Colonnes infernales
Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.
On désigne sous le nom de colonnes infernales les opérations menées par le général Turreau lors de la guerre de Vendée afin d’éliminer toute résistance dans les campagnes vendéennes, après l’échec de la virée de Galerne.
[modifier] Contexte militaire
Décembre 1793, les Vendéens sont défaits à la bataille de Savenay, face à Kléber et Marceau, au terme de la Virée de Galerne : seuls quelques milliers des 80 000 participants de la Virée de Galerne ont pu rejoindre la Vendée. Charette a perdu Noirmoutier et n'a plus que quelques centaines d'hommes dans les marais de Retz.
Turreau doit donc finir la guerre de Vendée. Déjà, le 7 novembre, le département a été rebaptisé Vengé. Il a le choix entre deux méthodes : la pacification, éventuellement musclée, et la répression violente. Il propose un plan d'amnistie au Comité de salut public sur les conseils de son général Jean-François Moulin :
« La désertion considérable qui commence à se manifester parmi les rebelles en-deçà de la Loire prouve assez que le bandeau de l'erreur se déchire ; que les prêtres qui dirigeaient leurs pas n'ont plus le même empire sur leurs opinions. Le moment serait-il donc arrivé de proclamer au milieu de ces fanatiques les vérités qu'on leur a dénaturées jusqu'alors ? [...] On craint qu'en agissant ainsi avec la même rigueur à l'égard des nombreux déserteurs, on ne réduise les autres au désespoir. »
N'ayant pas de réponse, il prépare un nouveau plan, en application stricte des décrets de la Convention.
[modifier] Contexte politique
Celle-ci a en effet adopté deux décrets de répression de la révolte de Vendée, d'abord le 1er août, puis un second le 1er octobre 1793, qui renouvelle pour l'essentiel le premier. Celui du 1er août 1793 précise que :
Il sera envoyé en Vendée des matières combustibles de toutes sortes pour incendier les bois, les taillis et les genêts. Les forêts seront abattues, les repaires des rebelles anéantis, les récoltes coupées et les bestiaux saisis. La race rebelle sera exterminée, la Vendée détruite.
Ce décret prévoit par ailleurs de mener les bons citoyens hors de la région rebelle et de faire disparaître les mauvais ; et il préconise aussi de traiter avec égard les femmes, les enfants et les vieillards (article VIII). Le décret du 1er octobre étend cette mesure aux hommes sans armes. Les repaires rebelles doivent être détruits sans pitié.
C'est de ces deux décrets que Turreau s'inspire pour son second plan, qu'il adresse le 16 janvier 1794 au comité. Il prévoit de ratisser à l'aide de douze colonnes avançant parallèlement le pays rebelle, d'est en ouest, pour traquer les insurgés, et détruire leurs biens, de Brissac au nord, à Saint-Maixent au sud. Le comité de salut public est alors attaqué à la fois sur sa droite et sur gauche par les Indulgents, autour de Danton, qui dénoncent l'incapacité du gouvernement révolutionnaire à achever la guerre et les excès de la Terreur, et les Hébertistes, autour d'Hébert, qui poussent toujours à la surenchère. Pour Robespierre, la guerre civile est terminée ; mais les Hébertistes prônent une répression sans indulgence, en représailles des massacres commis par les Vendéens.
[modifier] Plan détaillé
Le plan de Turreau entre en application le 21 janvier. Il a sa disposition six divisions à l'est de la Vendée, chacune est divisée en deux colonnes. Un des problèmes des troupes républicaines pendant la guerre de Vendée ayant été la coordination, il donne à tous des lieux de rendez-vous précis, avec date à tenir. Les itinéraires sont indiqués commune par commune. Les chefs de colonnes doivent correspondre entre eux et avec le général en chef deux fois par jour pour garder une bonne coordination ; éviter le combat, sauf en cas de victoire certaine ; et utiliser tous les moyens pour dénicher les rebelles, brûler tout ce qui peut brûler, réquisitionner toutes les vivres. Treize communes républicaines sont exemptées[1].
- la première division est dirigée par Duval, ses colonnes sont commandées par Daillac et Prevignaud. Les deux colonnes partent de Saint-Maixent et Parthenay et doivent arriver à La Caillere et Tallud-Sainte-Gemme ;
- la deuxième division est dirigée par Grignon, ses colonnes sont commandées par lui-même et Lachenay : les deux colonnes partent de Bressuire et doivent arriver à La Flocellière et Pouzauges ;
- la troisième division est dirigée par Boucret, ses colonnes sont commandées par lui-même et Caffin : les deux colonnes partent de Cholet et doivent arriver aux Epesses et à Saint-Laurent-sur-Sèvre ;
- la quatrième division est dirigée par Turreau, ses colonnes sont commandées par lui-même et Bonnaire : les deux colonnes partent de Doué et doivent arriver à Cholet ;
- la cinquième division est dirigée par Cordellier, ses colonnes sont commandées par lui-même et Crouzat : les deux colonnes partent de Brissac et doivent arriver à Jallais et Le May ;
- la sixième division est dirigée par Jean-Baptiste Moulin, elle ne comporte qu'une colonne forte de 650 hommes qui partira des Ponts-de-Cé pour Sainte-Christine.
En complément, Turreau charge le général Haxo, qui poursuivait jusqu'alors Charette sur les côtes ouest de la Vendée, de former huit colonnes qui parcourront la Vendée d'ouest en est, allant à la rencontre des douze autres.
[modifier] Application
Les instructions envoyées par Turreau sont peu équivoques :
- Les villages, métairies, bois, landes, genêts et généralement tout ce qui peut être brûlé sera livré aux flammes ;
- seront passés par les armes les brigands trouvés les armes à la main ou convaincus de les avoir prises, y compris les filles, femmes et enfants qui seront dans ce cas.
Dans un premier temps, son plan est exécuté en une semaine ; mais des petits groupes de Vendéens s'infiltrent dans le bocage entre les colonnes ; des groupes plus importants, suffisamment pour ne pas être inquiétés par les effectifs des Bleus, se constituent. Il demande donc au Comité de Salut public de préparer les indemnisations pour ceux qui seront évacués, afin de vider le pays de sa population et de combattre plus facilement les insurgés.
Les colonnes sont surtout actives lors des deux premiers mois, à partir de février les embuscades vendéennes ralentissent énormément les colonnes qui sont parfois réduites à l'immobilisme.
Jusqu'au 17 mai, les colonnes infernales (Turreau les appela les colonnes massacreuses) massacrent et pillent. Celles placées sous les ordres des généraux Cordellier, des adjudants généraux de cavalerie Huché ou Amey vont bien au-delà des ordres : viols et exactions se succèdent. Turreau, au courant, est incapable d'autorité et de les faire cesser. Il demande à être relevé plusieurs fois.
Certains généraux mènent leurs colonnes d'une autre manière. Haxo constitue ses huit colonnes, mais leur assigne comme objectif la capture de Charette ; il ne fait commettre aucun acte de barbarie à ses hommes, épargnant même la gentilhommière de Charette à Fonteclose.
De son côté, l’adjudant général Cortez fait fusiller Goy-Martinière, le second de Huché pour avoir détruit des villes et villages dans des zones républicaines.
[modifier] Parcours des colonnes infernales
[modifier] Parcours de la première et deuxième colonne
- Commandants: Adjudant Général Prévignaud et Adjudant Général Daillac
[modifier] Parcours de la troisième colonne
- Commandant: Général de brigage Louis Grignon
- 19 janvier La colonne pille Sanzay et Saint-Clémentin.
- 21 janvier A Argenton-Château, Grignon déclare à ses hommes :Camarades, nous entrons en pays insurgé. Je vous donne l'ordre de livrer aux flammes tout ce qui est susceptible d'être brûlé et de passer au fil de la baïonette tout ce que vous rencontrerez d'habitants sur votre passage. Je sais qu'il peut y avoir quelques patriotes dans ce pays ; c'est égal, nous devons tout immoler.
- 22 janvier plusieurs dizaine de personnes sont tués à Étusson et à Voultegon. 79 personnes sont tuées à Saint-Aubin-du-Plain.
- 24 janvier 300 personnes, hommes, femmes et enfants sont massacrées à Bressuire alors que la ville devait être épargnée.
- 25 janvier Grignon écrit à Turreau: nous en tuons plus de cent par jours.
- 27 janvier La colonne est à Châteaumur, une dizaine de personns sont éxecutées.
- 28 janvier La Flocellière est détruite.
- 29 janvier La colonne est au Boupère, mais Grignon n'ose pas ordonner l'incendie, le village ayant 150 gardes nationaux pour se défendre.
- 30 janvier A Pouzauges, 30 prisonnières sont violées par les officiers de la colonne, avant d'être éxécutées.
- 31 janvier Grignon rejoint le Général Amey à Saint-Fulgent.
[modifier] Parcours de la quatrième colonne
Adjudant Général Lachenay
- 19 janvier Lachenay est avec Grignon.
- 25 janvier Les colonnes de Lachenay et de Grignon se séparent.
- 26 janvier Saint-André-sur-Sèvre est détruite.
- 27 janvier Toute la population de Saint-Mesmin est massacrée.
- 28 janvier L'église de Pouzauges est incendiée avec toute sa population à l'intérieur, parmi lequels; des gardes nationaux locaux.
- 29 janvier La Meilleraie-Tillay est détruite.
- 30 janvier Lachenay rejoint Grignon à Pouzauges, ils se séparent le lendemain.
- 31 janvier La colonne attaque Le Boupère, que Grignon n'avait pas détruit, 200 morts.
[modifier] Parcours de la cinquième colonne
- Commandant: Général de brigade Jean-Pierre Boucret
- 21 janvier Départ à Cholet
- 22 janvier La population de La Tessoualle et de Moulins ( aujourd'hui Mauléon) est massacrée.
- 23 janvier Châtillon-sur-Sèvre est incendiée.
- 25 janvier La colonne est à Saint-Amand-sur-Sèvre.
- 26 janvier La colonne est aux Epesses.
- 28 janvier Un prêtre réfractaire est fusillé près de Saint-Mars-la-Réorthe.
- 31 janvier La colonne est à Chambretaud.
- 4 février La colonne est à La Gaubretière, 85 personnes fusillées.
- 9 février La colonne est à Chantonnay.
[modifier] Parcours de la sixième colonne
- Commandant: Général de brigade Jean Alexandre Caffin
[modifier] Parcours de la septième colonne
- Commandant: Général de division Louis Marie Turreau
[modifier] Parcours de la huitième colonne
- Commandant: Général de brigade Louis Bonnaire
[modifier] Parcours de la neuvième colonne
- Commandant: Général de brigade Etienne Cordellier, 8 000 hommes
- 21 janvier Départ à Brissac
- 23 janvier Beaulieu est détruite
- 25 janvier 20 personnes sont fusillés à La Jumellière
- 26 janvier La colonne atteind Jallais
- 31 janvier La colonne est à Montrevault qui n'est pas incendiée
- 1er février Cordellier est battu par Stofflet à Gesté et se replie sur Montrevault
- 5 février La colonne retourne à Gesté, plusieurs personnes sont fusillées dans le château. Elle campe ensuite à Montfaucon
- 6 février La colonne gagne Tiffauges
- 7 février La colonne atteind Les Landes Génusson, toute la population, soit 98 personnes; hommes, femmes et enfants, est massacrée.
- 9 février Cordellier reprend Cholet que Stofflet a abandonné après qu'il l'ait lui-même repris à Moulin.
- 13 février La colonne incendie Chemillé qu'elle avait trouvé déserte.
- 14 février Cordellier est battu par Stofflet.
- 15 février Jonction de Cordellier et de Crouzat à Montaigu.
- 22 février La colonne exécute 15 personnes à Vieillevigne et en massacre 100 autres aux Brouzils
- 25 février Cordellier rejoint Turreau et attaque Charette. Les Républicains sont victorieux mais les Vendéens parviennent à s'enfuir sans subir trop de pertes. Cordellier et Turreau se séparent après la bataille.
- 26 février 35 personnes sont exécutés à Vieillevigne et à Montbert.
- 27 février Vieillevigne, Saint-André-Treize-Voies, Saint-Sulpice-le-Verdon, Rocheservière et Mormaison sont incendiées, en tout 80 personnes sont massacrées.
- 28 février La colonne est attaquée et mise en déroute par Charette. Toutefois, Matincourt, un lieutenant de Cordellier se rend aux Lucs-sur-Boulogne, 564 personnes, dont la moitié d'enfants sont massacrés dans l'église.
- 1er mars 150 personnes sont massacrées à Saint-Etienne-du-Bois.
- 4 mars Les Brouzils sont incendiés pour la seconde fois.
- 13 mars 178 personnes dont 53 enfants de moins de 10 ans sont massacrées au Fief-Sauvin, 42 femmes et enfants sont tués à la Chaussaire.
- 25 mars Cordellier tombe malade et va se faire soigner à Saumur, il confie le commandement de la colonne à Crouzat.
[modifier] Parcours de la dixième colonne
- Commandant: Général de brigade Joseph Crouzat, 8 000 hommes
- 21 janvier Départ à Brissac
- 22 janvier La colonne atteind Thouarcé
- 23 janvier La colonne arrive à Gonnord, 200 civils sont massacrés, 2 femmes et 30 enfants sont enterrés vivants. Crouzat déclare: on fouille d'abord les maisons, on en arrache les femmes, les enfants, les vieillards, les malades qui doivent assister au pillage de leurs demeures et au sac de l'église; puis on met le feu partout. Ensuite, on aligne les habitants à un endroit ou à un autre, et on les fusille...
- 24 janvier La colonne atteind Chemillé qui est épargnée en échange de butin.
- 25 janvier Chanzeaux et Melay sont incendiés, 71 personnes sont fusillés.
- 26 janvier Crouzat rejoint Cordellier à Jallais
- 27 janvier La colonne est au May-sur-Èvre
- 28 janvier Elle passe par La Romagne et Saint-Macaire-en-Mauges
- 29 janvier La colonne est attaquée et battue par les hommes de Stofflet, elle se replie sur Le May-sur-Èvre
[modifier] Parcours de la onzième colonne
- Commandant: Général de brigade Jean-Baptiste Moulin, 650 hommes
- 24 février La colonne part des Ponts-de-Cé et incendie Mozé-sur-Louet mais épargne Rochefort-sur-Loire.
- 25 février Moulin est à Sainte-Christine (aujourd'hui Benet), qu'il ne détruit pas.
- 27 janvier La colonne détruit Saint-Laurent-de-la-Plaine et retourne incendier Sainte-Christine.
- 29 janvier La colonne atteind Cholet, Turreau lui donne l'ordre de s'y maintenir.
- 8 février La colonne est attaquée par Stofflet qui reprend Cholet. Au cours de la bataille, Moulin, blessé se suicide pour ne pas tomber vivant entre les mains des Vendéens.
[modifier] Parcours de la douzième colonne
- Commandant: Général de brigade Jean-Baptiste Huché, 1 500 hommes
- 15 février La colonne est en garnison à Cholet
- 26 février La colonne incendieMortagne
- 27 février La colonne massacre les habitants de La Gaubretière(500 morts) et de La Verrie. Saint-Malo-du-Bois et Saint-Laurent-sur-Sèvre sont également incendiées mais la population s'était enfuie.
- 28 février La colonne est retournée à Cholet.
- 4 mars Un partie de la colonne est mise en déroute par Stofflet.
- 6 mars La population de Vezins est massacrée.
- 25 mars Huché prend le commandement de la garnison de Luçon.
- 30 mars L'Adjudant Général Goy-Martinière massacre 80 personnes à Bellenoue.
- 31 mars Goy-Martinière détruit Château-Guibert
- 11 avril Tout les massacres commis par Goy-Martinière s'étaient déroulés sur des territoires qui ne s'était jamais révoltés contre la République et situés en dehors de la Vendée militaire, Goy-Martinière est donc fusillé sur ordre du Général Cortez.
[modifier] Fin des colonnes infernales
À force de tueries, des municipalités républicaines et des représentants du Comité de salut public finissent par s'émouvoir. Joseph Lequinio par exemple, accuse, dans un rapport destiné à Robespierre, Turreau de prolonger inutilement la guerre[2].
De plus, la situation politique à Paris a changé. Fin mars, les hébertistes, puis les dantonistes sont éliminés par les comités de salut public et de sûreté générale. Dès début avril, les colonnes sont ralenties dans leur activité. Il faut attendre le 17 mai pour que Turreau soit suspendu. Le 28 septembre, il est décrété d'accusation et emprisonné.
[modifier] Bilan
En 1794, sous la Convention thermidorienne, Gracchus Babeuf, alors adversaire des Jacobins, écrit un pamphlet pour dénoncer Carrier, dans lequel il crée le terme de populicide, face à l'ampleur de la dépopulation de la Vendée militaire.
D'après Jean-Clément Martin, qui a analysé les recensements de 1790 et de 1801, un manque d'environ 220 000 à 250 000 habitants est à noter dans l'accroissement normal qu'aurait dû connaître la « Vendée militaire » sans la guerre civile[3]. Les bilans varient, entre les morts au combat, les morts indirects du fait des mauvaises conditions de vie, les exils des Républicains. Les récoltes de 1788 ont également été mauvaises. Certains historiens attribuent jusqu'à 200 000 morts à Turreau.
Actuellement, les historiens ont tendance à réduire la part du bilan imputée à Turreau. Selon Louis Marie Clénet, Turreau est responsable d'au moins 40 000 des 200 000 morts vendéennes des guerres de Vendée. Roger Dupuy parle d'une fourchette de 20 000 à 40 000 morts.
[modifier] Voir aussi
[modifier] Liens externes
[modifier] Sources
Cet article manque de sources. Améliorez sa qualité à l'aide des conseils sur les sources ! |
[modifier] Notes
- ↑ Saint-Florent, Luçon, Montaigu, La Châtaigneraie, Sainte-Hermine, Machecoul, Challans, Chantonnay, Saint-Vincent-Sterlanges, Cholet, Bressuire, Argenton et Fontenay-le-Comte. (La Vendée patriote, tome IV, page 52).
- ↑ Jean-Clément Martin, Contre-Révolution, Révolution et Nation en France, 1789-1799, éditions du Seuil, collection Points, 1998. Ce rapport, publié en l'an III, sera d'ailleurs détourné de son sens par les Thermidoriens pour accuser Robespierre.
- ↑ Jean-Clément Martin, La Vendée et la France, 1789-1799, Éditions du Seuil, 1987