Bartolomé de Las Casas
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Bartolomé de Las Casas (Séville, 1474–Madrid, 1566), théologien dominicain espagnol, évêque de Chiapas (Mexique), écrivain et voyageur, il est considéré comme l'un des premiers défenseurs des droits des peuples originaires d'Amérique et une figure historique de la lutte pour les Droits de l'homme.
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[modifier] Biographie
Fils d'un compagnon de voyage de Christophe Colomb, écrivain et voyageur, a fait plusieurs fois le voyage entre l'Espagne et le Nouveau Monde.
Dans sa jeunesse, l'idée d'avoir des esclaves amérindiens ne le dérange absolument pas, alors qu'il entreprend de convertir ces « infidèles ». Mais il s'aperçoit plusieurs années plus tard des horreurs que leur font subir les colons. Devenu prêtre, puis moine, Il s'engage alors dans une longue lutte pour prouver au monde que ces Indiens ont les mêmes droits que n'importe quel homme sur cette terre.
Suite a une rencontre avec le pape afin de défendre les indiens d' Amerique, le pape accorde aux indiens d'être libérés, mais se dit favorable a la traite des noirs.
Bartolomé de las Casas est né à Séville en 1474. Il serait originaire d’une petite noblesse française ou d’une famille juive récemment convertie à la suite de la Reconquista. Sa jeunesse est peu connue sauf que son père lui a ramené un jeune esclave indigène. En effet, ce dernier a fait partie du deuxième voyage de Christophe Colomb et a marqué les premiers pas d’une famille de colons sur le nouveau monde.
A 18 ans Bartolomé s’embarque dans une caravane de trente navires qui prennent à leur bord le gouverneur Nicolas de Ovando et 2500 personnes vers l’île de Saint Domingue. En 1503 il devient propriétaire d’une encomienda, c’est à dire un titre de propriété attribué à un espagnol sur des terres indigènes avec les habitants qui y sont rattachés pour exploiter ces terres. Elle se situe à Concepción de la Vega et rapporte 100 000 castellanos par an. Cette situation n’est pas générale. Sur les 2500 espagnols, « plus de mille moururent et les autres étaient dans de grandes angoisses » écrit-il. À cette époque il est surtout pionnier et colon. Il se tourne vers la religion et se fait ordonner prêtre entre 1506 et 1510 selon Père Manuel Novia Martinez à Rome ou en Espagne, on l’ignore. Quoi qu’il en soit, il dit sa première messe en 1510, à la Toussaint. Cette notion de première messe reste cependant floue car il peut aussi bien s’agir de sa première messe en tant que religieux comme sa première messe dans son lieu de culte. Il retourne au nouveau monde où il entend un certain Antonio Montesinos qui dénonce les injustices dont il a été témoin en annonçant « la voix qui crie dans le désert de cette île, c’est moi, et je vous dis que vous êtes tous en état de pêché mortel à cause de votre cruauté envers une race innocente ». Il devra rentrer en Espagne pour se justifier, et participera à la conception des lois de Burgos en 1512-1513. Il apparaît évident que ce discours a marqué Las Casas même s’il n’a pas immédiatement mené ce dernier à la lutte pour laquelle il est si connu.
En 1512 Las Casas est aumônier des Conquistadores à Cuba sous le commandement de Diego Velasquez et tente de limiter les massacres. Il faut croire que son service est apprécié puisqu’il reçoit par « répartimiento » (partage des terres conquises) une nouvelle encomienda avec les indigènes qui y sont rattachés. En 1513, malgré une évangélisation et des baptêmes massifs, il ne peut empêcher le massacre de Caonao qu’il désapprouve en accord avec les dominicains mais ne l’empêche pas de profiter de son encomienda et de ses terres aurifères. En 1513 le Pape attribue aux espagnols des droits et des normes sur la découverte, c’est le « Requerimiento ». Les indiens doivent reconnaître l’Église. S’ils refusent on peut leur imposer par « le fer et le feu ». Las Casas s’y oppose. En 1514 alors qu’il prépare sa messe Las Casas lit « Celui qui offre un sacrifice tiré de la substance du pauvre agît comme s’il sacrifiait un fils en présence de son père ». Il prend alors conscience de la condition indigène et décide de partir pour la métropole avec Antonio de Montesinos, c’est sa « Première Conversion ».
Bartolomé de Las Casas s’engage alors dans une lutte de cinquante ans durant laquelle il fera plus de quatorze voyages entre les deux continents, voyages qui pouvaient durer entre soixante et quatre vingt dix jours sur des bateaux qui faisaient moins de 100 tonneaux, chargés de cargaisons diverses, avec des chevaux sanglés en cale, des cabines de 6 à 8 personnes. Les conditions météo pouvaient être horribles, il fallait faire soi-même sa nourriture et les maladies étaient au rendez-vous avec la fièvre jaune, le choléra, le scorbut et bien d’autres.
Ce combat s’annonce difficile, il faut sauvegarder à la fois les intérêts de la couronne et la vie des indigènes. Selon Las Casas, indiens et colons sont liés. En effet les espagnols ont besoin de main d’œuvre pour s’enrichir et ils doivent en prendre soin pour qu’ils travaillent plus. Or la population baisse à vue d’œil, il y avait 1.100.000 indiens en 1492 et il en reste 16.000 en 1516 selon l’homme d’église. Il cherche donc à s’adresser au roi en qui meurt en 1516 et se voit alors opposé au régent qui ne s’intéresse pas à ce combat. Il va alors voir le Cardinal Cisneros, ancien confesseur d’Isabelle la Catholique qui le soutient, ainsi qu’Adrien le précepteur de Charles Quint et futur Pape Adrien VI.
Il rédige un plan de réformes intitulé le « Mémoire des quatorze remèdes » où il prône :
- la fin des encomiendas,
- la réglementation du travail,
- la fin des travaux forcés,
- l'envoi de fermiers espagnols avec leurs familles pour exploiter en commun des terres avec les indiens,
- la destitution des administrateurs en place,
- de combiner évangélisation et colonisation,
- de prendre des noirs comme esclaves pour compenser la mortalité des indigènes (prise de conscience tardive de son erreur, 9 000 noirs amenés en 10 ans).
En 1516 il est nommé « procureur et protecteur universel de tous les indiens des Indes » et est mis à la tête d’une commission d’enquête aux Indes avec des Ermites de Saint Jérôme, un ordre influent d’Espagne qui se laisse influencer par les colons et qui rejettent Las Casas l’accusant de ne pas voir l’intérêt économique de la politique actuelle dans les Indes. En 1517 il rentre en Espagne pour se justifier.
De 1517 à 1519 il est à la cour chargé de « remédier aux maux des indiens ». En 1519 Charles Quint devient empereur. Las Casas s’oppose alors à l’évêque Queredo sur le sort des indigènes et sort vainqueur du débat devant l’Empereur. Il prend conscience que les îles sont perdues, tous les indigènes qui y vivaient sont soit morts, soit des esclaves. Mais il ne veut pas que ce phénomène se reproduise sur les terres en découverte et demande un secteur de conquête et de conversion pacifique avec des Dominicains et des Franciscains. Au Conseil des Indes, l’institution créée en Espagne pour rédiger les lois propres aux Indes et contrôler les colonies, Las Casas obtient du roi le pouvoir d’exercer les pressions nécessaires pour obtenir cette terre de paix. En 1520, à force de pressions, il obtient par des capitulations de la couronne, 200 lieues autour de Cermana et promet de pacifier 10 000 indiens en 10 ans et de verser un tribut à la couronne au bout de 3 ans. Il part l’année même avec cinquante compagnons et soixante dix paysans. Mais il ne peut joindre son territoire, perd ses paysans qui deviennent des chasseurs d’esclaves et doit faire des concessions par besoins d’argent. De plus, avant son arrivée les conquistadores ont fait de nombreux massacres, ce qui rend toute évangélisation impossible et, alors qu’il retourne vers Hispanola ou Saint Domingue, une révolte indigène massacre les frères franciscains.
Cet échec le perturbe. Il s’enferme alors chez les frères prêcheurs qui orientent sa mission vers un but plus spirituel que colonial. Il devient Dominicain en 1522 et se fait appeler Fray Las Casas. C’est sa « Seconde Conversion ».
Il s’enferme alors au monastère dans un silence de neuf ans. L’ordre des Dominicains est une confrérie qu’il connaît et qui l’apprécie. Il y fait vœu de chasteté, d’obéissance, de pauvreté et y suit une formation juridique, théologique et biblique. En 1527, il est chargé de l’implantation d’un nouveau monastère au nord de l’île. Il y consigne le souvenir des drames qu’il a vécu et de ceux qui sont parvenus jusqu’à lui. Il rédige alors « De Unico Modo » qui signifie « de l’unique façon d’attirer tout le genre humain à la véritable religion » qu’il enrichit en 1537 de la bulle du pape Paul III « Sublimis Deus » qui proclame l’humanité des indiens et leur aptitude à recevoir la foi chrétienne : « Considérant que les indiens, étant de véritables hommes sont aptes à recevoir la foi chrétienne, mais encore, d’après ce que nous savons le désirent fortement... nous décidons et déclarons, nonobstant toute opinion contraire, que les dits Indiens... ne pourront être en aucune façon privés de leur liberté ni de la possession de leurs biens... et qu’ils devront être appelés à la foi de Jésus-Christ par la prédication de la parole divine et par l’exemple d’une vie vertueuse et sainte. »
Il s’appuie sur les évangiles, « Rien n’est bon que ce qui est libre... que personne ne contraigne les infidèles à croire », et fait cinq propositions :
- le prédicateur doit apparaître comme une personne qui ne veut pas asservir ses auditeurs,
- il ne doit avoir aucune intention de posséder des richesses,
- il doit être doux, affable, pacifique, bienveillant, écouter avec respect et plaisir la doctrine,
- sa vie et son comportement doivent être en accord avec ce qu’il enseigne,
- les auditeurs voyant l’action du maître glorifieront le Père du Ciel,
- il attaque les conquistadores et les faux évangélisateurs en s’appuyant sur les témoignages de conquistadores ou autres colons et prêtres.
Le 20 janvier 1531 Las Casas écrit une lettre au Conseil des Indes car, devant l’extension du mouvement colonial et des nouvelles conquêtes tel que le Guatemala, le Mexique, le Chili, le Pérou qui s’accompagne du développement de l’encomienda, il voit un monde plus vaste pour les prédicateurs, mais un monde condamné à mort. C’est une lettre passionnée, dure et violente pour marquer la métropole. Il veut évangéliser quand il dit « la foi pourrait sans grands efforts être exaltée et diffusée parmi ces peuples païens ». Il s’appuie sur le testament d’Isabelle la Catholique en 1503 qui oblige l’évangélisation dans le respect des personnes. Il utilise un ton de réquisitoire en disant que si le Conseil était sur place il agirait différemment et que des hommes de confiance sont nécessaires sur place tout en demandant pourquoi les envoyés de la sainte Espagne font tant preuve de violence. Si Las Casas n’y refuse toujours pas le principe de colonisation, il veut pacifier le continent par des protecteurs, les « Caballeros ». Pour lui, il y aura reconnaissance du roi quand il y aura reconnaissance de Dieu et qu’ainsi les indigènes paieront avec plaisir un impôt d’une valeur d’un joyau.
Las Casas part ensuite en voyage au Panama et au Nicaragua avec deux disciples nommés Angulo et Latrada et assiste à Granada au départ des esclaves pour les mines du Pérou. Ils meurent en masse sur les routes. Las Casas ne le supporte pas et, alors qu’il prépare une prédiction sur l’évangélisation pacifique, le gouverneur prépare une attaque contre les tribus insoumises et lui propose de s’y joindre comme aumônier. Las Casas manifeste et s’insurge contre une telle proposition et menace d’excommunier tous ceux qui s’engageraient dans une telle lutte. Au bout de dix mois la situation est intolérable et il doit partir.
Ils vont à Santiago au Guatemala où ils ont l’appui de l’évêque Maroqquin qui a appris le Quechua. En 1537, en métropole , les colons sont mis en cause par toute l’église à la suite de la promulgation de la bulle Sublimis Deus qui reconnaît l’humanité des indiens. D’ailleurs, l’année précédente, la réapparition en Floride du trésorier de Narvaez et de trois de ses commandants après neuf ans de disparition grâce aux indigènes appuie les thèses des indigènistes.
Devant cette levée de boucliers les colons défient Las Casas d’évangéliser la « Terre de Guerre », un territoire non conquis. Le prêtre obtient alors du gouverneur cinq ans sans conquêtes dans ce territoire, seuls les religieux y sont autorisés. En deux ans seulement quatre caciques (des chefs de tributs) sont baptisés aux abords de la zone. Mais en Mars 1540 il retourne en Espagne. Son but est de recruter de nouveaux missionnaires. Il part avec plusieurs lettres de recommandation. Il se fera remplacer dans cette tâche par Louis Cancer. À son arrivée en Espagne, Charles Quint est en Flandres, et en attendant son retour, Las Casas étudie à Salamanque notamment. Il y rencontre le père Francisco de Vitoria (1480-1546) un universitaire de Salamanque, créateur du droit international moderne. Il commente Saint Thomas et aboutit à des idées proches de celles de Las Casas sur l’évangélisation des Indes en opposition à l’impérialisme. Il définit la guerre juste et annonce qu’elle doit être déclarée par l’autorité légitime, son objectif est de rétablir la paix. Elle doit être conduite avec des intentions droites et doit viser la réparation d’injustices graves. Il n’y a donc pas de guerre juste aux Amériques.
C’est à cette époque qu’il écrit la « Brevissima » ou « très brève relation de la destruction des Indes » où il explique que les indiens sont bons, gentils, ouverts. Ce sont des brebis dont l’Église et l’Empereur sont les pâtres et les conquistadores des loups. Il retranscrit des témoignages, par régions conquises, avec l’Hispañola, Cuba, la Terre Ferme, la Nouvelle-Espagne et ainsi de suite, pour toutes les provinces des colonies espagnoles. Il y présente les cruautés dont sont victimes les indigènes et les structures qui les exploitent. C’est sa publication, dix ans plus tard, qui sera à l’origine de la « Légende Noire ». Les ennemis de l’Espagne y ont vu un moyen d’attaquer l’Espagne sur ses comportements vis à vis des indigènes. En effet, la France ou l’Angleterre ont pu nourrir leur haine de l’Espagne en argumentant principalement sur les exagérations de Las Casas ce qui porta un certain discrédit sur le protecteur des indigènes.
Le « huitième remède » est un autre écrit de l’époque où Las Casas attendait le retour de l’Empereur. Il y explique au roi qu’il a été trompé par les encomenderos, qu’il ne protège pas les indiens comme le recommande la mission qui lui a été donné par le Pape et ce malgré lui. Il pousse son argumentation, « même si votre majesté devait perdre sa domination royale sur ces peuples et renoncer à leur conversion, cela vaudrait mieux pour Elle que la situation actuelle où les indiens sont voués à une destruction complète, car la loi chrétienne défend absolument de faire le mal pour que le bien s’ensuive ».
Fin 1541, l’Empereur est de retour. Le 26 janvier 1542 Las Casas est introduit auprès de Charles Quint. L’Empereur est indigné par le résumé de la « Brevissima » et réforme le Conseil des Indes. Treize hommes en commission sont chargés d’une nouvelle législation. La première session est présidée par l’Empereur et Las Casas. En Novembre 1542 sont rédigés les « lois Nouvelles » qui se composent de quarante articles qui peuvent se diviser en quatre dispositions principales : elles proclament :
- la liberté naturelle des indiens et oblige la remise en liberté des esclaves,
- la liberté du travail, limitent les charges et interdisent les pêcheries de perles,
- la liberté de résidence et la libre propriété des biens, punissant ceux qui seront violents ou agressifs envers les indiens,
- elles abolissent le système des encomiendas.
La nouvelle de la parution de ces lois provoque au nouveau monde des révoltes. Las Casas est fustigé. Une guerre civile éclate au Pérou, des espagnols rentrent sur le vieux continent, des noirs, oubliés par ses lois se révoltent. C’est l’anarchie dans les vice-royaumes. En 1546, les lois sont abrogées, l’encomienda est juste interdite aux curés. Le prince Philippe chargé de la régence du royaume est entouré d’opposants à Las Casas. Pour qu’il soit moins dangereux ou inquiétant pour les richesses des colonies on lui propose un évêché à Cuzco, le plus riche. Il refuse pour cette raison car c’est en opposition avec ses prêches. On lui propose alors un nouvel évêché au Chiapas, situé au Sud du Mexique, la capitale est Ciudad Real. Le climat y est dure, la population y est pauvre mais les plantations prospèrent. Il accepte ce poste pour l’application de « ses » lois nouvelles.
Il rêve d’une république chrétienne par la fondation de monastères et s’entoure de trente quatre religieux, dominicains et franciscains. La nomination a lieu le 19 Décembre 1543 et est consacrée le 21 Mars 1544. Le voyage se fait en convoi mais il doit attendre quatre mois avant le départ.
Le 11 Juillet 1544 il s’embarque. Son bateau, le San Salvador, est mal arrimé et mal piloté. À son arrivée au Mexique, il est très mal accueilli et doit se réfugier chez les Franciscains où il apprend la suspension des lois nouvelles. Il prend la route pour le Chiappas. Un navire fait naufrage et neuf missionnaires meurent. Son voyage annonce les difficultés de sa tâche. Il arrive le 12 mars 1545, le dimanche de la Passion. Il demande la libération de tous les esclaves, en vain. Il désigne un seul confesseur, le Doyen Perera et menace d’excommunier les colons ce qui les effraie. Mais le doyen absout les colons et se fait excommunier par Las Casas. Les colons, fous de rage envahissent l’évêché et l’évêque manque de mourir. Il est obligé de fuir en « terre de guerre » qui a été convertie et qui est devenue la vraie paix ou « Vera Paz ». L’hostilité dont il est victime au nouveau monde l’oblige à retourner en Espagne en 1547 après avoir appris le revirement de l’Empereur sur les lois nouvelles. Les lois nouvelles ne sont pas totalement un échec, les tribus des indigènes restent réglementées, et l’encomienda tend à disparaître.
Las Casas retourne en Espagne à l’âge de 63 ans, il ne rentre pas pour sa retraite mais pour continuer le combat depuis le vieux continent. Il continue sa lutte pour une conquête pacifique par l’évangile avec comme modèle la « Vera Paz ». Il s’installe au couvent dominicain de Valladolid où il vit de recueillement, de silence, de travail et de prières. Il reste cependant proche de la cour, non loin des maîtres de théologie, des docteurs de Salamanque et de Vittoria mort en 1546. En 1550, il démissionne du Chiapas et obtient d’être remplacé par un confère dominicain.
Il est d’abord chargé de recruter des missionnaires franciscains, dominicains ou augustins ce qui lui permet de circuler à travers les différents couvents. Mais cette tâche ne lui suffit pas, il pense que pour que sa doctrine soit efficace, il lui faut l’enseigner lui-même. Il fait alors publier son « Manuel du confesseur » et pour que ses missionnaires ne soient pas corrompus au nouveau monde, il continue de leur envoyer ses écrits. Mais, malgré tout, il perd de l’influence sur la cour. Le régent, le Prince Philippe, sous l’influence de son précepteur l’impérialiste Sepulveda, se désintéresse de la cause indienne au profit de celle des colons et des fonds substantiels qu’ils rapportent des Indes.
En 1547, les « trente propositions juridiques » sont un traité de droit chrétien adressé au Conseil des Indes, où il annonce que les guerres au nouveau monde ont été injustes et qu’il faut libérer les esclaves. Il se justifie par le traité de Tordesillas de 1493 où l’autorité du roi se fait par l’accord des Caciques. Le sujet sera abordé à nouveau en 1553 dans le « Tratado Comprobatorio » ou « traité prouvant l’empire souverain que les rois de Castille possèdent sur les Indes ».
Sépulveda est un chanoine de Cordoue, traducteur d’Aristote. Il a longtemps séjourné à Rome où il s’est fait de nombreux amis. Il se fait avocat des Conquistadores dans « Démocrates Alter » : « des justes causes de la guerre ». Selon lui, la guerre est juste lorsqu’elle est ordonnée par l’autorité légitime, faite pour une juste cause et inspirée par une intention pure. Les indigènes sont des idolâtres qui commettent les pires crimes, ils sont de nature inférieure et donc appelés à être soumis à des hommes plus évolués, les Espagnols. « C’est un devoir de libérer les innocents. » Cet ouvrage reçoit l’approbation de l’archevêque de Séville, président du Conseil des Indes, et est bien reçu à la cour, mais il se voit refuser « l’imprimatur » par les universités notamment Salamanque. Las Casas y répond immédiatement en déclarant que la guerre est injuste à partir du moment où elle est l’instrument d’oppression.
Charles Quint, qui arrive à la fin de son règne, est troublé par ces remous. Il prend une double décision : réduire les expéditions de conquête et réunir une commission de quatorze théologiens pour mettre un terme aux discussions sur l’évangélisation des Indes. C’est le face à face entre Sepulveda et Las Casas qui se rencontrent dans une « joute » dont l’enjeu est leur doctrine et son application au nouveau monde. Elle commence en août 1550. Sépulveda ouvre le débat en parlant toute une journée. Las Casas répond par une lecture de cinq jours. Aux douze objections de Sépulveda, Las Casas répond par douze répliques. Il n’y a pas de conclusion officielle et chacun des duellistes s’estime vainqueur. Cependant, Démocrates Alter ne sera jamais imprimé en Espagne, et les guerres de conquêtes sont toujours suspendues. D’ailleurs, on peut lire dans une ordonnance de Philippe II, en 1573, « que les découvertes ne prennent pas le nom de conquêtes, car il est de notre désir qu’elles se fassent dans la paix et dans l’amour. »
En 1553, il quitte Séville où il préparait ses missionnaires, et s’en retourne à Valladolid où il se lance dans la rédaction de « l’histoire des Indes » et « l’histoire apologétique ». Il veut y rétablir la vérité sur la conquête des Indes, « la colonisation des Indes dont l’unique objet était la conversion des infidèles, a totalement sacrifié cette fin spirituelle aux moyens temporels ». Il consulte les archives depuis Christophe Colomb et lui reproche, tout comme à lui-même, l’esclavage des indiens aussi bien que des noirs. Son ouvrage va de la découverte en 1492 jusqu’à sa conversion dominicaine en 1522. Il y cumule de nombreux détails sur la conquête et s’appuie sur des chiffres probablement exagérés. Selon lui, il y avait trois millions et demi d’habitants sur l’île Hispañola en 1492. Il l’achève en 1559 et interdit sa publication avant 1600. Probablement par peur de la censure suite aux conséquences de la « Brevissima ». Elle restera en fait interdite jusqu’au XIXe siècle.
Son autre ouvrage « l’histoire apologétique » a pour thèse ces quelques lignes : « ces peuples des Indes égalent et même surpassent beaucoup de nations du monde, réputées policées et raisonnables : ils ne sont inférieurs à aucun ». Il défend donc la cause des indiens en leur vouant des vertus que l’on ne trouvent pas ailleurs, peut être même pas dans l’Espagne catholique. Divisée en 237 chapitres, elle traite de sujets divers, et d’une histoire morale de l’humanité, elle restera interdite elle aussi jusqu’au XIXe siècle.
A partir de 1562, alors que Philippe II fait de Madrid sa capitale, Las Casas ne sort plus guère de son couvent. Il prend de plus en plus au sérieux son rôle de protecteur des indiens et devient de moins en moins transigeant envers les colons. Cependant il reçoit de nombreux courriers et appels de Nouvelle-Espagne, preuve que son combat n’est pas vain. Par exemple, un certain Zorita, ancien officier de justice au nouveau monde lui écrit « pourquoi les Aztèques sont-ils des barbares ? Si ce sont eux qui me parlent et que je ne comprends pas, je serai pour eux un barbare.
Malgré ces preuves d’appui le combat de l’ancien évêque du Chiapas n’est pas fini. Le franciscain Motolinia, de son vrai nom Toribio de Benavente, se vantait en 1532 de deux cent mille baptêmes et estime qu’entre 1524 et 1540 neuf millions d’âmes avaient été sauvées. C’est un des douze premiers missionnaires du Mexique. Il se considère comme choisi par Dieu pour instaurer la paix, pour redonner au catholicisme une nouvelle vigueur face à la religion réformée qui fait des ravages en Europe. Selon Motolinia, « mieux vaut un bien accompli de force qu’un mal perpétré librement. » Il s’oppose par là-même à la doctrine d’évangélisation pacifique de Las Casas.
De plus, le dominicain apprend à regret que les colons du Pérou offrent de l’argent au Prince Philippe pour obtenir la perpétuité des encomiendas . Le Prince va succéder à son père en 1556. Son confesseur, Bartolomé Carranza ami de Las Casas le tient au courant de toutes les affaires. Par son intermédiaire, il fait parvenir au Prince une « Grande Lettre » où il expose les devoirs du Prince, dictés par Dieu, vis à vis des Indes. Il y condamne aussi, une fois de plus, l’esclavage et la condition des indigènes. Philippe II en arrivant au pouvoir inaugure une nouvelle politique indienne. Le Conseil des Indes est chargé d’accorder les licences d’imprimer et il suspend l’interdiction des conquêtes nouvelles. Comme Las Casas est moins écouté qu’autrefois, il s’efforce d’agir sur les consciences du nouveau monde par l’envoi de missionnaires rattachés à sa cause. C’est désormais un des rares moyens qu’il ait pour continuer son combat. Le Conseil des Indes le considère d’ailleurs comme dangereux à cause justement de l’influence qu’il a sur le monde religieux.
Il continue à critiquer l’actualité du nouveau monde tels que les pillages des sanctuaires Aztèques et Incas par les conquistadores et l’exploitation abusive des mines et de la main-d’œuvre indigène. Il demande « la mainmise des espagnols sur ces empires est-elle légale ? » et il rajoute « aucun roi, aucun seigneur, aucun village, aucun particulier de ce monde des Indes, depuis le premier jour de sa découverte jusqu’à aujourd’hui 30 avril 1562 n’a reconnu de façon libre et légitime nos illustres rois... toutes les décisions de ceux ci sont invalides. » Il argumente ainsi l’illégitimité des vols dont sont victimes les peuples du nouveau monde. Ce traité intitulé « de thesauris » aboutira à ce que Philippe II retire tous ses fonctionnaires d’outre-mer. En 1563 se profile son dernier combat. Un frère prêcheur du Pérou nommé De la Vega présente au conseil un mémorial nommé « Douze doutes », où il présente douze cas de conscience sur le comportement des conquistadores au Pérou. Il obtient des mesures de protection qui le laisse sceptique et confie son écrit à différents théologiens dont Las Casas. En janvier 1564 l’évêque rédige sa réponse. C’est une sorte de testament doctrinal où il reprend un à un les douze cas de conscience. Il précise les obligations de restituer, de réparer, et permet aux descendants d’Atahualpa de faire de justes guerres contre les espagnols et affirme que le roi catholique doit réintégrer l’Inca dans ses fonctions. Il lui proposera de recevoir un enseignement de la foi chrétienne qu’il sera libre ou non de recevoir. S’il l’accepte, il pourra obtenir la reconnaissance de Philippe II comme monarque et protecteur. Il sera aussi libre d’accepter le pardon des injustices dont ont été victimes ses fidèles. Il joint à ce texte une supplique pour Philippe II réclamant une réunion de théologiens pour statuer définitivement sur le cas des Indes, ce qui n’a apparemment pas ému le roi. Depuis 1560 Las Casas a quitté Valladolid pour suivre la cour à Madrid. Il s’installe au couvent de Notre-Dame d’Atocha où il rédige les Douze doutes, mais aussi un testament, le 17 mars 1564 en présence d’un notaire. Il y résume avec force un combat qui dure depuis plus de cinquante ans et reprend les grands thèmes de sa lutte.
Jusqu’à sa mort en 1566, à quatre-vingt-douze ans, Las Casas apparaît comme le médiateur privilégié de tous ceux qui, aux Indes, cherchent à modifier le statut de l’indien et arrêter l’extermination. Les attaques dont il fut victime, suite à la Légende Noire et à son influence sur la création des lois nouvelles, ne l’ont pas empêché de mener une lutte presque sainte et, selon lui, dictée par Dieu. Il reste un des hommes les plus controversés de son temps, mais aussi un des plus reconnus de notre temps.
[modifier] Voir aussi
[modifier] Articles connexes
- Controverse de Valladolid
- Massacre des Indiens d'Amérique
- Missions catholiques aux XVIe et XVIIe siècles
[modifier] Liens externes
- site en anglais
- site de l'Institut des Droits de l'Homme de l'université Carlos III, en espagnol
- Indiens et Barbares
- Domuni
- Ordre des Prêcheurs
- Biographie de Bartolomé de Las Casas
[modifier] Bibliographie
- Très brève relation de la destruction des Indes
- Histoire des Indes
- André Saint Lu, Las Casas indigéniste
- Charles Gillen, Bartolomé de Las Casas
- François Orhant, Bartolomé de Las Casas
- Marianne Mahn-Lot, Bartolomé de Las Casas et le droit des indiens, Payot, 1995 (nouvelle édition), coll. le regard de l'histoire.
- Marianne Mahn-Lot, Bartolomé de Las Casas, une théologie pour le Nouveau Monde, Desclée de Brouwer, 1991, coll. Prophète pour demain.
- Marianne Mahn-Lot, L'Evangile et la Force / Bartolomé de Las Casas, présentation, traduction, choix de textes, éditions du Cerf, 1991 (3ème éd.).
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