Double contrainte
Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.
Le terme double contrainte est une traduction propre au français de la notion de double bind («double lien») développée par Gregory Bateson, Don D. Jackson, Jay Haley et John H. Weakland en 1956, et utilisée par la suite de manière différente par plusieurs de ses auteurs. L’ambition de clarifier la notion de double contrainte suppose de bien distinguer cette appellation du phénomène qu’elle désigne.
Sommaire |
[modifier] Origine
- L’expression « double-contrainte », (désignée originalement comme double bind -« double lien »-), qui découle de notions mises en évidence par les théories de la communication et par la cybernétique, est une notion centrale de la théorie systémique. Elle fut mise en évidence en 1956 par une équipe dirigée par Gregory Bateson.
- On utilise parfois en français l'expression double bind, bien que sa transposition dans cette langue soit plus précise: "double contrainte" est une expression parfaitement représentative des deux contraintes qui s'opposent, assorties d'une troisième qui empêche toute sortie. Sans cette troisième contrainte, ce ne serait qu'un simple dilemme, comme celui entre la faim et la soif, avec une indécidabilité plus-ou-moins grande suivant l'intensité des attracteurs.
- L'exemple illustratif le plus simple du double bind en psychologie est un enfant de parents qui se séparent ou divorcent. Comme tous les enfants, il a un lien affectif, existentiel avec chacun des deux parents. Le drame se produit lorsque les parents se bagarrent et exigent de l'enfant un lien exclusif, demande qu'il ne peut satisfaire sans qu'il y ait pour lui contradiction avec sa vérité intime.
- Pour exercer une « double contrainte » il faut et il suffit de deux ordres ou injonctions déterminantes pour l'existence physique et psychique du sujet. Ces deux injonctions sont incompatibles. À ces deux injonctions impossibles à satisfaire simultanément, il faut en ajouter une troisième: exiger le choix dans une situation de choix impossible et qui interdit tout refus, et tout commentaire sur l'absurdité de la situation. La double contrainte est un effet de la communication, la « pragmatique »; en dehors d'elle, il n'y aurait pas de double contrainte possible. La « pragmatique » (relation entre les signes et leurs effets) est une des trois voies des pratiques de la communication avec la « sémantique » (relation des sons -ou des signifiants- et des sens) et la « syntagmatique » (relation des signes entre eux).
- La notion de « double-contrainte », qui s’applique au domaine de la communication, se réfère cependant de manière explicite à la notion de contrainte. À ce titre, elle ne se limite pas au seul domaine de la communication.
- Au premier niveau physique, la communication est la transmission des signaux électriques, physiologiques et de son et lumière.
- Au niveau psychique, la communication est la mise en commun des significations et valeurs pour former une communauté humaine.
- Au niveau symbolique, la communication est la communion autour des croyances de la Religion et des règles de la Morale.
[modifier] Précisions historiques
[modifier] Un écueil éternel
- Au XXe siècle, l’école de Palo-Alto, porte l’éclairage sur une nouvelles approche de la communication. Pour autant, la notion de « double-contrainte », caractérisée par l’impossibilité de choisir entre deux registres également obligatoires et contradictoires, décrit-elle un phénomène strictement lié au XXe siècle ? Il est possible - voire probable - que non.
- Au XVIIe siècle, Jean de la Fontaine invite les hommes à réviser leurs morales trop souvent réductrices
- Au XIVe siècle, Jean Buridan synthétise la même invitation à élargir nos vues par la célèbre parabole de l’âne qui voudrait mais ne peut choisir entre deux besoins également importants !
- Dans l’Antiquité, Aristote sensibilise déjà ses contemporains au piège de la double-contrainte entre l’intelligence et le cœur : La Fontaine puisera abondamment dans le patrimoine culturel de la Grèce antique. Pour l'âne de Buridan entre un sac d'avoine et un baquet d'eau, ce n'est qu'un simple dilemme où il est nécessaire de choisir dans une indécidabilité plus-ou-moins-grande entre des attracteurs d'intensité presque égale. Le dilemme n'a rien à voir avec la double contrainte qui est une obligation de choisir dans une situation de choix impossible assortie de l'interdiction de ne pas choisir et de commenter l'absurdité de la situation. Il y a de fréquentes confusions entre dilemme et double contrainte, en prenant l'un pour l'autre.
[modifier] Approche scientifique
[modifier] Définition générale
La double-contrainte, caractéristique de la rigidité, résulte de la mise en relation volontaire ou fortuite (par une Liaison_ mécanique, un amalgame dialectique, une attitude de communication, …) de deux éléments déjà liés à un même troisième (pièce mécanique, point de vue implicite, ou explicite…) par deux autres relations.
[modifier] Conséquence méthodologique (proposée comme théorème)
À partir d’une double-contrainte, il est toujours possible d’identifier (dans la durée) – et pour le moins de chercher (dans l’immédiat) - une trilogie d’éléments (pièces mécaniques, points de vues abstraits, attitude pertinente, …) permettant de sortir d’une situation apparemment insoluble.
[modifier] Théorie des ensembles
La généralisation de la méthode scientifique ci-avant définie suppose la modélisation préalable : il est difficile de manier des idées abstraites sans recours aux outils de communication technique : la résolution de la double-contrainte fait avantageusement appel à la théorie des ensembles (voir théorie des contextes).
[modifier] La double-contrainte en communication
[modifier] Définition
On nomme double contrainte une paire d’injonctions paradoxales consistant en une paire d'ordres explicites ou implicites intimés à quelqu'un qui ne peut en satisfaire un sans violer l'autre. L'anti-psychiatrie de Laing et Cooper utilise le nom de knot (« nœud ») qui évoque bien cette situation d'enfermement. To bind (bound) signifie « coller », « accrocher » à deux ordres impossibles à exécuter avec un troisième ordre qui interdit le refus d'obéissance et tout commentaire sur l'absurdité cette situation d'ordre et de contre-ordre dans l'unité de temps et de lieu. Cette interdiction se rapporte, alors, de mettre en séquence temporelle l'exécution de l'un après l'autre.
[modifier] Mise en situation du phénomène
- En fait, on veut décrire par cette notion un phénomène inter-humain fréquent, qui peut mener dans les cas extrêmes à la destruction ou à un blocage de la communication.
- Cette situation donne naissance à une volonté de fuite. Lorsque cette fuite n'est pas possible au sens propre du terme (par exemple si l'on est économiquement ou socialement dépendant de la personne intimant l'un des deux ordres), la fuite peut avoir lieu dans un certain nombre de névroses ou de psychoses, parmi lesquelles la schizophrénie. Le mécanisme a été étudié pour la première fois en 1950 par l’école de Palo-Alto.
[modifier] Exemples
[modifier] Mécanique
- Paradoxe de Langevin - Pour qu'il y ait « double contrainte », il faut et il suffit un troisième ordre qui oblige à obéir et qui interdit tout commentaire sur cette situation absurde. Sans ce troisième ordre, ce serait source d'humour et de créativité. Exemple, Albert Einstein a résolu le « paradoxe de Langevin » (Paul Langevin), où des horloges atomiques donnent des temps différents lorsqu'elles se déplacent à des vitesses différentes et où la Physique newtonienne affirme le temps constant et absolu partout. Cette résolution du paradoxe de Langevin a donné naissance à la Physique einsteinienne.
- Mécanique générale (Newton, Einstein)- La mécanique de Newton, caractérisée par l’utilisation d’un repère de Kepler, est-elle disqualifiée par la mécanique d’Einstein ? Non ! la mécanique d’Einstein complète la mécanique de Newton pour les systèmes mécaniques non-terrestres.
- Construction mécanique (cas du « double-portage ») - La double-contrainte entre deux éléments constructifs naît de la considération simultanée (A « et » B) des relations entre 3 éléments
Libellé - Centrage entre les pièces A et B + centrage entre les pièces C et B + Liaison entre les pièce A et C
- Généralisation
Inventaire des relations R1, R2, R3 relatives à la double-contrainte entre deux éléments A et B, liés à un même troisième - A R1 C + B R2 C + A R3 B
[modifier] Sociologie appliquée
- Organisation - « Communisme » et « capitalisme d’état » - Le lecteur désireux d’apprécier la double-contrainte née du choix impossible entre ces 2 éléments, au niveau de considération initial de la page planification, peut se reporter utilement à la discussion) associée, des 21 au 25 janvier 2006, et à l’issue proposée au paragraphe suivant pour dénouer la situation.
- Éducation - Présentation de la "double contrainte de l'éducation".
- Assurances sociales - L'"assuré social" est contraint de cotiser à certains organismes et on lui demande en plus de faire preuve de responsabilité dans ses dépenses de santé.
- Site Wikipédia - France - Rigorisme et double contrainte relative au mot-clé Rigueur.
[modifier] Philosophie
Une “utilisation” particulière du double bind peut être également citée dans l'œuvre de Jacques Derrida, et dans celle de ses lecteurs ou “disciple” (Geoffrey Bennington, Paul de Man) et qui a connu une fortune diverse dans le champ des Cultural studies aux Etats-Unis.
L'idée est qu'il y a un écart, un vide, un passage, entre l'intention et la réception de l'intention. C'est le sens même de la différance. Si X écrit une lettre (la graphie est justement le révélateur de cet écart) à Y, le contexte et l'intention de X ne pourra en aucun cas être perceptible à Y, il y va de la Poste. Par conséquent la lecture crée son propre contexte. Et Y peut bien lire les mots de X alors que X est mort.
Il apparaît ainsi impossible qu'un texte ou une lettre soit hors-contexte, et la citation même ne peut être faite ailleurs que dans un autre contexte. Un énoncé existe s'il peut être répété, dans l'altérité, ce qu'on nomme itérabilité. Ceci montre également que toute production de texte désigne implicitement qu'il n'y a pas de début absolu, et donc pas d'Absolu qui ne soit lui-même itérable, sujet à être ramené à un état antérieur.
Cette passion de Derrida pour le texte[1] fonde une grande partie de son travail de déconstruction. Cela se repère dans le sérieux, le jeu de mot, le titre, autant de catégories qui mettent en œuvre ce qu'il appelle la « double bande », ou la « contrebande ». La cristalisation de l'opposition qu'a pu suciter la déconstruction derridienne est très explicitement perceptible dans le conflit qui l'opposa à la théorie linguistique performative de John Austin et de son disciple John Searle[2].
[modifier] Communication
- Un message et sa négation - « Soyez spontané ! » - (des messages de ce type, autrement plus contraignants, peuvent produire une situation relationnelle intenable, sans issue, aboutissant même au désarroi, …).
- Wikipédia / dialogue : Martin Buber place la relation humaine comme un élément prédominant de sa philosophie. De là à faire du dialogue le terrain d’une opposition entre les finalités humaine et intellectuelle (voir "duel créatif" ), il n’y a un pas : c’est la double contrainte.
- Inhibition - Une mère offre deux cravates à son fils : une rouge et une verte. Son fils porte la verte lorsqu'il lui rend visite le lendemain, la mère réagissant ainsi : « Pourquoi tu mets celle-là ? Elle ne te plaît pas la rouge ? ». Ainsi quelle que soit la cravate portée, le fils sera dans l'impossibilité de satisfaire sa mère. C'est l'exemple donné par Paul Watzlawick.
- Deux langages (corporel et verbal) - La paire d'injonctions paradoxales à cheval sur deux niveaux de communications : une mère demande : « Bah alors, tu ne m'embrasses pas ? ». Le fils s'exécute mais la mère réagit par un mouvement de raideur et de recul. Le discours verbal et le discours corporel sont paradoxaux et il n'y a pas moyen de satisfaire l'un sans ignorer l'autre. C'est le départ de l'idée de Gregory Bateson en visionnant son film pris à Bali. L'enfant est pris entre deux ordres et ne peut obéir à l'un sans désobéir à l'autre.
- Qu'est-ce un paradoxe ? Quels sont les différents types de paradoxe quand il y a ?
[modifier] Littérature
- Un bel exemple de la difficulté de comprendre le concept de « double bind » se trouve chez Jorge Luis Borges, dans son recueil intitulé L'auteur[3]. Il imagine un pays dont l'art de la cartographie est à ce point poussé à bout, que la carte du pays recouvre le pays dans son ensemble. Ce texte est cité par Michel Foucault au début de son ouvrage Les mots et les choses[4] et suscita chez lui un développement original du concept d'“hétérotopie”, ou espaces autres, à la fois dans l'espace et hors de l'espace[5]
- Chez les robots, Cercle Vicieux, Isaac Asimov
- Voir scénario (I, Robot)
- William Styron (1979). Le Choix de Sophie, Ed. Gallimard, coll. Folio, pp. 864-867.
- Mère de famille polonaise, Sophie se voit contrainte d'effectuer un choix contre nature par l'officier nazi responsable de déterminer qui va rejoindre les fours crématoirs. Ce dernier lui accorde le "privilège" de choisir entre sa petite fille et son nouveau-né. Si elle ne le fait pas rapidement, les deux enfants seront tués.
[modifier] Cinéma
- Psychose (film) (Alfred Hitchcock)
Voir le résumé du scénario, dûment circonstancié par rapport à la double-contrainte
- 2001, l'odyssée de l'espace (Clarke, Kubrick)
Voir le résumé du scénario, dûment circonstancié par rapport à la double-contrainte
[modifier] Références
[modifier] Notes
[modifier] Liens internes
- Psychosomatique la double contrainte est citée explicitement au niveau du sous-titre États psychosomatiques
- Théorie des contextes
- Communication
- Systémique
- Approche systémique
- École de Palo-Alto
- Paradoxes et double contrainte
[modifier] Bibliographie
- Carlos E. Sluki & Donald C. Ransom (ed.), 1976, Double Bind: The Foundation of the Communicational Approach to the Family, Grune & Stratton, New York.