Hannah Arendt
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Hannah Arendt, née Johanna Arendt le 14 octobre 1906 à Linden (Allemagne) et morte le 4 décembre 1975 à New York (États-Unis), était une universitaire allemande naturalisée américaine connue pour ses travaux sur l’activité politique, le totalitarisme et la modernité d’un point de vue philosophique et historique. Souvent qualifiée de « philosophe », elle refusait ce terme au motif qu’il suppose une réflexion sur « l’homme » alors qu’elle travaillait sur les hommes ; elle se désignait elle-même comme professeur de théorie politique, ou political theorist.
Ses ouvrages sur le phénomène totalitaire sont étudiés dans le monde entier et sa pensée politique et philosophique occupe une place importante, de par ses livres majeurs, Les Origines du totalitarisme (1951) et Condition de l’homme moderne (1958).
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[modifier] Biographie
Son père était ingénieur de formation et sa mère pratiquait le français et la musique. Des deux côtés, les grands-parents étaient des juifs réformés. Son père meurt en 1913 de la syphilis.
En 1924, après avoir passé son Abitur — équivalent du baccalauréat en Allemagne — en candidate libre avec un an d'avance, elle étudie la philosophie, la théologie et la philologie classique aux universités de Marbourg, Fribourg-en-Brisgau et Heidelberg. Élève de Heidegger, de Husserl puis de Karl Jaspers, elle révèle une brillante intelligence et un non-conformisme encore peu commun.
En 1925, sa rencontre avec Heidegger sera un évènement majeur de sa vie, tant sur le plan intellectuel que sentimental. Elle est très jeune et voue une admiration sans bornes à son maître, de quinze ans son aîné. Celui-ci, pourtant habitué à conquérir ses étudiantes, tombe sous le charme. C'est le début d'une relation secrète, passionnée et irraisonnée, qui laissera des traces chez Hannah toute sa vie. Mais si la pensée du maître l'impressionne, la position ambigüe de Heidegger à l'égard du judaïsme l'amène bientôt à interrompre leur relation. Elle déménagera à Fribourg-en-Brisgau pour devenir l'élève de Husserl, mais probablement aussi pour s'éloigner de son ancien amant. Puis elle suivra l'enseignement de Karl Jaspers à Heidelberg sous la direction duquel elle rédige sa thèse sur le Concept d'amour chez saint Augustin. Elle restera fidèle à la pensée de Heidegger, par-delà la guerre et l'exil, et se fera l'infatigable promoteur du philosophe, aussi éminent que controversé, aux États-Unis.
En 1929, elle épouse Günther Stern (nommé plus tard Günther Anders), un jeune philosophe allemand rencontré dans le milieu universitaire. La même année, elle obtient une bourse d'études qui lui permet de travailler jusqu'en 1933 à une biographie de Rahel Varnhagen, une juive allemande de l'époque du romantisme, qui ne paraîtra qu'en 1958. Sous l'influence de Kurt Blumenfeld, président de l'organisation sioniste, elle prend conscience de son identité juive, alors que Jaspers prétendait la faire adhérer à « l'essence allemande » de Max Weber. Chargée par Blumenfeld de recueillir les témoignages de la propagande antisémite, elle est arrêtée par la Gestapo et relâchée faute de preuve.
En 1933, elle quitte l'Allemagne pour la France où elle participe à l'accueil des réfugiés fuyant le nazisme. Depuis Paris, elle milite pour la création d'une entité judéo-arabe en Palestine. Elle facilite l'immigration des jeunes juifs vers la Palestine. Divorcée en 1937, elle se remarie avec Heinrich Blücher, un réfugié allemand, ancien spartakiste.
Au début de la Seconde Guerre mondiale et suite à la victoire éclair de l'Allemagne sur la France, elle fuit au sud de ce pays, à Montauban puis effectue divers voyages à Marseille pour y obtenir un visa pour le Portugal grâce au Centre américain d'Urgence de Varian Fry. Elle part en train pour ce pays et vit quelques temps à Lisbonne dans l'espoir d'un bateau pour l'Amérique. À l'issue d'une traversée éprouvante, elle gagne les États-Unis en 1941. Dans une situation de dénuement total, devant absolument gagner de l'argent, elle trouve un emploi d'aide à domicile dans le Massachusetts et envisage de devenir assistante sociale. Mais elle décide finalement de regagner New York et y devient billettiste dans plusieurs journaux. Elle sera ensuite professeur de philosophie politique. En 1951, elle publie son livre Des Origines du totalitarisme.
En 1961, lors du procès du chef nazi Adolf Eichmann, elle voit en lui l'expression de la « banalité du mal ». Elle couvre le procès à Jérusalem, et ses articles vont nourrir une polémique.
En 1966, elle apporta son soutien à la pièce de théâtre de l'allemand Rolf Hochhuth, « le Vicaire », œuvre qui déclencha une violente controverse en critiquant l’action du pape Pie XII face à l'holocauste.
Elle meurt le 4 décembre 1975 à New York. Lors des obsèques, son ami Hans Jonas après avoir prononcé le kaddish lui dira : « Avec ta mort tu as laissé le monde un peu plus glacé qu'il n'était. »
[modifier] Intérêt de son œuvre
L'apport majeur de Hannah Arendt est sa réflexion sur la modernité, c'est-à-dire la rupture du fil de la tradition, exposé dans La Crise de la culture. Il s'agit de penser le politique, à savoir le monde qui existe entre les hommes et sa raison d'être dans le monde contemporain, où il est plus que jamais nécessaire.
Ne pouvant rester insensible au monde de son époque, Arendt s'intéressa au totalitarisme et en fit une analyse qui continue à faire autorité, à côté de celle, différente et plus descriptive, de Raymond Aron. Son apport, en mettant sur le même plan stalinisme et nazisme, allait contribuer à systématiser le nouveau concept de « totalitarisme ».
Mais, son apport essentiel réside dans son attitude constante, pragmatique et morale — d'une morale, sans « moraline », selon l'expression de Nietzsche — et son admiration pour la « pensée pure » et sa passion de la « liberté », y compris contre elle-même.
D'abord ardente sioniste, Hannah Arendt évolua progressivement au sujet d'Israël, et exprima son opposition constante à tout enfermement nationaliste. Elle était favorable à un État fédéral mixte judéo-arabe. Elle entre en conflit avec la presse israélienne lors de sa couverture du procès d'Eichmann à Jérusalem au début des années 1960.
[modifier] Critique de son œuvre
Certaines de ses analyses seraient un peu dépassées par l'avancée des recherches ou souffriraient de contradictions et d'un manque de cohérence, comme par exemple celles sur la « république plébiscitaire », sur le rôle de la « populace », sur la « société de masse » comme vivier du totalitarisme, sur le fascisme, de sorte que sa typologie des systèmes totalitaires est aujourd'hui contestée par l'historiographie actuelle. En effet, n'étant pas historienne de formation, elle aurait jugé « le passé et le présent avec beaucoup d'aplomb, à partir d'une conception irréductible de la liberté qui l'honore mais ne l'immunise pas forcément contre les erreurs d'analyse. »
[modifier] Sur les droits de l’homme
Dans son chapitre de L’Impérialisme sur les « perplexités des droits humains », elle démontre le processus qui identifia les droits de l’homme à l’identité nationale, les États excluant de ces droits les non-nationaux.
[modifier] Liste des œuvres
- Le concept d'amour chez Augustin, Rivages, 1999 (Der Liebesbegriff bei Augustin, Springer, Berlin, 1929)
- Les Origines du totalitarisme (The Origins of Totalitarianism), 3 volumes (Antisemitism, Imperialism, Totalitarianism), 1951 ; nouvelles éditions en 1958, 1966, 1973. Traduction française en trois ouvrages séparés :
- Sur l’antisémitisme, traduction par Micheline Pouteau (1973) révisée par Hélène Frappat, Le Seuil (collection « Points / Essais », nº 360), 2005 (ISBN 2-02-086989-6)
- L’Impérialisme, traduction par Martine Leiris (1982) révisée par Hélène Frappat, Le Seuil (collection « Points / Essais », nº 356), 2006 (ISBN 2-02-0798905)
- Le Système totalitaire, traduction par Jean-Louis Bourget, Robert Davreu et Patrick Lévy (1972) révisée par Hélène Frappat (2002), Le Seuil (collection « Points / Essais », nº 307), 2005 (ISBN 2-02-0798905)
- Condition de l’homme moderne, traduction française G. Fradier, Calmann-Lévy, 1961, 1983, réédité avec une préface de P. Ricœur – Pocket, 1988, 1992 [The Human Condition, London, Chicago, University of Chicago Press, 1958].
- Eichmann à Jérusalem. Rapport sur la banalité du mal, traduction française A. Guérin, Gallimard, 1966 – Folio, 1991 [Eichman in Jerusalem : A Report on the Banality of Evil, New York, The Vinking Press, 1963] - Ouvrage compte-rendu du procès du responsable nazi à l'occasion duquel elle inventa l'expression « banalité du mal » et met en question l'action des Conseils juifs dans la déportation.
- Essai sur la révolution, traduction française M. Chrestien, Gallimard, 1967 – Tel, 1985 [On Revolution, New York, The Vinking Press, 1963].
- La Crise de la culture. Huit exercices de pensée politique, traduction française P. Lévy, Gallimard, 1972, 1989.
- Du mensonge à la violence. Essais de politique contemporaine, traduction française G. Durand, Calmann-Lévy, 1972 – Pocket, 1989.
- Vies politiques, traduction française E. Adda, Gallimard, 1974 – Tel, 1986.
- La Vie de I'esprit : I. La pensée, II. Le vouloir, traduction française L. Lotringer, P.U.F, 1981. (1992) et 1983 (1999) [The Life of the Mind (1 Thinking ; 2 Willing), New York, Harcourt Barce Jovanovich, 1978-1981], ou éd. PUF 620 pages 27 € - essai par lequel elle commente les concepts clés de la tradition occidentale.
- La Tradition cachée, traduction française S. Courtine-Denamy, Christian Bourgois, 1987 – 10/18, 1997.
- L’Intérêt pour la politique dans la pensée philosophique européenne contemporaine, Les Cahiers de Philosophie, n° 4, Lille, 1987.
- Penser l’événement, traduction française Cl. Habib, Belin 1989.
- La nature du totalitarisme, traduction française Michelle-Irène Brudny de Launay, Payot, 1990.
- Condition de l'homme moderne. Premier chapitre : La condition humaine. Notes et commentaires de A. Kremer-Marietti, Nathan, 2002.
- Journal de pensée (1950–1973), publié en 2005 : il s'agit de la transcription de 23 cahiers manuscrits de réflexions et non destinés à une publication, écrits entre 1950 et 1973.
- Responsabilité et jugement, traduction de Jean-Luc Fidel - éd. Payot - texte sur le devoir de juger entendu comme principal garant de la liberté.
- La philosophie n'est pas tout à fait innocente Hannah Arendt, Karl Jaspers, Briefwechsel (correspondance) ; traduit de l'allemand par Éliane Kaufholz-Messmer ; lettres choisies par Jean-Luc Fidel. Paris: Éd. Payot & Rivages, 2006 Collection : Petite bibliothèque Payot No. 608 (Extrait: seulement les lettres depuis 1945!)
- Edifier un monde Interventions 1971-1975, Paris, Seuil, "traces écrites", 2007.
[modifier] Voir aussi
[modifier] Bibliographie
- Ian Kershaw, Qu'est-ce que le nazisme ? : problèmes et perspectives d'interprétation (trad. de l'anglais par Jacqueline Carnaud), Gallimard, coll. « Folio Histoire », Paris, 1992 (ISBN 2-07-032676-4). Titre original : The nazi dictatorship : problems and perspectives of interpretation ;
- Emilio Gentile, Qu'est-ce que le fascisme ? : histoire et interprétation (trad. de l'italien par Pierre-Emmanuel Dauzat), Gallimard, coll. « Folio Histoire », Paris, 2005 (ISBN 2-07-030387-X). Titre original : Fascismo : storia e interpretazione ;
- Angèle Kremer-Marietti, Une éducation européenne entre les deux guerres et ses conséquences philosophiques,2005 ;
- Laure Adler, Dans les pas de Hannah Arendt, Gallimard, Paris, 2005 (ISBN 2-07-076263-7).
- (de) Harms, Klaus, Hannah Arendt und Hans Jonas. Grundlagen einer philosophischen Theologie der Weltverantwortung., Berlin, WiKu-Verlag (2003) (ISBN 3-936749-84-1);
- Michelle-Irène Brudny, Hannah Arendt, Essai de biographie intellectuelle, Grasset, Paris, 2006, (ISBN 978-2-246-67411-5);
- Martine Leibovici, Hannah Arendt, Broché, Desclée de Brouwer, Paris, 2000, (ISBN 978-2-220-04778-2)
[modifier] Liens externes
- (fr) Hannah Arendt et Martin Heidegger.
- (fr) Eichmann à Jérusalem : résumé du livre de Hannah Arendt sur le procès de Eichmann à Jérusalem
- (fr) À propos des Conseils Ouvriers en Hongrie.
- (fr) La Visite de Menahem Begin et les objectifs de son mouvement politique.
- (fr) 4 décembre 1975 : mort de Hannah Arendt.
- (it) Résumé des trois volumes du livre de Hannah Arendt, Les origines du totalitarisme.
- (fr) Hannah Arendt et le totalitarisme
- (fr) Forum sur Hannah Arendt.
- (ru) On Revolution. H. Arendt Portal