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État-providence

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Alexis de Tocqueville a, dès les années 1830, prophétisé l’apparition de l’État-providence
Alexis de Tocqueville a, dès les années 1830, prophétisé l’apparition de l’État-providence

L’État-providence est une conception du rôle de l’État, qui lui attribue le devoir de jouer un rôle actif dans la promotion de la croissance économique, de fournir une protection sociale aux citoyens, et de corriger les injustices sociales résultant de l’économie de marché. L’État providence s’oppose à la vision d’un État gendarme, dans laquelle l’intervention publique se limite aux fonctions dites régaliennes (police, armée, justice) et va plus loin que les propositions habituellement défendues par les libéraux.

Le débat originel sur l’État-providence tient en cette question : doit-on remettre la gestion économique de la société au marché, ou doit-on créer des institutions qui en limitent la portée ?

L’histoire du rôle de l’État depuis la révolution industrielle pourrait se résumer à un lent passage d’un statut d’État gendarme à celui d’État-providence, du moins jusqu’aux années 1970, date à laquelle la « main visible »[1] de l’État a commencé à être contestée. Certains ont vu dans cette longue évolution la réalisation de la prophétie énoncée par Alexis de Tocqueville dans De la démocratie en Amérique[2]. Il y annonçait que l’individu tendrait à remettre sa liberté au pouvoir collectif, garant de la sauvegarde de l’égalité. De là naîtrait une servitude consentie où l’individualité tend à disparaître au profit d’un pouvoir qui ne cesse de s’accroître pour mieux protéger. Ainsi Tocqueville finit par se demander : « Cet État se veut si bienveillant envers ses citoyens qu’il entend se substituer à eux dans l’organisation de leur propre vie. Ira-t-il jusqu’à les empêcher de vivre pour mieux les protéger d’eux-mêmes ? » Désapprouvant cette éventualité, il indiquera : « Le plus grand soin d’un bon gouvernement devrait être d’habituer peu à peu les peuples à se passer de lui. »

Ainsi, des trois fonctions régaliennes initialement attribuées à l’État, on est arrivé à des typologies présentant des fonctions bien plus variées. Au plan économique, on peut citer la typologie proposée par Robert Musgrave[3] à la fin des années 1950. Pour lui, les interventions de l’État sont liées à trois fonctions fondamentales, qui sont :

  • une fonction d’affectation : l’État affecte des moyens à la prise en charge de certaines productions non marchandes : éducation, infrastructures publiques, services publics divers… ;
  • une fonction de répartition : l’État peut redistribuer les richesses entre les citoyens ;
  • et une fonction de stabilisation : l’État doit réguler l’économie afin de prévenir les déséquilibres qui pourraient dériver d’un « laissez-faire » excessif.

Sommaire

[modifier] Histoire de l'État-providence

[modifier] Étymologie

Le terme État-providence a été forgé sous le Second Empire par des républicains français qui critiquaient la philosophie trop individualiste de certaines lois (comme la loi Le Chapelier[4] qui interdisait les syndicats), et préconisaient un « État social » se préoccupant de l’intérêt de chaque citoyen et de l’intérêt général. L’expression aurait toutefois été employée pour la première fois par le député Emile Ollivier en 1864, pour dévaloriser la capacité de l’État à mettre en place un système de solidarité national plus efficace que les structures de solidarité traditionnelles (comme les corporations interdites par la loi Le Chapelier).

C’est vers 1870 que le terme allemand Wohlfahrtsstaat fut utilisé par les « socialistes de la chaire » (universitaires) pour décrire un système qui annonce les politiques Bismarckiennes en matière sociale.

La notion actuelle d’État-providence correspond au terme anglais de welfare state (littéralement : « état du bien-être »), forgé dans les années 1940, et qui coïncide avec l’émergence des politiques keynésiennes d’après-guerre. L'expression welfare state qui voulait frapper les esprits en s'opposant au warfare state de l'Allemagne nazie, aurait été créée par Willam Temple, archevèque de Canterbury.

[modifier] Des Lois sur les Pauvres aux premières lois sociales

[modifier] Les Poor Laws anglaises

Article détaillé : Poor Laws.

Dès 1601 et la fin du règne d’Elisabeth I, l’État anglais prend en charge les indigents en Angleterre et se dote d’une législation, les « lois sur les pauvres » créant une assistance aux déshérités. Son organisation est confiée aux paroisses auxquelles les Poor Laws imposent de fournir un emploi aux pauvres valides. C’est donc dès cette époque qu’est fait le lien entre misère et chômage. Avec cette obligation légale, se développent peu à peu les workhouses, « maisons de travail » où les pauvres sont employés et hébergés. Elle furent rapidement considérées comme des véritables « dépôts de mendicité » (cf. la description qu'en fait Charles Dickens dans Oliver Twist) et de purs instruments de contrôle des indigents. Au XVIIIème, les économistes classiques luttèrent contre cette politique sociale qu'ils accusaient de freiner le développement de l’industrie naissante. Ils obtinrent leur quasi-abrogation en 1834 par un amendement les privant de toute substance. L’État britannique se déchargea alors de ses anciennes responsabilités pour se consacrer à ses seules fonctions régaliennes (Défense, Police, Justice) et laisser se réduire toujours davantage la qualité de vie dans les workhouses.

[modifier] L'interventionnisme social de l’État à la fin du XIXème

Tout au long de la seconde moitié du XIXe siècle dans la plupart des pays occidentaux, la pression politique des mouvements ouvriers pousse les gouvernements à adapter la législation. Celle du travail et du travail des enfants est progressivement mise en place. À la fin du siècle, apparaît en France l’éducation nationale. On crée les premières habitations à bon marché (HBM) (1887), une assurance-retraite obligatoire (1910), des allocations pour les familles nombreuses (1913). En Grande-Bretagne est mis en place un système de pensions pour les vieillards indigents (1908), et une assurance-chômage pour les plus pauvres des ouvriers agricoles (1911).

La plupart de ces mesures restent pourtant minimales, et c’est en Allemagne que se développe le premier système généralisé de protection sociale.

Le chancelier Otto von Bismarck, inattendu instigateur de l’État-providence allemand
Le chancelier Otto von Bismarck, inattendu instigateur de l’État-providence allemand

« Messieurs les démocrates joueront vainement de la flûte lorsque le peuple s’apercevra que les princes se préoccupent de son bien-être. »
Bismarck, Mémoires

Dès son arrivée au pouvoir, Bismarck combattra la montée du parti social-démocrate allemand. Après l’avoir interdit, il en reprit plusieurs idées afin de satisfaire la classe ouvrière et de prévenir le retour de ses adversaires sur la scène politique. Il va ainsi, dès la fin du XIXe siècle, doter l’Allemagne d’un système moderne de protection sociale.

  • Il créa ainsi en 1883, la première assurance maladie obligatoire pour les ouvriers de l’industrie dont le revenu dépassait les 2000 marks. La gestion des fonds fut confiée à des institutions autonomes en majorité contrôlées par des représentants ouvriers qui durent pour la première fois gérer un patrimoine collectif important.
  • En 1884, fut votée une loi sur les accidents du travail qui obligeait les industriels allemands à cotiser à des caisses coopératives destinées à indemniser les victimes. Ainsi l’ouvrier devenu totalement invalide continuait à toucher 66% de son revenu, et en cas de décès la veuve continuait à en percevoir une partie.
  • Enfin, un système de retraite obligatoire fut imposé en 1889 par la loi sur l’assurance vieillesse et invalidité.

[modifier] Les Guerres mondiales et la Crise de 1929

Article détaillé : New Deal.

Si la Première Guerre mondiale ne s’accompagne pas encore de la mise en place d’un État-providence, elle joue pourtant un rôle majeur en créant un précédent avec l'intervention massive de l’État dans l’économie. Bien qu’il ait en partie démontré une relative capacité à diriger l’économie, l’État va pourtant se désengager une fois l’armistice conclu, mais de nombreuses dépenses ne peuvent être évitées : entretien des orphelins et des mutilés de guerre, ou encore reconstruction des régions dévastées par le conflit. La foi dans les mécanismes du marché autorégulateur reste intacte, jusqu'à ce que la crise économique des années 1930 et surtout les idées nouvelles de John Maynard Keynes remettent en cause les dogmes libéraux. .

Pendant la Grande dépression, l’État américain met en place une politique de grands travaux pour relancer l’activité
Pendant la Grande dépression, l’État américain met en place une politique de grands travaux pour relancer l’activité

Keynes considère que seul l’État, par son intervention « est en mesure de rétablir les équilibres fondamentaux », et l’État-providence donne au système économique une plus grande inertie, jouant un rôle d’amortisseur des crises : ainsi l’intervention économique et les aides sociales sont doublement efficaces.

Alors que sévit le chômage de masse, la pensée libérale est fustigée par les foules qui ironisent sur l’incapacité des politiques à résoudre le problème. Aux États-Unis, le président Hoover est surnommé « Mister Donothing » (M. Je ne fais rien). De nouveaux chefs d’État sont élus sur la base de programmes ouvertement interventionnistes ; Franklin D. Roosevelt met en place son New Deal aux États-Unis dès 1933 et le Front populaire arrive au pouvoir en France en 1936.

[modifier] Réflexion sur le rôle de l’État pendant la guerre

Alors que la guerre a finalement succédé à la crise, un parlementaire britannique, William Beveridge, remet en 1942 un premier rapport (Social Insurance and Allied Services) au gouvernement britannique, comprenant de nombreuses propositions visant à redéfinir le rôle de l’État d’après-guerre. Il préconise dans ce premier rapport un régime de sécurité sociale visant à « libérer l’homme du besoin » en garantissant la sécurité du revenu, sans cesse menacée par les aléas de la vie : maternité, maladie, décès, chômage, accident du travail …Pour ce faire il propose la mise en place d’un système totalement généralisé, uniforme (c’est à dire qu’il profite d’une égale manière à tous sans distinction de revenu) et centralisé.

Dans un second rapport (Full Employment in a Free Society, 1944), il se consacre essentiellement au problème du chômage qu’il considère comme le risque majeur dans nos sociétés, et comme l’aboutissement définitif de tous les autres risques (maladie, maternité …). Il assimile le devoir de l’État de garantir le plein emploi aux fonctions régaliennes : « Ce doit être une fonction de l’État que de protéger ses citoyens contre le chômage de masse, aussi définitivement que c’est maintenant la fonction de l’État que de protéger ses citoyens contre les attaques du dehors et contre les vols et les violences du dedans. »

La réponse libérale à de telles propositions arrive dès 1944 avec la parution de La route de la servitude de Friedrich August von Hayek. Dans ce livre, Hayek explique que la socialisation de l’économie mène inéluctablement au totalitarisme et que les régimes soviétiques et fascistes en sont précisément l’exemple. La planification nie la liberté individuelle et se fait au détriment de la démocratie, qui doit alors confier la gestion de l’économie à des experts autonomes n’ayant aucune légitimité. Peu importe que les intentions initiales d’un tel système soit bonnes, la négation des libertés économiques au nom d’une finalité vertueuse conduit selon Hayek à la servitude telle qu’elle existe alors dans le camp ennemi (les puissances de l’Axe à l’époque).

Les idées de Hayek marqueront durablement la pensée conservatrice américaine, mais dans cet après-guerre et la mise en place de la reconstruction avec le Plan Marshall c’est la pensée de Beveridge qui sera mise en œuvre dans tout le monde occidental. Pour nombre d’intellectuels, c’est en effet la misère qui fut la cause de la montée du totalitarisme et l’État-providence apparaît alors comme le meilleur obstacle à son retour. En France, ce seront les recommandations du Conseil National de la Résistance qui seront suivies à la Libération.

[modifier] La mise en place de l'État-providence dans le monde occidental après 1945

Une typologie classique oppose les deux modèles bismarckiens et beveridgiens :

Les Distinctions entre les États-providence beveridgiens et bismarckiens
Beveridgien Bismarckien
Objectifs de l'État-providence Répondre gratuitement aux risques de la vie Compenser la perte de revenu
Conditions d'accès aux prestations Être dans le besoin Avoir cotisé
Financement Impôt pour tous Cotisations en fonction du revenu
Type de redistribution (cf. plus loin) Verticale Horizontale

On peut aussi suivre une analyse plus fine comme celle proposée par Gosta Esping-Andersen dans Les trois mondes de l’État-providence (1990) qui distingue trois grands régimes d’État-providence selon le degré de « dé-marchandisation » des sociétés. Par ordre croissant, ce sont :

  • le Welfare State libéral des anglo-saxons, où l’État n’intervient qu’en dernier recours et cherche à contraindre à un retour rapide sur le marché du travail ;
  • les régimes conservateurs-corporatistes (l’Allemagne ou la France par exemple) basés sur le modèle bismarckien et où la qualité de la protection sociale dépend de la profession et des revenus dans une logique d'assurance ;
  • et enfin les régimes sociaux-démocrates avec par exemple les pays scandinaves, où la protection sociale et les divers prestations sont universelles, ne dépendent pas des revenus et profitent tout autant aux pauvres qu’aux riches.

[modifier] Au Royaume-Uni et aux États-Unis

Voir l’article Protection sociale aux États-Unis d'Amérique.
Un hopital du NHS au Royaume-Uni
Un hopital du NHS au Royaume-Uni

La Grande-Bretagne met en place les premières allocations familiales en 1945, l’assurance retraite, l’assurance chômage, les congés de maladie, et le National Health Service (service de santé publique garantissant la gratuité des soins pour tous) l’année suivante. Elle s’assure du plein emploi de sa population par une relative mainmise de l’État et des syndicats sur l’activité.

A partir des années 1960, le Welfare State commence à être largement critiqué. Les travaillistes en dénoncent les insuffisances et réclament une réforme de l’éducation allant dans le sens d’un « collège unique » tout en mettant en cause l’indigence qui survit. Mais c’est surtout à droite que l’on critique la logique des prestations sociales et la dérive financière d’un système extrêmement coûteux. En 1979, Margaret Thatcher arrive au pouvoir et va s’appliquer pendant plus de dix ans à démonter l’édifice de l’État-providence. En 1982, les entreprises publiques représentaient encore 16% du PIB au Royaume Uni, taux qui avoisinera les 5% au départ de Mrs Thatcher en 1991.

Aux États-Unis, le Welfare State a eu du mal à s’imposer. Pour une large part de la population, il signifie la réduction des libertés individuelles et l’encouragement des pauvres à la paresse. Initié par le président Franklin Delano Roosevelt dans les années 30, il a toutefois connu un important développement durant les présidences de John F. Kennedy puis de Lyndon B. Johnson tout au long des années 1960.

Les démocrates utilisent le déficit budgétaire comme moyen de relance économique pour réduire le taux de chômage de 7 à 4%. Cette politique s'appuie sur des allègements fiscaux destinés à relancer l’économie. Puis, le président Johnson met en place son projet de Great Society, dont l’un des aspects est la création d’une assurance maladie pour les personnes âgées (le Medicare) et les plus démunies (le Medicaid). Les fortes dépenses liées à la guerre du Vietnam empêcheront la continuation de cette politique.

Le Welfare State américain a été largement remis en cause en faveur d’un libéralisme accru à partir des années 1980 avec l’élection de Ronald Reagan puis de George Bush à la présidence. La politique de Reagan suscite une polémique, car bien que prenant la forme d’allègement fiscaux pour les entreprises tels que les préconisent les libéraux du supply side, son effet direct a été l’utilisation du déficit budgétaire comme instrument de relance économique, ce qui rejoint certaines préconisations des économistes keynésiens. En 1993, Bill Clinton tente d’instaurer une couverture santé universelle ; après son échec, ses réformes sociales sont plus timides et subissent l’opposition du Congrès.

[modifier] En France

Article détaillé : modèle français.

La France, avec la création de la Sécurité sociale en 1945, met en place un système social inspiré à la fois des modèles beveridgien et bismarckien. Son originalité réside dans le fait que l'État n'intervient pas directement dans la protection sociale : il légifère (Code de la Sécurité Sociale) mais la gestion, y compris le recouvrement des cotisations, est déléguée à des institutions paritaires, co-dirigées par les organisations syndicales patronales et de salariés.

Un rôle plus actif de l'État et plus proche de la conception traditionnelle de l'État-providence, n'est apparu que très tardivement, avec la mise en place de la CSG (Contribution Sociale Généralisée) en 1991, qui marque le début de la fiscalisation du financement de la protection sociale.

La mise en place de l’État-providence n’a pas attendu la libération. Comme l’atteste la devise « Travail, Famille, Patrie », le gouvernement de Vichy était déjà largement sorti du cadre libéral du rôle de l’État, en développant la politique familiale.

La 4CV de la régie publique Renault marque la volonté de l’État d’équiper davantage de français, à l’image de la Coccinelle dont Hitler voulait équiper chaque allemand
La 4CV de la régie publique Renault marque la volonté de l’État d’équiper davantage de français, à l’image de la Coccinelle dont Hitler voulait équiper chaque allemand

L’esprit de l’État-providence français tient d’une certaine méfiance vis à vis de l’économie de marché. Pour reprendre la formule du général De Gaulle, « l’économie de la France ne se fait pas à la corbeille » (la corbeille désignant ici la Bourse de Paris). Considérant que le retard accumulé par la France jusqu'en 1939 a causé sa perte, l’État veut mettre un terme au « culte du petit » et opérer une concentration de l’industrie. De nombreuses entreprises fusionnent afin de devenir des champions nationaux et nombre d’entre elles sont nationalisées. En parallèle, bénéficiant de la manne dégagée par les trente glorieuses, l’État poursuit une politique d'extension continue des droits sociaux. Le reste de l’économie est laissé aux investisseurs privés qui doivent suivre les efforts étatiques : « l’intendance suivra » explique aussi De Gaulle. Des premières tentatives de libéralisation de l’économie sont tentées à la fin des années 1970, notamment à l’initiative du gouvernement de Raymond Barre. Elles sont interrompues par l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand en 1981. Celui-ci souhaite renforcer l’État-providence afin de lutter contre la crise.

L’État-providence en France
Année Mesure(s)
1945 création des comités d’entreprise dans les sociétés de plus de 100 salariés et mise en place de la sécurité sociale (par ordonnance)
1950 Institution du salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG)
1956 3 semaines de congés payés - création du minimum vieillesse
1958 Lois sur l’assurance chômage et création de l’UNEDIC et de l’Assedic
1973 Indemnisation du chômage à 90% du salaire brut pendant un an.
1982 5 semaines de congés payés.
1983 Retraite à taux plein à 60 ans
1988 Création du Revenu Minimum d’Insertion (RMI)
1999 Création de la Couverture maladie universelle (CMU)

Un plan de relance d’inspiration keynésienne est mise en place par le premier ministre Pierre Mauroy qui espère stimuler la croissance et faire diminuer le chômage via une politique de déficit budgétaire. Des progrès sociaux sont accomplis, comme le passage aux 39 heures, la cinquième semaine de congés payés, la retraite à soixante ans, et une augmentation du SMIC sans précédent. Sur un plan économique, le résultat est nuancé : en 1982 la croissance n’est que de 2%, les exportations françaises ont reculé et le déficit de la balance commerciale s’est creusé (96 milliards contre 61 milliards prévues par le gouvernement). Ce serait la contrainte extérieure (cf. plus bas : L’État-providence face à la mondialisation) qui aurait rendu obsolètes les politiques de relances keynésiennes. Le gouvernement socialiste optera finalement pour une politique de rigueur budgétaire et de désinflation compétitive.

La remise en cause de l’État-providence et du « modèle français » reste pourtant problématique. Les gouvernements de droite comme de gauche privatisent les entreprises publiques mais la suppression de certains avantages ou la libéralisation de l’économie sont toujours source de conflits sociaux. Pour de nombreux observateurs, notamment étrangers, le « modèle » auquel s’attachent les français est une synthèse des défauts du libéralisme et de ceux du socialisme et présente peu de qualités. Pour d’autres, il se présente comme une alternative au capitalisme libéral.

[modifier] En Suède

Au niveau du travail et de la production, le modèle suédois repose sur la concertation entre les partenaires sociaux et sur la recherche du consensus. C’est sous l’impulsion de Gustav Möller, ministre aux Affaires sociales social démocrate de 1924 à 1951 avec une seule interruption entre 1926 et 1932 que se met en place un système de prestations universelles importantes. Afin de faire fonctionner ce système, la Suède connaît le plus haut taux de prélèvement obligatoire de l’OCDE (plus de 54% du PIB au mileu des années 1990).

Mais la Suède a su aussi faire profiter de son modèle aux grandes entreprises privées qui ont su acquérir une dimension mondiale : Volvo, Electrolux, Ericsson. C’est grâce à une forte croissance économique que la Suède est parvenu à financer son modèle d’État-providence sans pour autant asphyxier son économie. Mais ce système viable pendant une période de forte croissance s’est soudainement fragilisé durant les années 1990. En 1995, un rapport de l’OCDE expliquait :

« La forte pression fiscale et la générosité du système de sécurité sociale infligent à l’économie des pertes d’efficience qui pourraient être très lourdes en décourageant le travail et l’épargne. »

On a donc assisté tout au long des années 1990 à une certaine remise en cause du modèle suédois qui s’est caractérisée par la réduction de la générosité de l’État et par l’adoption d’une politique monétaire de rigueur (en rupture avec la tradition suédoise) dans une logique européenne. Le système des retraites a été réformé, les allocations chômage ont été diminuées, le budget des hôpitaux a été amputé[5]. Le modèle scandinave reste toutefois envié et est parfois présenté comme exemplaire par des hommes politiques de nombreux pays.

[modifier] Une tendance de long terme qui s'accélère au XXème siècle

Le poids des dépenses publiques dans l’activité économique s'est donc accru tout au long du XXe siècle. Cette croissance n’est pas régulière et elle est marquée par des effets de cliquet, c’est à dire qu’elle connaît de fortes accélérations liées à des contextes historiques particuliers telles les guerres et les crises économiques. Ces augmentations se révèlent le plus souvent irréversibles, bien que certaines périodes de prospérité permettent de réduire sensiblement les prélèvements publics.

Dépenses Gouvernementales

En 1867, dans ses Fondements de l’économie politique, Adolf Wagner explique que « plus la société se civilise, plus l’État est dispendieux » (loi de Wagner). À ses yeux l’augmentation des dépenses publiques s’explique par l’apparition de deux catégories de nouveaux besoins : Plus l’économie se développe, plus l’État doit investir en infrastructures publiques et d’autre part, plus le niveau de vie de la population augmente, plus celle ci accroît sa consommation de biens dits supérieurs, comme les loisirs, la culture, l’éducation, la santé… qui sont des biens dont l'élasticité-revenu est supérieure à 1. En d’autre terme, la consommation de ces biens augmente plus vite que le revenu de la population.

Ce mouvement historique trouve de nombreuses explications dans la théorie économique :

Selon A.T. Peacock et J. Wiseman et leur théorie des effets de déplacement, l’augmentation du rôle de l’État dans la vie économique à la suite d’évènements exogènes (les guerres par exemple) ne peut être totalement corrigé par la suite, et ce pour deux raisons. D’une part la « tolérance fiscale » est modifiée, à savoir que la population s’est accoutumée à un taux d’imposition qu’elle aurait jadis trouvé intolérable, d’autre part les guerres et les crises provoquent de nouvelles dépenses publiques sur le long terme (prise en charge d’invalides, d’exclus, reconstruction,...).

La théorie des biens collectif établit une distinction entre les biens consommés par les individus, les biens divisibles, et ceux utilisés par l’ensemble de la société (infrastructures et services publics), les biens indivisibles. La différence entre les deux types de biens provoque une distinction entre une demande individuelle (prise en charge par l’économie de marché) et une demande socialisée (prise en charge par l’État). Selon cette théorie la part de la demande socialisée augmente au détriment de la demande individuelle, à cause des défaillances de l’économie de marché, aussi appelées « externalités négatives » (la pollution par exemple). La part des dépenses d’État dans l’activité économique globale est donc croissante.

Ensuite, selon la théorie de la productivité différentielle, l’État fournit essentiellement des « services de main d’œuvre », c’est à dire des services nécessitant davantage de travail que de capital. C’est par exemple le cas dans l’éducation, où les infrastructures représentent un coût très faible comparativement aux salaires des professeurs. Au contraire, les activités privées connaissent des gains de productivité beucoup plus rapide. Le différentiel de productivité entre le privé et le public contraint le secteur public à prendre un poids de plus en plus important au sein de l’économie pour maintenir la qualité de ses prestations, tandis que le secteur privé produit au contraire à coûts toujours moindres.

Plus sceptique, l’analyse libérale ironise sur la pseudo efficacité de l'intervention publique et le contentement des « experts » de la fonction publique, les bureaucrates. À leur propos, Friedrich Von Hayek écrit : « [ils] sont toujours en faveur du développement des institutions dont ils sont experts ». La dépendance des hommes politiques vis à vis des grands corps de l’État les empêchent d’enrayer le développement des services publics. D’autre part la bureaucratie fonctionne selon des règles absurdes d’un point de vue managérial. Les gestionnaires de la fonction publique sont tentés par exemple de maximiser les coûts afin que le budget qui leur est alloué soit renouvelé plutôt que de les minimiser. L’absence de sanctions ou de récompenses à la production empêche par ailleurs la motivation du personnel...

Une autre des critiques les plus sévères vient des théoriciens du choix public selon lesquels l’État, ou plutôt ses dirigeants, ont leurs propres intérêts particuliers qui divergent de l’intérêt général. Selon cette théorie, l’homme politique effectue des raisonnements économiques visant à maximiser son intérêt personnel : son but est alors de promouvoir davantage sa réélection que l’intérêt général. La croissance des dépenses de l’État est alors due au besoin des politiques de satisfaire nombre de minorités et de groupes de pression afin de garantir leur réélection. Les politiciens ont alors intérêt à multiplier les commandes d’État et les formes de redistributions. Le comportement des fonctionnaires peut être analysé en des termes semblables : à savoir que comme tout agent économique, ils cherchent à maximiser leur intérêt personnel et déguisent leurs revendications individuelles en quête de l’intérêt général.

Cette approche est comparable à celle de Joseph Schumpeter (Capitalisme, socialisme et démocratie, 1942), pour qui le capitalisme conduit à la démocratisation des mœurs qui entraîne les aspirations égalitaristes, à la concentration de la production qui suscite le désapprobation des citoyens et des intellectuels, à la limitation du pouvoir de la bourgeoisie qui doit confier la gestion des entreprises à la bureaucratie - cette évolution a été théorisée dans l'œuvre principale de John Kenneth Galbraith, Le Nouvel État industriel en 1967 qui dépeint la montée de la technostructure -. Il permet la massification de l’éducation et provoque la naissance d’une importante classe d’intellectuels insatisfaits. Selon Schumpeter, tous ces phénomènes conduisent vers la socialisation de l’économie et, à son regret, au recul du capitalisme libéral.

[modifier] Crise contemporaine et remise en cause de l’État-providence

Article détaillé : Crise et mutations de l’État-Providence en France

[modifier] Les trois crises de l’État-providence

Cette évolution de long terme est toutefois contrariée depuis les années 1970. À la suite du choc pétrolier, l’État Providence a été fortement remis en cause alors que les théories économiques libérales en faisaient la raison de la crise. Aux États-Unis et au Royaume-Uni, l’État providence a quasiment disparu à la suite des ères Reagan et Thatcher.

Margaret Thatcher et Ronald Reagan symbolisent la remise en cause de l’État-providence dans leurs pays respectifs. Pour Reagan, l’État ne peut résoudre les problèmes ; le problème, c’est l’État.
Margaret Thatcher et Ronald Reagan symbolisent la remise en cause de l’État-providence dans leurs pays respectifs. Pour Reagan, l’État ne peut résoudre les problèmes ; le problème, c’est l’État.

Dans d’autres pays, comme en France, l’État providence survit mais semble de plus en plus en peine pour remplir ses objectifs tandis que se profilent de nombreuses crises qui pourraient remettre en cause la capacité de l’État à assurer certaines fonctions, comme le problème du déficit permanent de la sécurité sociale, ou les très grandes difficultés du système de retraite par répartition

Selon Pierre Rosanvallon (La crise de l’État-providence, 1981) l’État-providence connaît depuis les années 1970 une triple crise.

Il doit d’abord faire face à des difficultés financières : la fin de la forte croissance des Trente Glorieuses remet en cause le mode de financement de l’État tandis que la prise en charge sociale et économique des victimes de la récession accroît ses dépenses. Les impôts touchent une part toujours croissante de la population et deviennent de plus en plus impopulaires.

Ensuite son efficacité est de plus en plus contestée. En effet, l’État ne parvient pas à résoudre les problèmes socio-économiques comme il semblait y parvenir auparavant. Le chômage augmente, la mobilité sociale diminue. La théorie économique remet en cause le dogme keynésien et l’efficacité de l’État.

Enfin il subit une crise de légitimité. L’opacité des dépenses publiques suscite des questions quant à l’utilisation de la solidarité nationale. De plus, le désir d’égalité laisse progressivement la place au sentiment d’insécurité. L’État-providence atteint sa limite sociale et ses mesures sont davantage perçues comme des impôts supplémentaires que des opportunités de redistribution.

Rosanvallon conteste pour autant la libéralisation de l’économie qu’il assimile à une régression sociale. Pour lui il faut alléger le poids de l’État en transmettant les missions de solidarité à la société civile (fondations, associations,…) et développant l’initiative locale. Afin de permettre à la société civile de prendre en charge ces nouvelles fonctions il est nécessaire de réduire la durée du temps de travail qui permettra le développement des activités sociales. Il faut aussi rationaliser et débureaucratiser l’État pour en accroître l’efficacité. Enfin, pour lui redonner sa légitimité, il faut accroître la visibilité qu’ont les citoyens du fonctionnement de l’État.

[modifier] L’État-providence face à la mondialisation

Par ailleurs, de nombreux auteurs pensent que la mondialisation a durablement réduit la capacité de l’État à jouer un rôle actif dans la croissance économique, et ce pour plusieurs raisons.

D’abord, l’État ne peut plus soutenir les entreprises nationales en incitant à la consommation car dans le contexte du libre-échange, cette consommation supplémentaire pourrait se transformer en importations de produits étrangers qui déstabiliseraient la balance des paiements.

Ensuite le risque d’inflation inhérent aux politiques de relance économique et de lutte contre le chômage est néfaste pour la compétitivité mondiale des entreprises nationales, car elle entraîne une hausse des coûts salariaux et des consommations intermédiaires.

Enfin, le "dumping social" pratiqué par les pays émergents constitue une concurrence croissante menaçant les systèmes de protection sociale des pays riches. Plus globalement, la mondialisation des échanges et de l’information permet aux acteurs économiques de comparer le coût du travail et de mettre en concurrence les différents espaces afin de réduire les coûts et répondre aux pressions de la concurrence et des consommateurs occidentaux réclamant des baisses de prix.

Face à ses arguments politiques, certains économistes estiment que la mondialisation n’est pas coupable. C’est notamment l’analyse de Daniel Cohen dans Richesse du monde, pauvretés des nations (1997) selon lequel les critiques adressées à la mondialisation ont pour but de cacher la contrainte essentielle qu’est celle de la dette publique, ou encore le rejet tacite de l’État-providence par une société où les baisses d’impôts sont désormais mieux accueillies que les politiques sociales.

[modifier] Efficacité de l’État-providence

Dans l’analyse économique, les différents courants de pensée justifient divers degrés d’intervention étatique.

[modifier] L’interventionnisme économique

[modifier] Les fonctions traditionnelles de l’État selon les théories classiques

Article détaillé : libéralisme économique.

Pour les économistes classiques puis néoclassiques, l’intervention de l’État dans l’économie prend plusieurs formes.

Il doit prendre en charge la construction des grandes infrastructures, utiles à la société que l’initiative privée ne peut prendre en charge. C’est à lui que revient la gestion des biens collectifs que les mécanismes du marché ne peuvent gérer.

C’est à l’État qu’il revient de réglementer l’activité afin de garantir la bonne marche de la concurrence constamment menacée par les velléités d’entente et de monopoles des grandes entreprises. Par ailleurs, il existe des domaines d’activité où la concurrence n’est pas souhaitable et le monopole justifié par les avantages évidents qu’il procure. On peut par exemple citer le cas des chemins de fer dont l’économiste néoclassique Léon Walras proposa la nationalisation (L’État et les chemins de fer, 1875).

Enfin, les libéraux reconnaissent l’existence des externalités négatives. Selon Arthur Cecil Pigou(Economic of Welfare, 1919) leur traitement nécessite l’intervention publique. À ce titre, il préconisa la mise en place de taxes sur les activités produisant des externalités négatives, et, au contraire, des subventions pour celles provoquant des externalités positives. Une des externalités négatives dont la mise en évidence est la plus ancienne est l’effet désastreux de la division du travail sur l’intellect des ouvriers. Elle fut expliquée dès 1776 par Adam Smith (Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations) qui, convaincu des possibilité infinies de la division du travail en terme de production de richesse, invita alors l’État à prendre en charge l’éducation des ouvriers pour en compenser les méfaits.

[modifier] L’analyse Keynesienne confère un rôle majeur à l'État

Article détaillé : Keynésianisme.
John Maynard Keynes
John Maynard Keynes

Selon John Maynard Keynes ( Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie, 1936 ), l’économie peut s’enliser dans des équilibres de sous-emploi durables que le marché ne peut seul résoudre. En effet en période de crise, les anticipations négatives des entrepreneurs (leur pessimisme) peuvent durablement paralyser l’économie. Seul l’État peut rompre le cercle vicieux de la dépression. La pensée de Keynes vise à renverser le dogme du marché autorégulé, ainsi qu'il titre un des ses ouvrages « The end of the laissez-faire » (« La fin du laissez-faire ») dès 1926.

Sa théorie repose sur la réfutation de la théorie quantitative de la monnaie selon laquelle le volume de la masse monétaire n’influe pas sur la quantité des biens produits et échangés et qui veut que la vitesse de circulation de la monnaie soit constante(Traité sur la monnaie, 1930). Pour lui, au contraire la vitesse de circulation de la monnaie varie avec le moral des agents économiques. Et donc, de nombreuses mesures étatiques de relance économique sont nécessaires pour relancer la croissance économique.

Via la politique budgétaire, l’État peut s’endetter afin de relancer par de nouvelles dépenses, accroît les commandes des entreprises, qui, sources d’anticipations positives, relancent l’activité du système. Le retour de la croissance économique permet de combler rapidement le déficit budgétaire.

Via la politique monétaire, il peut accroître la masse de monnaie en circulation dans l’économie ce qui aura aussi pour effet de stimuler la demande, et donc la production des entreprises repartira à la hausse prévenant ainsi le risque d’inflation.

Toujours afin de stimuler la demande, l’État peut redistribuer les revenus, en prélevant sur les ménages les plus riches ayant une forte propension à épargner, afin de donner aux ménages les moins riches qui ont au contraire une forte propension à consommer.

Alors que la pensée de Keynes souligne la possibilité de déséquilibres de court terme (qui se révèlent toutefois durables), l'école keynésienne va s’attacher à montrer qu’une croissance économique équilibrée, basée sur les mécanismes du marché, est hautement improbable à long terme.

Cette analyse est proposée par Evsey Domar et Roy Harrod qui démontrent qu’une croissance équilibrée de long terme n’est possible que lorsque le taux de croissance de la population active équivaut au rapport entre propension à épargner et coefficient de capital (rôle du capital dans la production). Pour eux, rien ne permet a priori de penser que cet équilibre puisse être réalisé. À cela, les néoclassiques ont répondu que le coefficient de capital pouvait lui aussi varier (en des termes simples, il n’existe pas une seule façon de combiner travail et capital pour arriver à un volume de production donné). Les déséquilibres seraient alors automatiquement corrigés par une substitution capital/travail.

Mais pour les keynésiens comme Nicholas Kaldor, l’ajustement se fait par la propension globale à épargner qui dépend de la répartition des revenus entre groupes sociaux. Pour assurer le plein emploi sur le long terme, il faut que l’État ajuste systématiquement par des politiques de redistribution la propension globale à épargner, sachant que pour Kaldor les salariés ont une propension à épargner différente de celle des capitalistes.

[modifier] Les critiques de l’interventionnisme étatique

Articles détaillés : monétarisme, minarchisme, nouvelle économie classique et supply side.

La critique du keynésianisme vient essentiellement de trois grands courants libéraux : les monétaristes dès les années 1960, les tenants des théories du supply side dans les années 1970 et plus récemment la nouvelle économie classique.

[modifier] La main-invisible perturbée

De nombreuses théories économiques considèrent les variation des prix et des salaires comme les principales variables d’ajustement par lesquelles le marché s’autorégule. Or, l’État, lorsqu’il intervient dans l’économie, fixe, modifie et influence les prix si bien qu’il dénature leur fonction.

« La fonction des prix et des salaires est moins de rétribuer les individus pour ce qu’ils ont fait que de leur dire ce qu’ils devraient faire dans leur propre intérêt comme dans l’intérêt général. » Friedrich von Hayek

Pour Friedrich August von Hayek( Prix et production,1931), l’interventionnisme, via les commandes d’État et les subventions par exemple, détournent les capitaux et les travailleurs de leur meilleur allocation. En effet, l’utilité et le besoin d’un bien économique ressenti par la société est exprimé dans son prix, synthèse de l’offre et de la demande et indicateur de rareté. Les capitaux et les travailleurs s’orientent toujours vers le bien le plus utile car c’est aussi celui dont la production est la plus rentable. Or, si l’État modifie par son intervention la pertinence des prix, alors les travailleurs et les capitaux risquent de s’orienter vers des productions inutiles.

A propos de la redistribution, les libéraux considèrent que les facteurs de production (travail et capital) sont rémunérés à leur juste valeur lorsque c’est le marché qui décide de leur rémunération. Ainsi l'intervention de l’État ne peut que nuire au cours normal des choses et amoindrir l’efficacité du marché. Sur le marché du travail par exemple, l’instauration d’un salaire minimum, de charges sociales,… exclut de l’emploi tous les travailleurs faiblement qualifiés dont l’embauche ne serait plus rentable.

[modifier] L’analyse monétariste

Les monétaristes vont eux redonner vie à la théorie quantitative de la monnaie qui prône que tout accroissement de la masse monétaire ne fait que provoquer une augmentation des prix. Pour Milton Friedman ( La théorie quantitative de la monnaie : une nouvelle présentation, 1956), les agents économiques inscrivent leurs dépenses dans une optique de long terme en anticipant l’évolution futur de leur revenu. De cette anticipation dérive sur le long terme l’estimation d’un « revenu permanent » qui détermine la consommation durable des ménages. De ce fait, l’intervention étatique qui prendrait la forme d’une injection supplémentaire de revenu dans l’économie via la politique budgétaire ou la politique monétaire ne ferait qu’entraîner une modification négligeable des comportements. L’effet de l’intervention ne sera alors pas une hausse de la production mais une hausse des prix. Au plan historique, c’est la situation de stagflation (inflation sans croissance) des années 1970 qui viendra conforter les analyses monétaristes. Le choix long terme/court terme était déjà abordé par Keynes qui avait fait remarquer qu'« à long terme, nous sommes tous morts »

L’analyse monétariste met à jour la notion de taux de chômage n’accélérant pas l’inflation qui permet d’estimer la pertinence de la création monétaire comme outil de lutte contre le chômage. À ce taux de chômage naturel correspond une politique monétaire adaptée qui ne provoque pas l’inflation. Une trop faible émission monétaire provoquera un chômage au dessus du taux naturel et la déflation tandis qu’une politique trop expansionniste ne fera qu’engendrer l’inflation qui déstabilisera l’ensemble de l’économie. Dans cette optique, les monétaristes pensent que les keynésiens tentent de « pousser sur une ficelle ».

[modifier] Les Nouveaux classiques

Article détaillé : Anticipation rationnelle.

Des auteurs américains comme Robert Lucas vont pousser plus loin la théorie des monétaristes. Pour les théoriciens de la Nouvelle école classique, les agents sont rationnels et ne se laissent pas surprendre par les politiques monétaires et budgétaires . Ils les anticipent, elles et leurs conséquences. Ne se laissant pas prendre par l’illusion de richesse, ils rendent alors ces politiques inefficaces. Si on prend l’exemple d’une politique de déficit budgétaire, les individus anticiperont la hausse future des impôts visant à combler le déficit, si bien qu’ils épargneront en prévision. Dans le cas d’une politique monétaire expansive, ils anticiperont la hausse des prix et réclameront une augmentation de salaire. Si les monétaristes niaient l’efficacité de long terme des politiques de relance, l’analyse des nouveaux classiques la nie aussi à court terme. Mais ces économistes vont plus loin : la seule idée que le gouvernement puisse éventuellement procéder à telle ou telle politique modifie de façon négative le comportement des individus. Ce point justifie en particulier la perte, dans certains pays, par l’État du contrôle de la monnaie au profit d’une banque centrale indépendante.

Pour les opposants aux Nouveaux classiques, le présupposé de la rationalité extrême des agents économiques tient tout simplement du mythe. Toutefois le problèmes des anticipations était déjà celui soulevé par Keynes et il trouve ici une réponse, qui bien que dépendant d’hypothèses assez contraignantes, conduit à des conclusions totalement opposées.

[modifier] L’économie de l’offre

Article détaillé : courbe de Laffer.

La critique de l’État est aussi relancée par les théoriciens de l’offre comme Arthur Laffer, pour qui la hausse des taux d’impositions décourage le travail ou l’épargne et réduit donc l’activité. Cette analyse débouche dans sa version la plus critique sur la célèbre formule d’Arthur Laffer, « trop d’impôt tue l’impôt » car l'impôt excessif, en décourageant l’activité, détruit sa base même. Ce n'est que la reprise de certaines règles énoncées par les classiques. Ainsi Adam Smith avait noté dès 1776, « l’impôt peut entraver l’industrie du peuple et le détourner de s’adonner à certaines branches de commerce ou de travail, qui fourniraient de l’occupation et des moyens de subsistance à beaucoup de monde. Ainsi, tandis que d’un côté il oblige le peuple à payer, de l’autre il diminue ou peut-être anéantit quelques-unes des sources qui pourraient le mettre plus aisément dans le cas de le faire » (Adam Smith, Recherches sur la nature et les cause de la richesse des nations, liv. 5, chap. II, sect. 2, « Des impôts », 1776).

Une objection assez simple a été apportée à la thèse de Laffer. Certes l’État décourage l’activité en prélevant des impôts, mais d’un autre côté, l’impôt sert à financer les dépenses publiques (éducation, recherche, infrastructures …) qui sont elles-mêmes créatrices de richesses.

[modifier] Le capitalisme monopoliste d’État

Article détaillé : Capitalisme monopoliste d’État.

Pour les néo-marxistes et certains anarchistes, l’État-providence est une « béquille du capital ». Pour compenser l’inefficacité du capitalisme, l’État se doit de le soutenir en réorganisant la distribution des richesses et en soutenant la demande et les profits. Ainsi, l’État-providence constituerait un genre d’acharnement thérapeutique visant à maintenir artificiellement les profits du capital et à empêcher l’émergence du communisme.

[modifier] Efficacité sociale

[modifier] Controverses sur la redistribution des revenus

La redistribution des revenus par l’État suit deux logiques :

  • avec la redistribution horizontale, les prestations sociales sont fournies indépendamment des revenus. L’actif paie pour les retraités, les bien-portants pour les malades, les célibataires pour les familles nombreuses...
  • dans la redistribution verticale la richesse se transmet d’une catégorie sociale à une autre.

Les chiffres montrent que la part de la redistribution horizontale est largement supérieure à celle de la redistribution verticale. Aussi peut-on se demander si la redistribution effectuée par l’État ne profite-t-elle pas davantage aux classes moyennes qu’aux classes défavorisées. C’est l’avis de Robert Nozick dans Anarchy, State and Utopia (1974). En effet les premières connaissent davantage la législation que les secondes et sont donc plus à même de réclamer leur dû. Il suffit de prendre l’exemple de la gratuité de l’enseignement supérieur pour comprendre le phénomène. Le jeune qui renonce à faire de longues études commence à travailler plus tôt que celui qui choisit au contraire de poursuivre sa formation. Ainsi le premier paye des impôts, tandis que le second reçoit un enseignement gratuit financé par la fiscalité. Or, on sait que les enfants des classes moyennes vont davantage à l’université que ceux issus des classes défavorisées, on peut donc rapidement en conclure que la redistribution se fait à l’envers.

Les chiffres infirment en partie ces arguments, car bien que les riches profitent presque autant que les pauvres des transferts publics, ils sont malgré tout la source des deux-tiers des prélèvements. Toutefois ces chiffres ne prennent pas en compte les services non marchands fournis par l’État, comme les dépenses d’éducation.

tableau en% Transferts publics (versements) Prélèvements
Pays 30% les plus pauvres 40% intermédiaires 30% les plus riches 30% les plus pauvres 40% intermédiaires 30% les plus riches
France 35.6 39.3 25.1 8.7 23.5 67.9
États-Unis 41.4 35.5 23.0 6.3 28.4 65.3
Niveau moyen OCDE 36.2 37.9 25.9 8.0 32.7 59.4
Chiffres de l’OCDE pour la France(1994), les États-Unis(1995)...pour la population en âge de travailler
tableau en% dans les pays de l’OCDE Taux de pauvreté avant transferts Taux de pauvreté après transferts
Selon l’OCDE en 2000 26.5 10.5

Certains condamnent ce qu'ils assimilent à de l’« assistanat » (c'est à dire les prestations sociales) de la population, car il détourne les citoyens de l’effort, voir aggrave leur situation. C'est la reprise d'arguments anciens comme ceux de Malthus pour qui les aides apportées aux pauvres leur permettent d’accroître leur nombre entraînant un appauvrissement encore plus important de la population. Il suggère donc un contrôle des naissances seul à même de réguler les besoins en population de l’économie, et condamne donc tout système d’aide. Les critiques actuels de l'État-providence ne proposent plus en général ce type de solutions, mais pensent que le désengagement de l'État ne peut que favoriser l'enrichissement global de la société (partant du principe libéral selon lequel l'intervention de l'État coûte presque toujours plus cher que celle d'une personne ou d'une entreprise privée).

[modifier] Nécessité de la cohésion sociale

La cohésion sociale est par définition un des objectifs de l’État, parce qu'elle permet aux membres de la société de vivre en communauté, de coexister. Cette cohésion sociale est perturbée, dès lors que des franges entières de la population pensent ne plus pouvoir espérer tirer quelque avantage du système social. Lorsque la cohésion sociale n’est plus assurée, alors la discorde, la criminalité, voire la guerre civile peuvent advenir. Ainsi pour cimenter la société afin de garantir l’ordre et la stabilité, l’État se doit de se soucier de la cohérence d’ensemble de la société, et d’empêcher la mise à l’écart, dangereuse, d'individus voire de groupes entiers.

Taux de pauvreté des enfants et population carcérale en fonction des dépenses sociales dans les pays de l'OCDE, source OCDE 2000 Lire par exemple : Selon l'OCDE en 2000 aux États-Unis, sur 10 000 personnes, environ 47 était incarcérées ; 21 enfants sur 100 vivaient en dessous du seuil de pauvreté, tandis que les dépenses sociales représentaient autour de 15% du PIB
Taux de pauvreté des enfants et population carcérale en fonction des dépenses sociales dans les pays de l'OCDE, source OCDE 2000
Lire par exemple : Selon l'OCDE en 2000 aux États-Unis, sur 10 000 personnes, environ 47 était incarcérées ; 21 enfants sur 100 vivaient en dessous du seuil de pauvreté[6], tandis que les dépenses sociales représentaient autour de 15% du PIB



On remarque sur le graphique ci-dessus, que les dépenses sociales de l'État-providence peuvent avoir un effet bénéfique sur la cohésion sociale. En effet on note, grâce aux courbes de tendances, qu'il semble exister une relation inverse entre dépenses sociales et pauvreté des enfants (taux révélateur de la solidarité), de même qu'entre dépenses sociales et taille de la population carcérale (taux révélateur de l'unité et de l'ordre d'une société). On doit toutefois éviter d'en tirer des conclusions hâtives. À titre d'exemple, si les États-Unis possèdent un taux de pauvreté des enfants plus élevé que celui de la République tchèque, c'est uniquement parce que le seuil de pauvreté (calculé en fonction du revenu médian) est beaucoup plus élevé aux États-Unis qu'en République Tchèque. De plus certains pays sont totalement hors de la tendance générale ce qui montre l'importance d'autres facteurs, en particulier culturels. À ce titre, le nombre de prisonniers dépend en grande partie de la sévérité du système judiciaire ou encore de la composition de la population.

[modifier] Légitimité de l’État-providence

[modifier] État-providence et liberté

[modifier] L’égalitarisme, tendance profonde de la démocratie

Dans De la démocratie en Amérique, Alexis de Tocqueville fait de la marche vers l’égalisation le résultat majeur de la démocratisation. L’égalisation des conditions est un des slogans de toutes les révolutions. Ainsi la demande d’égalisation des droits est fréquente dans les cahiers de doléances en 1789. Pour Alexis de Tocqueville, la démocratie tend donc à créer un individualisme égalitariste marqué par la disparition des idéologies et la préférence absolue de l’égalité sur la liberté. On retrouve une vision similaire chez Joseph Schumpeter dans Capitalisme, Socialisme, et Démocratie où les progrès induits par l’histoire du capitalisme permettent l’émergence d’une importante classe intellectuelle sensible aux problèmes sociaux et pousse la société vers le socialisme.

[modifier] Dangers pour la liberté

Schumpeter d’abord, craint que se développe dans le socialisme une dépendance du peuple envers l’État, dépendance qui, sans remettre forcément en cause les fondements de la démocratie, risque de les mettre à mal. Pour lui le capitalisme est plus démocratique que le socialisme :

« Une classe dont les intérêts sont le mieux servis par une politique de non-intervention met plus facilement en pratique la discrétion démocratique que ne sauraient le faire des classes qui tendent à vivre au crochet de l’État. » Joseph Aloïs Schumpeter, Capitalisme, Socialisme et Démocratie, 1942

Tocqueville s’inquiète pour la sauvegarde des libertés individuelles car la démocratie tend dans son idéal d’égalité et de bien être à remettre un pouvoir toujours plus grand à l’autorité étatique. Cette autorité étatique à laquelle la masse confie le devoir de préserver le bien-être et surtout l’égalité devient un pouvoir « absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux » qui peut devenir pire que le totalitarisme, toujours menacé par l’esprit de la liberté. En effet, dans cette démocratie bien attentionnée, l’homme ne veut même plus être libre : l’État l’avilit au point de s’en faire aimer !

Nietzsche quant à lui nous décrit paradoxalement cette société égalitariste comme largement propice aux « forts » auxquels va revenir ce pouvoir absolu que les « faibles » ne contestent plus.

« Les conditions nouvelles qui entraîneront en gros l’apparition d’hommes tout pareils et pareillement médiocres – hommes grégaires, utiles, laborieux, diversement utilisables et adroits – sont éminemment propres à donner naissance à des hommes d’exception du genre le plus dangereux et le plus séduisant. » Friedrich Nietzsche, Par-delà le bien et le mal

Finalement les libéraux, en désaccord bien sur avec Nietzsche, considèrent souvent que l’égalisation des conditions par l’intervention étatique est totalement illégitime et dangereuse. Ainsi Friedrich August von Hayek n’hésite pas à déclarer :

« Il y a toute les différences du monde entre traiter les gens de manière égale et tenter de les rendre égaux. La première est une condition pour une société libre alors que la seconde n’est qu’une nouvelle forme de servitude. »

[modifier] Liberté et misère

Nombre de libéraux, parmi les plus éminents comme Milton Friedman ou Friedrich von Hayek reconnaissent toutefois que la liberté est nulle pour celui qui ne peut « disposer d’un minimum vital pour sa subsistance, [pour] se sentir à l’abri des privations physiques élémentaires »(Friedrich August von Hayek, La route de la servitude, 1944). Refusant les systèmes handicapant les entreprises comme le salaire minimum, Milton Friedman préconise alors l’instauration d’un « impôt négatif » pour les plus pauvres.

[modifier] La justice sociale, légitimation de l’État-providence

Article détaillé : Justice sociale.

[modifier] Charité, assurance et justice

Si on s’intéresse aux sources morales de l’État-providence, on constate une évolution d’où se dégagent trois principales justifications à son action. Dans ses interventions les plus anciennes, l’intervention étatique prend la forme d’une charité organisée pour lutter contre l’extrême pauvreté et destinée aux plus démunis. Les systèmes plus généralisés apparus à la fin du XIXe renvoient quant à eux à la notion de solidarité : les assurances contre les grands dangers de la vie chez William Beveridge, la retraite par répartition en France, ou les assurances diverses imposées par Bismarck se font dans une logique assurancielle et solidaire. Personne ne paye pour les autres, tout le monde contribue pour s’assurer contre les risques de la vie. On ne donne pas à l’autre par charité ou parce qu’on estime que sa situation est injuste, on lui donne en espérant qu’il fera de même si les positions venaient à s’inverser.

La logique assurancielle ne suffit pourtant pas à justifier l’intervention de l’État. Il est en effet possible de mettre en place des systèmes privés qui ne profiteront qu’aux individus cotisants. Dans cette optique, chacun est renvoyé à sa propre responsabilité, mais est-ce vraiment praticable ? Devons nous laisser mourir de la maladie un individu qui aura fait le choix irresponsable de refuser le système assurantiel ? C’est pour cette raison que le système est imposé à tous et alors pris en charge par l’État. Cette logique, qui prend des formes aussi concrètes que l’obligation d’attacher sa ceinture en voiture, est souvent dénoncée car elle permettrait la mise en place de ce que les anglo-saxons appellent le « nanny State » (« État nounou »). C’est donc un appel à la responsabilité individuelle que lancent les libéraux, Milton Friedman allant par exemple jusqu’à demander la vente libre de la drogue.

Il reste que le système assuranciel ne vient que répondre aux aléas de la vie et ne résout pas les inégalités. L’idée s’est alors développée que les inégalités socio-économiques pouvaient relever d’une injustice sociale dont les victimes avaient droit de réclamer réparation.

[modifier] Utilitarisme contre individualisme

Articles détaillés : utilitarisme et individualisme.
John Stuart Mill, le dernier des classiques anglais de l’économie, manifestait des tendances socialistes
John Stuart Mill, le dernier des classiques anglais de l’économie, manifestait des tendances socialistes

Au cours du XIXe certains économistes et philosophes comme John Stuart Mill( L’utilitarisme, 1861) remettent en cause la convergence des intérêts particuliers et de l’intérêt général tel qu’elle est pensée par Adam Smith dans la Richesse des Nations. Pour Smith, les intérêts particuliers, par le jeu de leurs interactions, mènent à l’harmonie sociale. Les libéraux tentent en fait d’expliquer comment l’enrichissement illimité des uns se fait au profit de tous, même des plus pauvres. L’objection libérale à la justice sociale en tant que recherche de l’égalité tient en fait en une question. Pourquoi refuser la montée des inégalités si celle ci réduit la pauvreté des plus défavorisés ?

Mais pour les utilitaristes du milieu du XIXe, l’observation des conséquences sociales de la révolution industrielle provoque le rejet du dogme libéral. Ainsi pour John Stuart Mill, le libéralisme est sans doute la meilleure manière de créer la richesse mais la question de sa meilleure répartition reste ouverte. Dans la vision utilitariste, la justice n’est pas fondée sur les notions de mérite mais sur la notion d’utilité, c’est-à-dire de bonheur. Ce qui est juste c’est ce qui maximise le bonheur dans la société. Il est alors juste qu’une richesse qui n’apporte que peu à son propriétaire soit donnée à un autre qui en profitera bien plus. En fait, la morale commande la recherche du bonheur collectif davantage que de la réussite personnelle. L’individu altruiste a le désir de vivre en paix et en harmonie avec ses semblables.

La théorie utilitariste de la justice sociale prétend alors qu’il faut assurer « le plus grand bonheur au plus grand nombre » (Jeremy Bentham), quitte à sacrifier une minorité d’individu. Selon les utilitaristes, l’État se doit de maximiser l’utilité sociale, c’est à dire la somme des bonheurs individuels. Les intérêts particuliers ne convergent pas spontanément et c’est à lui d’harmoniser artificiellement les rapports économiques entre les individus. Il se doit de mettre en place de nouveaux rapports sociaux et de se soucier de l’équité. Sans réduire les libertés, il faut par exemple que l’État mette en place un système d’éducation, de contrôle des naissances … le tout financé par des taxes sur les fortunes non gagnées.

La pensée individualiste refuse cette vision qui sacrifie l’individu au groupe. Le bonheur est considéré comme individuel avant tout et l’idée que l’État soit en charge du bonheur collectif paraît absurde. Avec les économistes néoclassiques, critiques de l’utilitarisme, se développe le concept d’équilibre économique optimal. L’optimum de Pareto est par exemple défini comme la situation économique à la fois la plus performante mais surtout celle où la condition d’aucun individu ne peut être améliorée sans que cela ne nuise à celle d’un autre. Or, selon les individualistes, l’État ne peut intervenir en faveur de certains individus, si par ailleurs son intervention nuit à d’autres. Ce faisant, il deviendrait partial et donc injuste. C’est ainsi qu’à l’opposé de la théorie utilitariste, Vilfredo Pareto préconise « le moindre risque pour le plus petit nombre ». Si l’État souhaite intervenir, il se doit d’indemniser systématiquement les individus, riches ou pauvres, qui se sentiraient lésés par sa décision.

[modifier] La justice sociale chez Rawls

Article détaillé : Théorie de la justice.

Selon John Rawls (Théorie de la justice, 1971) les inégalités économiques peuvent être légitimes à condition qu’elles soient aménagées de sorte que :

  • l’accès aux droits procurés par la citoyenneté doit être garantie ;
  • la répartition de la richesse et des revenus n’a pas besoin d’être égale, elle doit être à l’avantage de chacun ;
  • les positions d’autorité et de responsabilité doivent être accessibles à tous (égalité des chances).

Le premier point constitue un principe de liberté, prioritaire vis à vis des deux points suivants qui forment un principe de différence. Ces trois points constituent le contrat social établi entre les individus réunis au sein d’un même état. Ainsi si l’économie de marché ne peut garantir ces trois points, alors l’existence d’un État-providence est essentielle.

La réalisation du principe de justice sociale se trouve dans le second point : toute inégalité ne peut être justifiée que si elle profite au plus désavantagé. Finalement, ce principe du minimax renvoie donc à des questions d’ordre économique dès lors que, pour faire bref, les libéraux expliqueront que l’extrême enrichissement des uns peut permettre une réduction de la misère des autres, tandis que les keynésiens expliqueront que la redistribution, en garantissant la stabilité économique, est non seulement profitable aux plus pauvres, mais aussi aux riches.

[modifier] Critique morale de l’État-providence

Pour Friedrich Hayek, le concept de justice sociale n’est qu’une manipulation visant à légitimiter les revendications de quelques uns.
Pour Friedrich Hayek, le concept de justice sociale n’est qu’une manipulation visant à légitimiter les revendications de quelques uns.

Chez certains libéraux, la rémunération des facteurs de production (travail et capital), dans une économie de concurrence pure et parfaite, combine à la fois efficacité et justice. Selon la théorie néo-classique, chacun mérite et reçoit l’égal de ce qu’il produit, et ce spontanément grâce aux lois du marché. Toutefois de nombreux libéraux, tels Friedrich Von Hayek ou Milton Friedman s’opposent à cette vision des choses. Ils font remarquer que de nombreux avantages ou désavantages économiques sont totalement immérités : héritages, handicaps…, mais surtout que l’économie de concurrence pure et parfaite n’existe pas.

Les libertariens estiment que les inégalités économiques sont librement consenties par les individus. En effet, l’échange économique sur le marché est toujours volontaire et l’État n’a aucune légitimité à intervenir. Wilt Chamberlain, un joueur américain de basket-ball, a résumé brièvement ce point de vue dans ce que l’on appelle désormais l’objection Wilt Chamberlain : si les spectateurs veulent payer un supplément pour le voir jouer, alors ses revenus colossaux sont les fruits d’un libre consentement. On ne peut donc y voir aucune injustice sociale. Ainsi pour Robert Nozick (Anarchy, State and Utopia, 1974) « suivant la conception de la justice fondée sur les droits aux avoirs, il n’est pas d’argument basé sur les deux principes de la justice distributive - les principes de l’acquisition et du transfert - à l’appui d’un État plus étendu ». Ce n’est pas à l’État d’imposer sa vision du juste aux individus. Il dénonce le phénomène de l’envie et de la jalousie que cache en partie le concept de justice sociale et se demande : « Pourquoi certaines personnes préfèrent-elles que d’autres n’aient pas de meilleurs résultats dans quelque domaine que ce soit, plutôt que d’être heureuses de ce qu’une autre personne soit à l’aise ou ait de la chance ? ». Il est considéré comme le principal opposant à John Rawls.

Toutefois les libertariens s’opposent au sujet de la justice des dotations initiales, c’est à dire de l’étude historique de l’appropriation des richesses avant l’avènement de l’économie de marché (colonialisme, esclavagisme, féodalisme …) et qui constitue toujours des sources d’inégalités héritées dans les sociétés modernes. Pour les mêmes raisons la question de l’héritage est aussi très débattue par les libertariens et les libéraux. Peut-être l’État aurait-il là un rôle à jouer.

Friedrich Von Hayek récuse quant à lui la notion même de justice sociale. Pour lui la société est si complexe qu’il est absurde de qualifier la situation d’un individu de juste ou injuste car les causes infinies de cette situation nous échappent. Personne ne peut être tenue responsable pour la misère sociale d’un autre, et il n’y a donc pas lieu de fournir des réparations. Face à cette complexité de la société, l’État ne peut promouvoir de manière pertinente une quelconque justice sociale.

« La société est simplement devenue la nouvelle divinité à qui adresser nos plaintes et réclamer réparation si elle ne répond pas aux espoirs qu’elle a suscités. Il n’y a ni individu, ni groupe d’individus coopérant ensemble, à l’encontre de qui le plaignant aurait titre à demander justice, et il n’y a pas de règle de juste conduite imaginable qui, en même temps, procurerait un ordre opérationnel et éliminerait de telles déceptions. » Friedrich August von Hayek, Droit, législation et liberté, 1973-1979

[modifier] Notes

  1. détournement de l'expression d'Adam Smith considérant que l'économie est dirigé par une main invisible
  2. De la démocratie en Amérique, Alexis de Tocqueville (1835-1840)
  3. The theory of public finance, Robert Musgrave, 1959
  4. Loi Le Chapelier, 17 juin 1791
  5. Yves Cornu, « La révolution du modèle suédois », dans Le Point du 13/09/06, n°1774, p.58, [lire en ligne]
  6. Attention, il ne s'agit pas de pauvreté absolue, ici le seuil de pauvreté est défini en fonction du revenu médian constaté dans le pays étudié, le seuil de pauvrété est par exemple bien plus élevé aux Ètats-Unis qu'en République Tchéque

[modifier] Citations

« [L’État a] non seulement une mission défensive visant à protéger les droits existants, mais également celle de promouvoir positivement par des institutions appropriées et en utilisant les moyens de la collectivité dont il dispose, le bien-être de tous ses membres et notamment des faibles et des nécessiteux. »
Message au Reichstag de l’empereur, 17 novembre 1881

[modifier] Voir aussi

[modifier] Articles connexes

[modifier] Bibliographie

[modifier] Sélection de références sur les divers théories abordées

[modifier] Bibliographie générale

  • Jacques Donzelot, L’Invention du social, essai sur le déclin des passions politiques, Seuil, 1994 ;
  • Gosta Esping-Andersen, Les Trois Mondes de l'État-providence : essai sur le capitalisme moderne, PUF, 1999 ;
  • François Ewald, Histoire de l’État-providence, Grasset, 1986/1996 ;
  • François-Xavier Merrien, L’État-providence, PUF, 1998 ;
  • François-Xavier Merrien, Raphael Parchet, Antoine Kernen, L'État social. Une perspective internationale, Armand Colin, 2005 ;
  • Paolo Napoli, Naissance de la police moderne (Pouvoir, normes, société), La Découverte, 2003 ;
  • Pierre Rosanvallon, La Nouvelle Question sociale. Repenser l’État-providence, Seuil, 1995 ;
  • Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique.

[modifier] Liens externes

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