles qui lui assureront de quoi vivre dans les mémoires des siècles suivants, à savoir, Le Poète malheureux, et Les Adieux à la vie. Dès 1819, en effet, le Romantisme, en quête de figure tutélaire, reprend à son compte la part élégiaque de Gilbert, au même titre que la dimension de révolte présente dans l'œuvre de Chénier : les deux noms sont bien souvent associés dans la pensée des Romantiques. De Musset à Flaubert - qui est indéniablement Romantique par ses origines (cf. sa Correspondance), en passant par Vigny, ou encore Charles Nodier (Nodier édite les Œuvres complètes de Gilbert en 1826), tous reconnaissent l'influence certes mineure, mais bien présente, du poète dans leur inspiration, et l'âme du mouvement.

Le nom de Gilbert ne tombe définitivement dans l'oubli qu'à l'aube du XXe siècle, où le Romantisme lui-même achève de tomber en désuétude.

[modifier] Œuvres

  • Les Familles de Darius et d'Éridame (La Haye et Paris, 2 vol., 1770)
  • Début poétique (Paris, 1771)
  • Le poète malheureux, ou Le Génie aux prises avec la fortune (Paris, 1772)
  • Le Jugement dernier (Paris, 1773)
  • Le Carnaval des auteurs ou les masques reconnus et punis (Paris, 1773)
  • Le Siècle (Paris, 1774)
  • Éloge de Léopold, duc de Lorraine (1774)
  • Le Dix-Huitième siècle (Paris, 1775)
  • Le Jubilé (Paris, 1775)
  • Diatribe sur les prix académiques (Paris, 1776)
  • Mon Apologie (Amsterdam, 1778)
  • Ode sur la guerre présente, ou Le Combat d'Ouessant (Paris, 1778)
  • Ode imitée de plusieurs psaumes, dite Adieux à la vie (1780)

[modifier] Note

  1. 1 Grosso modo, l'Année Littéraire se place du côté des anti-philosophes, le Mercure de France du côté des philosophes. Mais la frontière est en réalité bien plus floue ou plus subtile.

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