Le Monde des Ā
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Le Monde des Ā (titre original : (en) The World of Null-A) est un roman de science-fiction, écrit en 1945 par A. E. van Vogt (Canada) et traduit en français en 1953 par Boris Vian (France).
Le titre est généralement écrit le Monde des Ā et se prononce le Monde des non-A.
L'ouvrage est considéré comme une œuvre majeure de van Vogt. Il possède une suite, les Joueurs du Ā, et fait partie du Cycle du Ā.
Le roman est suivi d'une postface de l'auteur.
Sommaire |
[modifier] Résumé
Un homme découvre que son identité mentale a été altérée sans qu'il sache par qui ; il part alors à la recherche de son identité réelle. Au cours de cette quête, il périt, mais son « esprit » se réincarne aussitôt dans un autre corps semblable au sien. Des examens montreront que ce corps possède de la matière cérébrale additionnelle, dont il apprendra à se servir et qui lui permettra de mettre en échec un projet d'invasion de la planète Vénus (alors colonisée) par une civilisation galactique hostile.
[modifier] Commentaire
Le roman de A. E. van Vogt relève de quatre genres à la fois : le roman policier, l'essai philosophique, le conte mythique et le roman de science-fiction.
[modifier] Policier
C'est Damon Knight, le fameux critique de ce roman, qui remarque que le Monde des Ā est construit comme un roman policier. Il pense que van Vogt se condamne en transgressant deux règles de ce genre : « Tous les indices qui seront utilisés pour résoudre le problème doivent être donnés au lecteur à l'avance ; et tous les personnages, si fantastiques que puissent apparaître leurs actes, doivent avoir des motifs plausibles pour agir ainsi ».
En s'appuyant sur un tel raisonnement, il lui est facile de déceler des failles dans le récit. Par exemple, les responsables du Plus Grand Empire veulent détruire le pouvoir terrestre à tout prix, même celui de défier la Ligue galactique, ce qui entraîne une guerre de proportions galactiques. Cependant, sur la Terre même, un « meneur du jeu » (selon l'expression de Knight) s'oppose secrètement à ces visées en manipulant le héros. Selon Knight, il s'agit d'un cinglé puisque Gosseyn devrait tendre à tuer les chefs de bande sur la Terre, ce qu'il ne fait pas. Cependant, le faire aurait brusquement terminé l'histoire.
Tel un détective de génie s'opposant à un policier astucieux, Jacques Goimard réfute ces attaques dans les numéros 102, 103 et 104 du magazine Fiction. Cette réfutation paraît aussi dans le Monde des non-A/les Joueurs du non-A de l'éditeur Opta à l'article Tentative d'interprétation rationnelle. Il reprend la réflexion de Knight, tout en acceptant ses conclusions. Cependant, il ne s'arrête pas en chemin. Selon Sadoul, le meneur de jeu affirme qu'il a fait des erreurs et qu'il est tel une dame dans un jeu d'échecs cosmique. Pour Knight, cela prouve que le roman est mauvais, mais Sadoul en conclut que l'intrigue sert un troisième personnage et qu'il faut remonter jusqu'à lui. Il s'agit en l'occurrence d'Eldred Crang, le détective Ā ! Knight le considère d'ailleurs comme le véritable héros de l'histoire. Si ce personnage est comparé à Robert Hedrock du cycle des marchands d'armes, ses plans commencent à faire du sens.
Il est à noter que van Vogt a rejeté cette interprétation de Sadoul. Il y a trop d'éléments qui font défaut pour le considérer comme un roman policier, style que van Vogt connaît bien pour en avoir lu plusieurs étant plus jeune. Ce n'est pas un thriller, car le héros ne rend pas coup pour coup. Il y a aussi un désir de ramener l'intrigue à un roman policier à énigme, façon Agatha Christie, ce que van Vogt juge plutôt réducteur. Ce qui apparaît, c'est plutôt le Los Angeles tel que vu par l'auteur : lumière de la Cité des jeux, douce température de Vénus, etc.
Il semble qu'il faille plutôt s'orienter vers l'atmosphère qui se dégage. Le héros ne sait pas d'où il vient, il est le plus souvent seul, la Machine des jeux est indifférente à son sort, etc. Ce sont plutôt les indices d'un monde schizophrénique.
[modifier] Philosophique
Van Vogt voue une admiration sans réserve à la sémantique générale énoncée par Alfred Korzybski, qu'il a découverte lorsqu'il s'est établi à Los Angeles en 1944. Il passe beaucoup de temps à la maîtriser, ce qui paraît dans la suite de ce roman : les Joueurs du Ā, où des épigraphes soulignent les points saillants de son mémoire de recherche.
La sémantique générale dérive du nominalisme anglais. Affirmer que les enfants et les adultes immatures identifient, c'est dire qu'ils confondent les objets (qui sont toujours singuliers) et leur représentation (qui sont une abstraction et très souvent une généralisation, lesquels sont le fait de l'esprit et qui y demeurent). Dire que la carte n'est pas le territoire, c'est affirmer que la science n'est pas le monde qu'elle décrit. Le vrai savant est celui qui sait que son savoir n'est pas total.
La philosophie analytique anglo-saxonne, fondée par Bertrand Russell et George Edward Moore autour de 1900, est la source du savoir de Korzybski. Elle attire Wittgenstein, tout comme plusieurs penseurs européens qui migrent aux États-Unis pendant les années 1930 pour fuir la menace nazie.
Pour plusieurs, la vocation du langage est de décrire le monde d'une façon claire. Certains (par exemple, Russel et Carnap) pensent que l'on ne peut y arriver qu'en utilisant le langage mathématique. D'autres (par exemple, Wittgenstein et Moore) sont plus accommodants : ils acceptent que des phrases ordinaires puissent effectuer le travail. Dans ce dernier cas, il faut cependant « lutter contre l'ensorcellement du langage » selon Moore.
Plus d'un auteur de science-fiction avait certainement entendu parler des travaux de ces universitaires, sans toutefois lire leurs écrits à cause de leur nature ardue. Cette situation les incitait peut-être à faire un parallèle avec la nature de leur travail : comment parler au commun des mortels de choses inconnues à l'aide d'un langage connu ? C'est alors que Korzybski apparaît et fait quelque chose dont ces universitaires sont incapables : il vulgarise.
Il est ingénieur de formation et a étudié les écrits du logicien Lukasiewicz. Armé de ce bagage, il émigre lui aussi aux États-Unis et s'initie à la pathologie mentale sous la conduite de William White de 1924 à 1926. C'est peu après qu'il crée cette curiosité : la sémantique générale.
S'appuyant sur la logique mathématique moderne et la philosophie analytique, il critique Aristote et son principe d'identité. Le mot n'est pas la chose : le mot pommier ne donne pas de pommes. Cette identification cause la névrose. Si une personne ment une fois, doit-on lui accoler l'épithète de menteuse pour le reste de sa vie ? L'Institut de Sémantique générale, fondé en 1938, veut guérir ces névroses en éliminant l'identification chez les gens.
Les auteurs du magazine Astounding Stories en discutent entre eux, sans doute à l'instigation de l'éditeur John W. Campbell, friand de ces nouveautés. Par exemple, Robert A. Heinlein propose à Campbell un monde futur où la sémantique générale guérit les gens de leurs névroses. Le plus influencé est cependant van Vogt. Dans la Faune de l'espace, publié en 1939, il évoque une science intégratrice, le nexialisme. Elle crée des Humains plus forts et plus intelligents. Le Ā, grâce aux écrits de Korzybski, est la version ordonnée du nexialisme.
Dans le roman, la présence de la sémantique générale est très apparente, tant dans le récit que dans le discours. Elle guérit les malades mentaux qui pourront dès lors aller sur Vénus, l'utopie anarchique où tous les Humains agissent de façon responsable. Cette façon d'être et d'agir leur permet de devenir des surhommes. Par exemple, les armées extraterrestres débarquent sur la planète et de conquise, elle devient victorieuse, les Vénusiens Ā s'étant spontanément formés en milice et attaquant des armées supérieures en nombre et en technologie.
[modifier] Mythique
À plus d'une reprise, des athées accusent van Vogt d'être un esprit de nature religieuse, alors qu'il est athée. Le Monde du Ā lui vaut des critiques plus musclées : en s'appuyant sur les écrits d'Alfred Korzybski, il aurait versé dans la métaphysique. Cependant, les critiques oublient que la science-fiction est souvent spéculative et tente rarement de trouver la vérité, mais bien des situations plausibles.
Dès lors, quoi de plus naturel que de penser que Gosseyn naît le cerveau vide ? Le prochain pas, pour lui, est de trouver qui il est. Il fait une quête du sens de sa vie : « Il faut que je sache qui je suis » (chapitre 4). Celle-ci est suivie de sa mort, puis de sa résurrection. Il s'agit d'un processus initiatique banal dans plus d'une religion, tout comme dans différentes mythologies. Cette renaissance est d'ailleurs un choc et pour le lecteur et pour Gosseyn.
Qui ramène Gosseyn à la vie? Nul ne le sait, mais un tel personnage est certainement très puissant, l'égal d'un dieu. Van Vogt donne une réponse inattendue au dernier chapitre, où Gosseyn discute avec un mort. C'est là que ce dernier découvre son créateur, un homme qui lui ressemble étrangement. Gosseyn est donc son propre créateur. Cette découverte complète sa quête de sens.
[modifier] De science-fiction
Ce roman peut-il être de science-fiction, alors qu'il est déjà de nature triple ? Oui, si nous le regardons comme une situation hypothétique plantée dans un décor futuriste (du moins, à l'époque de sa rédaction). Vénus la terraformée, tout comme le voyage interstellaire, n'est pas pour demain, mais il est permis de rêver de telles aventures.
[modifier] Critiques spécialisées
L'anthologiste américain Groff Conklin a déclaré à propos du roman de A. E. van Vogt : « Le Monde des Ā est assurément un des romans de science-fiction les plus passionnants qui aient été écrits, à la fois par sa richesse et sa complexité. »
[modifier] Éditions françaises
- A. E. van Vogt, Le Monde des Ā, traduit de l'américain par Boris Vian, Hachette et Gallimard, coll. « Le Rayon fantastique », 1953 ;
- A. E. van Vogt, Le Monde des Ā, traduit de l'américain par Boris Vian, OPTA, coll. « Club du livre d'anticipation », n°4, 1966 ;
- A. E. van Vogt, Le Monde des Ā, traduit de l'américain par Boris Vian, J'ai Lu, coll. « Science-fiction », n°362, 1970 (édition définitive, rééditions en 1972, 1973, 1974, 1976, 1980, 1984, 1989, 1992, 2001) ;
- A. E. van Vogt, Le Monde des Ā, traduit de l'américain par Boris Vian, traduction révisée par Jacques Sadoul, Presses de la Cité, coll. « Omnibus », 1990 ;
Extrait publié dans :
- A. E. van Vogt, Le Monde des Ā, traduit de l'américain par Boris Vian, Seghers, coll. « Anthologie-jeunesse », n°4, 1966 ;
[modifier] Classique de la science-fiction
Ce roman est considéré comme un grand classique de la science-fiction dans les ouvrages de références suivants[1] :
- Annick Beguin, Les 100 principaux titres de la science-fiction, Cosmos 2000, 1981 ;
- Jacques Sadoul, Anthologie de la littérature de science-fiction, Ramsay, 1981 ;
- Jacques Goimard et Claude Aziza, Encyclopédie de poche de la science-fiction. Guide de lecture, Presses Pocket, coll. « Science-fiction », n°5237, 1986 ;
- Denis Guiot, La Science-fiction, Massin, coll. « Le monde de... », 1987 ;
- Enquête du Fanzine Carnage mondain auprès de ses lecteurs, 1989 ;
- Lorris Murail, Les Maîtres de la science-fiction, Bordas, coll. « Compacts », 1993 ;
- Stan Barets, Le science-fictionnaire, Denoël, coll. « Présence du futur », 1994.
[modifier] Notes et références
- ↑ Pour consulter les listes complètes, voir le site Top des Tops.
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