Georg Wilhelm Friedrich Hegel
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Philosophe Occidental Époque Moderne |
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Naissance : | 27 août 1770 (Stuttgart) |
Décès : | 13 novembre 1831 |
Principaux intérêts : | Histoire, Esthétique, Politique |
Œuvres principales : | Phénoménologie de l'esprit |
Influencé par : | Aristote, Anselme, Descartes, Goethe, Spinoza, Rousseau, Boehme, Kant, Fichte, Schelling |
A influencé : | Feuerbarch, Marx, Engels, Bauer, Bradley, Lenin, Trotsky, Heidegger, Sartre, Barth, Küng, Habermas, Gadamer |
Georg Wilhelm Friedrich Hegel (27 août 1770 - 13 novembre 1831) est un philosophe allemand. Son œuvre est l'une des plus représentatives de l'Idéalisme allemand et a eu une influence décisive sur Marx ou sur l'école de Francfort. Il est célèbre pour son analyse de la dialectique du Maître et de l'esclave, pour la Phénoménologie de l'esprit ainsi que pour la célèbre (bien que souvent très mal comprise) dialectique.
Sommaire |
[modifier] Biographie
Hegel est né à Stuttgart, en 1770, fils d’un fonctionnaire à la Cour des comptes du duc de Wurtemberg. Il fit ses études au Gymnasium de sa ville natale. À 18 ans, il entre au séminaire de Tübingen et étudie la philosophie, l’histoire, la théologie, le latin, le grec. Il fait la connaissance de Hölderlin et de Schelling, avec qui il partage une passion pour la Grèce. À cette époque, l’essentiel de ses pensées semble s’orienter vers la religion, puis de plus en plus vers la politique.
Il obtient son magister de philosophie en 1790 ; en 1793, il passe les examens de théologie, mais devient ensuite précepteur à Berne. En 1797, il est précepteur à Francfort-sur-le-Main. Il traverse alors une crise philosophique en concevant l’impossibilité de retrouver l’harmonie politique grecque dans la civilisation européenne moderne.
Il devient Privatdozent à l’université de Iéna en 1801 et enseigne la pensée de Schelling : il écrit la Différence entre les systèmes de Fichte et de Schelling, qui est une prise de position pour le deuxième contre le premier. Avec Schelling, il fonde le Journal critique de philosophie. Mais l’époque de Iéna est avant tout celle d’un tournant : Hegel se sépare de la philosophie schellingienne, rupture consacrée par la préface de la Phénoménologie de l'esprit qui paraît en 1807.
L’arrivée de Napoléon à Iéna interrompt les activités universitaires ; Hegel part à Bamberg et devient le directeur d’un petit journal de cette ville. En 1808, il est recteur du lycée de Nuremberg ; il rédige et publie alors La Science de la logique. En 1816, il accepte la chaire de l’université d'Heidelberg. En 1818, il occupe la chaire de Fichte à Berlin et enseigne sa propre philosophie, en approfondissant plusieurs parties de son Encyclopédie des sciences philosophiques : la philosophie du droit, de l’histoire, de la religion, l’histoire de la philosophie, etc. En 1831, une épidémie de choléra décime l’Europe : Hegel meurt le 13 novembre.
[modifier] Doctrine
[modifier] Introduction
La philosophie de Hegel est une philosophie de l’esprit absolu et de son déploiement dialectique qui constitue la réalité et son devenir. Cette dialectique a pu être considérée comme une théologie de l’histoire, mais elle a également donné lieu à de nombreuses interprétations contradictoires du fait de sa difficulté.
Cette philosophie est essentiellement déterminée par la notion de dialectique, qui est tout à la fois un concept, un principe d’intelligibilité, et, selon Hegel, le mouvement réel qui gouverne les choses du monde. La pensée hégélienne est donc la compréhension de l’histoire de ce qu’il appelle l’Idée, Idée qui, après s’être extériorisée dans la nature, revient en elle-même en niant cette altérité pour s’intérioriser, s’approfondir et se réaliser dans des formes culturelles (suivant une hiérarchie formelle d’un contenu identique : art, religion et philosophie). D’un point de vue très général, c’est donc une pensée qui veut concilier les opposés qui apparaissent, par la conciliation des philosophies de l’Être et des philosophies du devenir. En effet, avec la dialectique, ces oppositions cessent d’être figées puisque le mouvement d’une chose est d’être posée, puis de passer dans son contraire, et ensuite de réconcilier ces deux états. Ainsi, l’être n’est-il pas le contraire du Néant ; l’être passe dans le néant, le néant dans l’être, et le devenir en est le résultat : « Le néant, en tant que ce néant immédiat, égal à soi-même, est de même, inversement, la même chose que l’être. La vérité de l’être, ainsi que du néant, est par suite l’unité des deux ; cette unité est le devenir. » (La Science de la logique)
Cette histoire trouve alors son sommet dans l’État, où l’Idée s’accomplit dans une organisation juridique capable de réaliser la liberté qui est son essence, i.e. ce qu’elle était déjà en germe. L’État est ainsi l’Idée qui se concrétise dans une société humaine, dans un peuple dont l’Idée est l’esprit, et qui est menée à son terme par le grand homme. Mais cet achèvement étant atteint, c’est la philosophie qui réalise pleinement la liberté : parvenu au savoir absolu, à la liberté du concept, la philosophie reprend en effet la totalité du savoir, i.e. l’ensemble des moments du processus, et se constitue par ce moyen comme science, comme savoir absolu de l’être.
On voit donc que, pour Hegel, l’histoire s’achève avec son époque : tout ce développement dialectique, réalisé dans l’État, dans l’art, la religion, la philosophie, dans l’ensemble des institutions humaines qui expriment le travail du concept, trouve sa vérité et son accomplissement à l’époque de Hegel et dans ses livres… Cette volonté de clôture de l’histoire a engendré de violentes critiques (voir par exemple Nietzsche).
Étant donnée cette dialectique de la totalité, i.e. le fait que la philosophie comprend la totalité du réel, Hegel reprend en un système le savoir de son temps, système où tous les concepts sont liés dans un ensemble organique. L'œuvre capitale de Hegel est de ce point de vue l’Encyclopédie des sciences philosophiques, dont le plan est l’architecture du système de la philosophie. Il est composé de trois parties :
- La Science de la logique, science de l’idée en soi et pour soi dans l’élément abstrait de la pensée ;
- la philosophie de la nature, science de l’Idée dans ce qui constitue son devenir autre ;
- la Philosophie de l’esprit, science de l’Idée retournant à soi.
Puisque tous les aspects de la réalité sont selon Hegel l’expression d’un mouvement dialectique, on ne doit pas séparer les domaines d’études : l’ensemble des chapitres de cet article n’est pas un découpage qui appartient à la pensée de Hegel, mais une présentation successive de quelques aspects que l’on doit comprendre ensemble : histoire, morale, droit, art, religion, philosophie.
[modifier] Ses objectifs
Hegel s’est fixé pour but d’élever la philosophie au rang de science qui rend compte d'elle-même, du sujet qui l'énonce, du processus historique où il prend place et, finalement, de l'unité sujet-objet autant que de leur division. On peut définir son objectif comme conscience de soi, mais de soi comme communauté historique (politique et religieuse) d'individus actifs qui transforment le monde, progrès dans la conscience de la liberté (c'est-à-dire progrès dans la connaissance de soi, tout comme dans la liberté de conscience ainsi que dans le droit et dans l'Etat comme liberté objective). C'est une philosophie de l'histoire, de l'action et d'une liberté à conquérir avec ses contradictions, sa négativité, sa dialectique : passage de l'histoire subie à l'histoire conçue où la Phénoménologie s'achève après être passée de la conscience de soi à la conscience morale puis à la conscience politique et religieuse dans leur historicité.
"Chacun admet volontiers que l’esprit possède aussi, parmi d’autres qualités, la liberté; mais la philosophie nous enseigne que toutes les qualités de l’esprit ne subsistent que grâce à la liberté, qu’elles ne sont toutes que des moyens en vue de la liberté, que toutes cherchent et produisent seulement celle-ci; c’est une connaissance de la philosophie spéculative que la liberté est uniquement ce qu’il y a de vrai dans l’esprit (...). p27
Il faut dans la conscience, distinguer deux choses : d’abord le fait que je sais et ensuite ce que je sais. Ces deux choses se confondent dans la conscience de soi, car l’esprit se sait lui-même : il est le jugement de sa propre nature; il est aussi l’activité par laquelle il revient à soi, se produit ainsi, se fait ce qu’il est en soi. D’après cette définition abstraite, on peut dire de l’histoire universelle qu’elle est la représentation de l’esprit dans son effort pour acquérir le savoir de ce qu’il est ; et comme le germe porte en soi la nature entière de l’arbre, le goût, la forme des fruits, de même les premières traces de l’esprit contiennent déjà aussi virtuellement toute l’histoire. p27
L’histoire universelle est le progrès dans la conscience de la liberté - progrès dont nous avons à reconnaître la nécessité". p28 (Leçons sur la Philosophie de l'histoire, Vrin 1963, traduction J. Gibelin/E. Gilson)
[modifier] Contexte historique
- Révolution française
- Guerres européennes
[modifier] Influence
La pensée de Hegel est considérée comme le sommet de l’idéalisme allemand.
Il se démarque de Kant dont il veut dépasser le formalisme, et, avec le concept de dialectique historique, a une influence décisive sur toute la philosophie occidentale, malgré les critiques virulentes de Schopenhauer et de Nietzsche, et en particulier sur Karl Marx et Lénine, et sur Søren Kierkegaard, et à travers lui Martin Heidegger et l’existentialisme.
Sa pensée a fait l’objet de nombreux débats : Hegel était-il panthéiste (spinoziste) ?
À la mort de Hegel, son école s’est divisée en deux branches principales ; hégélianisme dit de droite (les « vieux hégéliens », certains historiens de la philosophie : Eduard Zeller, Kuno Fischer), et hégélianisme dit de gauche (Gans, W. Carové, K.L. Michelet, les « jeunes hégéliens », David Strauss, Ludwig Feuerbach, Bruno Bauer, Max Stirner) dont procède Marx. La fin du XIXe siècle voit poindre en Allemagne, en France et en Grande-Bretagne une Hegel-Renaissance après plusieurs décennies de désaffection. Toujours au XIXe siècle, en Italie, une vigoureuse école hégélienne s'est implantée, principalement à Naples avec Augusto Vera (qui traduisit également en français les œuvres de Hegel) et les frères Spaventa, école liée au mouvement national et libéral italien.
[modifier] Les sources de sa pensée
- Joachim de Flore (pour qui la trinité s’exprime dans des âges successifs comparables à la dialectique hégélienne).
- Kant : Hegel reprend les catégories kantiennes en critiquant le formalisme subjectif qui aboutit selon lui à une forme de scepticisme. Le chapitre « Concept préliminaire » de la Science de la logique expose cette critique où Hegel utilise entre autres ce raisonnement : la conscience et la critique du fini (déterminations de l’entendement) n’est possible que du point de vue de l’infini : « la désignation de quelque chose comme quelque chose de fini ou de borné contient la preuve de la réalité effective et de la présence actuelle de ce qui est infini, sans borne. » L’argument reprend Descartes : la conscience de la finitude ne peut être sans l’idée de l’absolu. En conséquence, selon Hegel, la philosophie kantienne ne peut atteindre le savoir absolu parce qu’elle se maintient dans cet inachèvement.
- piétisme.
- Le magnétisme animal, en vogue à son époque, est une source d'inspiration de Hegel comme de Schopenhauer. Les articles de Hegel sur la question ont été récemment re-traduits et commentés par F. Roustang, Hegel, le magnétisme animal. Naissance de l'hypnose, PUF, 2005. Son point de vue sur la "lucidité magnétique" éclaire sa conception de la conscience[1].
- La Grèce et le christianisme : Lessing et Winckelmann avaient crée une vision de la Grèce faite d’harmonie et de sérénité. De même, pour Hegel, la cité réalise l’harmonie de l’État et de l’individu : l’individu s’identifie à la totalité, et les destins de la cité et de l’individu sont inséparables. Dans ce contexte politique, une religion de la transcendance est impossible : le divin est immanent, il n’y a pas de cité de Dieu, comme dans le christianisme (cf. Augustin) :
- Notre religion (à la différence de la religion grecque) veut éduquer les hommes à être des citoyens du ciel qui ont le regard toujours en haut et cela les rend étrangers aux sentiments humains.
Mais cela signifie que le modèle grec ne peut être réalisé tel quel par les peuples modernes et qu’il faut donc tenter de modifier le christianisme pour qu’il réalise une harmonie nouvelle unissant le particulier et l’universel ; à cette époque, pour Hegel, c’est l’amour chrétien qui doit permettre de fonder un sens de la collectivité. Hegel ne s’occupe pas de la religion privée, qui ne concerne que l’individu ; seule la religion publique doit faire l’objet d’une réflexion philosophique.
Hegel retient trois caractéristiques de l’idéal grec :
- l’histoire est création, la cité ne la subit pas, mais elle est voulue ;
- l’État est fondé sur la liberté : l’idéal éthique de l’individu se réalise dans la collectivité (le bonheur est donc réalisé ici-bas) ;
- la religion inspire l’amour de la liberté, elle n’inspire pas la mauvaise conscience et rejette le péché.
La religion grecque n’a pas de dogmes ni d’institutions, mais une mythologie qui inspire la moralité et la vertu.
[modifier] La dialectique
La dialectique est habituellement identifiée au syllogisme et ses trois moments : thèse, antithèse, synthèse ou position, opposition, composition. Cependant à la fin de la Logique (L'idée absolue, p 381-383) Hegel montre que le moment négatif se divise en deux : opposition extérieure et division intérieure ou médiatisé et médiatisant : "si après tout l'on veut compter", "au lieu de la triplicité, on peut prendre la forme abstraite comme une quadruplicité". (souligné par les traducteurs, en particulier dans leur présentation de la doctrine de l'essence, pXIII). Cela n'empêche pas la pertinence de la division ternaire, omniprésente. En fait on pourrait parler de cinq temps constitués de deux fois trois temps puisqu'il y a bien une synthèse partielle entre les deux moments négatifs : 1) position, 2) opposition extérieure, 3) unité spatiale des opposés, 4) division intérieure de l'unité, 5) enfin compréhension de l'identité temporelle et de lieu de soi dans l'être-autre (totalité sujet-objet).
La dialectique n’est pas une méthode extérieure imposant une forme immuable comme la triplicité, c'est le développement de la réalité, de la chose elle-même. On peut récuser l’idée qu’il y aurait une doctrine hégélienne, car il s’agit en fait de dégager ce qu’il y a d’intelligible dans la réalité, et non d’en produire une nouvelle interprétation. La philosophie décrit la réalité et la reflète.
Dans le domaine de l’esprit, la dialectique est l’histoire des contradictions de la pensée qu’elle surmonte en passant de l’affirmation à la négation et de cette négation à la négation de la négation. C’est le mot allemand aufheben qui désigne ce mouvement d'aliénation (négation) et de conservation de la chose supprimée (négation de la négation). La négation est toujours partielle. Ce qui est sublimé est alors médié et constitue un moment déterminé intégré au processus dialectique dans sa totalité. Cette conception de la contradiction ne nie pas le principe de contradiction, mais suppose qu’il existe toujours des relations entre les opposés : ce qui exclut doit aussi inclure en tant qu’opposé.
Or, la thèse fondamentale de Hegel est que cette dialectique n’est pas seulement constitutive du devenir de la pensée, mais aussi de la réalité ; être et pensée sont donc identiques. Tout se développe selon lui dans l’unité des contraires, et ce mouvement est la vie du tout. Toutes les réalités se développent donc par ce processus qui est un déploiement de l’Esprit absolu dans la religion, dans l’art, la philosophie et l’histoire. Comprendre ce devenir, c’est le saisir conceptuellement de l’intérieur.
Mais cette compréhension de la réalité ne peut venir qu’une fois les oppositions synthétisées et résolues, et c’est pourquoi la philosophie est la compréhension de l’histoire passée : « la chouette de Minerve ne prend son envol qu’au crépuscule. » Par exemple, Napoléon achève la Révolution française et Hegel le comprend.
[modifier] La phénoménologie de l’esprit
La phénoménologie est la « science de l’expérience de la conscience ». Elle introduit au système de la science (Hegel publie cette œuvre en 1807) et se présente comme la première partie de son système. Cette œuvre décrit l’évolution progressive et dialectique de la conscience (i.e. par le jeu des négations successives, la conscience commençant par nier ce qui se manifeste immédiatement à elle), depuis la première opposition immédiate entre elle et l’objet, puis la conscience de soi, la raison, l’esprit, la religion, jusqu’au savoir absolu dans lequel « le concept correspond à l’objet et l’objet au concept ». Ce dernier savoir est selon Hegel savoir de l’être dans sa totalité, intériorisation de l’objet, ou identité de l’objet de la pensée et de l’activité de connaissance dont le résultat est l’objet lui-même.
[modifier] Finalité et structure de la phénoménologie
La phénoménologie commence donc par la description de la conscience en général, comme opposée à un objet. Mais cette description adopte aussi le point de vue de la conscience telle qu’elle s’apparaît à elle-même. Un moment de la dialectique de la conscience peut donc être vrai pour la conscience elle-même, et faux pour celui qui rassemble la totalité des moments en une seule totalité. Ou, autrement dit, toute conscience commence par l’erreur, et est dans l’erreur, mais se hisse à la vérité dans la totalité de son histoire. Cette histoire est une suite de prises de conscience (expériences vécues) et de créations actives (transformation du réel).
Le but de la phénoménologie est donc de décrire en totalité l’essence intégrale de l’homme, i.e. ses possibilités cognitives et affectives. C’est en ce sens une anthropologie, bien que dans l’ensemble de son système, Hegel considère la phénoménologie de la conscience au sein de la totalité de l’histoire de l’esprit, donc au-delà de l’être humain.
La phénoménologie est divisée en huit chapitres qui se regroupent en trois parties : la conscience, la conscience de soi, et la raison qui est la conscience intégrale unissant les deux premiers.
La connaissance d’un objet ne peut se réduire à ce que nous savons de cet objet, bien qu’habituellement nous considérions un objet tel qu’en lui-même. En effet, dans la connaissance sont aussi contenus le je qui sait et la relation que nous entretenons avec lui, c’est-à-dire la conscience que nous en avons. Pourtant, lorsque nous ne sommes attentif qu’à l’objet, nous n’avons pas la conscience du savoir même qu’est cette conscience ; l’attitude naturelle chosifie, cela veut dire plus simplement qu’elle considère l’objet comme s’il était réellement extérieur à la relation que nous entretenons avec lui. Cela nous donne deux manières de concevoir un objet quelconque ; ces manières sont des perspectives philosophiques fondamentales (mais nous verrons qu’elles sont pour Hegel des moments du devenir de la conscience) :
- le réalisme voit l’objet comme une réalité étrangère, objet posé hors de nous simplement tel qu’il est ;
- l’idéalisme fait au contraire de la conscience un élément essentiel de la constitution du savoir : la conscience, par son activité, pose le monde et donc le détermine en partie ou intégralement.
La philosophie étudiera ces déterminations subjectives de la connaissance, i. e. la relation même dont nous venons de parler. Cette relation a deux dimensions :
- quand la conscience est savoir d’un objet intérieur ;
- quand la conscience est savoir d’un objet extérieur, soit que l’objet soit simplement donné, soit qu’il soit produit par la conscience.
L’étude ou science de la conscience est la phénoménologie de l’esprit. Elle étudie la manifestation phénoménale d’un sujet en tant qu’il se rapporte à un objet, i. e. en tant que conscience. Quand cette étude à pour objet le rapport interne de l’esprit à lui-même on l’appelle psychologie. L’étude de la diversité des affections de l’objet dans son rapport à une conscience comporte, selon Hegel, trois degrés (ou trois moments de la conscience) :
- la conscience en général ;
- la conscience de soi ;
- la raison.
[modifier] La Conscience
L’homme s’oppose au monde, c’est la conscience du monde extérieur. Considérant ce point, nous voyons que celle-ci passe elle-même par plusieurs moments. Il y a ainsi trois niveaux de conscience :
'La sensibilité', qui est la certitude immédiate d’un objet extérieur : l’objet est simplement, et il est un ceci, donné dans l’espace et le temps, ici et maintenant. Il est bien distinct et déterminé. Cette conscience est en apparence d'une richesse infinie : elle s’étend à tout ce qui est dans le temps et l’espace.
Mais l’ici et le maintenant du ceci, de tel objet, disparaissent (l’objet change, et détruit, etc.), tandis qu’il y a toujours un ceci et un maintenant en général, s’appliquant à tous les ici et maintenant. L’ici et le maintenant, dans leur universalité (généralité) ne sont donc aucun ici et maintenant en particulier, mais une multiplicité de moments et de lieux. Ce qui est donné, la certitude de la sensibilité, ce n’est donc pas une détermination sensible, un ici et maintenant, mais une 'perception' universelle. L’objet devient donc l’inessentiel : la négation de la conscience sensible nous fait parvenir à l’universel, à la perception.
'La perception' nous élève donc à l’universel, qui est la vérité de la sensibilité ; c’est un mixte de déterminations sensibles et de déterminations réflexives. L’objet de la perception est la 'chose et ses déterminations.
Ces déterminations :
- sont immédiates dans la sensibilité (ici et maintenant) et pourtant médiatisées par notre relation avec elles ;
- appartiennent à la chose dans sa singularité, mais sont en même temps universelles car, d’une part, elles peuvent être attribuées à d’autres choses, et, d’autre part, elles sont indépendantes les unes des autres (par exemple : couleur, poids, étendue, etc.).
La relation du sujet à l’objet est ainsi constitutive des propriétés de l’objet ; c’est pourquoi ces propriétés se modifient et sont ainsi des accidents de la chose. Mais puisque les choses ne sont rien d’autre que leurs propriétés, elles se transforment, deviennent, ou, autrement dit, disparaissent et surgissent sans cesse. Dans ces modifications, le modifiable est supprimé et ce qui reste est le devenir, la modification elle-même.
'L’entendement', s’il est aussi déterminé accidentellement, saisit également l’essentiel qui demeure dans le changement des choses : il est la conscience en tant qu’elle 'considère l’intérieur des choses', i.e. la force qui, identique à elle-même et se réalisant, s’extériorise et lie les déterminations universelles entre elles. Cet intérieur est la pensée ou 'concept' de l’objet, qui est le propre forme de la conscience, par laquelle elle se prend elle-même pour objet. La différence entre le sujet et l’objet s’est donc abolie, et elle laisse place à la conscience de soi.
[modifier] La Conscience de soi
L’homme prend conscience de soi par sa conscience de son opposition au monde. La conscience de soi est donc l’intuition du « je » par lui-même : Je suis Je. C’est une proposition sans contenu : la conscience ne peut se donner à elle-même que dans les choses dont elle supprime l’altérité. Cette tendance essentielle de la conscience lui permet de se donner à elle-même comme objet, elle se produit comme objet et se donne ainsi une réalité.
Continuant ainsi à suivre le développement dialectique de la conscience, Hegel distingue trois moments de la conscience de soi :
Le 'désir' : la conscience s’oriente vers autre chose qui n’est pas un soi, et en nie l’altérité. En tant que telle, elle est conscience pratique. La tendance est la nécessité sentie de supprimer la contradiction ; le désir est destructeur
La satisfaction du désir est la suppression de l’objet, qui aboutit au sentiment que la conscience a d’elle-même, au sentiment de sa réalité singulière.
La 'maîtrise et la servitude' : la conscience de soi se porte sur une autre conscience de soi et veut se faire reconnaître. C’est la lutte pour la reconnaissance : celui qui est vaincu (parce qu’il a peur de mourir) devient esclave, il n’est pas reconnu en tant que conscience de soi.
L’'universalité de la conscience de soi'. L’esclave, lorsqu’il prend conscience de sa liberté (liberté qui reste cependant interne, mentale, mais qui est conscience de soi en tant qu’indépendant de la nature), passe par trois figures :
- le stoïcien : liberté de la pensée, indifférence au monde ;
- le sceptique : négation du monde, nihilisme ;
- la conscience malheureuse : imagination d’un maître transcendant, Dieu. La conscience malheureuse s’invente deux moi : le moi empirique, mortel et faible, le moi transcendant, idéal et au-delà de la nature.
Ces trois formes de la liberté ont ceci de commun qu’elles ne parviennent pas à réaliser extérieurement ce qu’elles pensent, i.e. leur liberté d’action. L’esclave est donc toujours esclave (il cherche même un maître imaginaire pour justifier son état) ; la prise de conscience de cet état supprime Dieu. Il reste alors la pensée libre, la raison qui a pris la place de Dieu, l’athéisme.
[modifier] La Raison
La raison est la conscience revenue de l’au-delà de la religion. C’est pourquoi, selon Hegel, la raison commence par trouver de l’intérêt aux choses d’ici-bas, i.e. à l’observation de la nature. En bref, la raison, c’est d’abord la science moderne, la volonté de décrire les phénomènes en les exprimant dans des lois.« L'intelligence, c'est la ruse de la raison » (La raison dans l'histoire). Mais la conscience ne se réalisera pas dans la science et se tournera vers la société, devenant vertueuse, puis morale. C'est alors qu'elle deviendra esprit.
[modifier] Résumé
V - A (la raison observante)
V - B (moralité)
Après la confrontation à la nature extérieure (observation), nous en sommes au point où la conscience de soi n’est plus la certitude de la réalité immédiate, sensible, et de son objectivité, mais se rapporte essentiellement à une autre conscience de soi comme vérité sur soi-même, re-connaissance. "Elle est alors l'esprit qui a la certitude d'avoir son unité avec soi-même dans le doublement de sa conscience de soi et dans l'indépendance des deux consciences de soi. Cette certitude doit maintenant s'élever à la vérité". C’est donc le royaume du rapport aux autres, tel qu’il s’inscrit historiquement d’abord en tant qu’éthique d’un peuple :
La conscience de l'unité avec les autres prend d'abord la forme du traditionalisme. Mais celui-ci échoue à se justifier devant des traditions étrangères aussi bien qu'il renonce à se réaliser véritablement. L'unité avec les autres se réduit dès lors à l'égoïsme de la jouissance que chacun dispute à chacun. Mais la vérité de la jouissance est sa fin, consommation du désir ou être-pour-la-mort. Par son côté universel la conscience surmonte cette menace et trouve en soi le principe du dépassement de son plaisir égoïste. Cette aspiration morale éprouvée immédiatement comme loi du coeur s'oppose au monde sans plus de raisons que de lui imposer une logique subjective qui ne rend pas compte d'elle-même. Si elle advient à se réaliser un tant soit peu, cette loi perd de son assurance, de sa légitimité et le coeur invoque la fureur extérieure du complot, la main du diable sur de pures intentions. La leçon de ce délire de persécution est le rejet des prétentions de l'individualité à imposer son arbitraire au cours du monde. C'est plutôt contre cette individualité que va désormais s'appliquer son zèle par la discipline de la vertu. Le cours du monde auquel s'oppose la vertu est maintenant constitué du règne de l'égoïsme universel et de la recherche du plaisir désormais rejetée. Mais la vertu ne se réalise qu'à la mesure des forces de chacun et sa valeur ne réside donc plus dans sa réalisation mais dans son effort et sa foi. Le mérite se mesurant à la peine, le monde qui nous fait souffrir est revalorisé d'autant comme révélateur de la vertu et de la foi. De plus l'effort et la foi concernent l'individualité dont la discipline voulait se défaire, ne pouvant jouir de ses propres réussites et sans pouvoir modérer l'orgueil de l'ascète comme une boursouflure vide. Plutôt que de rester tournée vers sa propre excellence la vertu ne se suffit plus de la foi mais exige les oeuvres. La vertu est jugée à ce qu'elle fait. Les oeuvres pourtant sont fragiles et multiples, éphémères, disparaissantes. Le but est dès lors le chemin, l'oeuvre vaut comme occupation et non plus comme accomplissement. La tromperie, l'escroquerie de cette vertu satisfaite se manifeste dans la compétition sociale et impose finalement la loi morale, son universalité inconditionnelle qui pourtant ne peut rendre compte de la singularité concrète et imposer sa loi sans réflexion. Ce qui importe dès lors c'est bien encore la réflexion elle-même, la conscience qui examine la loi et se l'approprie, l'interprète, la loi se réduisant à son application par la conscience. Pourtant là encore la limite est vite trouvée dans le jésuitisme des rationalisations égalisant tout contenu. La conclusion qui s'impose est bien celle de l'impuissance de toute théorie à rendre compte des choix pratiques, tombant dans l'arbitraire. La théorie dépend plutôt désormais de la pratique devenue politique et qui en détermine la perspective.
[modifier] VI Esprit (politique)
La bonne volonté du Conformisme voulant affirmer son appartenance à son peuple va rencontrer dans l'opposition des devoirs (de la famille, comme Loi divine, et des devoirs de la communauté, comme Loi humaine) d'abord la culpabilité puis la corruption avant de s'aliéner dans un Droit formel qui est le règne de la séparation et de la propriété privée (culture et foi). La division entre bien public et propriété privée laisse au jugement de chacun de prendre le parti de la conscience vile (victime intéressée) ou de la conscience noble (prête au sacrifice et à la vertu). Mais le sacrifice qui ne va pas jusqu'à la mort est ambigu et tombe dans la rébellion (à la revendication de la conscience vile). Dès lors, ce n'est plus le sacrifice qui compte mais la justesse du conseil, de la loi et du commandement, son contenu universel comme langage du pouvoir. Cette nouvelle valorisation du contenu s'épuise pourtant dans la flatterie de l'homme de cour jusqu'à perdre tout sens dans l'extériorité des raffinements de la culture. Mais la perte du sens est déjà la foi qui se sait être-pour-un-autre, rapport individuel à l'Universel et désir de l'Autre. Le rassemblement encyclopédique du savoir de l'humanité dissout pourtant cette confusion et cet individualisme dans l'unification du savoir de tous et la constitution d'une véritable intelligence collective. Ce rationalisme s'opposera à l'obscurantisme des religions et dénoncera la corruption du clergé. Mais les lumières se révèlent aussi dogmatiques (scientisme) et tombent dans l'hypocrisie, l'utilitarisme matérialiste le plus plat et la passivité. Jusqu'à se retourner en idéologies politiques, comme volonté agissante de tous, mais la liberté absolue conquise par la Révolution française sera accaparée par les factions et sombrera dans la Terreur de la simple suspicion, de la division de la volonté générale, perdant encore ainsi toute effectivité. La défense de l'individu et de sa liberté en sortira renforcée au nom d'une nouvelle conscience morale, représentée par Kant, revendiquant cette ineffectivité de l'universalité comme pur devoir universel. Le but est cependant dévalué par cette inaction et se retourne enfin dans l'action effective d'une bonne conscience inébranlable qui sait que l'action ne vaut que par son intention, sa conviction propre et sa réalisation consciencieuse. Mais la conviction morale ne vaut qu'à être exprimée et reconnue par l'autre, c'est le langage de la reconnaissance qui unifie les consciences de soi, d'abord dans la confusion de la belle âme inapte elle aussi à l'action. Le jugement moral condamne durement cette passivité et cet incroyable mépris de l'autre mais il ne peut éviter que son propre jugement se condamne à son tour soi-même et confesse ses fautes, s'égalisant enfin à l'autre dans le Pardon fraternel et la reconnaissance mutuelle. C'est pour Hegel à peu près le dernier mot mais si l'histoire a réfuté cette fin contemplative, le Savoir absolu reste le savoir du savoir comme savoir d'un sujet et histoire, processus dialectique d'apprentissage qui n'a pas fini de nous surprendre...
[modifier] Esprit objectif : droit, morale, et éthicité
La conscience qui se réalise est appelée esprit objectif. Cet esprit est incarné dans la vie humaine commune. Ses Trois moment sont : le Droit Abstrait, la Moralité, puis la Vie Ethique (ou Ethicité)
[modifier] Le droit abstrait
- La propriété
- Le contrat
- Le Deni du Droit
[modifier] La moralité
- Le propos et la responsabilité morale
- l'intention et le bient-être (ou bien propre)
- Le Bien et la conscience morale
[modifier] L'ethicité
- La famille
- La société civile : travail et production
- L’État
- Le doit étatique interne
- Le droit étatique externe
[modifier] L’histoire
L'histoire du Monde constitue de troisième et dernier moment de l'Etat.
La philosophie de l’histoire de Hegel est préparée par l’ensemble du XVIIIe siècle :
- Pour Kant, l’histoire voit le développement des facultés de l’homme aboutissant à l’État ;
- pour Schiller et Rousseau, l’homme est d’abord dans un état d’innocence, puis en est arraché par la culture, avant de concilier cette opposition dans sa conscience de lui-même où il se retrouve pleinement.
Ces thèses classiques sont reprises par Hegel, du point de vue de la dialectique et de l’Idée, le principe étant :
la raison gouverne le monde et se réalise dans l’histoire.
Ainsi, selon Hegel, l’Idée se réalise dans l’histoire et la fin de cette dernière, son but, c’est Dieu, l’Idée ou l’Esprit absolu. Ainsi, « Le but de l’histoire universelle est que l’esprit parvienne au savoir de ce qui est véritablement, et fasse de ce savoir un objet, le réalise en un monde présent concrètement, s’exprime en tant qu’objectif. » Cette rationalité intégrale de l’histoire implique que son développement réalise plus complètement la morale et la liberté.
Quel est le sujet de cette histoire ? Ce ne sont pas les individus dans leur singularité, mais un peuple et son esprit (Volkgeist). Le grand homme est le conducteur de ce peuple qui aspire à la réalisation de son but. La marche de l’esprit du monde aboutit finalement à l’État, où se trouvent réunis mœurs, art, et droit. La fin de l’histoire, c’est donc l’État et la liberté qu’il réalise.
La philosophie de l’histoire d’Hegel (1770-1831) est une philosophie de l’esprit des peuples, conception proche du « Volksgeit » romantique (réalité spirituelle et culturelle, unique et indivisible), à travers lesquels s’exprime l’Esprit Universel que Hegel nomme aussi Raison, Liberté, Absolu, parfois Dieu… fin annoncée de l’histoire.
La dynamique qui sous-tend le déterminisme hégélien est la dialectique, système idéaliste où le progrès est synthèse entre les opinions contradictoires de la thèse et de l’antithèse (exemple : la loi s'affirme (affirmation), le crime la nie (négation), le châtiment nie le crime et rétablit le droit (négation de la négation)). Celle-ci sont les « moments du devenir d'une totalité, dont le dernier stade laisse chaque fois derrière lui les deux précédents, sans sacrifier leur signification propre. Dépasser, chez Hegel, c'est nier mais en conservant, sans anéantir. Chaque terme nié est intégré. Les termes opposés ne sont pas isolés mais en échange permanent l'un avec l'autre. » Le système hégélien confronte la raison « naturelle » et la positivité « historique » (religion naturelle-religion positive, droit naturel-droit positif), l’Histoire et la Vie. Hegel refuse l’idéalisme kantien et sa philosophie du droit abstraite, au profit d’une conception organique et vivante, expression de la totalité éthique : le peuple.
La raison gouverne donc le monde. Elle se réalise dans l'histoire, le spectacle d’incohérence et de chaos qu’elle présente à ses acteurs n’est que l’histoire apparente, double distordu par les ruses de la raison (ce qui lui permet de critiquer également l’empirisme dogmatique marqué par l’opposition entre pratique et théorie, source de contradiction dialectique). Derrière cette histoire apparente vit l’histoire vraie, celle de l’Esprit Universel. Ce dualisme téléologique justifie la tyrannie, les guerres (en tant que moments nécessaires de la vie d’un peuple, expression de la liberté d’un peuple), les passions (« Rien de grand ne s'est accompli dans le monde sans passions. ») en vue de la réalisation d’un Absolu, fin déterminée. Les grands hommes (« historico-cosmiques ») seuls peuvent canaliser les désirs des peuples, guidés par leurs intérêts mais œuvrant presque malgré eux à la réalisation de l’État Universel, incarnation politique de l’Esprit Absolu. La tyrannie est nécessaire dans l’histoire car elle permet l’aliénation des volontés particulières centrifuges. Lorsque l’obéissance est obtenue, lorsque la volonté générale est traduite dans la loi, la tyrannie est renversée par les peuples, « sous prétexte qu’elle est abominable, en fait seulement parce qu’elle est devenue superflue. » (Hegel, Realphilosophie, 1805-1806, p247)
Intérêt et désir sont donc les moyens dont se sert l'Esprit du monde pour parvenir à ses fins et s'élever à la conscience, le négatif n’est qu’un moment nécessaire à la transformation de la culture.
La théodicée (néologisme formé par Leibniz dans ses Essais de théodicée sur la bonté de Dieu, la liberté de l'homme et l'origine du mal (1710) visant à « justifier » l’existence du Mal, celui-ci concourt chez Leibniz à l'harmonie et à la perfection du Tout, l’homme ne pouvant qu’entrevoir le dessein divin) hégélienne se réalise dans l’État, lieu de convergence des manifestations de l’esprit particulier à chaque peuple : art, droit, mœurs, commodités de l'existence… (« L’absolu totalité éthique n’est pas autre chose qu’un peuple ») Elle fait de l’Histoire le « Tribunal de dernière instance » de l’ensemble des faits humains.
Cette « Schöne Totalität » (« belle totalité ») étatique, Hegel croit la trouver (dans ses écrits de jeunesse) dans la Grèce classique où l’individu place son bonheur dans sa participation active comme citoyen à la chose publique permettant l’harmonie entre l'individu et l'État (notamment par la religion civique, liée à la vie de la communauté politique). L’harmonie est donc réalisée entre l’individu et le peuple offrant une liberté authentique. Elle a cependant été rompue (apparition de la distinction vie privée/vie publique) par le christianisme et ses corollaires : la conscience malheureuse (conscience de la contradiction entre la vie finie de l’homme et sa pensée de l’infini), la dissolution de l’État et l’individualisme (principe de subjectivité absolue : savoir que l’individu a de l’absolu en lui-même), une médiation du pouvoir est donc nécessaire (Hegel oppose la démocratie antique à la monarchie moderne qui permet de concilier les volontés particulières/subjectives et la volonté générale/objective. Les principaux caractères de l’État moderne hégélien sont : monarchie constitutionnelle, centralisation administrative, décentralisation économique, servie par un corps de fonctionnaires de métier, sans religion d’État, souverain à l’intérieur comme à l’extérieur). Hegel tente donc la synthèse entre la philosophie d’origine grecque et le christianisme, sources fondamentales de la civilisation occidentale.
La totalité rationnelle hégélienne constitue la base philosophique du totalitarisme politique (thèse développée par K. POPPER, Misère de l'historicisme, Paris, Plon, 1956). Entre l’État et l’individu se trouve cependant la société civile (l’État du libéralisme économique), elle est le lieu de l’opposition la plus déchirante : celle de la pauvreté et de la richesse, conséquence de la division du travail (anticipation de l’analyse marxienne de l’aliénation symbolique du travailleur : celui-ci ne peut plus se reconnaître dans le produit de son travail) et des « incessantes variations du marché.» (Jean Hyppolite) Seul le lien corporatif à travers des états (corporations, syndicats, communautés structurant la société civile) permet de compenser cette réalité des sociétés industrielles, de réconcilier le citoyen avec l’État (il joue un rôle de régulateur à travers une politique économique, ajustant les intérêts parfois conflictuels des producteurs et des consommateurs).
L'Histoire est donc une prise de conscience progressive par l’Esprit de sa fin (une intériorisation remémorante (Er-innerung) de l'esprit) que Hegel nomme destin (il distingue des destins caractéristiques au judaïsme et au christianisme). Elle est passage de l'en-soi au pour-soi. La finalité de l'histoire existe d'abord sans être connue mais la prise de conscience s'opère progressivement.
[modifier] Esprit absolu
[modifier] L’art, l’esthétique
L’art exprime l’Idée sous une forme sensible, c’est l’absolu donné à l’intuition : le Beau est la manifestation sensible de l’Idée, mais sans en être une forme achevée.
L’art est une objectivation de la conscience par laquelle elle se manifeste à elle-même. Il constitue donc un moment important de son histoire. La réflexion sur l’art implique la fin de l’art, au sens où cette fin est un dépassement de l’élément sensible vers la pensée pure et libre. Ce dépassement doit se réaliser dans la religion et la philosophie. Pour Hegel la plus mauvaise des productions de l'homme sera toujours supérieure au plus beau des paysages, car l'œuvre d'art est le moyen privilégié par lequel l'esprit humain se réalise.
L’histoire de l’art se divise en trois, suivant la forme et le contenu de l’art :
- art symbolique, oriental, baroque, où la forme excède le contenu ;
- art classique, grec, qui est l’équilibre de la forme et du contenu ;
- art romantique, chrétien, où le contenu absorbe la forme.
[modifier] La religion
[modifier] Le savoir absolu
Le savoir absolu ne décrit pas la totalité du réel, ce qui serait délirant malgré ce que Kojève a pu laisser croire, c'est un savoir sur le savoir, la conscience de soi du savoir comme savoir d'un sujet. C'est l'unité du subjectif et de l'objectif (Logique I, p33), passage à la logique qui est bien une vérité définitive, un savoir absolu bien que formel et sans contenu encore. On peut même dire que la conscience du caractère subjectif du savoir est aussi le savoir de l'insuffisance du savoir (rejoignant l'ignorance docte), savoir du négatif et savoir qu'on ne peut dépasser son temps !
En effet, la philosophie, pour Hegel, doit être scientifique ; elle doit donc être nécessaire et circulaire. L’absolu est circulaire, cela signifie que le système revient à son point de départ ; mais la différence avec les sciences, c'est que la philosophie rend compte du sujet qui l'énonce et de son inscription dans une histoire. Le système encyclopédique des sciences est l'histoire des interactions du sujet avec son objet, qui ne sont jamais données d'avance mais qui se succèdent en s'opposant malgré tout selon une logique dialectique implacable.
Ainsi le savoir absolu succède dans la phénoménologie à la religion et se comprend comme négation de l'être-étranger, de la projection dans un Dieu du sujet qui s'assume comme divisé et comme intériorisation de l'extériorité. "C'est seulement après avoir abandonné l'espérance de supprimer l'être-étranger d'une façon extérieure que cette conscience se consacre à soi-même. Elle se consacre à son propre monde et à la présence, elle découvre le monde comme sa propriété et a fait ainsi le premier pas pour descendre du monde intellectuel." Phénoménologie, p306. Le savoir absolu est la conscience de soi de l'histoire, passage de l'histoire subie à l'histoire conçue, du passif à l'actif, de l'abstrait au concret.
On trouve le concept de Savoir Absolu comme savoir sur le savoir chez Fichte (1802). On peut se référer au livre de Gwendoline Jarczyk et Pierre-Jean Labarrière "De Kojève à Hegel" dont la conclusion s'intitule "Le savoir absolu n'est pas l'absolu du savoir".
[modifier] Le vocabulaire de Hegel
La philosophie de Hegel est réputée difficile ; comme Schopenhauer a pu le faire remarquer avec son habituelle diplomatie (« Hegel met les mots, le lecteur doit trouver le sens »), le principal obstacle est le vocabulaire hégélien qui n’est pas toujours clairement défini pour un lecteur non philosophe. Ce vocabulaire propose donc de clarifier le sens des mots, ce qui permettra une compréhension relativement plus facile de la pensée de Hegel.
- Concept (Begriff)
- Esprit (Geist)
- Négation (Negation)
- Universel, particulier, singulier (allgemein, besonder, einzeln)
- Savoir absolu (absolutes Wissen)
- La logique : « La logique est la science de l’Idée pure, c’est-à-dire de l’Idée dans l’élément abstrait de la pensée » (La Science de la logique, Concept préliminaire)
- L’être : « L’être pur constitue le commencement, parce qu’il est aussi bien pensée pure que l’immédiat simple ; mais le premier commencement ne peut rien être de déterminé et de davantage déterminé. La définition véritablement première de l’absolu est par suite qu’il est l’être pur » (La Science de la logique, La Théorie de l’être).
- L’essence
- Le concept : « Le concept est ce qui est libre, en tant qu’il est la pure négativité de la réflexion de l’essence en elle-même ou la puissance de la substance, -et, en tant qu’il est la totalité de cette négativité, ce qui est en et pour soi déterminé » (La Science de la logique, La Théorie du concept).
- La philosophie de la nature
- La philosophie de l’esprit :
- Esprit subjectif
- Esprit objectif
- Esprit absolu
- Conscience (Bewusstsein) : c’est l’esprit dont le développement est décrit dans la Phénoménologie de l'esprit.
- Conscience de soi (ou auto conscience, Selbstbewusstsein)
- Les moments de la conscience :
- L’être en soi : c’est le point de départ de la phénoménologie, l’indistinction première et immédiate de l’esprit dans la sensation (pour Hegel : enfance et peuples primitifs). L’en-soi est la « disposition, le pouvoir, c’est ce qu’Aristote appelle dunamis, c’est-à-dire la possibilité » (Leçons sur la philosophie de l’histoire). L’en-soi est un moment abstrait, la notion de la chose considérée : c’est, selon la métaphore hégélienne, le germe simple qui contient déjà la multiplicité. Tout ce qui se réalisera est donc contenu dans l’en-soi, le devenir n’ajoutant rien que l’effectivité, l’existence.
- L’être pour soi : c’est le moment de la reconnaissance réciproque des consciences libres
- L’être en soi et pour soi : moment de l’esprit réalisé
- Dialectique du Maître et du Serviteur
- L'Idée
[modifier] Critique de l’hégélianisme
- Stirner : Stirner centre sa pensée sur le moi, l’unique, qui a sa valeur en lui-même. Dans cette perspective, le système hégélien est une aliénation du particulier : Stirner refuse donc l’identification de l’individu à l’universel. Remarquons que ce point de vue individualiste avait déjà fait l’objet d’une critique de la part de Hegel : le particulier ne peut se réaliser seul ; il n’est pas indépendant. Stirner est donc aux antipodes de Hegel, puisqu'il exalte la volonté individuelle contre la volonté générale tandis que ce dernier exalte la volonté générale au mépris de la volonté individuelle.
- Kierkegaard : Kierkegaard reproche à Hegel sa "Quantifizierung", de n'avoir pas su faire le "saut" (Sprung) qualitatif nécessaire à la compréhension de l'intériorité.
- Karl Marx : quoiqu'au fondement de sa propre dialectique, Hegel reste pour Marx un philosophe idéaliste qui décrit le monde au lieu de le changer. Il a le tort d'admettre comme Nature un état historique du monde.
- Nietzsche : l'Etat n'est pas l'incarnation d'un quelconque "intérêt général", c'est un "monstre froid" au service d’intérêts égoïstes.
- Karl Popper, notamment dans le chapitre 12 de La société ouverte et ses ennemis, où il critique l'historicisme hégélien, son style obscur et son opportunisme intellectuel.
- Georges Bataille : Au contraire de la totalité hégélienne, Bataille base sa vision de la totalité sur l’universalité et la particularité, sur le système et l’érotisme. Donc ceci contraint l’être, lors de la réalisation d’une totalité, à être en cette dernière, mais à également la dépasser et à excéder cette totalité. Les fondements même de cette vision proposent que l’être, dans sa communion totalitaire, s’expose à son extériorité et se consume. Bataille critique ainsi le panlogisme hégélien et les racines de la totalité bataillienne s’ouvrent donc sur quelque chose entre l’infini et la finitude, qui se dérobe de toutes universalisations.
[modifier] Œuvres
- La Positivité de la religion chrétienne (1796)
- La Vie de Jésus (1796)
- Fragment de système (1797)
- L’Esprit du christianisme et son destin (1797)
- Constitution de l’Empire allemand (1801)
- Dissertatio philosophica de orbitis planetarum (1801)
- Différence entre les systèmes de Fichte et Schelling (1801)
- Foi et savoir
- Sur les façons de traiter scientifiquement du droit naturel
- Phénoménologie de l'esprit (1807)
- Propédeutique philosophique (cours de Bamberg)
- La Science de la logique (la logique objective), premier livre du premier tome : L’Être (1812)
- La Doctrine de l’essence, second livre du premier tome de la Science de la logique (1813)
- Science de la logique subjective, ou doctrine du concept, second tome de la logique (1816)
- Encyclopédie des sciences philosophiques en abrégé (1817)
- Principes de la philosophie du droit ou droit naturel et science de l’État en abrégé (1821)
- Encyclopédie des sciences philosophiques en abrégé, abrégé remanié et développé (1827)
- Encyclopédie des sciences philosophiques en abrégé, abrégé amélioré (1830)
- Cours publiés à titre posthume :
- Encyclopédie des sciences philosophiques, formée sur la base de l'abrégé de 1830 et des leçons portant sur la logique, la nature, l'esprit subjectif ; et composée de :
- Tome I : la Science de la logique
- Tome II : Philosophie de la nature (Première traduction française disponible sur Gallica)
- Tome III : Philosophie de l’esprit
- La Raison dans l'histoire
- Leçons sur la philosophie de l'histoire
- Leçons sur l'histoire de la philosophie
- Leçons sur l'esthétique
- Leçons sur la philosophie de la religion
- Leçons sur les preuves de l'existence de Dieu
- Encyclopédie des sciences philosophiques, formée sur la base de l'abrégé de 1830 et des leçons portant sur la logique, la nature, l'esprit subjectif ; et composée de :
[modifier] Études
- Hegel, François Châtelet, Seuil, collection "Les Écrivains de toujours"
- Introduction à la philosophie de l’histoire de Hegel, Jean Hyppolite
- Genèse et Structure de la Phénomenologie de l'Esprit, Jean Hyppolite
- Hegel secret. Recherches sur les sources cachées de la pensée de Hegel, Jacques D'Hondt
- Hegel ou de la Raison intégrale, suivi de : « Aimer Penser Mourir : Hegel, Nietzsche, Freud en miroirs », Jean-Luc Gouin, Bellarmin
- La pensée politique de Hegel, Bernard Bourgeois
- Hegel, philosophe de l'histoire vivante, Jacques D'Hondt
- Sujet-Objet. Eclaircissement sur Hegel, Ernst Bloch
- Le jeune Hegel, Georg Lukács
- Introduction à la lecture de Hegel, Alexandre Kojève
- L'Esthétique de Hegel, Véronique Fabbri
- Le spectre juif de Hegel, Joseph Cohen, Paris, Galilée, 2006
- La remarque spéculative, Jean-Luc Nancy, Paris, Galilée, 1973
- Lectures de Hegel, sous la direction d'Olivier Tinland, Paris, Livre de Poche, 2005
[modifier] Biographies de Hegel
- Hegel. Biographie, Jacques D'Hondt
[modifier] Citations
- « Quiconque étudierait ou possèderait une philosophie, si toutefois c’en est une, connaîtrait par suite la philosophie. »
- Jugement de Schopenhauer : Hegel est « un charlatan plat, sans esprit, répugnant, ignorant », dont la philosophie est une « colossale mystification » ; la philosophie de Hegel est « le verbiage le plus creux (...), le galimatias le plus stupide qui ait jamais été entendu, du moins en dehors de maisons de fous ».
- « Il est plus facile d'être inintelligible d'une façon sublime que d'être intelligible de façon simple » (lettre extraite de Science de la logique, 1er livre, traduction de Pierre-Jean Labarrière et Gwendoline Jarczyk, Aubier, p. VII)
- « L’art exprime ce que le langage articulé ne parvient pas à traduire. »
- « L’art est la manifestation sensible du beau. »
- « Tout ce qui est réel est rationnel ; tout ce qui est rationnel est réel. »
- « Quand l'art s'en tient au but formel de la stricte imitation, il ne nous donne, à la place du réel et du vivant, que la caricature de la vie. »
- « Tu ne pourras être mieux que ton temps mais au mieux tu seras ton temps »
[modifier] Liens
- Catégorie Georg Wilhelm Friedrich Hegel de l'annuaire dmoz.
- De nombreux liens sur Facphilo (Lyon 3)
- Esthétique, tome premier
- Diaphora - Etudes sur la phénoménologie de l'esprit (1830), notes de lecture.
- Hegel et la lucidité magnétique. Dans un petit volume de ses études, Hegel s'est penché sur les controverses du magnétisme animal. Sa position est commentée par Bertrand Méheust.
- [1] Nombreux articles de Jacques D'Hondt disponibles en ligne.
[modifier] Références
Les principaux philosophes |
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