François Mitterrand et la Seconde Guerre mondiale
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Le parcours de François Mitterrand pendant la Seconde Guerre mondiale a fait l'objet d'une importante controverse dans les années 80 et 90.
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[modifier] La défaite
Le 14 juin 1940, François Mitterrand, qui sert dans l'armée française, est blessé et capturé. Durant son séjour dans les camps de prisonniers, en particulier au Stalag IXA situé à Ziegenhain [1], ses positions politiques, à l'origine très à droite, paraissent évoluer vers la gauche au fil de ses rencontres avec des prisonniers issus de classes sociales différentes ainsi qu'au contact d'une organisation sociale interne au camp.
Après deux tentatives d'évasion ratées, en mars et en novembre 1941, il finit par réussir à s'évader le 10 décembre 1941 et retourne en France.
[modifier] De Vichy à la Résistance
[modifier] Année 1942
Sous le régime de Vichy, il travaille de janvier à avril 1942 à la Légion française des combattants et des volontaires de la révolution nationale en tant que contractuel [2], puis au Commissariat au reclassement des prisonniers de guerre. Il publie un article sur sa captivité dans le périodique doctrinal du régime France, revue de l'État nouveau, texte qui ne fait pas allusion à Pétain ou à la Révolution nationale [3].
Dans une lettre du 22 avril 1942, il avoue encore n'être pas particulièrement inquiet du retour aux affaires, intervenu quelques jours auparavant, de Pierre Laval qui doit selon lui faire ses preuves, mais il condamne la fonctionnarisation de la Légion française des combattants (L.F.C.), lui préférant le modèle du Service d'ordre légionnaire (S.O.L.), que vient de mettre en place Joseph Darnand [4].
Pourtant, dès le printemps 1942, sous l'influence d'anciens évadés (Jean Roussel, Max Varenne et le Dr Guy Fric), son basculement vers les rangs de la Résistance était en cours. En avril, il provoque, avec Guy Fric, un chahut lors d'une réunion publique du savant Georges Claude, un ardent collaborateur. A partir de la mi-1942, il fournit de faux papiers pour faciliter des évasions de prisonniers en Allemagne. Il participe aux réunions du château de Montmaur, le 12 juin puis le 15 août 1942, jetant les premières bases de son futur réseau de Résistance[5]. Dès le mois de septembre, il prend contact avec la France libre, mais les relations personnelles avec Michel Cailliau, neveu du général de Gaulle, sont exécrables[6]. D'autres gaullistes, rencontrés par la suite, auront une bien meilleure impression de François Mitterrand, à l'instar de Philippe Dechartre, de son vrai nom Jean Duprat-Geneau, adjoint de Michel Cailliau.
Le 15 octobre 1942, François Mitterrand est reçu par le Maréchal Pétain avec plusieurs responsables du Comité d'entraide aux prisonniers rapatriés de l'Allier, parmi lesquels le résistant Marcel Barrois [7].
Fin 1942, il retrouve un ami d'avant-guerre, Pierre Guillain de Bénouville, résistant lié à Combat et au Noyautage des administrations publiques (NAP) [8].
[modifier] Année 1943
[modifier] Création et développement du RNPG (janvier-juillet)
François Mitterrand démissionne du Commissariat en janvier 1943, après le remplacement de Maurice Pinot, un vichysto-résistant [9], par André Masson, un partisan de la collaboration. Il conserve cependant un poste à la tête des centres d'entraides.
Au printemps, parrainé par deux membres de La Cagoule (Gabriel Jeantet, membre du cabinet du Maréchal Pétain, et Simon Arbellot), il est décoré de la francisque [10], [11] et [12].
Peu de temps après, il entre dans la clandestinité.
En janvier puis à partir du printemps, il se rapproche de la puissante Organisation de résistance de l'armée (ORA), en cours de formation. Celle-ci finance le réseau Mitterrand-Pinot fondé en février : le Rassemblement national des prisonniers de guerre. Plusieurs membres du réseau Mitterrand-Pinot sont, en pratique, membres de l'ORA. François Mitterrand lui-même est considéré par le service Action de l'organisation comme un de ses membres. Plusieurs actions sont décidées en commun entre des dirigeants de l'ORA et des dirigeants du RNPG et exécutées par des militants des deux mouvements[13].
En mars, Mitterrand rencontre Henri Frenay et le convainc aisément de travailler avec lui. Grâce à Frenay, la Résistance intérieure soutient François Mitterrand contre Michel Cailliau[14]. Cependant, la date du 28 mai 1943, lors de sa rencontre avec le gaulliste Philippe Dechartre, a été considérée par Patrick Rotman comme la date de sa rupture définitive avec ses anciens protecteurs de Vichy [15].
L'activité du RNPG se déplace, au cours de l'année 1943, de la fourniture de faux papiers vers la fourniture de renseignements à la France libre. Selon Pierre de Bénouville, « François Mitterrand avait réussi à mettre sur pied un véritable réseau de renseignement dans les camps. Grâce aux prisonniers de guerre, nous avons pu prendre connaissances d'informations, parfois décisives, sur ce qui se passait derrière les frontières[16]. »
[modifier] La clandestinité, Alger, Londres (juillet-décembre 43)
Le 10 juillet, François Mitterrand et le militant communiste Piatzook sont les auteurs d'un coup d'éclat lors d'une grande réunion publique à Paris, salle Wagram, consacrée à la « relève » des prisonniers par les ouvriers. Au moment où André Masson flétrit la « trahison des gaullistes », François Mitterrand l'interpelle de la salle et lui dénie le droit de parler au nom des prisonniers de guerre, qualifiant la relève d'escroquerie. François Mitterrand n'est pas arrêté, sa fuite ayant été facilitée par Piatzook [17].
Quatre mois plus tard, le Sicherheitsdienst (SD) perquisitionne au domicile de François Mitterrand, absent. Deux de ses amis sont arrêtés, déportés ; l'un ne revient pas du camp de concentration. Peu après, il est sauvé par la femme du colonel Pfister, dirigeant de l'Organisation de résistance de l'armée, d'une arrestation par la Gestapo[18].
Sous le nom de code « Morland » (il utilisera aussi les pseudonymes de Purgon, Monnier, Laroche, capitaine François, Arnaud et Albre), François Mitterrand part alors pour Londres le 15 novembre 1943 puis se rend à Alger où il est reçu par le général de Gaulle. La rencontre laisse un très mauvais souvenir aux deux hommes. De Gaulle déclare : « Vous avez fait du bon travail, Mitterrand, mais je veux qu'on mette de l'ordre dans tout ça. Pourquoi un mouvement de prisonniers de guerre d'ailleurs ? Pendant qu'on y est, on pourrait faire aussi un mouvement Résistance des Bretons, d'épiciers ou de charcutiers, hein ?[19] » (variante : Pourquoi pas celui des coiffeurs ?).
Le général demande à ce que les organisations de prisonniers fusionnent sous l'égide de M.R.P.G.D., seule condition pour recevoir matériel et argent. Mais Mitterrand refuse la tutelle du mouvement de Michel Cailliau.
Finalement, de Gaulle accepte les conditions de François Mitterrand. Le 18 mars 1944, Henri Frenay écrit à Michel Cailliau qu'il se « porte personnellement garant » de François Mitterrand, et que le général de Gaulle partage son point de vue[20].
Dès le 27 novembre 1943, le Bureau central de renseignements et d'action fait de François Mitterrand un chargé de mission de première classe[21]. Dans ses Mémoires de guerre, tome 3, de Gaulle cite nommément Mitterrand parmi ces chargés de mission qui « nous tenaient informés de tout ».
[modifier] Année 1944
Après un deuxième passage à Londres, il revient le 24 février 1944 en France diriger le Mouvement national des prisonniers de guerre et déportés (réseau de résistance).
D'après ses mémoires, il a lui-même organisé ce mouvement avec ses proches durant la période où officiellement il travaillait pour le régime de Vichy, ce qui lui permettait de tout connaître des prisonniers de retour en France. Il participe à la libération de Paris en août 1944.
Il est nommé par Charles de Gaulle secrétaire général aux Prisonniers de guerre dans le gouvernement des secrétaires généraux, qui assure pendant quelques semaines l'intérim, à Paris, du gouvernement provisoire.
L'ascension de la roche de Solutré effectuée chaque année depuis 1946, témoigne de l'attachement de François Mitterrand à ses amis résistants.
[modifier] développement ultérieur
- En 1984, François Mitterrand fut accusé de collaboration avec le régime de Vichy par les députés François d'Aubert, Alain Madelin et Jacques Toubon. Mitterrand reçut le soutien du général Pierre de Bénouville, ancien résistant et député RPR qui contesta les accusations. Les trois députés furent sanctionnés d'un mois de privation d'indemnités parlementaires, pour atteinte à l'honneur du président.
- François Mitterrand refusera de demander des excuses au nom de l'État français concernant le sort des juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, car Vichy n'était pas pour le président, pas plus que pour tous ses prédécesseurs depuis le gouvernement provisoire, l'État français mais une autorité de fait (c'est l'expression utilisée dans tous les textes législatifs faisant allusion aux lois de Vichy, jusqu'aux années 1990). Le 14 juillet 1992, François Mitterrand déclare en revanche que la participation du régime de Vichy aux déportations relève de l'évidence. Le décret de février 1993 instaure le 16 juillet « journée nationale commémorative des persécutions racistes et antisémites commises sous l'autorité de fait du gouvernement de Vichy (1940-1944) » et le monument inauguré à cette occasion mentionne bien que ce sont des Français, et non des soldats allemands, qui ont raflé les Juifs. La déclaration de Jacques Chirac, le 16 juillet 1995 a complété cette reconnaissance. La loi du 29 février 2000, votée à l'unanimité par l'Assemblée nationale, conclura la polémique en reprenant cette « reconnaissance officielle et solennelle des crimes de l'État français ».
- Après la parution d’Une jeunesse française de Pierre Péan et les révélations sur l’amitié de François Mitterrand avec René Bousquet, ancien secrétaire général à police de Vichy, le prix Nobel de la paix Elie Wiesel avait déclaré que « Le président a dû passer beaucoup de nuits sans sommeil. »
[modifier] Notes et références
- ↑ aujourd'hui Trutzhain, hameau de la commune de Schwalmstadt près de la ville de Kassel
- ↑ son commandant est Favre de Thierrens, un espion des services secrets de Londres
- ↑ Cet article sera repris dans Politique I, en 1978
- ↑ reprise par Pierre Péan dans son livre
- ↑ Jean Lacouture, Mitterrand, une histoire de Français, op. cit., pp. 75/79 et Franz-Olivier Giesbert, François Mitterrand, une vie, éd. du Seuil, « Points », 1996, pp. 77/79
- ↑ Pierre Péan, Une jeunesse française, op. cit., pp. 217/218 et Jean Lacouture, Mitterrand, une histoire de Français, op. cit., p. 81
- ↑ La photographie de cette rencontre illustrera la couverture du livre de Pierre Péan en 1994. Marcel Barrois est le troisième personnage, à l'arrière-plan. Barrois est mort en déportation au printemps 1944.
- ↑ Pierre Guillain de Bénouville est aussi un ancien proche de La Cagoule et un futur député gaulliste
- ↑ Cette expression a été utilisée par l'historien Jean-Pierre Azéma pour désigner ceux qui ont cru en Pétain jusqu'en 1943, et ont rompu avec Vichy, parfois progressivement, mais « sans esprit de retour ». Elle est utilisée par plusieurs de ses collègues, notamment Robert Belot dans La Résistance sans De Gaulle, éd. Fayard, 2006, et Henry Rousso dans l'Express n° 2871, du 13 juillet 2006
- ↑ À propos de cette décoration, Jean Pierre-Bloch écrit dans De Gaulle ou le temps des méprises (pp. 216/218) « C'était sur notre ordre que François Mitterrand était resté dans les services de prisonniers de Vichy. Lorsqu'il avait été proposé pour la francisque, nous avions été parfaitement tenus au courant ; nous lui avions conseillé d'accepter cette “distinction” pour ne pas se dévoiler. » Cependant, après la parution du livre de Pierre Péan, certains à l'instar de Pierre Moscovici sembleront découvrir la réalité de cette décoration et le reprocheront à François Mitterrand.
- ↑ Dans son ouvrage, (C'était François Mitterrand paru chez Fayard, novembre 2005) Jacques Attali revient sur les rapports entretenus par François Mitterrand avec certains anciens fonctionnaires ayant travaillé sous Vichy (Jean-Paul Martin, René Bousquet).
- ↑ La gerbe déposé sur la tombe du Maréchal Pétain de 1987 à 1991 fut aussi l'objet d'une intense controverse.
- ↑ Les rapports ORA/RNPG sont décrits dans Pierre Péan, op. cit., pp. 302 et sqq.
- ↑ Pierre Péan, op. cit., pp. 309/310
- ↑ Patrick Rotman et Jean Lacouture, le roman du pouvoir [1]
- ↑ Cité dans Franz-Olivier Giesbert, François Mitterrand, une vie, p. 94.
- ↑ Cet évènement est relaté le 12 juillet 1944 par Maurice Schumann, la voix de la France libre, sur les ondes de la BBC, lors d'une émission spéciale
- ↑ Jean Lacouture, Mitterrand, une histoire de Français, op. cit., pp. 97 et 99
- ↑ Franz-Olivier Giesbert, François Mitterrand, une vie, éd. du Seuil, 1996, p. 100
- ↑ Lettre reproduite intégralement par Pierre Péan dans son livre, pp. 364/365
- ↑ Jean Lacouture, Mitterrand, une histoire de Français, tome 1, p. 102
[modifier] Bibliographie
- Jean Lacouture, Mitterrand, une histoire de Français : 1. Les risques de l’escalade, Paris, Éditions du Seuil, 1998, 434 p. ; Mitterrand, une histoire de Français : 2. Les vertiges du sommet, Paris, Éditions du Seuil, 1998, 625 p.
- Jean Lacouture et Patrick Rotman, le roman du pouvoir, Seuil, 2000, 281p, ISBN 2020438623
- Pierre Péan, Une jeunesse française : François Mitterrand, 1934-1947, Paris, Fayard, 1994, 615 p. ; Dernières volontés, derniers combats, dernières souffrances, Paris, Plon, 2002, 329 p.
- Éric Conan et Henry Rousso, Vichy, un passé qui ne passe pas, éd. Fayard, 1994 ; nouvelle édition revue, corrigée et augmentée, Gallimard, coll. « Folio »-histoire, 1996
- Christophe Lewin, Le Retour des prisonniers de guerre français. Naissance et développement de la FNPG. 1944-1952, Publications de la Sorbonne, 1986
- François Mitterrand, Mémoires interrompus, éd. Odile Jacob, 1996
- Olivier Wieviorka, Nous entrerons dans la carrière. De la Résistance à l'exercice du pouvoir, éd. du Seuil, 1994