Ernst Jünger
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Ernst Jünger est un écrivain allemand né à Heidelberg le 29 mars 1895 et mort à Riedlingen le 17 février 1998. En tant que contemporain et témoin de l'histoire européenne du XXe siècle, il est connu pour sa participation comme militaire aux deux guerres mondiales. En tant qu'écrivain, il est devenu célèbre assez jeune après la publication dans Orages d'acier (1920) de ses souvenirs de la Première Guerre mondiale. Après ce premier livre, et jusqu'à la fin de sa vie à plus de cent ans, il a publié des récits et de nombreux essais ainsi qu'un journal des années 1939-1948 et 1965-1996.
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[modifier] Biographie
[modifier] Jeunesse & première guerre mondiale
Après une jeunesse agitée qui le voit faire une fugue à l'âge de dix-sept ans pour s'engager dans la Légion étrangère (voir la relation de cette aventure dans le roman Jeux africains) il participe avec ardeur et enthousiasme à la Première Guerre mondiale, est blessé quatorze fois et reçoit, quelques semaines avant la fin de la guerre, la plus haute décoration allemande (la croix Pour le Mérite).
Il raconte après guerre son expérience de la guerre des tranchées, comme simple soldat d'abord, puis comme chef des troupes de choc dans le livre Orages d'acier. Il y décrit notamment les horreurs vécues mais aussi la fascination que l'expérience de ce type de combat lui a inspirée. Ce livre connut un grand succès auprès du public et est aujourd'hui encore son livre le plus lu.
André Gide écrit même : Le livre d'Ernst Jünger sur la guerre de 14, Orages d'acier, est incontestablement le plus beau livre de guerre que j'ai lucitation nécessaire.
[modifier] Entre-deux-guerres
Après la défaite et sa démobilisation, il poursuit des études de philosophie, de botanique et de zoologie, notamment à Leipzig et Naples. Il s'installe à Berlin et devient journaliste politique. Il écrit dans diverses publications nationalistes, d'anciens combattants notamment, et fréquente des cercles nationaux révolutionnaires, constitutifs d'un mouvement de pensée qu'on a appelé la Révolution conservatrice sous la République de Weimar. Il fréquente aussi Ernst Niekisch, idéologue allemand principal du National-bolchévisme.
[modifier] Avènement du nazisme et deuxième guerre mondiale
Approché par le parti nazi du fait de son passé d'ancien combattant et de ses écrits patriotiques, il refuse toute participation et démissionne même de son club d'anciens du régiment en apprenant l'exclusion des membres juifs.
Dès 1933 la Gestapo perquisitionne sa maison et il sera surveillé en permanence par le régime.
En 1939 paraît ce que beaucoup de critiques considèrent comme son chef-d'œuvre, Sur les falaises de marbre, un roman allégorique dénonçant la barbarie nazie. Cette allégorie dépasse la simple contestation de l'autoritarisme triomphant alors en Allemagne. Il s'agit d'une illustration subtile des forces à l'œuvre dans l'établissement d'un régime dictatorial. Le monde décrit, intemporel, dépasse le cadre factuel de son époque et fait ressentir notre enfermement intérieur, sous le poids du monde extérieur. Il nous fait ressentir la prison du sensible, et l'enfermement inhérent à des modes de vies ou de soumissions étrangers à notre nature.
Dans ce texte, Jünger évoque le destin de deux frères travaillant au sein d'un vaste ermitage, occupés par leur bibliothèque et leur immense herbier et vivant paisiblement dans la contemplation de la nature, ainsi que la vie et le sens qui en découlent. Leur quiétude sera brutalement brisée par l'irruption du Grand Forestier dont les hordes sèment la dévastation :
Les actes de banditisme que la Campagna connaissait déjà se renouvelaient alors, et les habitants étaient enlevés à la faveur de la nuit et du brouillard. Nul n'en revenait. Ce que nous entendions chuchoter de leur destin parmi le peuple faisait songer aux cadavres des lézards que nous trouvions écorchés sous les falaises, et nous remplissait le cœur d'affliction.citation nécessaire
Sa vie est alors gravement menacée par cette dangereuse publication mais il échappe miraculeusement à toute sanction du fait de la sympathie qu'éprouve Hitler pour le héros de la première guerre mondiale (titulaire de la rarissime croix Pour le mérite) et ses récits de guerre.
Il participe à la Seconde Guerre mondiale comme attaché à l'état major parisien et consacre son temps libre à rédiger son Journal de guerre.
Celui-ci est un fascinant mélange d'observations de la nature avec ses fleurs et ses insectes, de comptes-rendus de ses fréquentations littéraires dans les salons parisiens et enfin de remarques d'une lucidité désabusée qui soulignent son retrait dans un monde intérieur :
Paris, 30 juillet 1944 Une ondée me fait passer quelques instants au musée Rodin, que d'habitude je n'aime guère. (...) Les archéologues d'âges futurs retrouveront peut-être ces statues juste sous la couche des tanks et des torpilles aériennes. On se demandera comment de tels objets peuvent être si rapprochés, et on échafaudera des hypothèses subtiles.citation nécessaire
On retrouve également dans ses journaux son horreur de ce qui s'est emparé de l'Allemagne, sa haine de Hitler et de ses partisans (qu'il désigne sous le nom de lémures) et sa honte devant les étoiles jaunes qu'il croise dans les rues :
Je suis alors pris de dégoût à la vue des uniformes, des épaulettes, des décorations, des armes, choses dont j'ai tant aimé l'éclat.citation nécessaire
Il fait partie de l'entourage de Rommel et il rédige en secret dès 1943 un court texte (La paix) qui anticipe avec beaucoup de prescience la nécessaire réconciliation des nations et l'indispensable construction européenne.
Il ne participe pas au complot contre Hitler de 1944 mais soupçonné à juste titre d'avoir été au courant de l'attentat il est muté dans les troupes territoriales en Allemagne. Lors des batailles finales il se borne à interdire à ses hommes de résister quand il constate l'arrivée des chars américains.
[modifier] Après-guerre
Après la capitulation, il est interdit de publication pendant quatre années du fait de ses écrits nationalistes des années vingt. De 1950 jusqu'à sa mort en 1998 il vit dans le petit village de Souabe, Wilflingen, et il voyage à travers le monde pour assouvir sa passion de l'entomologie (passion qui a fait l'objet du livre Chasses subtiles)[1]. D'ailleurs quelques scarabées et papillons portent son nom[2].
Lui qui avait été jusqu'en 1930 une figure de la droite nationaliste défend après 1945 un individualisme anarchisant, radicalement hostile à l'État-Léviathan, avec ses essais Passage sur la ligne (1950) et Traité du rebelle (1951), puis son roman Eumeswill (1977).
En 1982 l'attribution du prix Goethe déclenche des protestations en Allemagne de la part des libéraux qui n'acceptent pas son passé militariste mais son centième anniversaire, en 1995, est l'occasion de plusieurs célébrations officielles et il est invité à déjeuner à l'Élysée par François Mitterrand qui éprouve une grande admiration pour lui. Certains considèrent qu'Ernst Jünger, avec Thomas Mann, est l'un des plus grands écrivains de langue allemande du vingtième siècle. Notons à ce sujet l'amitié qui le lia à l'un des plus grands écrivains de langue française, Julien Gracq, qui a souvent mentionné l'admiration qu'il éprouve pour l'œuvre de Jünger et notamment pour Sur les falaises de marbre[3].
Les livres qu'il est indispensable d'avoir lu sont : Orages d'acier ; Sur les falaises de marbre ; Journal de guerre (ce dernier se décompose en : Jardins et routes ; Premier journal parisien ; Second journal parisien ; La cabane dans la vigne).
L'œuvre de Jünger semble devoir être considérée sous l'éclairage des expériences vécues par l'homme dans sa vie intime. Il est en particulier un des rares écrivains à avoir consacré une œuvre à l'ivresse au sens large, celle donnée par les drogues les plus diverses (haschich, opium, LSD...) et les boissons traditionnelles (vin, thé). Il faut entendre le mot ivresse au sens de modification de la perception des sens et du rapport au temps. Son expérience personnelle de ces substances est relatée dans cet essai étonnant qu'est Approches, drogues et ivresses (1970).
Enfin, Héliopolis est une œuvre empreinte d'une humanité naïve, vivante et attirée par les "congés chimiques hors du moi intolérable" (cf. A. Huxley) et hors de cette société intolérable pour un être humain qui aspire à se découvrir et à vivre en ses propres yeux son propre monde.
[modifier] Principaux ouvrages
De son vivant ont été publiées successivement deux éditions générales de ses œuvres. La première en dix volumes de 1960 à 1965 chez Ernst Klett (titre original : Gesammelte Werke). La seconde en dix-huit volumes de 1978 à 1983 chez Klett-Cotta (titre original : Sämtliche Werke). On ne peut pas parler d'œuvres complètes dans la mesure où aucun de ses nombreux articles politiques publiés dans des journaux entre 1920 et 1932 n'y figurent[4].
- Orages d'acier (In Stahlgewittern - 1920)
- Le Lieutenant Sturm (Sturm -1923)
- Feu et sang - Bref épisode d'une grande bataille (Feuer und Blut. Ein kleiner Ausshmitt aus einer grossen Schlacht -1925)
- Le Cœur aventureux (Das abenteuerliche Herzv - 1929)
- Le Travailleur (Der Arbeiter - 1931)
- Jeux africains (Afrikanische Spiele - 1936)
- Sur les falaises de marbre (Auf den Marmorklippen - 1939)
- La Paix (Der Friede - 1946)
- Journal de guerre (Strahlungen - 1949)
- Héliopolis (Heliopolis - 1949)
- Le traité du Rebelle ou le recours aux forêts (Der Waldgänger - 1951)
- Visite à Godenholm (Besuch auf Godenholm - 1952)
- Abeilles de verre (Gläserne Bienen - 1957)
- Le Mur du temps (An der Zeitmauer - 1959)
- L'État universel (Der Weltstaat - 1960)
- Chasses subtiles (Subtile Jagden - 1967)
- Approches, drogues et ivresse (Annäherungen, Drogen und Rausch - 1970)
- Le Lance-pierres (Die Zwille - 1973)
- Eumeswil (Eumeswil - 1977)
- Soixante-dix s'efface (Siebzig verweht - 1977)
- L'Auteur et l'Écriture (Autor und Autorschaft - 1982)
- Le Problème d'Aladin (Aladins Problem - 1983)
- Les ciseaux (Die Schere - 1990)
- Trois chemins d'écolier - Tardive vengeance (Sp. R. - Drei Schulwege - 2003)
[modifier] Postérité
- Il existe un prix Ernst Jünger décerné par le land de Bade-Wurtemberg pour des travaux de recherche en entomologie.
- Il existe également une bourse d'étude Ernst Jünger destinée aux chercheurs en sciences humaines elle aussi octroyée par le land de Bade-Wurtemberg.
[modifier] Voir aussi
[modifier] Bibliographie
- La table ronde Cahier Ernst Jünger, hiver 1976
- Julien Hervier, Entretiens avec Ernst Jünger, Gallimard, 1986
- Banine, Ernst Jünger aux faces multiples, L'Âge d'Homme, 1989
- Julien Hervier, Deux individus contre l'histoire : Drieu La Rochelle et Ernst Jünger, Klincksieck, 1990
- L'oeil de bœuf numéro 5/6 Ernst Jünger, décembre 1994
- Jean-Michel Palmier, Ernst Jünger - Rêveries sur un chasseur de cicindèles, Hachette, 1995
- Alain de Benoist (éd.), Revue Nouvelle École n°48, Le Labyrinthe, 1996
- Auguste Francotte (1998). Ernst Jünger ou l’entomologiste écrivain. Lambillionea, n° spécial 1998 : 48 p. I
- Frédéric de Towarnicki, Ernst Jünger - Récit d'un passeur de siècle, Editions du Rocher, 2000
- Philippe Barthelet (éd.), Dossier H Ernst Jünger, L'Âge d'Homme, 2000
- Jean-Luc Evard, Ernst Jünger - autorité et domination, L'éclat, 2004
- Isabelle Grazioli-Rozetn Qui suis-je ? Jünger, Pardès - collection Qui-suis je ?, 2005
[modifier] Centre de recherche universitaire
- Centre de recherche et de documentation Ernst Jünger (CERDEJ@neuf.fr). Publication annuelle du CERDEJ : Les Carnets Ernst Jünger.
[modifier] Articles connexes
- Littérature germanique
- Révolution conservatrice
- République de Weimar
- Troisième Reich
- Friedrich Georg Jünger
[modifier] Liens externes
- (en) (de) Musée Ernst Jünger à Wilflingen
- (en) Ernst Jünger in cyberspace
- (fr) hommage dans l'Humanité (J.-P. Leonardini)
- (fr) texte de Julien Hervier
- (en) (de) (it) (fr) Collection de textes sur Ernst Jünger
[modifier] Notes et références
- ↑ Jean-Michel Palmier évoque dans son livre Ernst Jünger, rêveries sur un chasseur de cicindèles : "Je n'ai jamais vu l'auteur d' Orages d'acier exhiber ses médailles ou ses décorations. Mais le sourire de l'homme qui montrait l'un de ses cartons vitrés où étaient méthodiquement classés, impeccablement étalés, des séries de longicornes ou de carabes était bien celui d'un enfant qui dévoile ses trésors" p. 148 et 149
- ↑ Le papillon trachydora juengeri et la cicindèle cicendela juengeri. Jean-Michel Palmier, op. cit. p. 149
- ↑ Admiration évoquée par Gracq dans deux textes. L'un, radiodiffusé en 1959, intitulé Symbolique d'Ernst Jünger (œuvres complètes, tome 1, p. 976). L'autre intitulé L'œuvre d'Ernst Jünger en France publié dans le numéro spécial de la revue Antaios en l'honneur du 70ème anniversaire de Jünger (œuvres complètes, tome 2, p. 1158
- ↑ La bibliographie la plus complète en France se trouve dans l'ouvrage d'Alain de Benoist. En allemand l'ouvrage de Nicolai Riedel, Ernst Jünger – Bibliographie 1928-2002, Stuttgart, J.B. Metzler, 2003, fait autorité.
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