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Cent-Jours

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Le terme Cent-Jours désigne la période de l'Histoire de France comprise entre le 1er mars (retour en France de l'empereur Napoléon Ier) et le 18 juin 1815 (défaite de Waterloo).

Pour le détail des événements qui se sont déroulés au cours des Cent-Jours, voir l'article Chronologie de la France pendant les Cent-Jours (1815).

Sommaire

[modifier] Le retour de l'empereur

Février et mars 1814 verront, sur la Seine et la Marne, l'Empereur Napoléon chausser ses bottes de 1793 pour défendre le territoire, pied à pied contre toute l'Europe coalisée. Aiguillonnés par Pozzo di Borgo et Talleyrand, les Alliés finissent par arriver sous Paris tandis que Napoléon veut les couper sur Saint-Dizier. Après une course poursuite, il arrive trop tard et doit se replier sur Fontainebleau.

Il charge son grand écuyer Caulaincourt de négocier avec le Tsar Alexandre, descendu chez Talleyrand, rue Saint-Florentin. Caulaincourt a été ambassadeur en Russie et s'est lié d'amitié avec le Tsar. Il négocie une abdication a en faveur du roi de Rome, fils de Napoléon. Le Tsar, qui déteste les Bourbons, n'est pas opposé, mais apprenant la défection du maréchal Marmont, placé en avant-garde à Essonnes, il impose l'abdication sans conditions de Napoléon, désormais à découvert, au château de Fontainebleau.

Pour ne pas laisser une guerre civile se développer, Napoléon abdique après avoir vainement essayé de rallier les maréchaux. Le Sénat appelle « librement », Louis-Stanislas-Xavier de Bourbon, comme « Roi des Français, selon le voeu de la nation ».

Comme le Tsar a promis un établissement hors de France digne de l' Empereur Napoléon, il propose la Corse à Caulaincourt, qui refuse car faisant partie intégrante de la Nation et demande la Sardaigne. Alexandre à son tour rejette la proposition cette île appartenant au Roi du Piémont. Sur la mappemonde, son doigt glisse sur l'île d'Elbe et cet îlot sera retenu, Caulaincourt préconisant que cela vaut mieux que rien, car bientôt on trouvera les Anglais et les Prussiens moins accommodants...

Le traité de Fontainebleau du 11 avril 1814 stipule que Napoléon garde son titre d'Empereur, reçoit en pleine souveraineté l'île d'Elbe ainsi qu'une rente de 2 millions de francs du gouvernement français. L'Impératrice Marie-Louise devient duchesse de Parme, Plaisance et de Guastalla, finalement voisine de l'île d'Elbe.

Le 20 avril sont les « Adieux de Fontainebleau ». Napoléon embarque à Fréjus et entre à Portoferraio le mardi 3 mai. Ce même jour Louis XVIII fait une entrée triomphale à Paris.

Le traité de Fontainebleau n'est pas respecté, la rente n'est pas payée et Napoléon apprend qu'au Congrès de Vienne, il est fortement question de l'exiler aux Açores ou à Saint-Hélène D'autre part par son favori Cipriani, envoyé en Autriche fin 1814, il apprend la trahison et l'infidélité de son épouse Marie-Louise. Il comprend aussitôt qu'il ne reverra plus sa femme et surtout son fils, l'Aiglon, retenu à Vienne, qui bientôt deviendra Franz, prince autrichien.

Pour Napoléon, le départ est inéluctable et il va tenter le tout pour le tout.

Ce mercredi 1er mars, prévu à Fréjus, le débarquement se fera à Vallauris dans le golfe Juan. Napoléon qui a habité le Château Salé à Antibes en 1794, connaît très bien la région. C'est en plein jour, ce mercredi 1er mars, au vu et au su de tous que l'opération se déroule, devant les douaniers surpris ; un premier bibouac est installé sur le rivage de ce qui est désormais Golfe-Juan, importante station balnéaire, endroit quasi désert en 1815. « L'invasion du pays par un seul homme » commence...

Napoléon a prévenu le général Cambronne commandant l'avant-garde « Vous ne tirerez pas un coup de fusil ». La surprise et la rapidité sont les cause essentielles de la réussite de cette épopée épique. À la nuit, on rejoint Cannes par les dunes et on couche autour des feux à proximité de la Chapelle Notre-Dame de Bon-Secours, à un jet de pierre de l'actuel Palais du Festival et de son célébrissime tapis rouge. Cambronne, toujours en avant de quelques heures, est parti pour Grasse le chef-lieu important de plus de 10 000 habitants, avec ses fabriques d'huile, parfums, gants.

On contourne par le Jeu-de-Ballon et on pause sur le terre-plein de La Foux pour faire des provisions. Il n'y a pas de voie carrossable pour gravir la montagne puisque la route n'a pas été terminée. Ordonnée durant l'Empire la route de Sisteron à Grasse a été commencée à l'autre bout et Grasse-Digne se parcourt par les sentiers muletiers qui ont pris la place de la route du sel du Moyen-Age qui elle-même remplace la voie romaine.

Ce premier jour, jeudi 2 mars, 64 kms seront effectués jusque Séranon où l'on bivouaque dans la neige à plus de 1 000 mètres.

Vendredi 3 mars, dès l'aube on se met en marche pour atteindre Castellane où l'on pourra acheter de nombreux chevaux et mulets, car c'est jour de marché. Napoléon est acueilli à la sous-préfecture. Ce sera l'unique fois car le sous-préfet, M. Francoul, a été destitué par Louis XVIII et attend son remplaçant. Il ne fait donc aucune difficulté pour recevoir les Elbois. Après le repas on prend une mauvaise route enneigée par le col des Lèques et on longe la rivière l'Asse pour arriver à Barrême où Cambronne a fait le logement chez le juge Tartanson, après avoir marché 44 kms pratiquement en file indienne.

Samedi 4 mars, par le Col de Corobin, on descend sur Digne-les-Bains où l'on retrouve la route qui court le long de la Bléone. L' Empereur est descendu à l'auberge du Petit-Paris, tandis que Cambronne file sur Malijai réquisitionner le château des Noguier et que le général Drouot, qui commande l'arrière-garde, fait imprimer des déclarations. On se remet en marche militairement.

En tête marche le colonel Mallet avec les 3 compagnies de chasseurs à pied de la vieille garde, les marins et les lanciers polonais montés au fur et mesure des achats de chevaux. Ensuite vient le capitaine Loubers avec 3 compagnies de grenadiers, les canonniers et une trentaine d'officiers sans troupe. C'est dans ce groupe que se trouve l' Empereur, l'état-major et le trésor. Les fusilliers du bataillon corse du commandant Guasco feremnt la marche. Le général Drouot, avec un peloton, demeure en arrière-garde. Il reste à Digne quelque temps pour attendre que l'imprimeur ait fini son travail.

Pendant que l'on bivouaque dans les jardins du Château de Malijai, devenu désormais la Mairie, à l'endroit où la Bléone se mêle à la Durance, Cambronne est parti en avant sur Sisteron où il serait facile de faire sauter le Pont de la Baume et d'arrêter la troupe impériale. Cambronne a bien maneouvrer et envoie un lancier polonais, en estafette, prévenir que la voie est libre.

Au petit matin de ce dimanche 5 mars, Napoléon rassuré se met en route par L'Escale et Volonne sur la rive droite de la Durance et pénétre à Sisteron par la Porte du Dauphiné. Contraint, le maire M. de Gombert fait bonne figure et on déjeun à l'auberge du Bras d'Or tenue par le grand-père du poète Paul Arène.

On ne traîne pas car il faut être à Gap ce soir, au terme d'une étape de 69 kms. Par La Saulce puis Tallard on est aux lanternes Porte Colombe. La colonne débouche sur la Place Jean Marcellin, où un piquet de la garde nationale présente les armes pendant que le tambour bat « Aux champs ». Il est 11 heures quand l'Empereur arrive rue de France où Cambronne a réservé à l'hôtel du Sieur Marchand, qui, aujourd’hui offre une superbe façade ocre avec au sommet une fresque peinte représentant Napoléon à la tête des grognards à la rencontre des habitants de Gap. L'accueil est enthousiaste et Napoléon fera un don pour ouvri des refuges en montagne les toujours célébres « Refuges Napoléon ».

Lundi 6 mars, matinée libre pour un repos bien mérité. On se quitte Gap par le petit pont de Burle et on monte le Bayard qui culmine à 1 246 mètres, pour descendre vers le Drac et Saint-Bonnet-en-Champsaur où la population acclame l'Empereur et veut se joindre à lui. En longeant la rivière on monte par Chauffayer vers Corps où Cambronne a fait la soupe et le logement.

Mardi 7 mars, jour le plus long. « Aventurier à Corps, Prince à Grenoble... »

Très tôt, après avoir jeté un coup d'oeil à L'Obiou (2 159 mètres), on se met en route pour Grenoble. Cambronne, comme à son habitude, marche avec quelques heures d'avance avec une compagnie de grenadiers et quelques estafettes polonais. Il a ouvert la route en empêchant des soldats royalistes venus de Grenoble avec pour mission de faire sauter le Pont-Haut, à l'entrée de La Mure. Le général Marchand qui commande à Grenoble est fermement décidé à arrêter l'imposteur et à l'enfermer au Fort Barraux. Il a envoyé le Bataillon du Commandant Lessard qui a pris position à Laffrey, défilé étroit entre la colline et le lac. C'est là que se déroule à la « Prairie de la Rencontre » ainsi nommée par Stendhal, la fameuse scène immortalisée par le peintre allemand Steuben : Napoléon ouvrant sa redingote s'avance devant les soldats royalistes et leur cri : « Soldats du 5e ! Reconnaissez votre Empereur ! S'il en est qui veut me tuer, me voilà ! »

La rampe de Laffrey descend sur Vizille. Napoléon passe devant le Château de Lesdiguières là où en 1788 eut lieu la réunion des états du Dauphiné. C'est maintenant le Musée de la Révolution après avoir été Résidence des Présidents de la République. On monte vers Eybens et sur le plateau de Brié-et-Angonnes, l'Empereur rencontre le régiment de La Bédoyère venu à sa rencontre. Le colonel La Bédoyère ne quittera plus Napoléon qui en fait son aide de camp. À Waterloo, il sera l'un des derniers à quitter le champ de bataille. Après la seconde abdication, il envisage de s'exiler en Amérique. Revenant, clandestin, une dernière fois embrasser sa femme et son jeune fils, il est démasqué par un policier, emprisonné et jugé. Le juge, en se servant des cocardes sorties du tambour, fera admettre la préméditation, et Charles de La Bédoyère sera condamné à mort et sera fusillé le 19 Août, plaine de Grenelle.

A Eybens, une petite halte à l'Auberge Ravanat où la Mère Quoâ lave les pieds de l'Empereur dans une marmitte toujours exposée à la mairie d'Eybens. Une longue ligne droite mène à la Porte de Bonne que le général Jean-Gabriel Marchand tient close. Il faudra des heures pour que la population parvienne à l'enfoncer et c'est à la nuit que Napoléon entre place Grenette et va prendre son lognement, non à la Préfecture, mais à l'Hôtel des Trois Dauphins, rue Montorge, là où il était descendu, jeune lieutenant artilleur en garnison à Valence, en 1791...

Deux jours passés dans sa bonne ville de Grenoble ont permis à l’Empereur de soigner un rhume, de recevoir les autorités, d’édicter les premier décrets et surtout d’envoyer, par Turin, un courrier à Marie-Louise, lui donnant rendez-vous à Paris…

Jeudi 9 mars, dans l’après-midi, la colonne quitte Grenoble par la porte de France. Elle s’est grossie de quelques compagnies organisées par le général Auguste Debelle. Après un arrêt à Voreppe, nouvelle halte à Moirans, Napoléon s'arrête souper à Rives à 8 heures du soir, à l' Hôtel de la Poste. Il pleut lorsqu' on se remet en route pour arriver à Bourgoin à 3 heures du matin. Malgré l'heure tardive, la ville est illuminée, et l' Empereur est ovationné par une foule impatiente. La Garde Nationale lui présente les armes et l' Empereur descend à l' Hôtel du Parc, rue Impériale, tenu par Antoine Guillard. C'est là qu'il séjourna avec l' Impératrice Joséphine, le 16 avril 1805, en route vers l' Italie.

Napoléon a quitté Bourgoin à 3 heures de l' après-midi et passant par La Verpillière, il fait étape avec son état-major, à l' Hôtel de l' Aigle à La Guillotière, à l’époque, bourg indépendant de Lyon, avant de descendre coucher à L' Archevêché. Vendredi 10 mars, entrée triomphale dans Lyon que le Comte d'Artois, frère de Louis XVIII, aidé du maréchal Macdonald, voulait défendre en barricadant le pont de La Guillotière. Ils n'ont eu que le temps de galoper pour ne pas être pris...

Samedi 11 mars à Lyon, descendu au Palais de l'Archevêché, Napoléon passe en revue des troupes Place Bellecour. Napoléon dira à Sainte-Hélène tout le plaisir retrouvé " J'étais redevenu une grande puissance..." Nouveau courrier à Marie-Louise...

Dimanche 12 mars, grosse journée de travail. Pas moins de 11 décrets promulgués.

Lundi 13 mars, départ de Lyon à 13 h. par Villefranche où il est à 15 heures. Il descend à l'Hôtel de ville pour déjeuner. 60.000 personnes sont assemblées. Il arrive à Mâcon le soir de ce lundi à 19 h. et descend à l'Hôtel du Sauvage. Le soir à Mâcon, il peut se déclarer mécontent du peu de résistance qu' offrit en 1814 la ville de Mâcon face aux Autrichiens. Les habitants lui répondirent " Pourquoi nous avoir donné un si mauvais maire ? " . Le préfet Germain s'est enfui la veille, après avoir publié un libelle injurieux. Napoléon hausse les épaules :. - Je l'ai fait pourtant autrefois, chambellan et comte. Ce petit Germain s'est cru obligé de fuir ? Il nous reviendra." La Garde a rejoint par coche d'eau sur la Saône.

C'est ce jour fatal qu' est annoncé le message de " L' Assassinat" virtuel par les Souverains réunis au Congrès de Vienne d'un texte vengeur inspiré par Talleyrand interposé... Quand Napoléon en prendra connaissance dans peu de jours, il en sera abatttu.

Mardi 14 mars, Réveillé de bonne heure mais avec toujours ce gros rhume qui le fatigue, Napoléon demande le maire un négociant en vins nommé Bonne, qui s'est enfui avec le préfet. Un adjoint Brunet rentre maladroit. Napoléon s'amuse à l'embarrasser : - Dites moi vous avez bien reçu la duchesse d'Angoulême l'an dernier ? - Sire...les circonstances... - Mais vous avez bien fait ! N'est-elle pas ma cousine ?

Départ de Mâcon en fin de matinée, puis Tournus, qui obtiendra la légion d'Honneur pour ses combats de 1814. La foule est si dense qu'on doit s'arrêter souvent. Le peuple crie " le Père la Violette ! ". On arrive enfin à Châlons vers les 22 h. Se présente une députation de Dijon qui a expulsé son maire et son préfet... Il couche à l'Hôtel du Parc A partir de Châlons, l' Empereur, ce 15 mars 1815, emprunte la route d'alors qui monte par le nord-ouest vers Autun

Mercredi 15 mars 1815, Départ de Châlon à 10h. Napoléon a nommé de nouveaux préfets et sous-préfets à la place des absents. Il nomme à la tête de la 18° division militaire le général Devaux, et remet la légion d'honneur au maire de Saint-Jean-de-Losne pour sa belle tenue l'an dernier. On prend la route de Bourgogne qui passe par Autun et non la RN 6 qui passe par Chagny. La pluie redouble que le froid transforme en neige mouillée. A Autun, Napoléon, enrhumé, destitue et remplace les magistrats municipaux et va se coucher à l'Hôtel de la Poste, pas très content de devoir encore aller à l' auberge... Dans la nuit, un officier d'ordonnance du maréchal Ney qui est à Lons-le-Saunier, le baron Passinges vient lui apporter l'adhésion du Rougeaud. Napoléon écrit vite un billet : " Mon Cousin, conservez votre commandement. Mettez sur le champ vostroupes en marche et venez me rejoindre à Auxerre, je vous recevrai comme au lendemain d'Elchingen et de la Moskowa."

Jeudi 16 mars 1815, Départ d'Autun, pour se diriger sur Chissey, le Morvan et ses forêts épaisses... 20 lieues de route jusqu'à Avallon acclamé par les paysans qui crient en roulant les R : " Vive l' Empairreurr ! " On relaie à la Pierre Ecrite et on descend sur Saulieu où l’on retrouve la RN 6 qui vient d’Arnay-le-Duc Napoléon en calèche à six chevaux, escortés par les Polonais, rouges et or, menant Tauris son cheval " blanc persan "... On file sur ces montagnes russes, La Roche-en-Brenil, Rouvray aux portes de l'Yonne, Cussy-les-Forges. A Avallon, au milieu de la population portant des drapeaux tricolores, le général Girard est là avec deux nouveaux régiments.

Vendredi 17 mars, Napoléon quitte Mr. Raudot maire d'Avallon, direction Auxerre où on a prévenu qu'il serait reçu officellement à la préfecture... A midi, relai à Vermenton. Vers les 4 h. cinq voitures apparaissent dans la côte, d'abord celle du préfet Gamot, le beau-frère du maréchal Ney, venu à la rencontre de Napoléon, avec son sous-préfet Audibert, puis celle du général Drouot toujours l'air sévère, celle de l' Empereur accompagné du grand-maréchal Bertrand, une simple voiture de poste autour de laquelle caracolent les Lanciers Polonais avec les colonels Jermanwski et Du Champ et le capitaine Raoul. Suivent la voiture des secrétaires Fleury de Chaboulon, Rathery, Champollion et dans la dernière les gens du service : Marchand, le géant Noverraz, un joyeux luron Gentilini, le Parisien Mameluk Ali... La voiture pénétre dans la Préfecture par une porte neuve, reconstruite en 1810 après que l'on ait démolie l'ancienne pour dégager le maréchal Davout, prisonnier dans sa voiture coincée entre les pierres... Sur la cheminée du salon on a mis les bustes de Marie-Louise et du roi de Rome... Le soir vers 6 h. Napoléon demande sa vieille redingote et son vieux chapeau et s'en va passer en revue, Place St Etienne, le 14° de Ligne du colonel Bugeaud.. A 8 heures quand l' Empereur se lève de table et que la musique du 14° joue " Veillons au salut de l'Empire ", une voiture s'arrête à 100 mètres de la Préfecture : Ney descend à l'Auberge de la Commanderie...

Samedi 18 mars, A Auxerre, 7 h. du matin, la journée commence par la question rituelle : - Marchand quel temps fait-il ? Le 1er valet de chambre, fine silhouette dans son habit à la française de drap vert, parements et collet brodés d'or, gilet de casimir blanc, culotte noire et bas de soie, ouvre les volets : - Pas meilleur qu'hier Sire ! Hélas ... Sitôt enveloppé dans sa robe de chambre, Napoléon assis au coin du feu, parcourt les journaux arrivés de Paris et les dépêches interceptées. Il prend un bain très chaud et se fait lui-même la barbe pendant qu' Ali lui tend un grand miroir. Marchand tient le savon et la cuvette, avant de le frictionner très fort à l'eau de Cologne, tandis que Napoléon chante faux, entre ses dents, La Marseillaise qu'il entend depuis quelques jours...

- Faites entrer le Prince de La Moskowa !

" C'est par l'intérieur que passa le maréchal. Il resta quelques instants dans la pièce voisine de la chambre à coucher. Ses yeux étaient pleins de larmes. On a dit qu'il avait eut quelque peine à se décider à venir voir l' Empereur. Il était seul, l' Empereur ne le fit pas attendre. Je crois que ce fut le Grand Maréchal Bertrand qui l' introduisit dans la chambre à coucher..." (Ali)

Tempête sous un crâne, depuis quelques jours le maréchal Ney dormait mal. Pris entre le marteau et l'enclume, il ne savait plus où était son devoir. Sa charmante épouse Aglaé Auguié, nièce de Mme Campan, subissait sans cesse des brimades à la cour de Louis XVIII. Michel Ney souffrait des persécutions de son épouse , comme il souffrait de voir le peu de cas que faisait les nouveau parvenus au pouvoir qui oubliant les 20 années écoulées... Il avait aussi en mémoires son attitude à Fontainebleau. Pour l'heure il venait de Besançon, où Soult ministre de la Guerre l'avait expédié pour marcher au devant des Elbois, puis de Lons-le-Saunier où il avait donné congé à ses divisionnaires Lecourbe et Bourmont. La défection du maréchal. Ney fit forte impression dans la capitale. En Hollande, le Prince d'Orange, souverain des Pays-Bas depuis quelques mois, publie une patente où il déclare prendre les titres de Roi des Pays-Bas et Duc du Luxembourg. A Bruxelles, il passe en revue les troupes, qui prête serment à Guillaume, par la grâce de Dieu, Roi des Pays-Bas, englobant la Belgique que le Congrès de Vienne a décidé de réunir à la Hollande... La foule regarde passer l' état-major Hollandais et vers le soir, les troupes descendent, ouvrir la voie aux alliés Anglais annoncés. Ils passent par une chaussée pavée dans un village, comme tous les autres villages, Waterloo...

Ceux qui voulaient se reposer à Auxerre en sont pour leur frais. Napoléon réunit les bateliers et les retient pendant une heure. Ils sont médusés de voir qu'un Empereur en sait sur la batellerie autant qu'un marinier. Les troupes vont remonter par le coche d'eau, en péniches, barques, tout ce qui flotte...

La Garde, arrivée à Chaumont, aux ordres du maréchal Oudinot, quitte son maréchal, qui remonte chez lui, planter ses choux comme une demi-douzaine de maréchaux, dans sa propriété de Jean d'Heurs...Ce 18 mars la Garde remet sa cocarde tricolore...

Ce même jour, le Duc d' Orléans est à Cambrai accompagnant le maréchal Mortier... Il pense fort que Napoléon va faire tomber la branche aînée, puis sera chassé par les Souverains Alliés et que lui n'aura qu'à tirer les marrons rôtis, du feu... Boulevard Saint-Germain, de bonne heure de grosses berlines bourrées de bagages ont filé comme en 89. Des domestiques restent pour secouer les tapis, sortir les housses et fermer les persiennes. Le Duc de Richelieu fait appeler le Comte de Rochechouart - Tout va mal finir mon cher...Dans le danger que court le Roi, je ne puis l'abandonner... Voici 10.000 franc-or que Ouvrard m' a procurés. Si vous avez quelque argent, réalisez-le et faites vos préparatifs. Vous avez deux chevaux, prêtez-m'en un, nous partirons ensemble dans quelques heures sans doute...

Ouvrard, Lafitte et les vingt grands banquiers qui tiennent en main toutes les fortunes de France sont les hommes les plus occupés du jour : plus de 20 millions de francs vont changer de mains.

Le journal Le Moniteur annonce que le calme a été rétabli à Lyon, que le général Marchand a reconquis Grenoble, et Napoléon est pris en tenaille par les troupes remontant le Rhône et l'armée rassemblée près de Melun sous les ordres du Duc de Berry secondé par le maréchal Macdonald.

Vive discussion entre Berry et Macdonald qui part vers le roi offrir sa démission... Louis XVIII n'accepte pas. Il demande au Roi de lui dire en cas d'évènements dans quel département il se propose de se retirer - Dans la Vendée, répond Louis XVIII ... - Dans ce cas tout est perdu, si votre Majesté prend cette direction, Elle y a sans doute, des partisans plus qu'ailleurs, mais le plus grand nombre restera inactif : il est fatigué, rassasié de guerre civile. Vous y serez poursuivi, on s'emparera des côtes et toute retraite sera impossible. Rendez vous en Flandre, l'esprit des départements du Nord et du Pas-de-Calais vaut mieux qu'ailleurs... L'une ou l'autre des places servira de ralliement où vous pourrez établir votre gouvernement..."

Les généraux Maison et Dessolles, fidèles au Roi, viennent dire à Blacas favori du Roi, qu'ils se tiennent prêts à sacrifier leur vie en attaquant Napoléon. Mais que leur résistance ne serait jamais pardonnée et qu'en cas d'échec ils perdraient leur fortune et devraient s'exiler... Il leur fut compté à chacun 200.000 francs. La bourse tombe à 66 francs, étant à 78 le 5 mars...

Autre débandade, chez les Libéraux, anciens Conventionnels, ralliés et assis entre deux chaises, on s'esquive : La Fayette rentre en Auvergne. Mme de Staël ferme son salon. Dans ce désarroi, Chateaubriand suggère de se ranger autour du Roi pour se faire égorger... Seule Juliette Récamier garde la porte ouverte et Benjamin Constant, qui vient de terminer son Adolphe, écrit un article qui paraîtra demain dans Le Journal des débats : " Il reparaît cet homme teint de notre sang ! cet Attila..."

L'après-midi dans les Jardins des Tuileries, un groupe de jeunes exaltés insulte un demi-solde, le frappe à mort et l'abandonne au coin de le rue St-Honoré, le crâne ouvert...Les Bonapartistes suite à cet incident restent cloîtrés...

Ce même jour, en Italie, Murat se met en marche pour Rome.

À Auxerre, Napoléon écrit à Marie-Louise, sa troisième lettre depuis son départ de l'île d'Elbe qu'un officier déguisé en négociant tentera de porter à Vienne: " Ma bonne Louise, Les peuples courent en foule au-devant de moi. Des régiments entiers quittent tout pour me rejoindre Je serai à Paris quand tu recevras cette lettre. Viens me rejoindre avec mon fils. J'espère t' embrasser avant la fin du mois "

Dimanche 19 mars,

C'est le Dimanche des Rameaux. L'Observatoire de Paris indique 8 degrés et une pluie fine, puis temps couvert pour la journée. Il y a eu des gelées dans l'Est et le Centre. Soleil sur la Méditerranée et Dauphiné. Les bords de l'Yonne sont saupoudrés de neige... La journée du 18, Napoléon a organisé le dernier bond qui le conduira à Paris. Par l'intermédiaire de Bertrand et de ses secrétaires, aide de camp il a fonctionné comme à la veille d'une bataille. Ce dimanche, Ali a changé la voiture qu'il trouvait trop "dure", les ressorts fatigués, pour celle du préfet Gamot, et, également, pour passer inaperçu... D'Auxerre à Joigny, voiture à six chevaux au grand galop. On relaie hors de la ville de Joigny pour aller plus vite. Les postillons se rangent dans une auberge du faubourg, on s'y arrête une heure pour une coalition et pour laisser les voitures suivantes rejoindre. Puis on traverse Joigny, ventre à terre, direction Sens... Pendant que l'Empereur galope sur Sens, M. de Marsilly, de garde parmi les Cent-Suisses, aux Tuileries " Jour de peine et de douleur. Temps pluvieux. Le Roi a été à la messe. que la musique était belle ! Est-ce la dernière fois que je l'entendrai ? Le Roi s'est montré au balcon. Que de cris " Vive le Roi ! ... Mais ce ne sont que des signes. L'armée abandonne le Roi. Ce bon Roi a été trompé jusqu'au bout. A 4 heures, il a été passé la revue des détachements de Sa Maison, et on chargeait les malles dans les voitures..." A cent kilomètres de là, Napoléon arrive à Sens où il faut s'arrêter tant la foule est nombreuse. Mr. de Laurencin, le maire vient se présenter. L' Empereur qui redoute une révolution sanglante dans la capitale, lui dit - " Les avants-postes sont aux mains. Il n'y a pas un moment à perdre pour empêcher le sang de couler, et ma présence seule peut tout rallier. "

Les nouvelles de la fuite du Roi ne tardent pas à arriver aux oreilles des 20.000 hommes du duc de Berry, échelonnés entre Villejuif et Essone : - 1er corps d'infanterie sous Maison, à Chevilly - 2 ème corps sous Rapp, à Bourg-la-Reine - Kellermann fils, avec la cavalerie en éclaireur Le général Belliard commande en second pendant l'absence du maréchal Macdonald. Le soir, ce maréchal leur fait passer l'ordre de se replier vers Saint-Denis pour monter sur Beauvais...

A la nuit Napoléon et sa suite arrivent à Pont-sur-Yonne. C'est une petite ville de 1.200 habitants. On relaie au bout du pont.

Epuisés par une étape de 18 lieues, on fait un bon repas et on se repose quelques heures... Cette nuit aux Tuileries, va se passer l'épisode le plus atroce de ce déménagement : on a égaré les pantoufles du Roi ! Au maréchal Macdonald, Louis XVIII soupire en montant enfin dans sa voiture, - " Vous verrez avec l'âge, l'importance d'avoir des pantoufles formées à son pied !..." Et Louis XVIII, qui avait déjà réussi son " Varennes " en 91, part courageusement vers Beauvais. Le duc de Berry et le maréchal Marmont qui commandait la maison du Roi, forment l'escorte. Tous les ministres partent dans la nuit...

Napoléon a quitté l'Hôtel de l'Ecu de Pont-sur-Yonne et Louis XVIII sa "bonne ville de Paris ".

Arrivé à Fossard, l' Empereur trouve alignés le long de la route des cavaliers emmitouflés. Ce sont le 13° Dragons de l'armée du Duc de Berry. Leurs officiers sont partis tandis que leurs hommes préfèrent rallier. Dans la nuit, en route pour Melun où il croit trouver l'armée du duc de Berry, voyant ses troupes échelonnées sans officiers, Napoléon décide de rentrer à Fontainebleau et bifurque sur Moret-sur-Loing. Arrêt à Moret à l'auberge " La Belle Image " tenue par Mme Clément, femme du maire. La mairie est toute bariolée et pavoisée de tricolore. Et comme c'était dimanche, tout le monde a bien bu et chante en attendant le convoi. Sans tambour ni trompette, l'Empereur débarque et demande à se reposer quelques instants. Il ne dormira que d'un oeil. On lui envoie des courriers tous les 1/4 d'heure. Jusqu'à Drouot, qui surprenant un gamin l'oeil collé au trou de la serrure, d'un coup de pied bien placé, envoie l'indiscret au pied de l'escalier. Le vacarme réveille l'Empereur. On reprend la route, Napoléon toujours inquiet de savoir Louis XVIII à Paris et redoutant un soulèvement populaire. On arrive à Fontainebleau. la ville dort mais le château est illuminé. Entrée dans la cour du Cheval Blanc, la cour des Adieux du 20 avril de l'an dernier ! L'Empereur épuisé monte les escaliers en fer à cheval, au bras de Bertrand. Il va aussitôt à sa chambre où brûle un bon feu de bois, se fait tirer les bottes et se couche à demi vêtu.

Lundi 20 mars, Le soleil se lève à 6 heures, il fait 8° c'est le printemps... Le général Haxo qui pense rejoindre Louis XVIII, trouve les Tuileries quasiment désertes. Lavalette à 7 heures a pris sur celui de prendre la direction de la Poste et prévient les maîtres de postes que l'Empereur sera là avant deux heures et de ne plus fournir de chevaux sans autorisation. Lavalette interrompt la publication du Moniteur. Aux Tuileries, le ministre des Finances a oublié 50 millions dans les coffres. Le Chancelier Pasquier interroge Cambacéres.

A Fontainebleau, Napoléon se lève avant 8 heures et prend un bain brûlant puis se fait frictionner. Pourtant Ali remarque qu'il n'a pas " récupéré et que, quoique il eût voyagé en voiture, depuis Grenoble il paraissait fatigué. " Revues sur revues dans la Cour du Cheval Blanc aux troupes qui arrivent sans cesse. Les Elbois montés par coche d'eau arrivent par Montereau. Bertrand qui n' a pas dormi est débordé. Comment nourrir tout le monde et toujours cette incertitude du côté de Melun....

A Vienne, en Autriche, l'Aiglon s'apprête a fêter ses 4 ans. Ce Lundi 20 mars 1815, le roi de Rome se réveille dans un nouveau décor. A l'annonce du débarquement de son père, on lui a fait quitter Schoenbrunn pour le palais froid de la Hofburg plus facile à surveiller. On a doublé les sentinelles habillées en domestiques, avec ordre de surveiller les trois Français qui restent et qui ne vont pas tarder à partir Mme de Montesquiou, Ménéval et Bausset. L' Aiglon a vécu heureux jusque maintenant à l'ombre de sa Maman Quiou qui lui a fait traverser les premières années, à l'abri des turpitudes. La comtesse de Monstequiou, gouvernante des " Enfants de France ", l'a protégé dans sa tendresse toute naturelle sous des apparences rigides. Le petit l'appelle " Maman Quiou ". Avec elle, il a vécu la disparition de son père, le départ des Tuileries et la déportaion à Schoenbrunn, où il a retrouvé les mêmes habitudes.

Sur la route de Fontainebleau, les gens accourent pour revoir l'Empereur. On entend souvent revenir cette phrase : " C'était prévu qu'il arrive le 20 mars pour l'anniversaire du petit !..."

Fontainebleau à midi : L'Empereur appelle Fleury de Chaboulon - Vous allez partir en avant. Vous ferez tout préparer - A Essonne, Sire ? - A Paris. Le Roi et les Princes sont en fuite. Je serai ce soir aux Tuileries. Le courrier de La Valette est arrivé. En même temps que d'autres messagers envoyés par Savary, Hortense et peut-être Fouché...

A Paris, les généraux Exelmans et Sébastiani ont pris les choses en mains. Le drapeau tricolore flotte aux Tuileries à 2h 20, dôme de l'Horloge, aux Invalides à 2h 30... A 2 h 45, au Lycée Louis le Grand, le fils de Carnot, par la fenêtre voit le drapeau hissé au sommet de la colonne Vendôme...

Le général Neipperg fait ses adieux à Marie-Louise.. Il part prendre la tête d'une division en Italie contre le beau-frère Murat...

Ce même jour, à Londres, à la Chambre de Communes un homme se lève pour poser des questions au tout puissant Castlereagh, Premier Ministre qui vient rentrer du Congrès de Vienne. C'est Samuel Whitbread, leader des Whigs, opposants du fort parti des Tory qui depuis 15 ans mène la lutte contre la France. Depuis le début de mars, Londres est en ébullition à cause du Bill sur les grains qui rend les pauvres encore plus pauvres. - Alors, demande Samuel Whitbread, est-ce bien le moment de relancer l'Angleterre dans une guerre sur le continent qui achèvera de nous épuiser ? Votre célèbre assemblée de Vienne a tant fait qu'elle a ramené Bonaparte sur la scène politique, elle l'y ramène investi d'une nouvelle force morale sur ses adversaires. Je voudrais savoir si les Puissances n'ont pas donné elles-mêmes à Bonaparte des sujets légitimes de plainte ? Le Traité de Fontainebleau a-t-il été violé ? A-t-on refusé de payer la pension qu'on lui avait promise ? A-t-on essayé d'enlever au jeune fils de Bonaparte les duchés de Parme ? Si Bonaparte triomphe, il est vraisemblable que de grands revers lui auront mieux appris à juger ses véritables intérêts et que par conséquent, l'Angleterre pourrait rester en paix avec lui "

Aux Tuileries la nuit est tombée. Dans l'après-midi, à la suite d'Exelmans, les dignitaires impériaux sont réapparus, avec Hortense qui porte les habits du deuil de sa mère, l' Impératrice Joséphine. Dans le Salon des Maréchaux, ces dames à genoux décousent les lys des tapis pour laisser apparaître les abeilles. Tout le monde s'embrasse. Fleury de Chaboulon arrive très intimidé.

C'est vers les 9 heures que Napoléon entre dans Paris. Ali raconte : " on arriva à la barrière de Villejuif, on suivit le boulevard et on atteignit les Invalides; on passa le pont Louis XVI et on entra dans la cour des Tuileries par le guichet du Pont-Royal... " On est toujours dans la calèche du préfet Gamot, le beau-frère de Michel Ney. Elle pénètre dans la cour et personne ne reconnaît la voiture... Quand apparaît le petit chapeau, c'est une explosion, une commotion, une émotion...

Toujours Ali : " Il ne nous fut plus possible d'avancer. Toute la partie du côté du Pavillon de Flore était remplie d'une masse de généraux, d'officiers, de gardes nationaux et d'une grande quantité de personnes de distinction, qu'il me fut impossible de faire avancer la voiture jusqu'au perron. L'Empereur, voyant qu'il ne pourrait aller plus loin, descendit dans la foule immense qui se pressait autour de lui...

- Mes enfants vous m'étouffez "

Au même moment, à Vienne, Maman Quiou fait ses adieux au petit Roi de Rome et l' embrasse pour la dernière fois...

[modifier] La réaction des alliés

Napoléon Ier ne dut plus voir d’autre salut pour lui que dans la guerre. Il s’y était déjà préparé. Depuis son retour, huit armées s’étaient formées, sous les noms d’armées de la Moselle, du Rhin, du Jura, des Alpes, des Pyrénées, de Paris, de Laon ; 150 batteries étaient disponibles ; on organisait des corps francs et des partisans. La levée en masse des sept départements frontières du Nord et de l’Est était résolue et prête ; les places fortes étaient bien approvisionnées, les défilés étaient gardés, la France enfin pouvait se croire capable de défier, de soutenir et même de repousser les efforts de l’Europe coalisée. Napoléon avait restitué aux régiments les surnoms d’Invincible, de Terrible, d’Incomparable. L’armée comptait 200 000 hommes. La garde nationale, composée de 3 130 bataillons, dont 1 500 compagnies de chasseurs et de grenadiers, formant 180 000 hommes, fut mise à la disposition du ministre de la guerre.

[modifier] La situation intérieure

à compléter

[modifier] La situation extérieure

[modifier] Situation et nombre des puissances liguées contre la France

Bien des gens ont accusé Napoléon de témérité, lorsqu’en 1815, quittant l’île d’Elbe, il remonta sur son trône avec la ferme espérance de s’y maintenir malgré la coalition, dont les armées réunies pouvaient être le triple ou le quadruple de celles qu’il lui était possible de leur opposer ; mais Napoléon avait si bien calculé les distances et les temps, qu’il était certain de rencontrer ses adversaires, presqu’à forces égales, sur tous les champs de bataille. Son habileté doit rétablir partout l’équilibre, et toutes les probabilités de la victoire sont en face des Français.

En effet, dès le mois d’avril 1815, les armées russes repassent le Niémen, celles de la Prusse et de l’Autriche sont en partie sur le pied de paix. La plupart des corps prussiens occupent la rive droite de l’Elbe, et une bonne partie de l’armée autrichienne tient garnison dans le royaume de Naples. Les Anglais ont la moitié de leurs forces en Amérique.

Ainsi, l’on calculait que les armées de la Russie, de l’Autriche, de la Prusse et de l’Angleterre, ne pouvaient être complétées chacune à 150 000 hommes (suivant les conventions faites entre ces puissances), et rendues sur les frontières de la France, que vers la fin du mois de juillet. L’armée anglaise, renforcée de celle de Hanovre, ne pouvait compter que 80 000 hommes. Les contingents de Hollande et Belgique, de Nassau, de Danemark, des maisons de Saxe, de Bavière, de Hesse, de Bade, de Wurtemberg, devaient se fondre dans les années des quatre grandes puissances.

Au commencement de juin il n’y avait que les armées des généraux Blücher et Wellington qui fussent en mesure de se battre ; elles présentaient une force disponible de 200 000 hommes. Les forces combinées contre la France, d’après les documents officiels[1].

[modifier] Situation des armées françaises en avril, mai, juin — Préparatifs de défense

En mai, la France comptait 105 régiments d’infanterie, dont l’effectif, l’un portant l’autre, montait à 900 hommes, dont les deux tiers étaient présents sous les armes ; toute l’infanterie présentait donc 80 000 hommes disponibles. Le génie présentait trois régiments chacun de deux mille hommes ; l’artillerie avait 8 régiments à pied et 4 à cheval, ces derniers avaient tout au plus 100 canonniers montés. Les bataillons du train ne comptaient pour ainsi dire que des cadres et ne disposaient que d’un très-petit nombre de chevaux de trait. Le personnel de l’artillerie et du génie était encore suffisant pour les plus grandes armées. Le matériel, malgré les pertes éprouvées les années précédentes, pouvait suffire pendant plusieurs campagnes. Les magasins contenaient 150 000 fusils neufs et 300 000 tant en pièces de rechange qu’en fusils à réparer.

La cavalerie était dans le plus mauvais état[2]. Tous les régiments et leurs dépôts formaient au plus 17 000 chevaux.

L’armée était généralement mal vêtue. Il n’y avait pas une aune de drap dans les magasins.

L’Empereur appela sous les drapeaux tous les hommes en congé, tous les anciens militaires et la conscription de 1815. On leva 200 bataillons de garde nationale, ce qui donna une force de 120 000 hommes. L’organisation de 6 000 canonniers garde-côtes, et la création de 20 régiments d’infanterie de marine furent ordonnées ; la cavalerie fut renforcée par 12 000 chevaux pris et payés comptant à la Gendarmerie[3].

Un grand nombre d’ateliers d’armes, établis dans Paris, fournissaient 1 500 fusils par jour, et, avant le 1er juillet, ils devaient en livrer de 3 à 4 000. Toutes les manufactures d’armes de l’Empire avaient doublé leurs produits.

La défense de toutes les places une fois assurée, Paris et Lyon furent choisis comme grands centres de résistance. On réunit, dans la première de ces villes, 400 pièces de campagne et 300 de gros calibre, et, à Lyon, un équipage de 100 bouches à feu de gros calibre et 100 d’artillerie de campagne.

[modifier] L'ultime guerre

Le 14 juin au soir, Napoléon fait publier un ordre du jour dans lequel il emploie tous les moyens oratoires pour exciter l’ardeur et le courage de ses soldats, leur rappelant leurs anciennes victoires, leur supériorité sur des ennemis qu’ils avaient battus tant de fois, les dangers qui menaçaient la patrie.

Ayant calculé qu’il faudrait deux jours aux armées anglaise et prussienne pour opérer leur jonction, la première ayant son quartier général à Bruxelles, et la seconde le sien à Namur, il prit des dispositions, le 15 juin, à la pointe du jour, pour tomber sur les Prussiens. Attaqué par trois colonnes, Blücher fut vivement repoussé et perdit quelques milliers d’hommes dans l'affrontement. Charleroi fut prise, et dans la nuit du 15 au 16 juin, toute l’armée française avait passé la Sambre ; elle bivouaqua entre les deux armées ennemies. Ce succès est d’autant plus remarquable que le lieutenant-général Bourmont, chef d’état-major du 4e corps, aux ordres du général Gérard, ayant refuser de signer l'acte additionnel aux constitutions de l'empire, avait rejoint Louis XVIII à Gand.

Voir l’article Bataille de Quatre-Bras.

Le 16, le maréchal Ney, qui commandait la gauche, avait reçu ordre d’occuper avec 43 000 hommes, en avant des Quatre-Bras (croisement de quatre chemins), une position sur la route de Bruxelles, en conservant en même temps celles de Nivelles et de Namur.

Voir l’article Bataille de Ligny.

L’inexécution de cet ordre empêcha la Bataille de Ligny, sous Fleurus, qui se livra dans la journée, d’être décisive. Elle coûta aux Anglais et aux Prussiens une trentaine de milliers d'hommes. L’acharnement fut tel entre les deux armées ennemies que le village de Ligny fut pris et repris jusqu’à cinq fois[4]. La perte de l’ennemi fut évaluée de 8 à 9 000 hommes.

Le général Girard, proche de l'empereur, qui commandait le 7e régiment d'infanterie attaché au Corps de Reille, faisant partie de l'aile gauche sous le commandement de Ney, sera très grièvement blessé au cours de la bataille[5].

Le 17, à la pointe du jour, le général Pajol se mit à la poursuite des Prussiens dans la direction de Wavre, et prit beaucoup de bagages. Grouchy et Ney n’ayant pas exécuté les ordres de Napoléon aussi promptement qu’ils l'auraient du, la journée du 17 se passa sans résultats avantageux pour l’armée française.

[modifier] Bataille de Waterloo

Voir l’article Bataille de Waterloo.

[modifier] La fin de l'épopée napoléonienne

Victor Maingarnauld, a parfaitement résumé les événements à partir du retour de Napoléon dans la capitale jusqu’au moment de son abdication : il comprend le récit exact et complet d’une des périodes les plus intéressantes de la vie de Napoléon.

L’Empereur arriva le 20 juin à Paris. Son intention fut de réunir les Chambres en séance impériale, de leur peindre les malheurs de l’armée, de leur demander les moyens de sauver la patrie, et ensuite de repartir. C’est alors qu’il apprit avec surprise que les Chambres, à la nouvelle des désastres du mont Saint-Jean, augmentés par la malveillance et le rapport inexact du maréchal Ney, avaient montré des dispositions plus hostiles que françaises ; que les esprits, dirigés par la faction des faux républicains, étaient dans une grande agitation ; qu’il était à craindre que les représentants ne répondissent point à l’attente du prince, et qu’il eût mieux valu ne point se séparer de l’armée, qui faisait sa force et sa sûreté. Mais l’Empereur croyait et devait croire que sa présence contiendrait les perturbateurs[6].

Ces propositions ne tendaient rien moins qu’à élever la Chambre au-dessus de tous les pouvoirs constitutionnels, qu’à isoler dans cette circonstance difficile la nation de l’Empereur, qu’à la livrer à l’anarchie ou aux mains avides de l’étranger, enfin à lui ravir tout espoir de salut. Elles n’en furent pas moins accueillies par de nombreux applaudissements et adoptées. On avait arrêté qu’elles seraient transmises à la Chambre des pairs et à l’Empereur ; et c’était le message dont la remise avait interrompu le conseil.

L’Empereur, après la lecture de cette déclaration, leva la séance : toutefois, il prescrivit en même temps à Regnauld de se rendre à la Chambre, de lui annoncer qu’il était de retour, qu’il venait de convoquer le conseil des ministres ; que l’armée, après une victoire signalée, avait livré une grande bataille, que tout allait bien, et que les Anglais étaient battus lorsque les malveillants avaient causé une terreur panique ; que l’armée se ralliait ; que lui était venu pour se concerter avec ses ministres et avec les chambres, et qu’il s’occupait en ce moment des mesures de salut public qu’exigeaient les circonstances.

Carnot, par ordre de l’Empereur, porta en même temps la même communication à la Chambre des pairs, et elle y fut reçue avec le calme et le respect convenables ; mais Regnauld, moins heureux, ne put modérer l’impatience des représentants qui, par un nouveau message, renouvelèrent impérieusement aux ministres l’invitation de se présenter à la barre.

Napoléon, choqué de voir que la Chambre s’arrogeait des droits qui ne lui appartenaient pas sur ses ministres, leur défendit de s’y rendre ; mais, fatigué d’entendre la relation qui était faite du bruit et du tumulte inconvenant qui s’en était suivi à l’Assemblée, il les autorisa à prévenir le président de leur prochaine arrivée ; néanmoins, ne voulant pas laisser croire qu’ils obéissaient aux injonctions de la Chambre, il les y députa comme chargés d’un message impérial, et les fit accompagner par Lucien, qui, après avoir déposé sur le bureau les pouvoirs et le message de l’Empereur, demanda un comité secret pour entendre les ministres. Les tribunes étant évacuées, on lut le message de Sa Majesté qui annonçait la perte de la bataille, et nommait Caulincourt, Fouché et Carnot, commissaires pour traiter de la paix avec les alliés.

Cette lecture ne fut point interrompue ; mais à peine fut-elle terminée, que, de toutes les parties de la salle, des interpellations aussi absurdes qu’insignifiantes furent adressées aux ministres, et portèrent en un instant la confusion dans les délibérations de l’Assemblée.

Le trouble étant un peu apaisé, Lacoste, l’un des plus emportés, parvint à se faire entendre, et, après s’être efforcé de faire voir que les ministres n’avaient en leur pouvoir aucun moyen de communication[7].

Napoléon partit pour la Malmaison le 25, où il fut reçu par la princesse Hortense. Les souvenirs que lui rappela cette résidence lui causèrent une violente émotion. Joséphine de Beauharnais n’existait plus. Là, tout lui rappelait les brillantes années du Consulat, les triomphes gigantesques de l’Empire.

Voir l’article Bataille de Rocquencourt.

Les circonstances devenant de jour en jour plus critiques, on lui donna à entendre qu’il y allait de ses intérêts de s’éloigner et de quitter la France. Il demanda deux frégates pour se rendre aux États-Unis avec sa famille. La veille il avait refusé les offres d’un capitaine américain qui lui proposait de le transporter incognito, sur son vaisseau de l’autre côté de l’Atlantique.

Les deux frégates furent armées ; mais le gouvernement jugea convenable d’obtenir de Wellington des sauf-conduits pour la sûreté de ces navires, et le lieutenant-général Becker fut choisi pour devenir auprès de Napoléon le répondant de sa propre sûreté envers le gouvernement.

Cependant les sauf-conduits de Wellington n’arrivaient pas. L’ennemi était à Compiègne ; il n’y avait plus de temps à perdre. Napoléon promet enfin de partir sur-le-champ ; au même instant, un coup de canon se fait entendre[8].

Le jour suivant, après une longue discussion sur le parti qu’il devait prendre, quelqu’un lui proposa de se livrer aux coalisés, et de les désarmer par cet acte courageux de confiance aveugle[9].

Il se rend volontairement aux Anglais espérant aller aux États-Unis, mais ceux-ci l'exilèrent à Sainte-Hélène, un îlot désolé au milieu de l'Atlantique sud, avec les généraux Bertrand, de Montholon et le comte de Las Cases.

Les conséquences furent terribles en France : des bandes ultra-royalistes pourchassèrent les bonapartistes et les fonctionnaires de l'Empire pour les exécuter ; Louis XVIII retrouva le trône grâce aux alliés (comme en 1814) et se vit imposer des sanctions : perte de quelques places fortes (sans compter celle des territoires conquis par l'Empire et la Révolution) et paiement d'une indemnité de guerre aux alliés équivalent au budget annuel de l'État.

[modifier] Notes et références

  1. Ensembles des armées coalisées contre la France :
    • Autrichiens en Italie. . . . . . . . . . . 159 000
    • Autrichiens sur le Haut-Rhin . . . . 150 000
    • Russes en-deçà de l’Oder et
    en marche sur le Rhin . . . . . . . . . . . .280 000
    • Prussiens. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 220 000
    • États d’Allemagne. . . . . . . . . . . . . 150 000
    • Hollande . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50 000
    • Grande-Bretagne. . . . . . . . . . . . . . 59 000
    • Total :. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 068 000
  2. Réduite à 57 régiments
    2 de carabiniers,
    12 de cuirassiers,
    30 de dragons et chasseurs,
    6 de lanciers,
    7 de hussards,
    elle ne pouvait pas monter 14 000 hommes.
  3. En juin, l’armée de terre comptait :
    Infanterie 225 000, dont 120 000 en état d’agir.
    Cavalerie 50 000, dont 30 000 en état d’agir.
    Artillerie 6 à 700 bouches à feu.
  4. « Il se peut, disait Napoléon pendant l’action au général Gérard, il se peut, si Ney exécute bien mes ordres, que le sort de la guerre soit décidé dans trois heures. Il ne s’échappera pas un canon de l’armée prussienne. »
  5. Il devait mourir le 27 juin 1815 à quatre heures du soir, à Paris, après avoir été fait duc de Ligny, trois jours après Waterloo, par un décret impérial du 21 juin 1815.
  6. « Quelques instants de repos l’eurent bientôt remis de ses fatigues ; aussitôt il rassembla son conseil : « Nos malheurs sont grands, lui dit-il, je suis venu pour les réparer, pour imprimer à la nation un grand et noble dévouement. Si elle se lève, l’ennemi sera écrasé ; si au lieu de levées, de mesures extraordinaires, on dispute, tout est perdu. L’ennemi est en France ; j’ai besoin, pour sauver la pairie, d’être revêtu d’un grand pouvoir, d’une dictature temporaire. Dans l’intérêt de la patrie, je pourrais me saisir de ce pouvoir ; mais il serait plus utile et plus national qu’il me fût donné par les Chambres. » Interpellés de dire leur sentiment sur les mesures de salut public qu’exigeaient les circonstances, les ministres baissèrent les yeux et ne répondirent pas.
    « L’intègre Carnot, ministre de l’intérieur, guidé par le seul intérêt de la France, fut d’avis qu’il fallait déclarer la patrie en danger, appeler aux armes les fédérés et les gardes nationales, mettre Paris en état de siège, le défendre, se retirer à la dernière extrémité derrière la Loire, s’y retrancher, rappeler l’armée de la Vendée, les corps d’observation du Midi, et tenir l’armée en arrêt jusqu’à ce qu’on eût pu réunir et organiser des forces suffisantes pour reprendre l’offensive et le chasser de France.
    « Caulincourt, ministre des affaires étrangères, en rappelant les événements de 1814, soutint que l’occupation de la France par l’ennemi déciderait une seconde fois du sort du trône ; qu’il fallait un grand effort de la nation pour sauver l’indépendance ; que la question du salut de l’État était dans les Chambres et dans leur union avec l’Empereur.
    « Fouché, ministre de la police, et plusieurs de ses collègues, en partageant ce sentiment, dirent qu’en montrant aux Chambres de la confiance et de la bonne foi (et c’était Fouché qui parlait de bonne foi !) on parviendrait à leur faire sentir le devoir de leur réunion à Napoléon, pour sauver ensemble, par des mesures énergiques, l’honneur et l’indépendance de la nation12.
    « Decrès, ministre de la marine, déclara nettement qu’on ne devait pas compter sur les Chambres, dont les membres étaient mal disposés et paraissaient décidés à se porter à de violents excès.
    « Régnault ajouta qu’il ne croyait pas que les Représentants voulussent seconder les intentions de l’Empereur, et qu’au contraire il craignait qu’ils ne demandassent son abdication.
    « Lucien soutint avec force que plus les crises étaient grandes, plus on devait déployer d’énergie ; que si les chambres ne voulaient pas seconder l’Empereur, l’Empereur se passerait de leur assistance ; qu’il fallait qu’il se déclarât dictateur, qu’il mît la France en état de siège, et appelât à sa défense tous les patriotes et tous les Français.
    « Ce fut le seul bon avis et celui que Carnot adopta en déclarant qu’il lui paraissait indispensable que l’Empereur eût, pendant la durée de la crise, une grande et imposante autorité ; mais cela ne suffisait pas : il fallait avant tout dissoudre les Chambres et faire arrêter la faction qui les dominait.
    « L’Empereur ne partagea point cependant l’avis de son frère ; il croyait toujours que la présence de l’ennemi rendrait aux députés le sentiment de leurs devoirs… « La nation, dit-il, ne les a point envoyés pour me renverser, mais pour me soutenir. Je ne les crains point. Quelque chose qu’ils fassent, je serais toujours l’idole du peuple et de l’armée. Si je disais un mot, ils seraient tous perdus : mais ne craignant rien pour moi, je crains tout pour la patrie… Le patriotisme de la nation et son attachement à ma personne nous offrent d’immenses ressources ; tout n’est pas désespéré. » Passant ensuite successivement en revue les moyens de réparer les désastres de mont Saint-Jean, il retraça à grands traits le tableau des maux dont une invasion menaçait la patrie, prévenant toutes les objections, indiquant tous les obstacles et toutes les ressources. Son éloquence fît passer la conviction dans l’âme de la plupart des membres du conseil ; les opinions jusqu’alors divisées tendaient à se rapprocher ; on allait délibérer, quand on fut interrompu par un message de la Chambre des représentants.
    « Cette Chambre s’était assemblée à midi et un quart. Lafayette montant à la tribune, avait soumis à l’Assemblée les propositions suivantes :
    « La Chambre des représentants déclare que l’indépendance de la nation est menacée.
    « La Chambre se déclare en permanence. Toute tentative de la dissoudre est un crime de haute trahison. Quiconque se rendrait coupable de cette tentative sera déclaré traître à la patrie et sur-le-champ jugé comme tel.
    « L’armée de ligne ei la garde nationale, qui ont combattu et combattent encore pour défendre la liberté, l’indépendance et le territoire français, ont bien mérité de la patrie.
    « Les ministres de la guerre, des relations extérieures et de l’intérieur sont invités à se rendre sur-le-champ dans le sein de l’Assemblée. »
  7. « Vous le savez comme moi, c’est à Napoléon seul que l’Europe a déclaré la guerre. Séparez donc désormais la nation de Napoléon ? Pour moi, je le déclare, je ne vois qu’un homme entre la paix et nous : qu’il parte, et la patrie sera sauvée. »
    « Jamais proposition ne fut plus intempestive, ou d’une plus insigne mauvaise foi ; car on savait bien que dans cet instant, on devait rallier la France et l’armée autour de Napoléon, si on voulait franchement les sauver l’une et l’autre. Lucien s’empressa de répondre, et s’efforça de prouver que la Chambre ne pouvait se séparer de l’Empereur sans perdre l’État, sans manquer à ses serments, sans flétrir à jamais l’honneur national, au moment, surtout, où les ministres des affaires étrangères et de la guerre (Davoust), venaient de donner des explications satisfaisantes. Tout paraissait enfin, pour le bonheur de la France, rallier à la cause de l’Empereur la majorité de l’Assemblée, et présager une issue favorable, lorsque La Fayette, apostrophant le frère de l’Empereur, réussit à rallumer le feu de la discorde qui s’éteignait peu à peu, et tout fut perdu.
    « L’Assemblée nomma une commission de cinq membres, composée du président et des vice-présidents, pour se concerter avec le Conseil des ministres et une commission de la Chambre des pairs. Celle-ci nomma effectivement une commission de six membres, et la conférence s’ouvrit le même soir, à onze heures, en présence de Lucien. Il fut décidé, à la majorité de seize voix contre cinq :
    « 1° Que le salut de la patrie exigeait que l’Empereur consentît à ce que les deux Chambres nommassent une commission qui serait chargée de négocier directement avec les puissances coalisées, aux conditions de respecter l’indépendance nationale et le droit qu’a tout peuple de se donner les constitutions qu’il juge à propos.
    « 2° Qu’il convenait d’appuyer ces résolutions par l’entier développement des forces nationales ;
    « 3° Que les ministres d’État proposeraient les moyens propres à fournir des hommes, des chevaux, de l’argent, ainsi que les mesures nécessaires pour contenir et réprimer les mouvements de l’intérieur.
    « Cette résolution ne remplissait pas le but désiré de l’ambitieuse Chambre : La Fayette la combattit sans ménagements ; on n’y parlait pas de l’abdication ; et selon lui, le moyen le plus sûr et le plus prompt pour faire cesser l’état inquiétant où se trouvait la France, résidait uniquement et exclusivement dans l’abdication de Napoléon, et qu’il fallait l’inviter, au nom de la patrie, à se démettre de la couronne.
    « Lucien déclara que l’Empereur était prêt à faire tous les sacrifices que le salut de la France pouvait exiger ; mais que le moment de recourir à cette ressource désespérée n’était point arrivé, et qu’il était convenable d’attendre, dans l’intérêt de la France elle-même, le résultat des ouvertures qui seraient faites aux alliés.
    « L’Assemblée partagea cette opinion et se sépara de lassitude à trois heures du matin. Le général Grenier fut chargé par ses collègues de rendre compte à la Chambre du résultat de cette conférence. Ce qu’il fit, en ajoutant, d’après l’avis que les ministres venaient de lui donner, que la Chambre allait recevoir un message par lequel l’Empereur déclarait qu’il trouvait bon que l’Assemblée nommât les ambassadeurs à envoyer aux alliés, et que s’il était un obstacle invincible à ce que la nation fût admise à traiter de son indépendance, il serait toujours prêt à faire le sacrifice qui lui serait demandé.
    « Cette généreuse explication eût satisfait des hommes sincèrement attachés au salut de la patrie et à leurs serments de fidélité jurée au prince ; mais, loin de calmer les têtes furibondes, elles fermentèrent davantage ; les meneurs s’agitaient tellement en tous sens, que déjà il était question de prononcer la déchéance. Quel prestige trompeur ou quelles promesses de nos ennemis fascinaient les yeux de ces hommes qui se croyaient l’élite des citoyens !
    « L’Empereur fut averti de ce qui se passait ; indigné de la violence qu’on voulait lui faire, il rejeta d’abord toutes les instances qui lui furent renouvelées. Cependant, cédant aux conseils de ses ministres, de ses frères et de quelques-uns de ses serviteurs, il consentit à abdiquer plutôt que de se mettre à la tête de son armée, qui se formait devant Paris, forte déjà de 80 000 hommes, et qui, inquiète de son Empereur, l’appelait à grands cris.
    « Fouché eut ordre d’écrire à la Chambre qu’elle allait être satisfaite ; et Lucien écrivit, sous la dictée de l’Empereur, la déclaration suivante :
    Déclaration au peuple français (Donnée au palais de l'Élysée, le 22 juin.).
    « Français ! en commençant la guerre pour soutenir l’indépendance nationale, je comptais sur la réunion de tous les efforts, de toutes les volontés, et le concours de toutes les autorités nationales. J’étais fondé à en espérer le succès, et j’avais bravé toutes les déclarations des puissances contre moi. Les circonstances paraissent changées. Je m’offre en sacrifice à la haine des ennemis de la France ; puissent-ils être sincères dans leurs déclarations, et n’en avoir jamais voulu qu’à ma personne ! Ma vie politique est terminée, et je proclame mon fils sous le titre de Napoléon II, empereur des Français. Les ministres actuels formeront provisoirement le conseil de gouvernement. L’intérêt que je porte à mon fils, m’engage à inviter les Chambres à organiser sans délai la Régence par une loi. Unissez-vous tous pour le salut public, et pour rester une nation indépendante» '« Dans le conseil qui avait été tenu relativement au plus ou moins de nécessité de cette mesure (l’abdication), Carnot seul y montra une vive opposition, disant qu’elle serait le coup de mort de la patrie : il voulait qu’on se défendit jusqu’à extinction ; et quand enfin il vit qu’il était seul de son opinion, quand il vit l’abdication résolue, il appuya la tète de ses deux mains et se mit à fondre en larmes. » Chennechot, Histoire de Napoléon Bonaparte.
    Il est à remarquer que l’ennemi dispersait ses forces sur la frontière, et qu’il ne songea à marcher sur Paris qu’en apprenant la nouvelle de l’abdication.)
    « Cette déclaration fut entendue dans le plus grand calme : il régna ensuite un profond silence : l’Assemblée semblait se recueillir, et rendre par là hommage au prince qui venait de se résigner. La Chambre arrêta à l’unanimité qu’une députation solennelle porterait à l’Empereur, au nom de la nation, l’expression du respect et de la reconnaissance avec lesquels elle acceptait le noble sacrifice qu’il avait fait à l’indépendance et au bonheur du peuple français.
    « Napoléon répondit avec dignité :
    « Je vous remercie des sentiments que vous m’exprimez ; je désire que mon abdication puisse faire le bonheur de la France, mais je ne l’espère pas ; elle laisse l’État sans chef, sans existence politique. Le temps perdu à renverser la monarchie aurait pu être employé à mettre la France en état d’écraser l’ennemi. Je recommande à la Chambre de renforcer promptement les armées ; qui veut la paix doit se préparer à la guerre. Ne mettez pas cette grande nation à la merci des étrangers ; craignez d’être déçus dans vos espérances. C’est là qu’est le danger. Dans quelque position que je me trouve, je serai toujours bien si la France est heureuse. »
    « La Chambre des pairs s’empressa de suivre l’exemple des députés.
    « L’abdication de Napoléon laissa le champ libre à l’ambition des factieux. Partagés d’opinions sur le chef qu’ils se choisiraient, un petit nombre seulement gardaient la neutralité, quoique tous regardassent le trône comme vacant. Après bien des discussions, il fut arrêté qu’on nommerait une commission exécutive de gouvernement, dont les membres furent pris dans le sein des deux Chambres. Cette violation de l’acte d’abdication le rendait nul, puisqu’on ne proclamait pas Napoléon II, en faveur de qui cette abdication avait été donnée. L’Empereur aurait dû alors se remettre à la tête de sa brave armée, combattre les ennemis qui s’avançaient sur Paris, qu’ils savaient plein d’agitation, et dont ils prétendaient tirer un parti avantageux ; mais, loyal dans toutes ses actions, l’Empereur partit pour Rochefort, d’où il pensait s’embarquer pour les États-Unis d’Amérique.
    « L’ignominie de la faction, c’est que, tenant tous les fils de la trame ourdie pour enlacer ce prince, elle les tendait au moment de son départ, afin de le livrer à ses plus cruels ennemis ; heureusement qu’il échappa encore une fois à la trahison. Ne voulant point cependant s’éloigner de l’armée sans lui faire ses adieux, il lui adressa cette proclamation, dans laquelle il se montre toujours grand, toujours généreux, et toujours Français.
    « Soldats !
    « Quand je cède à la nécessité qui me force de m’éloigner de la brave armée française, j’emporte avec moi l’heureuse certitude qu’elle justifiera, par les services éminents que la patrie attend d’elle, les éloges que nos ennemis eux-mêmes ne peuvent lui refuser.
    « Soldats ! je suivrai vos pas, quoique absent. Je connais tous les corps, et aucun d’eux ne remportera un avantage signalé sur l’ennemi, que je ne rende justice au courage qu’il aura déployé. Vous et moi nous avons été calomniés. Des hommes indignes d’apprécier vos travaux ont vu, dans les marques d’attachement que vous m’avez données, un zèle dont j’étais seul l’objet ; que vos succès futurs leur apprennent que c’était la patrie, par-dessus tout, que vous serviez en m’obéissant ; et que si j’ai quelque part à votre affection, je le dois à mon ardent amour pour la France, notre mère commune.
    « Soldats ! encore quelques efforts, et la coalition est dissoute. Napoléon vous reconnaîtra aux coups que vous allez porter.
    « Sauvez l’honneur, l’indépendance des Français ; soyez jusqu’à la fin tels que je vous ai connus depuis vingt ans, et vous serez invincibles. » (Cette proclamation est datée de la Malmaison, le 25 juin).
    « L’armée, dont une partie des généraux avait abandonné les rangs ou s’était vendue à prix d’argent, consternée d’avoir perdu sans retour son illustre chef, se retira sur les rives de la Loire, où elle fut sacrifiée et dispersée par ceux qu’elle avait sortis de la poussière. »
  8. « Qu’on me fasse général, dit-il vivement au comte Becker, je commanderai l’armée, je vais en faire la demande. Général, vous porterez ma lettre ; partez de suite ; expliquez-leur que je ne veux pas ressaisir le pouvoir, que je veux écraser l’ennemi, qu’ensuite je poursuivrai ma route. » Ces offres ne furent point agréées par la commission du gouvernement : Fouché, son président, répondit à Becker : « Est-ce qu’il se moque de nous ! »
  9. « Ce dévouement serait beau, répondit-il, mais une nation de 30 millions d’hommes qui le souffrirait serait à jamais déshonorée. »

[modifier] Articles connexes

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