Succube
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Un ou une succube est un démon qui prend la forme d'une femme pour séduire un homme durant son sommeil et ses rêves ; elles servent Lilith et ont pour mode d'action la séduction des hommes. Son pendant masculin est l'incube. Des légendes racontent que le ou la succube prendrait l'apparence d'une femme défunte et, faisant croire à la résurrection de celle-ci, s'accouple avec son bien aimé.
Le succube est de nature ambivalente, puisqu'il est à la fois redouté et désiré. « Ce qui fait l'horreur c'est le désir, et le désir devient monstre[1]. » Pour cette raison, on le retrouve à la fois à la source des songes et des cauchemars, notamment pendant le Moyen Âge.
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[modifier] Étymologie
Le terme succube vient du mot latin succuba qui signifie concubine. Il ne désigne le démon femelle qu'à partir du XVIe siècle[1].
Une autre étymologie le fait dériver du latin classique sub, « sous », et cubare, « coucher », donc « qui couche sous » (ou «être couché sous»). C'est un mot masculin mais utilisé également au féminin.
[modifier] Une figure universelle
En Hongrie, « les sorcières de Szeged chevauchent ceux qu'elles aiment ou qu'elles détestent : elles s'assoient sur leur poitrine jusqu'à ce qu'ils ne puissent presque plus respirer, puis elles les transforment en chevaux volants »[2].
Dans la mythologie antillaise, le succube porte le nom de dorli.
Dans la littérature arabe ancienne, le succube est connu comme un démon femelle qui dérange les hommes pendant leur sommeil et les accompagne dans leur lit[1].
Les principaux attributs du succube sont la séduction, le vol et la chevauchée nocturne, son rapport à la mort et à la dévoration (de la chair notamment). Ces thèmes, considérés comme néfastes et démoniaques en règle générale, n'en sont pas moins des formes à caractères initiaques dans les sociétés traditionnelles.
Ainsi la croyance entourant ce démon semble avoir une racine commune avec des démons ou créatures comme les harpies, les sirènes, la Lilītu mésopotamienne, la Goule mésopotamienne et arabe, les lamies, les Stryges.
Le Vampirisme, dans sa version féminine, présente à certains égards une thématique commune à celle du succube, notamment ceux de la séduction, de la dévoration et de la mort.
Les créatures féminines au caractère bénéfique, comme les dryades et les nymphes grecques peuvent également être rattachées au succube, du fait de l'ambivalence de sa nature, et, comme il sera vu plus bas, du fait de leurs parentés à certaines traditions chamaniques..
Des créatures divines partageant ce statut de "femme fatale", à la fois séduisante, protectrice et dangereuse, se retrouvent dans la Mythologie égyptienne, avec la troublante déesse-chatte Bastet. En effet, on retrouve dans les deux l'allégorie de la féminité et de la séduction, mais également de la cruauté.
[modifier] Sur les traces de la Grande Déesse
[modifier] Généralités
La croyance qu'il existe des unions entre des déesses ou des divinités et des hommes n'est pas nouvelle. Pour n'en citer que quelques-unes :
- Dans la mythologie gréco-romaine : Déméter et Iasos, Harmonie et Cadmos, Callirrhoé et Chrysaor, Éos et Tithon, Médée et Jason, Psamathée et Éaque, Aphrodite et Anchise, Circé et Ulysse, Calypso et Ulysse[3]
- Dans l'ouvrage de Balthazar Bekker en 1694 où pendant 130 ans qu'Adam s'abstint du commerce de sa femme, il vint des diablesses vers lui, qui en devinrent grosses, qui accouchèrent de diables, d'esprits, de spectres nocturnes, de fantômes
- Dans les traditions chamaniques, où il est souvent question d'une alliance surnaturelle et de rapports sexuels entre la fille de l'esprit de la forêt et le chaman.
- Mais aussi Mélusine, dans l'Islam le mariage des Djinns, en Scandinavie celui des Troldes, en pays celtes celui des fées[4].
L'union sexuelle avec un succube a ceci de spécifique qu'elle est nocturne, pendant la période des rêves.
[modifier] le succube chamanique
Mircea Eliade[5], dans son ouvrage Le Chamanisme, cite le témoignage d'un chaman Gold, qui parle de son áyami, c'est à dire de son esprit protecteur :
- « Un jour je dormais sur mon lit de souffrances lorsqu'un esprit s'approcha de moi. C'était une femme fort belle (...) Elle me dit “Je suis l'áyami de tes ancêtres, les chamans. Je leur ai appris à chamaniser; maintenant, je te l'apprendrai à toi (...) Je t'aime. Tu seras mon mari et je serai ta femme. Je te donnerai des esprits qui t'aideront dans l'art de guérir.” (...) Consterné, je voulus lui resister. “Si tu ne veux pas m'obéir, tant pis pour toi. Je te tuerai.” (...) Je couche avec elle comme avec ma propre femme (...) Elle se présente parfois sous l'aspect d'une vieille femme ou d'un loup, aussi ne peut-on la regarder sans frayeur. D'autres fois empruntant la forme d'un tigre ailé, elle m'emporte pour me faire voir diverses régions (...) A l'époque où elle m'instruisait, elle venait toutes les nuits (...) »
Il cite également Sliepzova, concernant lesYakoutes de Sibérie :
- « Les Maîtres et les Maîtresses des Abassy du monde supérieur ou inférieur apparaissent dans les rêves du chaman , mais ils n'entrent pas personnellement en relations sexuelles avec lui : c'est réservé à leurs fils et à leurs filles. »
Hamayon[6] dit à peu près la même chose concernant “la fille de l'esprit de la forêt”. Dans le chamanisme des Bouriates de Sibérie, l'esprit de la forêt est représenté par le Grand Cerf. C'est lui qui donne la chance à la chasse, c'est à dire que c'est lui qui pourvoit les tribus en gibiers. La forêt est en effet Bajan Xangaj, “Riche-Rassasieur” ; elle est généreuse mais aussi impitoyable, témoin de son ambivalence. Or les Chamans ou les chasseurs n'ont qu'exceptionnellement à faire à lui. La plupart du temps ils sont engagés avec sa ou ses filles. Celle-ci est une coureuse de chasseurs. Elle leurs apparaît la nuit en rêve ou à la chasse en imagination.
- “Elle est toujours très belle et le plus souvent nue, séductrice et exigeante (...) attendant de lui, en échange du gibier, les plaisirs humains : ceux de l'amour, des contes et des chants.”
Pour le chaman, il existe une véritable union maritale avec elle, un mariage sur-naturel, conjointement à son union terrestre. Elle peut apporter le gibier pour le chasseur et l'enseignement pour le chaman. Mais elle apporte aussi la folie et la mort pour le chasseur qui se laisse trop envahir par elle, et la mort pour le chaman s'il refuse de s'unir à elle.
Bien que les relations sexuelles avec l'esprit féminin de la sur-nature pendant les rêves soient une constante dans le chamanisme sibériens, l'élément important est celui de l'initiation du chaman par celle-ci. C'est elle qui, esprit protecteur principal, choisissant le chaman, donnera à celui-ci les esprits auxiliaires qui lui obéiront et l'assisteront.
[modifier] Lilith
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Jean Markale[7] décrit Lilith comme un succube de la plus belle espèce. C'est une vierge inassouvie, une dévoreuse (d'enfants, de sperme). Elle engloutit, rôde la nuit. Le sperme qui tombe à terre la féconde et ses enfants sont des démons ... Pour Jacques Bril[8], les caractéristiques essentielles de Lilith sont ses conduites dévoratrices, sa puissance (symbolisée par ses ailes), ses vols nocturnes et la séduction pour mener à bien ses entreprises.
Pourtant, Lilith n'est citée qu'une seule fois dans la Bible (Isaïe 34,14), dans le cadre du retour de la Terre au chaos initial :
-
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- Les chats sauvages rencontreront les hyènes,
- le satyre appellera le satyre
- là encore se tapira Lilith,
- elle trouvera le repos[9].
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Il est en effet surprenant que cette seule mention ait pu développer une mythologie aussi riche . C'est que Lilith était déjà bien présente avant la "Lilit" de la tradition judéo-chrétienne. Dans La Bible, Nouvelle Traduction[10], "Lilit" est définit comme un démon femelle qui hantait les ruines et que "le terme est emprunté à la mythologie babylonienne".
En faisant abstraction de l'étymologie hébraïque[11], Lilith serait issu du sumérien lil qui signifie "vent" et elle serait ainsi une déesse du Vent. Mais on fait aussi dériver son nom du lil babylonien qui fait référence à la plaine et la terre et ferait d'elle une possible Déesse de la Terre et de la Fécondité[8].Pour Jacques Bril, la légende de la première Eve renvoie à la période du mésolithique avec les premières formes d'élevage et de l'agriculture. Le statut de la femme y est alors plus élevé ; on y pratique le culte de la Déesse-Mère. Le culte de Yahwé, dieu mâle, aurait progressivement renvoyé l'image de la déesse à des figures démoniaques, puis aux Enfers.
[modifier] Béatrice de Dante
Bien que la notion de sexualité ne soit pas évidente, il existe manifestement, dans la Vita Nuova de Dante, une relation de type succubique, entre Dante et Béatrice. C'est pendant son sommeil que Dante a la vision d'un être effrayant qui lui signifie qu'il est son seigneur, et dans les bras duquel, il me semblait voir une personne dormir, nue (...) dans un drap de soie vermeil comme sang. Il s'agit de Béatrice, à qui le seigneur offre à manger le cœur de Dante ...[12]
[modifier] les fées
Les fées ne sont pas étrangères à cette conception du succube. Suivant la définition du Trésor, la fée est un “personnage féminin imaginaire, doté de pouvoirs magiques, et censé influer sur le monde des vivants”. Contrairement à la croyance qui veut que la fée soit bonne par nature, la fée incarne en fait, comme son homologue chamanique, une nature ambivalente, qui la fait sorcière dans son versant maléfique (dans le sens “Qui apporte la maladie ou la mort”). Il existe bien une Fée Carabosse, ainsi qu'une fée Morgane. Son ambivalence est bien attestée au travers de la Befana.
[modifier] Points de vues contemporains
[modifier] Julius Evola
Julius Evola[13] dans son chapitre sur les succubes, cite la femme surnaturelle des légendes et des mythes héroiques, la femme dispensatrice de vie, de la science, d'une force sacrée, de l'immortalité parfois. Elle est représenté parfois par l'Arbre de vie[14].Pour Evola :
- selon la doctrine hindoue de la royauté, le chrisme du pouvoir serait donné à chaque souverain par son mariage avec la Déesse Shri Lakshmî, son épouse en plus de ses femmes humaines, qui assume les traits d'une force surnaturelle animatrice de fortune royale (...) si bien que le roi perdrait le trône s'il était abandonné par elle.
Et il cite également des exemples analogues dans le cadre du cycle méditerrannéo-oriental, mais aussi concernant le Zohar III,51 a,50 b (Tous les pouvoir du Roi sont confiés à la Matrone). Ceci n'est pas étranger au concept de la prostitution sacrée pour laquelle Evola arbore le fait que les modernes n'ont pas trouvé d'autres mots que se prostituer.
Dans l'amour chevaleresque médiéval, Evola pense que La Dame est plus une femme de l'esprit qu'une femme réelle. Le chevalier s'y consacrait et la servait jusqu'à sa mort. Parfois sa cruauté était acceptée voire exaltée. Cette femme inaccessible est la Béatrice de Dante, celle que les textes hermétiques appelaient notre Eve occulte, ou celle qui entrainait la mors osculi du kabbalisme médiéval[15]. Cette destruction par l'amour est à rapprocher de la dévoration du corps du chamane par les esprits auxillaires au cours de la maladie-initiation de celui-ci[16].
[modifier] Psychanalyse
[modifier] Ernest Jones
Pour Jones, l'incube et le succube se manifestent dans les cauchemars et traduisent l'effroi devant des désirs sexuels refoulés, notamment des désirs incestueux. La croyance aux incubes et aux succubes seraient une forme de sauvegarde de la conscience, permettant notamment de transférer sur autrui, à savoir un démon, l'origine des désirs sexuels. Ainsi la culpabilité générée par les conflits inconscients serait épargnée au sujet, de même que la peur excessive liée aux jugements.
[modifier] Georges Devereux
Pour Devereux, en parlant plus particulièrement des rapports entre déesses et humains[17], les amours surnaturels sont liés à des fantasmes d'inceste mère-fils, forme plus rare mais bien plus fort que celui entre père et fille. La déesse est substituée à la mère ce qui rend le fantasme plus tolérable et en permet une meilleure élaboration.
Le drame des amours surnaturels vient du drame de la dégénéresence des Dieux par le biais de ces unions, façon de dire le franchissement des frontières généalogiques liés à l'inceste.
Pour le mortel, les malheurs proviennent de la crainte d'être foudroyé par Zeus (peur de la castration par le père), mais aussi de la crainte de l'impuissance liée au coït avec la déesse[18]. Le mortel n'est pas au bout de ses peines, qu'il soit infidèle à la déesse, ou qu'il refuse ses avances, son sort n'est guère enviable : “les amants (...) mortels s'en trouvent physiquement amoindris, d'une façon qui rappelle la castration” : impotence, sénilité, paralysie, claudication, cécité ...
L'amant mortel est en plein complexe d'Œdipe. Pour Devereux, il est plus couramment admis et moins dangereux pour une femme de réaliser ses désirs œdipiens en se liant à un homme plus âgé qu'elle : son épanouissement sexuel n'en est pas en danger pour autant.
Concernant la grande beauté des déesses, dont aucune femme mortelle ne peut rivaliser, elle génère ainos, la terreur, la mort. C'est à dire que cette beauté a un caractère intolérable. D'un point de vue psychanalytique, Devereux lie cette notion à celle de l'imago infantile de la mère.
[modifier] Michel Collée
Pour Michel Collée, le succube (et l'incube) sont des figures qui posent la question des rapports sexuels avec les endormi(e)s, “de l'abolition de la volonté, de l'irresponsabilité, et de la conscience du sujet”[1].Elles sont des fantasmes et des projections.
[modifier] Culture, Art et Littérature
Les succubes et les incubes sont des personnages pittoresques que l'on croise avec plaisir dans certains jeux, tels que nethack, world of warcraft, ou encore dans des jeux de type Donjons et Dragons, comme Neverwinter Nights. On peut également voir un monstre appelé Succubus qui a la forme d'une boule de feu dans les différents Final Fantasy. Ces succubes seraient leur représentation démoniaque.
Le film de 1965, Incubus, le second et dernier long métrage réalisé en espéranto, met en scène un incube et des succubes.
La succube n'a pas inspiré qu'un film, et l'on retrouve des personnages succubesques, par exemple dans des mangas, comme Lilim kiss, ou encore dans des romans bien plus anciens, comme Carmilla On recontre une succube dans le troisième épisode de la saison 3 de South Park, où elle séduit Chef et également dans un des épisodes de X-Files (episode 21 - La visite) de la saison 3 où la succube hante les nuits de Skinner. On recontre aussi des succubes dans la saison deux (épisodes 11 et 12) de la série Hex : La Malédiction où Malachi, le fils d'Azzazel et d'une mortelle, veut se débarrasser de son ennemie nommée Ella pour ainsi règner sur le monde. Elles ont aussi inspiré le québécois Joël Chametier dans son roman La peau blanche [1], ainsi que le film que le roman a inspiré.
[modifier] Notes
- ↑ 1,0 1,1 1,2 1,3 Michel Collée Coche-mare dans Revue de la Société Internationale d'Histoire de la Psychiatrie et de la Psychanalyse - Frénésie n°3 1987
- ↑ G. Roheim la panique des dieux, cité dans Jacques Bril Lilith ou la mère obscure Payot 1984 ISBN 2-228-88438-3
- ↑ Devereux Femme et mythe Champs Flammarion 1982
- ↑ G.Van der Leeuw La religion dans son essence etses manifestations Payot 1970
- ↑ Mircea Eliade Le chamanisme et les techniques archaïques de l'extase Payot 2002 ISBN 2-228-88596-7
- ↑ La chasse à l'âme : esquisse d'une théorie du chamanisme sibérien , Roberte Hamayon , Société d'ethnologie , 1990 , ISBN 2-901161-35-9
- ↑ Jean Markale Mélusine
- ↑ 8,0 8,1 Jacques Bril Lilith ou la mère obscure Payot 1984 ISBN 2-28-88438-3
- ↑ La Bible de Jérusalem
- ↑ Bayard ISBN 2-227-35800-9
- ↑ qui apparente Lilith à laïl qui signifie nuit
- ↑ Dante Vie Nouvelle III 3,8
- ↑ Julius Evola Métaphysique du sexe Payot 1959
- ↑ Tu es l'arbre de la vie à propos des rites de puberté concernant les femmes chez les Sioux. Cela fait référence aussi à l'Arbre biblique et à Eve. Mais aussi à la Vierge Divine.
- ↑ la mort donnée par le baiser, les yeux assassins du langage populaire
- ↑ Voir aussi Dante Vie Nouvelle IV & V 2
- ↑ Pour Devereux, les parents sont les équivalents des divinités
- ↑ Pour Devereux, “la cohabitation entre une femme mûre et un homme bien plus jeune tend à infantiliser l'homme” et à le déviriliser