Alexandre Souvorov
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Alexandre Vassilievitch Souvorov (Suwarow ou Souwarow Rimniski ou Rimnitskoï) (Алекса́ндр Васи́льевич Суво́ров) (24 novembre 1729 - 18 mai 1800), militaire russe de l'époque de Catherine II et de Paul Ier, est considéré comme l'un des plus grands généraux de l'Histoire.[1] Adulé par ses soldats, ce petit homme (il mesure à peine 1 m 60) n'a jamais subi de défaite de toute sa carrière [2] et son génie militaire, selon plusieurs, s'apparente à celui des Alexandre, César et Napoléon.
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[modifier] Formation militaire
Il est né à Moscou d'une famille noble venant de Novgorod. Fils d'un officier supérieur distingué, il fut élevé à Saint-Pétersbourg, à l'école des Cadets. Entré au service à l'âge de 13 ans, il était colonel à 22, après avoir passé par tous les grades inférieurs.
Il sert d'abord en Finlande contre les Suédois puis se distingue contre les troupes prussiennes durant la Guerre de Sept Ans. En 1759, il participe à la bataille de Kunersdorf, où les Russes remportent une grande victoire contre Frédéric II de Prusse. Souvorov y démontre son courage et son opiniâtreté. En 1762, il devient colonel.
En 1768, il sert en Pologne à l'occasion de la guerre de la Confédération de Bar. Ses troupes dispersent les forces polonaises et s'emparent de Cracovie, pavant ainsi la voie au premier partage de la Pologne. Les campagnes de 1769 à 1772, qui précédèrent le premier démembrement de la Pologne, lui valurent le grade de général major et la décoration de l'ordre d'Alexandre Newski.
[modifier] Le général
En 1773, suite au partage de la Pologne, Souvorov est envoyé en Crimée où la guerre contre les Turcs sévit depuis 1768. Il s'y bâtit une réputation d'invincibilité en écrasant l'armée tatare à Kozludji.
Rappelé en Prusse, après la guerre de Pologne, dans laquelle les confédérés polonais luttaient contre les envahisseurs russes, Souvorov contribua à la défaite de l'armée d'Iemelian Pougatchev, qui avait soulevé des peuplades de Cosaques et de Tartares, dévasté et soumis une vaste étendue de pays, et qui, secondé par les moines et les mécontents de l'intérieur, se flattait déjà de placer sur sa tête la couronne sanglante de Pierre III, dont il avait pris le nom.
Arrivé dans la région du Don, il s'empare du chef cosaque rebelle que des traîtres lui ont livré pour la somme de 100,000 roubles. Il est le premier à l'interroger puis le ramène dans une cage à Moscou où il sera décapité.
De 1777 à 1783, Souvorov continue à se distinguer en Crimée et dans le Caucase. Il écrase entre autres une révolte de tribus caucasiennes en 1780.
Lieutenant-général après la victoire remportée sur les Turcs, sous les murs de Silistrie, il soumit, en 1783, les Tartares de Kuban et Badzinck, et leur fit prêter serment de fidélité à sa souveraine.
Ses exploits le font monter en grade. Il est promu lieutenant-général en 1780 et général d'infanterie en 1783, il fut récompensé par la grand'croix de l'ordre de Saint-Wladimir et par le portrait de Catherine II de Russie, que l'impératrice lui envoya enrichi de diamants[3]. Il était courtisan, il l'était à sa manière[4].
Exécuteur d'ordres implacables, Souvorov a emporté dans la tombe une réputation de cruauté qui entache sa carrière, mais dévoué jusqu'au crime, il obéissait[5].
[modifier] Guerre contre la Turquie
En 1787, suite à l'annexion de la Crimée par les Russes, la Turquie déclare la guerre à la Russie. Catherine II veut d'abord s'emparer d'Otchakov, qui contrôle l'embouchure du Dniepr. C'est Souvorov qui y est envoyé. Le général vainc d'abord ses adversaires à Kinburn. Puis il assiège Otchakov dont il s'empare en 1788.
Il franchit ensuite le Prout, battant les Turcs successivement à Fokchany et à la rivière Rymnick. Par la suite, il sera nommé comte d'Otchakov et comte de Rymnicki.
Après les victoires remportées par les Russes et les Autrichiens réunis, pendant les années 1788 et 1789, après la défaite de 10 000 Russes sur les bords de la rivière Rymnick, une place importante résistait, c'était Izmail, la plus importante forteresse turque sur le Danube et l'une des plus importantes d'Europe [6].
En 1790, Souvorov assiège Izmail[7]. Le 7 décembre, il donne un ultimatum de 24 heures aux assiégés sinon ce sera l'assaut et la mort. Les Turcs refusent de se rendre; Souvorov la prend d'assaut[8]. Pendant trois jours, il laisse ses soldats massacrer les civils de la ville. [9]
Le traité de Iassy de 1792 donne aux Russes tout le littoral de la mer Noire entre Azov et le Kouban, comprenant les embouchures du Dniestr et du Bug.
[modifier] La campagne de Pologne
Après la paix russo-turque, Souvorov est de nouveau transféré en Pologne où vient d'éclater une insurrection menée par Tadeusz Kosciuszko. Chargé par Catherine II de l'écraser, il s'y engage avec ardeur. Souvorov avait donné à Ismaïl une preuve d'obéissance qui devait le faire préférer à tous les généraux russes pour cette mission. Ce fut lui, en effet, qui fut chargé d'entrer dans ce pays, avec un nombreux corps d'armée, pour seconder les opérations du général de Fersen, qui venait déjà d'accabler, par ses forces supérieures, la petite armée polonaise.
Il remporte d'abord la bataille de Maciejowice où il réussit à faire prisonnier Kosciuszko lui-même. Sa faible troupe était vaincue et dispersée. Suwarow n'était par chargé de vaincre, mais d'anéantir.
Attaquant, avec sa fougue ordinaire, tous les corps polonais qui tenaient la campagne, il marcha droit, sur Varsovie. Le 4 novembre 1794, il encercle Varsovie et s'empare de Praga, l'un de ses faubourgs[10]. Ses soldats y massacrent 20 000 personnes incités, selon certaines sources, par leur général en personne[11] Après la prise de la ville[12], la tsarine le nomme feld-maréchal. Il commande Varsovie jusqu'à sa rentrée à Saint-Pétersbourg en 1795.
[modifier] La disgrâce
Malheureusement pour Souvorov, sa bienfaitrice, pour laquelle il professait un véritable culte, mourut d'une attaque d'apoplexie foudroyante : il la regretta amèrement toute sa vie. Le 17 novembre 1796, Paul Ier succède à Catherine II.
Le successeur de Catherine, l'empereur Paul Ier, commença son règne par faire des innovations dans le système militaire, qui déplurent à toute l'armée[13], et particulièrement à Souvorov.[14] Voulant se débarrasser des familiers de sa mère, il renvoie Souvorov [15]qui tombe en semi-disgrâce.
Le général profite de sa retraite pour publier un livre, L'art de la victoire, contenant ses idées sur la guerre. Il était disgracié et exilé dans ses terres.
[modifier] La campagne d'Italie
En 1798, la Russie, alliée à la Grande-Bretagne et à l'Autriche, déclare la guerre à la France. Paul Ier doit alors rappeler Souvorov[16], à la demande expresse de François Ier d'Autriche. Celui-ci voudrait le voir commander les troupes qui assureront la reconquête de l'Italie, dont Napoléon Bonaparte vient de s'emparer.[17]
Le 18 avril 1799, il prit le commandement en chef des armées combinées austro-russes.[18] À la tête d'une armée russo-autrichienne, Souvorov entre donc en Italie au printemps 1799. [19]
Profitant ensuite des avantages que les généraux Kray et Mêlas avaient déjà obtenus sur les Français commandés par Schérer, il les poussa avec vigueur et ne tarda pas à s'emparer de tout le Piémont. Il voulait, dès lors, que le roi de Sardaigne revînt dans sa capitale. L'opposition des généraux autrichiens fit naître entre eux et lui un commencement de mésintelligence.
Le 27 avril, il bat les Français à Cassano[20] et s'empare de Milan. Le 19 juin, il vainc difficilement le général Macdonald sur à la Bataille de La Trébie mais les Français doivent tout de même battre en retraite.
Le vainqueur ainsi délivré de la crainte de se voir tourné, ne put cependant couper à Macdonald sa retraite sur la France. Moreau, d'un autre côté, qui avait espéré longtemps être renforcé par Macdonald, mais qui ne put l'être, parvint à réunir assez de moyens pour opposer une résistance insurmontable aux progrès de Suwarow. La rivière de Gênes devint une barrière que le général russe ne put franchir.
Le Directoire, ayant sur ces entrefaites nommé Joubert général en chef de l'armée d'Italie, il vint en prendre le commandement au mois de septembre.
Le 15 août, Souvorov écrase à la bataille de Novi l'armée du général Joubert qui est tué pendant la bataille. Ce fut la dernière victoire de Souvorov; elle fut vivement disputée, et Moreau qui reparut à la tête de l'armée, opéra une glorieuse retraite devant des forces supérieures.
Au début de l'automne, les Français ont été refoulés de toute l'Italie du Nord.
A cette époque, la mésintelligence entre le général russe et les généraux autrichiens s'était augmentée. [21]
Souvorov ne tarda pas à se plaindre d'être mal secondé par les Autrichiens ; de son côté le cabinet russe s'indigna de l'ordre donné à l'archiduc Charles de marcher vers la Suisse. Paul Ier, à son tour, prescrivit à Souvorov d'abandonner l'Italie et les Autrichiens, de se porter, avec le peu de troupes qui lui restaient à la rencontre du général Korsakov et de prendre le commandement de toutes les forces russes qui entraient dans l'Helvétie.
Ce même automne, Souvorov passe le col du Saint-Gothard afin de soutenir le général Korsakov qui s'apprête à envahir la France. Mais Korsakov, mal soutenus par les Autrichiens jaloux des succès de Souvorov, s'est fait battre le 25 septembre par les troupes du général André Masséna à la bataille de Zurich. Les Russes sont alors obligés de se replier vers le Vorarlberg.[22]
Choqué, Paul Ier dissous l'alliance et rappelle Souvorov. C'est alors que le feld-maréchal se décida à abandonner les Autrichiens à eux-mêmes et à ramener à son souverain les faibles restes de l'armée confiée à son commandement. Mais la retraite sur Lindau présentait de sérieuses difficultés [23]
Après des peines et des fatigues inouïes, Souvorov parvint en Allemagne avec les restes d'une armée naguère brillante et victorieuse.
En apprenant la retraite du feld-maréchal, Paul Ier approuva sa conduite, il annonça hautement l'intention de célébrer ses victoires en Italie en faisant entrer Souvorov à Saint-Pétersbourg sous un arc de triomphe ; mais tout à coup les dispositions de l'Empereur changèrent, et au lieu d'une entrée triomphale, le tsar, jaloux de sa popularité, a annulé la cérémonie. Il lui fait même l'injure de le dégrader.
Souvorov, après avoir séjourné, pendant le mois de janvier de l'année 1800, à Prague où il eut plusieurs conférences avec le général autrichien Bellegarde et l'ambassadeur britannique Spencer Smith, et où il célébra le mariage de son fils avec une princesse de Courlande, continua de rouler vers Saint-Pétersbourg, d'après les ordres précis de Paul Ier, déterminé à rompre avec la coalition qu'il accusait de l'avoir trahi et qui s'indignait de voir un feld-maréchal russe en rapport avec un diplomate anglais, quand lui, empereur, renvoyait au cabinet britannique, percée de son épée, la dépêche par laquelle on lui refusait la souveraineté promise de l'île de Malte.
Au lieu des honneurs qu'il attendait et qui lui étaient dus, Souvorov trouva un ordre d'exil ; ce fut secrètement et la nuit qu'il entra dans la capitale de l'Empereur, et il ne fit que traverser Pétersbourg pour aller chercher un asile auprès d'une de ses nièces. [24] Forcé de s'éloigner, le vieux guerrier, accablé de chagrin, se retira dans sa terre de Pollendorff en Estonie, où il ne languit que peu de temps ; tombé dangereusement malade, il fut bientôt aux portes du tombeau.
L'empereur, se repentant alors de sa conduite injuste et cruelle envers un homme qui avait couvert de gloire les armées russes, l'envoya visiter par ses deux fils, Alexandre, depuis empereur, et Constantin, qui avait partagé avec le feld-maréchal une partie des dangers de la dernière campagne. [25]
C'est dans la quasi-pauvreté que l'un des plus grands généraux de son temps décède le 18 mai 1800.
[modifier] Notoriété
Après la mort de Paul Ier, Alexandre Souvorov est vite reconnu par la Russie entière comme un grand héros et le plus grand génie militaire de l'histoire du pays. Au XIXe siècle comme au XXe siècle, il sera une source d'inspiration pour tous les généraux.
Un musée militaire à son nom est ouvert en 1908 à Saint-Pétersbourg. Des monuments lui sont érigés à Saint-Pétersbourg, Otchakov, Izmaïl, Ladoga, Kherse, Sinmferopol, Kaliningrad, Rymnick et dans les Alpes suisses. Le 29 juillet 1942, Le Présidium du Soviet Suprême crée l'Ordre de Souvorov afin de récompenser le succès d'actions offensives contre des forces supérieures ennemies. Le premier récipiendaire est le maréchal Georgui Joukov.
[modifier] Vie
La vie de Souvorov était austère et dure.[26]
A Vérone, il refusa l'appartement qu'on lui avait préparé et en choisit un autre beaucoup plus simple, dont il fit enlever les glaces comme un objet de luxe qui blessait ses yeux. [27] Il ne portait son uniforme que dans les occasions où il s'agissait de faire respecter en lui le général des armées de son souverain ; dans toutes les autres, ou le trouvait vêtu de toile, ou dans les plus grands froids, d'une touloupe (pelisse commune) en peau de mouton. Mais, par un contraste frappant, quand, dans les jours d'apparat, il quittait sa peau de mouton, pour le grand uniforme de feld-maréchal, il se chargeait d'ornements, de tous ses cordons, de ses plaques en diamants et décorations de toute espèce, attachait à son chapeau une aigrette en brillants qui lui avait été donnée par Catherine, et à son cou le portrait de cette princesse.
Souvorov possédait un assez grand fond d'instruction et parlait avec facilité plusieurs langues, mais il se refusait aux longues écritures diplomatiques et politiques. « La plume sied mal, disait-il, dans la main d'un soldat. » On s'occupait à la cour de l'originalité de caractère de Souvorov, de sa manière de vivre, de la singularité de son langage et de la rudesse de ses mœurs. Sa mise aussi prêtait aux sarcasmes des courtisans qui ne l'aimaient pas. [28] Les soldats adoraient un chef qui partageait toutes leurs fatigues, qui vivait au milieu d'eux sans faste, sans recherche et aussi simplement qu'eux-mêmes. Connaissant tout l'empire de la religion, de la superstition même sur les soldats russes, il obligeait les officiers à réciter le soir, après la retraite, des prières publiques devant leurs troupes [29] Aussi actif qu'audacieux, il possédait au suprême degré l'art d'exalter l'enthousiasme du soldat et de l'attacher à sa destinée : aussi les Russes devinrent-ils entre ses mains d'excellents instruments de carnage.
Minutieux et sévère dans le service, il voulait, avec raison, que la discipline fût rigoureuse et que l'obéissance envers le chef fût exacte et absolue. [30]
Souvorov avait une fortune immense, mais on n'eut à lui reprocher aucune déprédation ; tout ce qu'il possédait lui avait été donné par Catherine. [31]
L'Empereur Alexandre, aussitôt son avènement au trône, rendit à Souvorov la justice que Paul Ier, son père, lui avait refusée. Il lui fit élever une statue, et tous les anciens compagnons d'armes du feld-maréchal furent appelés à l'inauguration de ce monument. Le grand duc Constantin, qui participait un peu de la nature de Souvorov, prononça publiquement, en présence des troupes assemblées, l'éloge du vieux guerrier ; tous les corps de l'armée, en défilant devant la statue, lui rendirent les honneurs militaires que le feld-maréchal recevait de son vivant.
Marié assez jeune, Souvorov avait aimé sa femme à l'idolâtrie : elle exerçait sur lui un empire absolu. Sa faiblesse pour son fils était également extrême [32]
Pour C. Mullié, comme général, Souvorov n'a pas fait faire un pas à l'art militaire en Russie ; contemporain du grand Frédéric, il n'avait rien appris ; la guerre qu'il fit était la guerre primitive, la guerre sans manœuvres ; en présence d'un adversaire habile, et à moins d'une supériorité numérique incontestable comme en Italie, Souvorov eût infailliblement succombé.
[modifier] Notes et références
- ↑ Masson, dans ses Mémoires secrets sur la cour de Russie, a dit de Souvorov : « C'était un monstre renfermant, dans un corps de singe, l'âme d'un chien de boucher. » Pour Mullié, un pareil jugement est sévère, mais Masson n'était ni militaire, ni homme d'État, et la sentence fulminée par l'annaliste des cours de Catherine II et de Paul Ier, n'empêchera pas le nom de Souvorov de rester au nombre de ceux des guerriers les plus illustres du dix-huitième siècle.
- ↑ Souvorov n'était ni stratégiste ni tacticien, mais il avait les qualités les plus essentielles aux grands capitaines ; il comprenait bien le caractère des hommes qu'il avait à commander et avait trouvé le secret de leur faire faire de grandes choses. STUPAI I BE, en avant et frappe ! Avec ses mots Souvorov battait cent mille Turcs, enlevait Ismaïlow ou Praga.
- ↑ Il porta toujours depuis ce portrait quand il quittait la pelisse de peau de mouton qui formait son vêtement à l'armée.
- ↑ Il avait compris qu'un dévouement sans bornes, d'importants services ne suffiraient pas pour le faire distinguer de Catherine ; il voulut se singulariser par des bizarreries propres à frapper l'imagination d'une souveraine blasée sur tout. Souvorov avait deviné Catherine, comme il avait deviné le soldat russe, l'impératrice le préférait à tout parce qu'il ne ressemblait à personne.
- ↑ Pour Mullié, les véritables bourreaux des Turcs, égorgés à Ismaïlow et des Polonais massacrés à Praga, c'étaient Potemkin et Catherine II de Russie.
- ↑ Pendant sept mois le général Gudowitsch l'avait vainement assiégée. Le favori Potemkine, accoutumé à faire tout fléchir sous ses volontés, dans les camps comme à la cour, et indigné d'un échec qu'il crut porté à sa gloire comme généralissime, ordonna à Souvorov de laver cet affront dans le sang des Musulmans et d'emporter Ismaïlow, à tout prix.
- ↑ Souvorov marcha avec la plus grande célérité par un hiver rigoureux, franchit tous les obstacles, et trois jours après son arrivée devant la place, il rassemble ses soldats et leur annonce l'assaut : « Amis, leur dit-il, ne regardez pas les yeux de l'ennemi, regardez sa poitrine, c'est là qu'il faut enfoncer vos baïonnettes ; pas de quartier, les provisions sont chères. »
- ↑ Deux fois les Russes sont repoussés avec un horrible carnage ; Suwarow ordonne une troisième attaque. Cette fois ses grenadiers emportent d'abord les ouvrages extérieurs et pénètrent enfin, après des efforts inouïs, dans l'intérieur de la ville. Ils se précipitent aussitôt dans les mosquées où les habitanis s'étaient réfugiés, dans les maisons et les jardins ; tout ce qui se trouve sur leur passage est inhumainement égorgé, et leur chef farouche, les animant au carnage, leur criait d'une voix de tonnerre : KOLI ! KOLI ! Tue ! tue !
- ↑ Le meurtre et le pillage marchèrent de front ; près de 12.000 Russes et plus de 30.000 Turcs périrent dans cette journée sanglante, et Suwarow, sur les ruines embrasées de la cité conquise, écrivait à Catherine dans le style singulier et laconique qu'il savait lui plaire :
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- « Mère, la glorieuse Ismaïlow est à tes pieds. »
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- Gloire à Dieu ! gloire à vous aussi !
- La ville est prise, et m'y voici.
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- ↑ Le faubourg fortifié de Praga, où une foule de citoyens s'étaient jetés, offrit seul quelque résistance. L'assaut fut donné, l'armée russe marcha sur sept colonnes, s'empara, à une première attaque, des fortifications qu'une artillerie insuffisante défendait, et les chrétiens de Praga furent traités comme les musulmans d'Ismaïlow.
- ↑ On n'épargna ni l'âge, ni le sexe, tels étaient les ordres impitoyables de Catherine : neuf mille victimes humaines furent immolées, sur ce seul point, à la soif insatiable de sang de la grande impératrice.
- ↑ Varsovie ouvrait ses portes à Souvorov peu de jours après, et quand une députation vint lui présenter les clefs de la ville, il les porta à sa bouche et dit en les élevant vers le ciel : « Dieu tout-puissant, je vous rends grâce de ne m'avoir pas fait payer cette place aussi cher que… » et se tournant du côté de Praga, la voix lui manqua et il versa des larmes. Mais il avait obéi. Catherine était satisfaite ; elle lui écrivit : « Vous savez que je n'avance jamais personne avant son tour ; je suis incapable de faire tort à un plus ancien ; mais c'est vous qui venez de vous faire feld-maréchal vous-même, par la conquête de la Pologne. » Cette lettre accompagnait l'envoi d'une couronne de laurier en or massif parsemée de diamants, et un bâton de commandement aussi en or enrichi de pierreries ; la couronne seule valait cinq cent mille roubles. A ces riches présents, l'impératrice joignit le don de plusieurs propriétés considérables et de vingt mille paysans.
- ↑ Il ne put cacher son mécontentement, en voyant l'empereur changer jusqu'à l'ancien uniforme russe pour lui substituer l'uniforme prussien. Paul prétendait tout régler : il avait prescrit la poudre et la queue, réglé la dimension des boucles et la longueur précise de la queue, et envoyait, à cet effet, aux chefs des différents corps d'armée, de petits bâtons devant servir de modèles et de mesures.
- ↑ Souvorov dit en recevant celui de ces paquets qui lui était adressé : « La poudre à poudrer n'est pas de la poudre à canon, les bouclés ne sont pas des fusils et les longues queues ne valent pas des baïonnettes. » Souvorov était jalousé, les soldats l'adoraient, mais les chefs, dont il proscrivait le luxe et sur lesquels il faisait peser une discipline rigoureuse, le détestaient ; le propos qu'il avait tenu, et qui donna lieu à beaucoup d'autres que tinrent à l'envie les soldats russes, fut rapporté à l'Empereur. Paul, vivement irrité, fit demander à Souvorov sa démission.
- ↑ Le feld-maréchal voulut que ce fût de lui-même que son armée apprît qu'il allait cesser de la commander, et il fut extraordinaire dans cette occasion comme dans presque toutes les autres. Il fit ranger ses soldats en bataille devant une pyramide de tambours et de timbales entassés ; il était lui-même à côté de ce monument militaire, en grand uniforme, décoré de tous ses ordres et le portrait de Catherine à la boutonnière. « Camarades, dit-il aux soldats, je vous quitte peut-être pour longtemps, peut-être pour toujours, après avoir passé cinquante ans parmi vous sans jamais vous perdre de vue, que quelques instants. Votre père qui mangeait et buvait avec vous, couchait au milieu de vous, va manger, boire et coucher dans la solitude de ses enfants, et pensant à eux pour toute consolation. Telle est la volonté de notre père commun, de notre empereur et maître. Je ne perds pas l'espoir qu'elle s'adoucira un jour en faveur de ma vieillesse : alors, quand Souvorov reparaîtra au milieu de vous, il reprendra ces dépouilles qu'il vous laisse comme un gage de son amitié et un appel à vos souvenirs ; vous n'oublierez pas qu'il les portait toujours dans les batailles qu'il remportait à votre tête. » — Et se dépouillant de tous ses ordres, il les déposa sur l'espèce de trophée qu'il avait à côté de lui, ne gardant sur sa poitrine que le portrait de l'impératrice.
- ↑ L'Empereur adressa à Souvorov une lettre dont on a toujours ignoré le contenu, mais qui portait pour inscription, en gros caractères, ces mots de bon augure : Au feld-maréchal Souvorov. « Cette lettre n'est pas pour moi, dit le vieux guerrier, en lisant l'adresse : si Souvorov était feld-maréchal, il ne serait pas isolé et gardé dans un village : on le verrait à la tête de l'armée. » Il fallut que le courrier reportât la lettre cachetée à l'Empereur.
- ↑ Faire la guerre aux Français, dont la gloire l'importunait, c'était combler les vœux de Souvorov, il avait voué une haine implacable à une nation dont les brillants exploits éclipsaient tous les siens. Le premier moment d'humeur passé, et croyant avoir fait suffisamment comprendre à l'Empereur l'injustice de sa conduite, il accepta le commandement qui lui était offert
- ↑ Il avait introduit dans son armée un maniement d'armes particulier ; lorsque l'officier commandait marche aux Turcs, les soldats portaient la baïonnette en avant ; à l'ordre marche aux Prussiens, le mouvement était accéléré et la baïonnette croisée deux fois ; mais aux mots marche aux Français, le soldat devait s'élancer avec impétuosité, réitérer par trois fois l'action de la baïonnette, l'enfoncer dans la terre, qui figurait alors les Français abattus, et la retourner avec force. Selon quelques-uns des biographes, Souvorov avait défendu d'enseigner aux troupes les manœuvres relatives aux retraites, soutenant qu'elles n'en auraient jamais besoin ; assertion bizarre, les manœuvres en arrière étant parfois aussi urgentes que celles en avant, en bataille, ou par le flanc ; et si une pareille injonction a jamais été donnée, ce qui est peu probable, les généraux français, et Masséna à leur tête, ont dû convaincre Souvorov de son absurdité.
- ↑ Dès le jour de son arrivée à l'armée, il publia un ordre du jour par lequel il recommandait à ses soldats d'employer de préférence, contre l'ennemi, la baïonnette et l'arme blanche.
- ↑ Moreau, qui succéda à Schérer, était plus prudent et plus habile que son prédécesseur ; il défendit le terrain pied à pied, avec des forces trop inférieures cependant pour n'être pas contraint de reculer ; mais il le fit en bon ordre, et ce ne fut qu'après un échec, le 27 avril, au passage de l'Adda, et une autre affaire malheureuse, le 16 mai, qu'il dut évacuer les places d'Alexandrie et de Turin, et se retirer sur la Suisse.
- ↑ Souvorov éprouvait une grande antipathie pour les généraux allemands avec lesquels il était forcé d'opérer ; il se plaisait à heurter de front leurs préjugés, se moquait de leurs habitudes formalistes, et y opposait une simplicité brusque et les mœurs presque sauvages d'un vieux Russe. Aussi les Allemands le traitaient-ils de Cosaque mal civilisé et lui reprochaient-ils, en outre, d'avoir peu de combinaisons profondes, d'être mauvais tacticien, d'employer des manœuvres plus rapides qu'habiles, de prodiguer sans pitié le sang des soldats et de vouloir tout emporter par la force. Ces reproches était fondés jusqu'à un certain point ; à Souvorov il fallait la Russie et ses immenses ressources, transportées loin de son pays ; une armée qui n'aurait pu se recruter avec facilité, se serait fondue entre ses mains plus lentement, peut-être, mais aussi sûrement par des victoires que par des défaites. Souvorov gagnait des batailles à coups d'hommes sans paraître songer que la plus belle victoire a un lendemain.
- ↑ Souvorov éprouva lui-même dans sa marche par la Suisse italienne des obstacles de toute nature, que la plus persévérante intrépidité pouvait seule tenter de vaincre ; la saison était rigoureuse, les chemins dans les montagnes avaient été rendus presque impraticables, les provisions manquaient et les troupes victorieuses des Français l'entouraient et le harcelaient de toutes parts. La position des Russes était telle que déjà Masséna pouvait espérer attacher le fameux Souvorov vaincu à son char de triomphe.
- ↑ les Russes, démoralisés, abattus, restaient sourds cette fois à la voix de leur général. Un jour, les grenadiers, qui formaient l'avant-garde, accablés de fatigue, refusèrent de se porter plus loin en avant ; ils se trouvaient en face des hauteurs escarpées que défendait un corps considérable de Français ; on ne pouvait les aborder que par un défilé où les Russes craignaient de périr jusqu'au dernier. Souvorov s'avance vivement à la tête de l'avant-garde, commande de marcher et donne l'exemple : les grenadiers restent immobiles, « Ah ! vous refusez de me suivre, s'écrie-t-il, vous voulez déshonorer mes cheveux blancs, je n'y survivrai pas. » C'était là un de ses moyens ordinaires quand dans une bataille il voyait une colonne plier, il s'élançait au milieu des fuyards en leur criant : « Je veux mourir ; je ne saurais survivre à la perte d'une bataille ! » Et les soldats qui l'adoraient revenaient au combat avec une nouvelle ardeur. Cette fois, Souvorov parle vainement aux Russes révoltés. Aussitôt il ordonne froidement de creuser une fosse de quelques pieds de long, s'y étend devant ses soldats étonnés et leur dit : « Puisque vous refusez de me suivre, je ne suis plus votre général, je reste ici. Cette fosse sera mon tombeau. Soldats, couvrez de terre celui qui vous guida tant de fois à la victoire. » Emus jusqu'aux larmes, mais électrisés par ce peu de mots, les soldats jurent de ne jamais l'abandonner et se précipitent à sa suite dans le terrible défilé où un grand nombre d'entre eux trouvent la mort, mais où le reste força enfin le passage et l'ouvrit aux débris de l'armée.
- ↑ Toutes ses tentatives pour parvenir jusqu'à l'Empereur furent vaines
- ↑ Ces deux princes ayant rapporté que Souvorov était à toute extrémité, celui-ci vit bientôt paraître auprès de son lit un officier chargé de lui apporter la parole de son souverain, que la grâce qu'il voudrait demander lui serait accordée. Le feld-maréchal, expirant, se mit alors à faire l'énumération de tous les bienfaits et de toutes les marques d'honneur qu'il avait reçues de l'impératrice Catherine, puis il ajouta : « Je n'étais qu'un soldat plein de zèle, elle a senti la volonté que j'avais de la servir. Je lui dois plus que la vie, elle m'a donné les moyens de m'illustrer. Allez dire à son fils que j'accepte sa parole impériale. Voyez ce portrait de Catherine, jamais il ne m'a quitté ; la grâce que je demande, c'est qu'il soit enseveli avec moi dans ma tombe et qu'il reste à jamais attaché sur mon cœur. »
- ↑ Il se levait habituellement avec le jour et commençait, en plein air et en présence de ses soldats, à se faire arroser le corps nu de quelques seaux d'eau froide. Extrêmement sobre à table, il n'était pas, non plus, difficile pour son coucher.
- ↑ Il ne voulut pas se servir du lit, fit jeter à terre quelques bottes de foin sur lesquelles il étendit son manteau et se coucha.
- ↑ Tout cela, comme nous l'avons dit, était un calcul habile ; Suwarow, avide de fortune et de renommée, doué d'un esprit délié et d'un tact admirable, crut devoir se frayer une voie nouvelle pour arriver à la faveur de sa souveraine. Catherine aimait Souvorov, qui, en sa présence, outrait jusqu'à ses défauts : c'était pour elle un caractère d'une espèce à part et qui méritait d'être distinguée.
- ↑ il n'engageait jamais une action sans faire plusieurs signes de croix et sans baiser une petite image de la vierge ou de saint Nicolas qu'il portait toujours sur lui ; il ne manquait pas de faire mettre à l'ordre du jour, la veille d'une bataille, que tous ceux qui seraient tués, le lendemain, iraient en paradis.
- ↑ Lui-même se proposait pour exemple. Il se faisait donner publiquement un ordre quelconque par un de ses aides-de-camp, en montrait de l'étonnement d'abord, et finissait par demander de qui venait cet ordre. « Du maréchal Souvorov lui-même, répondait l'aide-de-camp. » Souvorov faisait aussitôt ce qui lui avait été prescrit en disant d'une voix ferme et élevée : « Il faut qu'on lui obéisse. »
- ↑ A Ismaïlow, les Russes firent un butin considérable ; Suwarow, pour sa part, n'accepta pas même un cheval. Ce à quoi il tenait surtout, c'était à ses diamants ; confiés à la garde d'un Cosaque, ils ne le quittaient jamais. Il y avait au fond du cœur de cet homme singulier et sous cette écorce âpre et dure, une sensibilité particulière ; il aimait l'impératrice, il l'aimait comme on aime Dieu : tout ce qui lui rappelait le souvenir de Catherine, de celle qu'avec l'armée russe il avait nommée mère, avait pour lui un prix inestimable ; ses diamants lui venaient de l'impératrice et ils étaient de glorieuses conquêtes. Cet amour pour Catherine était un amour de dévouement filial. Souvorov était trop laid pour avoir jamais espéré faire partager à sa souveraine, au cœur facile, un sentiment plus tendre ; Catherine, comme disait Napoléon, était une maîtresse femme, tout à fait digne d'avoir de la barbe au menton ; elle faisait tout trembler autour d'elle, et supportait sans impatience les brusqueries du feld-maréchal qui lui disait durement la vérité, et dont la rude franchise contrastait singulièrement avec les plates adulations dont l'environnaient les amants à gage choisis par Potemkin.
- ↑ Il l'avait destiné de bonne heure à la carrière des armes, mais il ne voulut jamais, dans ses campagnes, l'avoir auprès de lui. Ce fils, jeune militaire d'une grande espérance, brave, généreux, humain, était parvenu au grade de général major d'infanterie. Il avait épousé, ainsi que nous l'avons dit plus haut, une jeune et belle princesse de la Courlande, alliance illustre qui semblait lui promettre le plus brillant avenir. Mais, en 1811, se rendant de Bucarest à Jassy, et traversant la rivière de Rimniski, alors débordée, il y périt misérablement. Une singulière fatalité voulut que le jeune Souvorov se noyât dans cette même rivière sur le bord de laquelle son père avait remporté une de ses plus fameuses victoires, et à laquelle il avait dû son surnom de Rimniskoï ou Rimniski.
[modifier] Source partielle
« Alexandre Souvorov », dans Charles Mullié, Biographie des célébrités militaires des armées de terre et de mer de 1789 à 1850, 1852 [détail édition](Wikisource)