Trouble de la personnalité borderline
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CIM-10 : | F60.30 type impulsif, F60.31 type "borderline" |
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CIM-9 : | 301.83 |
Le trouble de la personnalité borderline (ou trouble de la personnalité limite) est un trouble de la personnalité grave qui s'exprime par des humeurs changeantes, par des relations humaines troublées, par un manque de confiance en soi-même et aussi par des comportements auto-agressifs. L'entourage personnel doit souvent supporter les conséquences de ces instabilités qui nuisent aussi à l'image de soi du malade, à sa vie de tous les jours et à son projet de la vie.
Sommaire |
[modifier] Historique
Les états-limites, ou encore pathologies limites, furent d'abord décrits par la psychiatrie, qui emploie cette catégorie dès 1884. À ce temps là, il s'agit de décrire des troubles mentaux qui ne relèvent ni de la névrose ni de la psychose, mais se situent à la frontière.
En psychanalyse, Sigmund Freud propose dans analyse avec fin et analyse sans fin l'idée que tout névrosé possède un Moi en partie psychotique. D'autres auteurs développent l'idée de facteurs schizoïdes actifs dans de nombreuses pathologies.
En 1945, Otto Fenichel approuve cette notion en montrant la présence de troubles de nature psychotique dans d'autres troubles que la psychose elle-même.
Otto F. Kernberg proposera le terme d' organisation limite.
Harold Searles considère que, chez les patients borderline, le moi fonctionne sur un mode autistique.
Jean Bergeret, en 1970, suggère un rapprochement entre les pathologies limites et la mélancolie.
[modifier] Symptômes
- Perte d'énergie - diminution de confiance en soi - idée morbide, suicidaire - Saut d'humeur - etc. tous reliés à la dépression et au manque de vie !
[modifier] Personnalité
« Il s'agit de gens, pour la plupart des femmes, qui ont grandi avec le sentiment de ne pas avoir reçu l'attention et l'appui qui leur revient. Ils en sont révoltés et ils cherchent des chemins pour compenser cela dans leurs relations. Ils ont des attentes élevées et, quand leurs besoins sont à nouveau abandonnés ils y répondent avec de la colère et du désespoir. » John Gunderson, docteur américain.
- La durée d'une humeur chez une personne avec des dépressions ou avec un trouble bipolaire peut atteindre plusieurs semaines. Le malade peut vivre aussi des accès de peur, de colère ou de dépression qui souvent ne durent que quelques heures jusqu'à quelques jours. De tels accès d'humeur peuvent apparaître ensemble avec des pertes de contrôle, des impulsions (par exemple de l'agression impulsive), un comportement auto-agressif ou l'abus de drogues ou d'alcool. Ces comportements peuvent mener à des dépenses d'argent excessives, à des crises de boulimie, à des pratiques sexuelles à risques ou encore une conduite automobile dangereuse.
- Il peut y avoir des troubles de perception et de la conscience menant à des changements fréquents de buts à long terme, de plans de carrière, de métiers, d'amitiés, de valeurs et même de l'identité sexuelle. Les patients racontent souvent qu'ils « ne peuvent pas se ressentir ». Souvent ils se sentent étrangers vis-à-vis d'eux-mêmes. Il y a des symptômes dissociatifs très forts.
- Quelquefois des personnes borderline se sentent sans valeur ou mauvais.
- Souvent ils se sentent vides et ennuyés et ils n'ont pas de sens pour qui ils sont. De tels symptômes apparaissent surtout parmi les malades qui se sentent seuls ou isolés. Cela peut mener à des tentatives désespérées d'éviter des situations de solitude.
- Un comportement auto-agressif jusqu'au suicide peut être symptomatique pour cette maladie. Une haine de soi-même, l'incapacité de dissoudre des tensions soudainement apparues et un sentiment de ne plus se sentir causent cette auto-agression. La personne cogne sa tête contre le mur, se griffe avec ses ongles ou ouvre son visage ou ses bras avec une lame à rasoir. Il y a aussi un grand danger d'auto-blessure ou de suicide lors d'une euphorie.
[modifier] Comportement social et couple
- Les relations humaines du patient sont souvent très instables. Ceci est en rapport avec son image de lui-même troublée. Ainsi même des liens émotionnels intenses n'empêchent pas que la position vis-à-vis des membres de la famille, d'amis ou de partenaires soudainement tourne d'idéalisation (admiration et amour fort) en dépréciation.
- Quand le patient est traité de façon injuste (que cela soit réel ou non) il réagit souvent violemment et impulsivement et ne trouve, des jours et des semaines durant, pas d'issue à son univers d'idées de vengeance, de reproches vis-à-vis de lui-même et des autres ou même de haine de soi-même. Beaucoup de gestes des autres sont interprétés faussement ou qualifiés comme hostiles de par une sur-interprétation. Ils sont intensément analysés et examinés par rapport à leur contenu de « signaux ». C'est une position d'attente générale d'humiliations qui en est la raison. Le patient a des difficultés à interpréter justement le comportement des autres parce que sa sensibilité concernant l'injustice mène souvent à des surréactions et sa perception de l'autre personne est instable (« constance d'objet insuffisante »). Ainsi c'est difficile pour lui d'estimer quelle réaction serait la bonne à une situation actuelle.
- Déjà des petits riens déclenchent des impulsions d'émotions des plus forts, que le malade n'arrive pas à mettre en relation avec leurs causes, conduisant ainsi à de violentes implications émotionnelles. Quand il s'engage dans un lien étroit le patient a tendance à idéaliser l'autre personne. En cas de conflit, cependant, il est capable de passer dans l'autre extrême. Souvent il met terme à une relation étroite, tout au moins temporairement.
- Il y a un rapport entre la peur d'être quitté et la difficulté de se sentir émotionnellement lié à une personne-clé quand celle-ci est absente (« constance d'objet insuffisante »). Cela aboutit à un sentiment d'être quitté et de n'avoir aucune valeur. Dans ces contextes il peut y avoir des menaces de suicide ou des tentatives de suicide.
[modifier] Traitement
[modifier] Psychothérapie dialectique comportementale
Cette approche spécifique au traitement du trouble de l'état limite a été développé par Marsha Linehan à l'Université de Washington à Seattle dès les années 80. La recherche établit que cette thérapie est plus efficace que les approches usuelles en ce qui concerne le comportement suicidaire et les hospitalisations. De plus, les patients abandonnent moins fréquemment la thérapie.
La philosophie de l'approche de Linehan est basée sur la dialectique de Marx et Hegel. Cette perspective permet de travailler sur la pensée dichotomique typique de ce trouble de la personnalité, appelée clivage par les psychanalystes. Le thérapeute aide le patient à intégrer les deux polarités.
La psychothérapie dialectique comportementale contient quatre phases, qui suivent le pré-traitement. Le pré-traitement sert à obtenir des informations pour arriver à une décision mutuelle du thérapeute et du patient à traivailler ensemble. Dans les années qui suivent, le patient arrive à intégrer le passé, le présent et le futur, les visions contradictoires de soi et d'autrui, en somme d'accepter la réalité telle qu'elle est.[1]
[modifier] Psychanalyse et états limites
En psychanalyse, la catégorie de trouble de la personnalité borderline est discutée, parfois refusée : par exemple, Jean-Bertrand Pontalis remarque que certaines patientes hystériques de Freud auraient été, de nos jours, diagnostiquées comme état-limite.
Néanmoins, il est admis que cette catégorie floue désigne la frontière entre névrose et psychose.
Ce schéma peut s'appliquer aux pathologies suivantes :
- Dépression
- Addiction, toxicomanie, anorexie, boulimie
- Pathologies psychosomatiques, pensée opératoire
- Névrose d'angoisse
- Névrose traumatique
Grossièrement, il est possible de définir certains traits caractérisant ces deux pôles que sont la névrose et la psychose. Le patient état-limite se situera entre les deux.
Jean Bergeret cependant, considère l'organisation limite comme une organisation à part entière, bien que moins structurée et plus floue que la névrose ou la psychose. L'étiologie du trouble borderline serait selon lui un traumatisme affectif précoce, agissant comme désorganisateur de la psyché, empêchant la maturation « normale » qui passe par la période de latence après le complexe d'Œdipe (rejoignant en cela les conceptions de Sandor Ferenczi).
Névrose | Psychose | Etat limite | ||
---|---|---|---|---|
Angoisse | Angoisse de castration | Angoisse de mort, angoisse de morcellement | de perte d'objet | |
Défenses | Refoulement, déplacement | Clivage du moi, projection, déni | dédoublement des imagos, forclusion | |
Relation d'objet | Objet total, génitalité | Objet partiel, relation fusionnelle | anaclitique | |
Conflit | Intrapsychique | Ça / Réalité | idéal du Moi / Réalité |
Cette organisation psychique à la frontière, entre deux eaux, suggère en fait que les théories de la névrose et de la psychose ne sauraient suffire. Ce sont de nouveaux champs d'études que les pathologies limite rendent indispensables : qu'il s'agisse de l'étude du narcissisme, de son implication dans la relation à l'autre, ou encore l'étude de la perception du temps, ou de la nature des traumatismes psychiques.
L'idée de frontière ne saurait donc éviter l'étude, l'écoute psychanalytique du singulier qu'apporte chaque patient.
[modifier] Écosystémique des états-limites
Dans la perspective d’une approche écosystémique avec ses paradoxes et double contrainte, l’identité est une unité paradoxale qui assure à la fois l’identique (idem) et le différent (ipse). Pour sortir des affres du paradoxe de l'unité des distincts, de l'identité des différents et des stratégies paradoxales doubles ou multiples, le « Moi » freudien est la résultante « conflictuelle » des « contraires », « oppositions » ou « contradictions » dans l'amalgame des niveaux distincts biologique du « Ça » et culturel du « Surmoi » et de « l'idéal du moi » dans l'héritage des aïeux. Le « Moi » des « états-limites » serait un faux-moi, comme il y a eu des faux-culs*, un « moi » de complaisance des personnalités « comme si », le « moi » d'un auto-portrait en forme de masque ou d'une identité de couverture. Alors, les « états-limites » seraient des crises d'identité ou plutôt des fêlures du masque.
Dans ces termes, la dépression, l'intoxication et bien d'autres malaises de l'être seraient la conséquence patente d'une carence de l'identité ou, comme il est de mode de dire, une carence narcissique où le paradoxe reprend avec le narcissisme primaire, précédant l'investissement d'objet, qui coexiste avec le narcissisme parental, entre l'autosuffisance narcissique et la dépendance à l'égard du narcissisme parental. C'est la coexistence d'un auto-investissement libidinal de la part de l'enfant et l'investissement des parents qui utilisent l'enfant comme support de leur propre narcissisme. Le paradoxe surgit de cette coexistence. Sur le schéma freudien de base, différentes hérésies privilégient ou mettent l'accent sur différents aspects de l'identification à l'un des parents ou de la différenciation d'un des parents, comme l'individuation-séparation, en disjoignant dans l'espace et le temps, par séquences et étapes pour se dégager du paradoxe de la multiplicité, de la superposition, de la redondance qui est le déploiement d'une multitude de versions différentes d'un même schéma organisateur ou structure et du compromis. Ce « Moi, » « soi » ou « je » est ce qui peut être nommé de « identité existentiel », une définition de soi-même, des autres, humains et objets, et de leurs relations.
Plus qu'à des partenaires humains au deuxième niveau social de l'association des congénères, cette définition de soi-même est proposée à un partenaire existentiel polynymique au troisième niveau des idées et de l'idéal, Vie, Réalité, Nature, Dieu, Destin, quel que soit le nom qu'on veuille lui donner. C'est un partenaire que nous acceptons ou rejetons et par qui nous nous sentons acceptés ou rejetés, soutenus ou trahis et cette définition confirmée ou déniée.
Au premier niveau biologique des activités vitales non-conscientes nécessaires et insuffisantes, cette identité est un dispositif de défense en immunologie de reconnaissance de formes semblables-dissemblables. Au deuxième niveau social est l’état civil de la carte d’identité, au plus simple. Au plus complexe est la personnalité avec ou sans trouble. Il s’agit de la Théorie des contextes avec une hiérarchie de niveaux de type logique ou de dépendance où au premier niveau biologie est la vie corporelle du sujet. Au deuxième niveau social est l’association des collègues, de ceux qui partagent le même héritage (legs) et la même loi (lex, legis). Au troisième niveau culturel sont les idées et les croyances qui orientent et délimitent les valeurs et significations conférées aux êtres sociaux.
[modifier] Le concept de limite
Comme l'hystérie fut à la mode aux premiers moments de Sigmund Freud et point de départ de toute l'œuvre freudienne, les frontières, limites, seuils et bifurcations le sont dans les années 70-90. La frontière et le seuil sont ce qui relie et sépare à la fois et l'idée de limite contient celles de l'extrême, de la fin de quelque chose et du commencement d'autre chose. André Green dans "La folie privée. Psychanalyse des cas limites", Gallimard, Paris 1990, que se trouve le développement du concept de limite et du cas-limite comme état, et non seulement un passage ou un "mélange confus" névrose-psychose.
La limite apparaît comme une "zone grise" entre le blanc et le noir et non pas une ligne de démarcation nette et claire. La notion paradoxale d'interface est représentative du concept de limite. Cette notion est paradoxale dans la mesure où elle est le lieu de l'interférence, de la superposition et de l'interpénétration de deux ou plusieurs univers disjoints et réputés distincts ou incompatibles.
Dans le sens commun, ce qui est paradoxal est défini comme ce qui est contraire à l'opinion commune, ce qui est bizarre, inconcevable, incompréhensible, ce qui heurte la raison, le bon sens ou la logique. Le paradoxe de l'interface, de l'intersection, de l'interpénétration et de la superposition est dans la conjonction et disjonction de deux univers, de la double appartenance à ces deux univers réputés mutuellement exclusifs.
Dans l'interface, un côté est tourné vers "A", tandis que l'autre côté est tourné vers "B", cette interface est la partie commune à "A" et "B". Dans la logique du tiers exclu, le paradoxe de l'interface surgit du fait qu'il est “à la fois” l'un “et” l'autre, avec l'habitude de penser en termes de “ou bien” l'un “ou bien” l'autre.
La limite est “à la fois” la fin de quelque chose “et” le commencement d'autre chose, dans l'espace, le temps et la circonscription d'un phénomène.
- "[…] la limite de la folie n'est pas une ligne, mais un vaste territoire où nulle division ne permet de séparer la folie de la non-folie " (op. cit. 1990, pp. 104-105).
Cette circonscription, dans la complexité d'un phénomène, ne peut pas être une délimitation claire et nette sans tomber dans un excès de simplification et de schématisation. L'exemple illustratif visuel est dans un tableau impressionniste en contraste à une scène de bandes dessinées aux contours bien délimités.
Le cas-limite (borderline) est une phase, étape ou moment (aussi bien comme instant que comme rapport de forces) critique - dans la signification authentique ou profonde de croisée des chemins ou bifurcation - repérable dans le temps par un avant et un après et dans les symptomatologies par une forme et une autre.
Pour André Green, la limite est un état et le cas-limite est métastable plutôt qu'un simple passage à travers une frontière imaginaire entre névrose et psychose. L'état métastable est nommé de "chréode" en embryologie par Waddington pour désigner l'entourage de la bifurcation de l'ovule fécondé en placenta et embryon. René Thom l'a utilisé pour désigner, une "catastrophe" virtuelle, potentielle ou latente, le chemin critique de la bifurcation ou "catastrophe" de la morphogenèse ou apparition d'une forme nouvelle accompagnée de la disparition de l'ancienne forme. Le terme "Aufhebung " de Hegel, utilisé par Freud, rend bien compte de ce phénomène de disparition-apparition-conservation.
André Green se propose d'aborder le cas-limite en lui-même et pour lui-même. "Une telle généralisation est-elle nécessairement liée aux deux territoires qui sont de part et d'autre de la frontière, à savoir la psychose et la névrose, ou bien la limite peut-elle être elle-même l'objet d'une théorisation? " (op. cit. 1990, p. 105).
Dans les langues occidentales, il y a prédominance de l'avoir sur l'être, comme il est plus facilement compréhensible d'avoir des frontières plutôt que d'être une frontière et comme on dit plus souvent "avoir un enfant" plutôt que "être parent d'un enfant".
- "[…] Les parties divisées peuvent communiquer par une zone commune, floues, avec quelques aires d'intersection, comme dans la rencontre de deux nuages. En cas de danger, les limites osmotiques peuvent s'agrandir pour soulager le dedans des excitations importunes. D'autres mesures sont possibles: par exemple, une rigidification de la ligne, une sorte de sclérose ou bien le brouillage des frontières qui crée, au lieu d'une démarcation fragile, un no man's land. En n'en commande les opérations entre une frontière, c'est s'identifier à une limite mouvante qu'on subit plus qu'on… " (op. cit. 1990, pp. 107-108).
Pour élaborer la limite comme état, André Green a battu le rappel de Bion Freud, Klein et Donald Winnicott. Au plus simple, Freud a inventé la névrose et la psychose et les a mises en deux boites distinctes une fois réifiées. Green tente d'inventer l'état-limite réifiable et pouvant être circonscrit et mis dans une troisième boîte distinguable des deux premières.
Chez Freud, la démarcation entre névrose et psychose se rapporte à ce qu'il nomme de "réalité". La névrose ne dénie pas la réalité, elle veut seulement et simplement l'ignorer (dans la signification anglaise de ne rien vouloir savoir), tandis que la psychose dénie la réalité et cherche à la remplacer d'une façon ou de l'autre, dans l'évanouissement ou la substitution.
Le débat avec Freud se continue sur les deux traumatismes fondamentaux. Le premier traumatisme intervient de façon précoce et est accompagné de frustrations graves et de la menace de perte de l'objet conduisant à une pseudo latence précoce; il est suivi d'une structure nommée de "tronc commun des états-limites" qui est une configuration provisoire explicitée par Jean Bergeret (1974).
Le deuxième traumatisme surviendra à la fin de l'adolescence prolongée au-delà de son terme habituel et détruira cette configuration provisoire non structurée. Les états d'anxiété aiguë sont désorganisateurs et ont pour effet de réorganiser le "Moi" de deux façons, la perversion et les troubles de caractère, dans trois directions possibles: la névrose, la psychose ou la régression psychosomatique. L'état-limite est donc cet état-critique au point de bifurcation.
Chez Melanie Klein (1882-1960), c'est la relation d'objet au tout début de la vie et la nature narcissique de la relation d'objet schizoïde, dans la phase dépressive et la phase schizoïde-paranoïde, qui sont les plus importantes dans les interactions entre Amour (Love) Haine (Hate) et Connaissance (Knowledge) inventées par Bion dans ses commentaires sur le schéma kleinien du développement de l'appareil psychique.
Cette interaction entre l'amour et la haine envers la connaissance introduit nécessairement la notion de limite dans la relation contenant-contenu (l'état de l'inconnaissable et l'objet de l'inconnaissable conduisant à l'état de connaissance ne portant que sur ce qui est connaissable) qui est fondamentale pour l'étude des structures psychiques.
La contribution majeure de Klein, dans le champ pré-œdipien de la psychanalyse, est cruciale et controversée dans sa prise en compte et sa description de la rigidification des émotions, de la rupture, césure ou clivage sujet-objet, de l'idéalisation et de l'identification projective à un alter ego qui pourrait être un ego altéré.
Dans la chapelle kleinienne, Wilfred Bion, dans Différenciation de la part psychotique et de la part non-psychotique de la personnalité (1955), a fait une relecture des œuvres de Freud et mis les idées freudiennes sur la psyché dans la perspective de Klein, particulièrement sur les processus de la pensée en relation avec le rapport d'objet et l'identification projective considérée comme un dispositif fondamental de défense.
Bion a souligné l'importance de la double haine à la fois envers la réalité interne et la réalité externe. La réalité interne est imaginaire, c'est celle des valeurs et significations conférées aux êtres, événements ou objets et la réalité externe est celle physique de ces êtres, événements ou objets matériels directement observables, quantifiables et mesurables par beaucoup de personnes différentes qui peuvent comparer et partager ou non leurs observations et leurs mesures.
Bion a également mis en évidence et décrit la "précipitation" (aussi bien dans l'imagerie physico-chimique de coagulation, condensation, cristallisation, rigidification ou solidification, à la manière du blanc d'œuf soumis à la chaleur que comme accélération) qui est aussi un développement prématuré et une "anticipation" qui nuit au développement de l'appareil de la pensée et qui est aussi une défense non pas dans la régression ou fuite en arrière du temps, mais dans la fuite en avant du temps. Anticipation et précipitation se rapporte aussi bien au temps du développement qu'à la condensation ou rigidification.
Donald Winnicott (1896-1971) s'est également intéressé à la relation mère-nourrisson et a tenté de cerner la formation, en tant que processus et non seulement le produit, du "moi" chez l'enfant. Il accorde une grande importance à un "environnement facilitant", à la sollicitude et au soutien de l'entourage humain des proches importants pour l'enfant. Ces proches se ramènent et se résument très souvent à la mère. Sollicitude et soutien qui conduisent au déplacement de l'intérêt, de l'objet externe vers l'objet interne dont l'importance est d'attirer l'attention bien plus sur l'effet réciproque entre dehors-dedans que sur les facteurs extérieurs.
Il en résulte la reconnaissance d'une “zone intermédiaire” et l'impossibilité de l'enfant à la constituer dans certains cas. Cette zone intermédiaire est constituées de structures appelées “organisations limites”. La pensée winnicotienne fleurette (l'ancien français fleureter ou conter fleurette a donné to flirt anglais) avec la paradoxe de la "redondance", de la « superposition », du « compromis » et du « compartimentage » (Yves Barel, Le paradoxe et le système. Essai sur le fantastique social, PUG, Grenoble 1979). Le concept de limite exprime toutes ces formes de paradoxe.
Winnicott a défini l'objet transitionnel comme coexistence du OUI et du NON: “l'objet transitionnel est et n'est pas le sein”. Un autre type de réponse est fourni par le cas-limite: NI OUI NI NON. L'objet transitionnel est un refus positif de choisir entre un OUI et un NON en admettant leur coexistence et c'est pourquoi il peut être créateur. Les symptômes du cas-limite qui prennent la place des objets transitionnels manifestent un refus négatif du choix: ni OUI ni NON. Posée en terme d'existence, la question pourrait être: l'objet est-il mort (perdu) ou vivant (trouvé)? ou Suis-je mort ou vivant? Ni OUI ni NON.
- “[…] Pour sortir de tels dilemmes, j'aimerais souligner l'utilité du concept d'absence (Lacan). L'absence ne comporte ni perte ni mort. L'absence est un état intermédiaire à mi-chemin entre la perte et la mort. Un excès de présence, et c'est l'intrusion, un excès d'absence, et c'est la perte. Le couple absence-présence ne peut être dissocié… J'y ajouterai l'hypothèse que j'ai défendue sur la fonction des processus tertiaires. De tels processus, non matérialisés, sont constitués de mécanismes conjonctifs et disjonctifs de liens fonctionnant comme médiateurs entre les processus primaires et secondaires. Ils n'ont d'autre matérialité que celle qui établit les relations de deux autres types de processus: primaires et secondaires. Ils paraissent nécessaires au maintien d'un équilibre entre les divers régimes du fonctionnement psychique et seraient liés au préconscient. Ils serviraient lors de la créativité à contrer la nocivité du clivage, dont l'excès conduit à la désintégration puis à la mort psychique. Mais le clivage est lui-même le moyen d'échapper à la confusion." (André Green, op. cit.190, p. 139).
Le paradoxe de la confusion (fondre ensemble l'un dans l'autre), de la redondance et de la superposition est illustré par certaines gravures de Maurizius Escher où deux figures ou univers coexistent, où des mêmes éléments appartiennent à la fois et en même temps à ces deux figures ou univers.
C'est la configuration de redondance et de superposition qui est la plus générale et la plus évidente pour la frontière ou limite. La redondance n’est pas la répétition à l’identique, mais le déploiement d’une multitude de versions différentes d’un même schéma organisateur, d’une même structure, d’une même fonction ou d’un même comportement.
Le paradoxe du compromis est dans la stratégie double, dans l'unité de temps et de lieu, du message assorti d'un métamessage, comme un geste agressif assorti d'un signal "ceci est un jeu", révélé par Gregory Bateson. L'expression "à la fois… et…" illustre ce paradoxe du compromis, alors que le clivage est dans l'expression "ou bien, ou bien" du compartimentage.
Le "double bind" est un compromis dans les injonctions paradoxales où pour obéir à l'une il faut désobéir à l'autre, dans la créativité, l'humour et la pathogenèse avec une troisième injonction appelée "injonction-cliquet" qui oblige à choisir dans une situation de choix impossible et qui interdit toute sortie dans le commentaire, dans l'inaction et dans la révolte contre l'autorité externe ou intériorisée qui ordonne.
Le paradoxe du compartimentage est dans la stratégie double où les deux branches simulent l'ignorance mutuelle, comme dans l'expression "que ma main gauche ignore ma main droite". C'est la stratégie du bâton et de la bonne parole, de l'alliance du sabre et du goupillon, depuis le coup de génie de l'empereur Constantin qui a fait du christianisme la religion d'État de Rome pour armer les légions romaines d'une idéologie conquérante.
[modifier] De l’affect à la limite dans les structures cliniques chez André Green
Si la psychanalyse a contribué à éclairer la vie affective, l'affect demeure souvent une notion obscure par défaut d'une théorie psychanalytique satisfaisante. On ne peut assigner à l'affect une localisation particulière dans l'œuvre de Freud. Celui-ci a consacré à l'affect aucun ouvrage spécifique. L'affect est exclu par Lacan pour qui la "découverte de Freud" est une œuvre de Freud amputée d'une moitié. En effet, la théorie lacanienne est fondée sur une exclusion, un "oubli" de l'affect au profit de la parole et du langage en psychanalyse (Anthony Wilden, 1968, The language of the self, John Hopkins University Press, Baltimore. Ce travail de Lacan, dénommé « Discours de Rome », a été repris dans les Écrits (1966, pp. 237-322). Il a été traduit en anglais et commenté par Anthony Wilden. Anthony Wilden a repris ce thème avec Lacan dans Speech and language in psychoanalysis, 1968, John Hopkins University Press, Baltimore).
Une moitié de l'œuvre freudien se rapporte à l'affect et l'autre moitié à la parole. André Green s'est donné la tâche de partir à la recherche de cette moitié manquante. Ce faisant, André Green est connu pour être l'homme de l'affect avant de devenir l'homme de l'état-limite ou borderline en anglais. Pour Green, l'affect est à la base des structures cliniques névrotiques, psychotiques et névro-psychotiques de l'état-limite. En français, le terme "affect" appartient au vocabulaire technique spécifiquement psychanalytique, comme en témoignent les dictionnaires d'usage courant du type Larousse, Littré et Robert. L'affect se distingue de la représentation, en autant qu'il se rapporte à la sensibilité, en contraste à l'intelligibilité.
[modifier] L'affect dans l'œuvre freudienne
Si la psychanalyse se fonde sur la causalité historique, alors aucune notion plus que l'affect n'est plus directement liée à la dimension historique, c'est-à-dire au phénomène de l'après-coup. Pour André Green ("Le discours vivant", 1973, p. 279), l'après-coup est un processus diachronique du vécu et de la fabrication “a posteriori” du sens de ce vécu. C’est la Théorie de la séduction créée et abandonnée par Freud lui-même.
- "[…] le moment du vécu et le moment de la signification ne coïncident pas. Ce qui est signifié au moment du vécu est pour ainsi dire en souffrance, en attente de signification. Le moment de la signification est toujours rétroactif. Si une signification paraît dans la remémoration avoir coïncidé avec le vécu, le plus souvent il s'agit d'une élaboration ultérieure, rapportée au vécu initial. Celui-ci s'accompagne d'une 'signification' tout autre, était en quelque sorte cadré par une 'théorie sexuelle' qui en rendait compte. On pourrait presque avancer que vécu et signification s'appellent l'un l'autre sans jamais se rejoindre. Le vécu court après la signification sans jamais la trouver. La signification est acquise quand le vécu est à jamais perdu. Au reste, l'intensité affective du vécu ne saurait aboutir à une signification qui exige un dépouillement, un désaisissement affectif. De même, le détachement qui accompagne la signification est ce qui oriente la recherche vers la retrouvaille rétrospective des conditions du vécu, sans jamais le revivre pleinement. On objectera que certains faits plaident pour la thèse adverse: l'illumination par quoi tout s'éclaire dans l'instant d'un moment fécond affectif. À notre avis, le moment de cette rencontre est toujours celui d'un effet de résonance; d'un moment qui ressaisit des fragments passés, épars et disjoints, mais appartenant à une autre séquence temporelle".
Ce phénomène diachronique de l'après-coup est du registre temporel de la théorie du traumatisme en deux temps. Elle postule que ce qui s'inscrit dans l'inconscient est seulement ce qui est dans la relation entre deux expériences séparées dans le temps et par un moment (aussi bien comme instant que comme rapport de forces) de mutation permettant au sujet de réagir autrement qu'au premier événement. Au premier temps est l'effroi ou l'émerveillement, la souffrance ou le plaisir qui confronte le sujet non-préparé à une expérience significative, mais encore insignifiante, puisque le sujet est en état d'impréparation ou d'immaturité, c'est-à-dire un vécu indéchiffrable, un vécu dont la signification ne peut être assimilée. Laissé en attente ou mis de côté, le souvenir n'est pas en soi pathologique ou traumatisant.
Il ne le deviendra que par sa remémorisation, sa reviviscence, lors d'une seconde expérience ou scène qui entre en résonance associative avec la précédente expérience. Au deuxième temps est une expérience qui rappelle la première. Mais, du fait des nouvelles possibilités de réaction, c'est le souvenir lui-même - et non pas la nouvelle expérience fonctionnant comme déclencheur - qui agit comme une nouvelle "source d'énergie libidinale" interne et auto-traumatisante. En d'autres termes, c'est le souvenir d'un vécu qui affecte plu-tôt que le vécu lui-même à l'époque où il s'est passé.
Sans être strictement nommé, l'affect semble déjà être présent et éparpillé dès le début de l'œuvre freudien avec la théorie de la séduction dans les Études sur l'hystérie (1893-1895) et L'interprétation des rêves (1900). La notion d'affect devient encore plus diffuse et diluée dans la Métapsychologie 1915) et encore plus après Le fétichisme (1927). Le texte majeur sur l'affect après la deuxième topique est "Inhibition, symptôme, angoisse".
Aux plus beaux jours de la physique quantique, Freud a conçu le "quantum d'affect" sur le modèle physique du quantum d'énergie du photon ou de l'électron en distinguant :
- la quantité mesurable d'affect ;
- la variation de cette quantité d'affect ;
- le mouvement lié à cette quantité d'affect ;
- la décharge de cette quantité d'affect.
Ce "quantum d'affect" exprime la solidarité entre un contenu associatif de l'après-coup et son corrélat affectif. Le terme allemand "Affekbetrag " a été traduit en français par Freud lui-même en "valeur affective", exprimant à la fois une notion qualitative et quantitative, par rapport à la notion strictement quantitative du "quantum d'affect". Dans l'après-coup, l'affect et la représentation s'interpellent mutuellement. La prévalence de l'affect ou de la représentation revient à une préférence arbitraire pour l'une ou l'autre des deux moitiés de l'œuvre freudienne: la sensibilité et la parole. Dans les "Études sur l'hystérie", p. 5, cette interpellation mutuelle est ainsi exprimée.
- "[…] L'être humain trouve dans le langage un équivalent de l'acte, équivalent grâce auquel l'affect peut être abréagi de la même façon".
L'abréaction est l'irruption dans le champ de la conscience d'un affect jusque là refoulé et maintenu dans l'inconscient en raison de son lien avec le souvenir d'une expérience de douleur ou de déplaisir. L'affect et le souvenir, ainsi liés, ont été refoulés et maintenus dans l'inconscient en raison de leur caractère douloureux. Lorsque l'affect et la verbalisation du souvenir font irruption en même temps dans le champ de la conscience, l'abréaction se produit et se manifeste par des actes et des paroles exprimant et explicitant ces affects. L'admission de l'affect à la conscience est le plus souvent subordonnée à la liaison avec un représentant substitutif qui prend la place du représentant originel auquel l'affect était lié au départ. Une transmission directe est encore possible lorsque l'affect est transformé en angoisse. Les avatars de l'affect suivent les avatars de l'angoisse dans l'œuvre freudien. Des périodes peuvent se démarquer :
- la névrose d'angoisse des transformations qualitatives et quantitatives de la tension physique sexuelle en affect par élaboration psychique (1893-1895) ;
- la libido refoulée devant le danger de la castration (1909-1917) ;
- l'appareil psychique (1926-1932) où seul le "Moi" peut éprouver l'angoisse devant une menace physique d'un danger réel, une menace de l'envahissement du "Moi" par le "Ça" (angoisse névrotique) et une menace de l'envahissement du "Moi" par le "Surmoi" (angoisse de conscience).
La parole ne fait pas que permettre à la charge affective de se débloquer et d'être vécue, elle est en elle-même l'acte et décharge par les mots. La procédure parolière utilisée dans la cure permet à l'affect de se déverser verbalement. Avec la décharge verbale, un souvenir dénué de charge affective est presque totalement inoffensif et inefficace.
Finalement, ce quantum d'affect est une somme d'excitations à la rémémoration d'une expérience de la satisfaction (plaisir) ou de la douleur (déplaisir). La décharge affective par la parole ou par l'acte d'un souvenir le rendrait inoffensif et inefficace. Dans l'œuvre freudien, des travaux sur l'hystérie, l'inconscient, le refoulement et l'angoisse traitent directement ou le plus souvent indirectement de l'affect. Dans la conception psychanalytique, l'affect peut se comprendre seulement par l'intermédiaire du modèle théorique de la pulsion.
L'affect est une des deux composantes de la représentation psychique de la pulsion. Dans cette représentation, l'affect est la part énergétique dotée d'une quantité, d'une qualité et d'une tonalité subjective mouvantes. C'est par la décharge que l'affect se révèle au conscient. C'est aussi par la résistance suivie de la levée de cette résistance à la tension croissante qui le caractérise que l'affect se révèle au conscient. Partie du corps pour revenir au corps, cette décharge est en majeure partie orientée vers l'intérieur, vers le corps.
La liaison entre l'affect et la représentation est celle d'un appel réciproque: la représentation éveille l'affect dans l'après-coup et, réciproquement, l'affect mobilisé demande la représentation. Le complexe affect-représentation déploie chacun de ses deux termes dans des directions divergentes: la représentation se développe vers le fantasme ou la parole et l'affect s'étale des formes brutes aux états subtils.
[modifier] L'affect dans la littérature psychanalytique post-freudienne
Il semble revenir à Ferenzci de donner à la notion d'affect une utilisation extensive entérinée par la clinique psychanalytique contemporaine. Cette littérature psychanalytique post-freudienne vient principalement des travaux anglo-saxons sur l'affect. À partir des "affects primaires" chez Melanie Klein, Jones (1929) a montré qu'un affect peut cacher un autre en se mobilisant contre cet autre: la crainte peut couvrir la culpabilité, tout comme la haine peut camoufler cette crainte, selon une sorte de couches sédimentaires dans les profondeurs du conscient à l'inconscient. Ainsi la crainte superficielle est une angoisse rationalisée, tandis que la crainte plus profondément enfouie est une angoisse archaïque évoquant des dangers majeurs de nature douloureuse.
À ces affects primaires, il faut compter avec leurs camouflages dégagés par Jones et leurs inversions déjà élaborées par Freud, inversion produite comme un changement de signe en algèbre et par laquelle le sujet se délivre de l'affect. Tout se passe comme si l'affect refoulé revient sous forme inversée où le désir se fait dégoût, comme le plaisir se fait douleur. Ainsi, l'équivalent de la négation dans la moitié parolière se retrouve dans l'inversion des affects dans l'autre moitié énergétique.
Une différence sensible sépare ces deux moitiés: l'affranchissement des restrictions du refoulement se fait au prix d'une simple négation et admet l'idée refoulée dans le conscient pour la moitié intellectuelle parolière, tandis que la douleur ou le déplaisir du plaisir inversé nécessite un contre-investissement au moins égal, mais généralement plus dispendieux. Cette différence se rapporte également au « refoulement » de l'affect (Verdrängung) en contraste au « désaveu » (Verleugnung) de l'idée, c'est-à-dire de la représentation.
Une autre différence à l'intérieur du champ de l'affect est la décharge et la tension, comme celle entre expérience affective et sensations corporelles. Ces sensations corporelles sont nécessaires et insuffisantes à l'expérience affective, mais ne se confondent pas avec cette expérience affective, comme le territoire avec la carte. Tension et décharge sont indissolublement liées en des oscillations autour d'un axe moyen ou optimal de tensions. Alors, le principe de plaisir n'a plus pour but l'apaisement des tensions et il est lui-même soumis à un principe supérieur homéostatique.
De ce tableau freudien et post-freudien, l'affect apparaît comme une charge ou une tension émotive qui, lorsqu'elle est refoulée, se convertit en angoisse ou détermine un symptôme névrotique ou voire psychotique.
[modifier] L'affect dans les structures cliniques
Il s'agit de quatre grandes formes cliniques, comme les quatre points cardinaux pour se repérer: les deux formes névrotiques de l'hystérie et de la névrose obsessionnelle et les deux formes psychotiques des psychoses mélancoliques et maniaques et des psychoses schizophréniques.
En ce qui concerne la névrose obsessionnelle et la névrose hystérique et dans la Théorie de la séduction qui s'y rapporte, Freud oppose l'étiologie de la névrose obsessionnelle - où l'agression comporte une nuance de participation dans le plaisir de l'acte sexuel - à l'étiologie de l'hystérie où séduction et passivité seraient évidentes d'emblée. Mais, cette opposition symétrique est sujette à caution sans graduations fines de l'activité à la passivité et sans répartitions adéquates dans l'enchaînement des actes, des scènes ou des expériences vécues. Alors, André Green (op, cit. 1973, pp. 146-157) a proposé deux modèles structuraux de la névrose obsessionnelle et de l'hystérie sous l'angle de l'affect.
- L'hystérie de conversion et la condensation.
Dans cette forme, l'idée incompatible, dans l'après-coup, est rendue inoffensive par la conversion ou la transformation en expressions ou affections somatiques. En d'autres termes, l'affect ou la somme d'excitations se décharge sur le corps, mais elle ne se décharge pas indifféremment ou de façon indifférenciée. Cette conversion ou transformation et cette somatisation expriment les ruses de l'affect dans le camouflage et l'inversion signalés auparavant à propos des affects primaires chez Melanie Klein et leurs camouflages dégagés par Jones et leurs inversions déjà notées par Freud.
L'inversion de l'affect est simplement un changement de sens avec conservation de l'intensité, du désir au dégoût, de l'attraction à la répulsion. Les symptômes hystériques désignent et signifient les fantasmes qui sont alors incarnés. Lacan dit: "l'hystérique parle avec sa chair". La condensation est dans la multiplicité des identifications, des représentations amalgamées en un fantasme global. Cette condensation se rapporte aussi à la multiplicité des affects qui pousse à la décharge où la mise en scène devient une mise en acte pour réaliser un accroissement de densité énergétique. Alors, à travers l'affect, André Green unit la conversion à la condensation suivant cette équation:
- "condensation des signifiants + condensation des affects = conversion".
Cette prévalence de la condensation chez l'hystérique est ainsi explicitée par André Green (op. cit, 1973, pp. 150-151) avec la multiplicité et la boulimie de la dévoration des représentations et des affects multiples:
- "[…] Mais chez l'hystérique, à la mesure même de l'intensité du dégoût sexuel, dégoût qui est au maximum quand apparaît le désir de fellation et de possession par incorporation orale, une véritable boulimie psychique. Boulimie d'objets à valeur phallique, boulimie d'affects dans la mesure où la possession de cet objet est gage d'amour et condition d'obtention de l'amour de l'objet. Ce n'est pas un pénis que désire l'hystérique féminin, c'est une somme d'objets péniens dont la quantité ou la taille n'entraîne jamais la satiété, parce que la satiété supprimera le désir ainsi satisfait. Lacan a raison de dire que l'hystérique est désir de désir insatisfait. Dès lors, la castration apparaît comme la conséquence du fantasme d'incorporation du pénis, dont la taille enviée et redoutée ne peut pénétrer dans le vagin et dont les dangers sont reportés au niveau de la bouche. À la place de quoi s'installe l'avidité affective, comme substitut de l'objet. L'hystérique vit de la dévoration de ses affects. La tension du désir monte, nourrie par des objets fantasmatiques toujours plus valorisés, alimentant - c'est le cas de dire - le conflit avec un Idéal du Moi mégalomaniaque, visant une désexualisation à proportion même de la sexualisation cumulative des objets les plus banaux. Tel serait le sens de la condensation. La conversion aurait pour but d'avaler - littéralement - cet excédent, de l'absorber dans le corps, comme le pénis, absorbé et retenu, vient prendre la place de l'enfant-pénis désiré dans le fantasme de grossesse. Passage du vagin au ventre, passage du fantasme au symptôme de la conversion. Certes, tous les symptômes de conversion ne sont pas en rapport avec le fantasme de grossesse; mais toutes les opérations de détail ne se comprennent que dans le plan d'une stratégie d'ensemble qui doit concourir à la réalisation de ce fantasme d'un être phallique-engrossé. Problématique qui vaut pour les deux sexes, chacun ne pouvant réaliser dans le réel que la moitié de ce programme. Tout ceci est mis en œuvre pour conjurer le danger de la coupure: la séparation".
- La névrose obsessionnelle et le déplacement.
Dans cette forme, la transformation ou la conversion somatique ne se produit pas, il y a comme une dissociation entre la représentation et l'affect, entre l'idée et l'état émotif. Tout se passe comme si, au lieu de glisser sur le registre corporel, en déjouant le conflit, l'obsessionnel trouvait un autre moyen, celui de dissocier les éléments en présence dans le conflit et puis ensuite de procéder à un déplacement de la représentation ou de l'idée vers une autre représentation ou une autre idée d'une importance beaucoup moins grande pour le sujet. En d'autres termes, c'est une structure binaire de dissociation et de déplacement d'une représentation de très grande importance vers une représentation d'importance secondaire. Ce double déplacement remplace le passé par le présent et le sexuel par le non-sexuel. L'obsession se situe dans cette double structure de dissociation et de déplacement qui, au lieu de glisser vers le corps dans la conversion, file vers la pensée, à la faveur de la symbolisation par le remplacement du sexuel avec le non-sexuel. C'est à la faveur du déplacement du sexuel au non-sexuel que l'agressivité prend le devant de la scène qui se déploie sur trois voies:
- la césure des rapports de causalité;
- la pensée toute puissante;
- la prévalence des thèmes de mort.
L'obsession se ramifie souvent en deux branches: la phobie et l'angoisse. L'hystérie enterre la condensation des affects dans la transformation ou conversion somatique, alors que la névrose obsessionnelle déplace ces affects vers la toute puissance de la pensée. La phobie se situe dans une structure tierce où le sujet n'échappe plus à l'affect, mais lui est constamment confronté. L'angoisse est une structure affective plus générale qui se particularise dans la phobie.
- Les psychoses maniaques ou dépressions bipolaires.
Dans la phase dépressive d'une psychose maniaque est l'affect de deuil et la douleur dans la perte de l'objet. Du deuil de l'objet résulte la production d'un affect d'une grande intensité et de tonalité douloureuse. Freud attache à cet affect de douleur une signification principalement économique d'où résulte l'importance du "travail du deuil " expressément désigné. Ce travail du deuil est l'opération nécessaire de détachement libidinal exigé par la perte de l'objet dans le deuil. Dans cette phase dépressive mélancolique, par l'investissement narcissique de l'objet, la perte de l'objet entraîne une perte au niveau du Moi. Ce Moi, s'identifie à l'objet perdu et les investissements d'objet se retirant dans le Moi. L'ambivalence qui caractérise ces investissements d'objet atteint alors le Moi et la haine s'attaque au Moi, comme elle s'attaquerait à l'objet perdu. Cette blessure narcissique du Moi, allant de pair avec le sentiment de la douleur, le conduit à devoir supporter ces investissements sadiques.
C'est une explication économique freudienne de la douleur où la mélancolie est une lutte autour des représentations de chose dans l'inconscient: l'amour pour l'objet commande de conserver ses représentations malgré sa perte, tandis que la haine pour l'objet exige de s'en défaire. L'appauvrissement du Moi prévaut dans cette lutte. Ce Moi est dévoré par les investissements d'objet qui font irruption par la blessure narcissique ouverte et donnant naissance à la douleur. Avec la douleur, l'appauvrissement du Moi par la blessure narcissique atteint ce Moi jusqu'à l'autoconservation: sa dépendance à l'objet l'inclinerait à le suivre dans la perte ou à le détruire en une deuxième fois en se détruisant.
Dans la phase exubérante est l'euphorie de l'affect de triomphe où le sujet réagit à la perte de l'objet en accentuant le sentiment de triomphe sur l'objet. Ce sentiment existe de façon éphémère dans le deuil et passe souvent inaperçu. Freud l'attribue à la satisfaction narcissique d'être resté en vie ou intact. Melanie Klein, elle, l'attribue à la satisfaction des pulsions destructrices d'avoir dominé et assujetti l'objet. Cette exubérance et cette euphorie ne seraient qu'une réjouissance devant la dépouille d'un adversaire vaincu.
L'oscillation mélancolie-euphorie s'agite autour des mêmes traits: perte de l'objet, ambivalence, régression narcissique dans l'appauvrissement et l'enrichissement du Moi. Dans les deux cas de figure, il s'agit de la dévoration du Moi par l'objet et de la dévoration de la toute-puissance de l'objet par le Moi.
- Les psychoses schizophréniques.
Le double aspect de l'affect est reconnu dans la schizophrénie, même parmi de nombreuses méconnaissances. Ce double aspect de l'affect est une indifférence affective alliée à une affectivité paradoxale qui s'exprime en actes par des impulsions les plus explosives et les plus inattendues. La liaison entre affect et représentation se révèle à travers les liens entre l'acte et l'hallucination. L'affect est action et agi, la représentation n'obéit plus à l'épreuve de la réalité. Une portion de la réalité psychique est installée dans le champ de la réalité externe refoulée.
- L'état-limite, le paradoxe du tiers inclus et les processus tertiaires.
Le tiers inclus est paradoxal seulement par l'habitude intellectuelle de penser en termes de "ou bien l'un, ou bien l'autre" de la logique du tiers exclu, des disjonctions, clivages et oppositions binaires. Dans la logique du tiers inclus du type "à la fois l'un et l'autre", il y a l'un, l'autre et leur frontière ou limite qui est une unité paradoxale, assurant à la fois l'un et l'autre, dans la superposition, l'interpénétration, la redondance ou le compromis.
Dans cette perspective, André Green a inventé les "processus tertiaires" pour étayer l'état limite conçu comme à la fois une névrose et une psychose. C'est peut-être une névrose réelle et une psychose virtuelle. (André Green, 1972, p. 408, Notes sur les processus tertiaires, dans la "Revue française de psychanalyse").
Les “processus tertiaires”. "Par processus tertiaires, j'entends les processus qui mettent en relation les processus primaires et les processus secondaires de telle façon que les processus primaires limitent la saturation des processus secondaires et les processus secondaires celle des processus primaires."
Pour le moment, les processus tertiaires semblent être une interface active et bidirectionnelle entre les processus primaires et secondaires. Ils contrôlent (surveillent et commandent) et régulent le fonctionnement des processus primaires et secondaires dans certaines limites fixées. La question se rapporte sur les limites et la fixation de ces limites.
Les “processus primaires” sont, pour Freud, un mode de fonctionnement caractérisé, sur le plan économique, par la libre circulation de l'énergie et le libre glissement de sens. L'inconscient est le lieu de ce processus dont les dispositifs spécifiques sont le déplacement et la condensation, comme modes de passage d'une représentation à une autre et la caractéristique est l'absence de la négation syntaxique "ne, pas".
Les “processus secondaires” sont caractérisés, sur le plan économique, par des liaisons et un contrôle de l'écoulement énergétique soumis au "principe de réalité". Ce principe de réalité régit le fonctionnement psychique et corrige les conséquences du principe du plaisir en fonction des conditions imposées par le monde extérieur. En des termes de la cybernétique, ce principe de la réalité est une sorte de régulateur socio-culturel, comme un thermostat pour la température et le régulateur à boules de James Watt (1736-1819) pour contrôler, surveiller et commander, ou finalement stabiliser ou réguler la vitesse de rotation d'un moteur à vapeur.
Ces “processus tertiaires” régulateurs agiraient dans une structure intermédiaire d'état-limite, comme (à l'imagerie du thermostat domestique) la température affichée par un index est la partie visible d'une structure dont la fonction est de déclencher et d'éteindre les éléments de chauffe qui font augmenter et baisser la température de la pièce ou de la maison en oscillation cybernétique autour du point homéostasique, d'équilibre et de limite qu'est cette température réglée, régulée et affichée.
- L'affect dans les processus cliniques.
Le processus analytique nous met en présence d'un matériel psychique où la présentation du passé - le passé rendu présent et conjugué au présent - s'accomplit dans un tissu de discours caractérisé par l'hétérogénéité qui unit dans sa texture les fils d'hier et d'aujourd'hui entremêlés dans des entrelacements d'enchevêtrements d'éléments aussi disparates que des idées, des représentations, des actes conjugués aux affects. L'affect n'a pas une fonction uniforme. Freud parle des fois de « motions affectives », d'affects réprimés ou appartenant au refoulé, de relations affectives. Selon le contexte, l'affect a la fonction d'être soit une émanation de la pulsion (motions affectives), soit le moteur d'une idée, soit le mobile d'actes, soit encore un tissu de relations que le rapport à l'objet transférentiel aide à repérer et à répéter. Si le processus analytique est le dévoilement de l'amnésie infantile obtenue par le dévoilement du refoulement, alors le recouvrement des souvenirs ne se produit pas toujours lorsque la résistance emporte sur la remémoration.
Très souvent, on ne réussit pas à ce que le patient se rappelle le refoulé, mais si la construction de l'analyste est validée par l'affect du patient, on peut conclure que l'analyse est infirmée. Si une analyse correctement menée convainc fermement le patient de la vérité de la construction, alors cette construction, du point de vue thérapeutique, a le même effet qu'un souvenir retrouvé. Cet effet de vérité est celui de la vérité historique et l'affect de l'expérience est lié à une représentation hallucinée. Réminiscence et construction vont de pair et la réminiscence est le fruit d'une construction de l'analysant. La levée de l'amnésie infantile peut être une construction de l'analyste validée par l'affect du patient. Entre souvenir-écran et fantasme, leur structure est la même, tous deux sont construits à partir de fragments de perception morcelés, désarticulés et rassemblés pour former une scène psychique, décor ou scénario de notre cinéma privé.
[modifier] Liens internes
[modifier] Notes et références
[modifier] Liens externes
- Personnalité_Limite.Org : Site sur le trouble de personnalité limite
- Actualité syndrome borderline Bulletin du psychiatre
- trouble de la personnalité de type limite : sites et documents francophones
- AAPEL Association d'aide aux personnes avec un état limite
[modifier] Bibliographie
- Jean Bergeret,
- La personnalité normale et pathologique, Éd: Dunod, 2003, 3e édition, ISBN 2100030078
- La dépression et les états-limites, Payot, 1992, Coll: Science de l'homme, ISBN 2228885975
- Abrégé de psychologie pathologique, Masson 2004, coll Abrégés de médecine, 9e édition, ISBN 2294009894
- Alain Tortosa, Dans l'émotion d'une borderline, AforPEL 2006
- Hélène Deutsch, Les personnalités as if
- Otto Fénichel, La théorie psychanalytique des névroses, 1945, PUF 1953
- André Green, La folie privée, Gallimard 1990
- Germaine Guex, Le syndrome d'abandon PUF 1973
- Otto F. Kernberg, La personnalité narcissique et les troubles limites de la personnalité, 1975, Privat 1979
- Joyce McDougall, Théâtre du Je, 1982, Folio- Gallimard, 2004, ISBN 2070314294
- Henri Rey. Universaux de psychanalyse dans le traitement des états psychotiques et borderline (Facteurs spatio-temporels et linguistiques), Ed. Hublot, Préf. Alain Braconnier, Trad d'Elisabeth Baranger, 2000, ISBN 2912186129
- Harold Searles Mon expérience avec les états-limites Gallimard
- John Steiner : Retraits psychiques. Organisations pathologiques chez les patients psychotiques, névrosés et borderline, PUF, 1996, ISBN 2130477585
- François Duparc, Christian Vasseur, Jean Cournut, Guy Cabrol, Coll.: Les conduites à risque: Au regard de la psychanalyse Ed.: In Press, 2006, ISBN 2848350962
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