Protectorat français en Tunisie
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Le protectorat français en Tunisie (الحماية الفرنسية في تونس) est institué par le traité du Bardo en 1881. Transformant les structures politiques, économiques et sociales du pays, il est finalement aboli en 1956 au terme de négociations avec les nationalistes du Néo-Destour.
[modifier] Établissement du protectorat
La révolution industrielle en Europe, les besoins accrus en matières premières et la recherche de débouchés pour les produits finis sont à l'origine de l'expansion coloniale européenne. La Tunisie, encaissée entre l'Algérie à l'ouest, devenue colonie française en 1830, et la Libye au sud-est, convoitée par l'Italie, est alors en ligne de mire. Le prétexte sera la faiblesse des beys, les intrigues de leurs ministres, tels Mustapha Khaznadar et Mustapha Ben Ismaïl, la pression constante des consuls européens, la banqueroute de l'État devenu otage de ses créanciers malgré les efforts du réformateur Kheireddine Pacha, ouvrent les portes à l'occupation étrangère le 12 mai 1881 par la conclusion du traité du Bardo sous le règne de Sadok Bey. 2 ans plus tard, les conventions de la Marsa, conclues le 5 juin 1883, vident le traité de son contenu et dépouillent le bey de toute autorité au profit du résident général de France en Tunisie. C'est l'administration française qui prend alors les commandes.
[modifier] Réactions intérieures
Une résistance populaire s'organise rapidement. Les tribus du centre et du sud du pays mènent des insurrections et soulèvent la population contre le bey considéré comme traître et collaborateur avec l'occupant. C'est d'ailleurs le prétexte qui pousse la France à envoyer un corps expéditionnaire dans le but officiel de protéger le bey et d'obliger les tribus à se rendre. Cela engendrera, dès le mois de juillet 1881, des combats acharnés à travers le pays qui durent plus de 6 mois.
[modifier] Réactions extérieures
Les puissances européennes réagissent différemment selon leurs intérêts : le Royaume-Uni s'empresse d'occuper à son tour l'Égypte. D'ailleurs, les deux conquêtes sont simultanées et les conséquences qu'elles engendrent sont quasiment les mêmes.
Quant à l'Italie, elle réagit vivement dès qu'elle apprend la nouvelle de l'occupation française en Tunisie. Le président du Conseil, Benedetto Cairoli, est renversé par le parlement qui l'accuse de capitulation car il considère que, par son intervention en Tunisie, la France viole les droits de l'Italie. Celle-ci se prévaut en effet de la situation privilégiée qu'ont ses ressortissants en vertu d'un traité tuniso-italien signé le 8 septembre 1868, pour une durée de 28 ans, pour régler le régime des capitulations[1]. Cela suscita une vague d'immigration en Tunisie qui causa de sérieuses difficultés à la France.
Les choses allaient cependant rentrer petit à petit dans l'ordre pour la France. Les Italiens ayant immigré en Tunisie vont opter plus tard pour la nationalité française pour bénéficier des mêmes avantages que les colons français.
[modifier] Fonctionnement du protectorat
[modifier] Organisation politico-administrative
Avec l'instauration du protectorat, le bey perd tout ses pouvoirs. En 1883, après avoir maté un soulèvement de tribus, les Français confient l'organisation de la conquête au résident Paul Cambon. Devenu résident général en 1885, Cambon place aux côtés du bey et de son grand vizir un secrétaire général chargé de contrôler leurs décisions. Après une période d'administration militaire, le décret du 4 octobre 1884 superpose à la structure étatique originelle une structure coloniale avec :
- des contrôleurs civils venus d'Algérie
- l'institution d'un conseil des ministres présidé par le résident général et décidant des textes à présenter au sceau beylical
- des directions techniques (travaux publics, enseignement, intérieur, etc.) sous la responsabilité de directeurs français ayant rang de ministres tunisiens siégeant au gouvernement
- la détention des postes de ministres de la guerre et de la marine par des officiers français.
[modifier] Contrôleurs civils
À l'origine, 3 contrôleurs civils sont nommés à Sousse, à Sfax et au Kef mais rien n'est encore précisé quant à l'étendue de leur rayon d'action ou de leurs attributions. À la fin de l'année 1886, 5 nouveaux contrôleurs sont mis en place et, 6 mois plus tard, une circulaire du résident général (22 juillet 1887) fixe leurs attributions : ils se voient chargés de surveiller, mais en fait de diriger, les caïds et l'administration locale. Ils renseignent et soutiennent les colons et exerçent à l'égard de la population française les fonctions de vice-consul et d'officier d'état civil.
Le sud de la Tunisie constitue, comme le sud de l'Algérie, un territoire militaire confié à un service des affaires indigènes analogue aux bureaux arabes de l'Algérie.
[modifier] Municipalités
Seule la ville de Tunis possédait, depuis 1858, un conseil municipal réorganisé en 1883. Par la suite des municipalités sont installées dans un certain nombre de villes : La Goulette (décret du 10 juin 1884), Le Kef (8 juillet 1884), Bizerte, Sousse et Sfax (16 juillet 1884), Madhia (4 novembre 1888), Kairouan (20 février 1895), Béja (22 décembre 1895), Souk al-Arbâa (7 juin 1898), Gabès (1er avril 1905), Saint-Germain (11 septembre 1909) et La Marsa (6 avril 1912). D'autres localités, sans posséder la personnalité morale, sont gérées par une commission municipale (Djerba, Hammam Lif, Maxula-Radès, Monastir, Nabeul, Mateur, Medjez el-Bab, Ferryville, Tebourba, Tozeur, Gafsa et Téboursouk) ou une commission de voirie (Aïn Draham, Sidi Bou Saïd, Tabarka, Zaghouan, Zarzis, Souk Lekhmis, Ghardimaou, Thala, Ariana et Le Bardo). Ces communes sont présidées par un caïd. Le décret du 14 janvier 1914 supprime ces distinctions et soumet toutes ces communes à un régime uniforme. Elles sont dorénavant administrées par un conseil municipal composé d'un président tunisien, d'un ou plusieurs vice-présidents français et d'un nombre variable de conseillers français, musulmans ou israélites. Des communes seront créées par la suite à Médenine (3 décembre 1914), Le Kram (20 décembre 1916), Carthage (15 juin 1919) ou Nefta (25 décembre 1919).
[modifier] Traité de Ksar Saïd
Le traité de Ksar Saïd prive l'État tunisien du droit de légation actif en chargeant « les agents diplomatiques et consulaires de la France en pays étrangers [...] de la protection des intérêts tunisiens et des nationaux de la régence ». Quant au bey, il ne peut plus conclure aucun acte à caractère international sans en avoir auparavant informé l'État français et sans avoir sa permission. Mais l'article 6 du décret du 9 juin 1881 lui permet de prendre une part directe à la conclusion des actes internationaux. Les conventions de la Marsa, quant à elles, empiètent sur la souveraineté interne de la Tunisie en engageant le bey à « procéder aux réformes administratives, judiciaires et financières que le gouvernement français jugera utiles » et de ne « contracter, à l'avenir, aucun emprunt pour le compte de la Régence sans l'autorisation du gouvernement français. »[2] Aucune décision ne peut donc être prise sans avoir reçu l'approbation du résident général et du secrétaire général (français) du gouvernement. Enfin, Européens et Tunisiens sont représentés à égalité (53 membres pour chaque communauté) au sein du Grand Conseil, instance consultative élue au suffrage universel selon le système du double collège.
[modifier] Système judiciaire
[modifier] Tribunaux français
Le pouvoir judiciaire est l'une des composantes essentielles de la nouvelle organisation de l'administration mise en place par les autorités françaises dans le cadre du protectorat. Toutefois, les problèmes liés à la personnalité des principaux responsables (président du tribunal de Tunis, résident général et autorité militaire) alimenteront la chronique des premières années du protectorat (en particulier entre 1883 et 1886)[3]. De ce point de vue, il semble que la confusion des pouvoirs des premiers temps du protectorat céda ensuite la place à un équilibre relatif lié en partie au départ des figures de proue de la période d'installation du protectorat (dont le résident général Cambon et le général Georges Boulanger).
Après de nombreuses hésitations parlementaires, la loi du 28 mars 1883 organise la justice : elle institue un tribunal français à Tunis et 6 justices de paix à compétence étendue. L'article 2 précise que « ces tribunaux font partie du ressort de la cour d'Alger. Ils connaissent de toutes les affaires civiles et commerciales entre Français, ils connaissent également de toutes les poursuites intentées contre des Français et protégés français pour contravention délits ou crimes. Leur compétence pourra être étendue à toute autre personne par des arrêtés ou des décrets de Son Altesse le Bey rendus avec l'assentiment du gouvernement français[3]. »
En mai et juin 1941, 2 décrets signés par le maréchal Pétain accordent aux justiciables européens ce qu'ils revendiquaient avec insistance depuis 1883 : le premier crée 2 nouveaux tribunaux de première instance (Sfax et Bizerte), portant à 4 le nombre des tribunaux français, alors que le second institue une cour d'appel qui voit le jour à Tunis. C'est du côté de la situation nouvelle née de la guerre et du positionnement de Tunis et d'Alger par rapport au gouvernement de Vichy qu'on pourra trouver les explications à ces décisions qui ont entraîné des modifications substantielles du paysage judiciaire de la régence[3].
[modifier] Tribunaux indigènes
Les tribunaux français de Tunisie ne font que succéder aux juridictions consulaires des puissances européennes. Ces dernières traitaient toutes les affaires civiles et pénales dans lesquelles leur ressortissant non musulmane était en cause de même que certaines affaires pénales et civiles, quelle que soit la nationalité des parties, telles que les infractions en matière politique et de presse et les contestations relatives aux immeubles immatriculés par décision d'une juridiction spéciale : le Tribunal mixte immobilier de Tunisie. En raison des dispositions du traité du Bardo, l'installation de la justice française repose sur la renonciation volontaire des États à leur justice consulaire. En dépit des engagements internationaux qui réservent à la France le protectorat sur la Tunisie, le renoncement des puissances aux justices consulaires s'obtiendra à l'issue d'un processus long et complexe alors que des résistances se manifesteront localement, faisant obstacle pendant des années au fonctionnement normal de la justice française[3].
Les autres juridictions, liées aux communautés religieuses, ne disparaissent pas pour autant même si leur champ de compétence se trouvent réduits.
[modifier] Tribunal supérieur de l'Ouzara
Alors que les caïds-juges et les tribunaux régionaux avaient reçu délégation du droit de justice, le régime de la juridiction supérieure de l'Ouzara demeurait celui de la justice retenue. Mais le bey abandonna cette prérogative, le 24 avril 1921, en ne se réservant que le droit de grâce. Dès lors, les jugements de l'Ouzara ne sont plus soumis au bey comme ceux des tribunaux régionaux et des caïds-juges. Le Tribunal supérieur de l'Ouzara comprend des chambres d'appel civil et correctionnel et une chambre d'accusation. Chaque chambre est composée d'un président et de 2 juges assistés d'un greffier. L'Ouzara comprend également une chambre criminelle et une chambre des requêtes. La chambre criminelle traite des infractions pénales qualifiées de crimes. Cette juridiction permanente siège à 5 magistrats et sans le concours d'un jury. Les condamnations à mort ou aux travaux forcés à perpétuité doivent être prononcées à la majorité de 4 voix au minimum.
[modifier] Tribunaux du Charaâ
Le Charaâ, tribunal du cadi (juge unique), était l'instance de la justice musulmane. Le cadi est assisté de muftis qui ne sont pas des juges mais des jurisconsultes qui n'examinent pas les faits mais le droit et donnent des avis (fetoua) aux cadis ou aux particuliers. À Tunis, on trouve 2 cadis, l'un appartenant au rite hanéfite et l'autre au rite malékite, plusieurs muftis des 2 rites et 2 « cheikhs de l'islam ». Dans les principaux centres de province, on trouve un cadi et un mufti de rite malékite. Tous sont nommés par décret du bey et dépendent du budget de l'administration des habous.
Le Charaâ de Tunis, instance supérieure aux Charaâ provinciaux, peut soumettre une affaire au bey qui est le cadi des cadis. Les tribunaux du Charaâ gèrent tous les litiges s'élevant entre musulmans (tunisiens ou autres), au sujet du statut personnel et des successions, ainsi que des affaires pétitoires même lorsqu'un Européen est en cause (quand il s'agit d'immeubles non immatriculés). L'exécution des jugements est confiée aux caïds. Il convient de noter que les cadis ont également des attributions extrajudiciaires : ils contrôlent les tuteurs des mineurs (décret du 8 avril 1911), surveillent la gestion des biens des habous, etc.
[modifier] Tribunaux rabbiniques
Dans le domaine de la justice religieuse, on trouve également les tribunaux rabbiniques. Dans chaque centre important, on trouve un rabbin assisté d'un ou plusieurs notaires. À Tunis, il existe un tribunal rabbinique composé du grand rabbin, d'un vice-président, de 2 juges et d'un greffier. Ils sont nommés par décret du bey et payés sur le budget tunisien (décret du 28 novembre 1898). Les tribunaux rabbiniques traitent des affaires de statut personnel entre Israélites et appliquent la loi mosaïque.
[modifier] Tribunal mixte immobilier de Tunisie
Quant au Tribunal mixte siégeant à Tunis, il n'est ni un tribunal français, puisqu'il est créé par décret beylical (art. 33 de la loi foncière du 1er juillet 1885) et que ses membres sont nommés par le bey (sur proposition du résident général), ni un tribunal indigène puisqu'il est composé pour partie de magistrats français mis à la disposition du gouvernement tunisien par le gouvernement français. De plus, lorsque le Tribunal mixte rend une décision d'immatriculation, l'immeuble immatriculé devient pour l'avenir justiciable des tribunaux français. C'est donc à juste raison que ce tribunal est qualifié de mixte. Il n'a d'ailleurs aucun rapport de dépendance avec les tribunaux français ou les tribunaux tunisiens.
Le Tribunal mixte a pour fonctions d'examiner les demandes d'immatriculations immobilières. Son but est d'asseoir la propriété, en coupant court aux difficultés que suscitait l'acquisition d'un immeuble soumis à la loi musulmane, en le faisant passer sous le régime de la loi française. Le Tribunal mixte se compose d'un président, de 2 vice-présidents, de 3 juges-rapporteurs et de 11 magistrats du siège dont 2 juges suppléants et 5 magistrats musulmans des rite hanéfites et malékites (décret beylical du 10 novembre 1941). Après jugement, aucune voie de recours n'est possible.
Le corpus de ses jugements fait apparaître les multiples ambivalences qui traversent l'institution : ambivalence structurelle du fait de sa structure mixte franco-tunisienne, ambivalence fonctionnelle du fait de sa mission de protecteur de la propriété indigène mais aussi de vecteur de la francisation des terres et ambivalence culturelle dont le bilinguisme juridique est une des manifestations[3].
[modifier] Modernisation du pays
Le développement économique du protectorat, favorisant les grands domaines agricoles et les industries lourdes, aura pour conséquence la formation d'une bourgeoisie réformiste et la montée du nationalisme.
La période qui s'étend de 1881 à 1930 est marquée par de profondes mutations touchant tous les domaines. Pendant ce demi-siècle de présence française, le pays est doté d'une infrastructure ferroviaire, routière et portuaire. L'administration nouvelle est moderne et efficace. L'objectif de la colonisation est la mainmise sur les ressources du pays : elle doit en faire une chasse gardée de la métropole. Pour ce faire, on y installe tous les services nécessaires à une économie moderne : poste, télégraphe, banques, etc. On entame l'exploitation des ressources minières et on consacre d'importants investissements dans une agriculture mécanisée à hauts rendements.
La transformation des structures économiques se fait dans la douleur car accompagnée d'une destruction de l'économie traditionnelle (confiscation des terres appartenant aux tribus, mainmise sur les forêts et sur les terres de mainmorte). Le déplacement des tribus vivant de transhumance devient de plus en plus difficile et les différentes tentatives de leur fixation au sol ne vise que la confiscation d'une bonne partie de leurs terres qui seront distribuées aux colons (dans le nord, dans la région de Sfax, etc.)
Cette évolution a des incidences sur le tissu social autochtone. Les conséquences de la Première Guerre mondiale, les crises conjoncturelles des années 1920 et surtout les effets de la crise des années 1930 vont accélérer le processus de déstructuration et de recomposition de la société tunisienne. À titre d'exemple, la paysannerie connaît la faillite sous l'effet conjugué de plusieurs mauvaises récoltes (au cours des années 1935-1936) et de l'endettement. C'est ainsi que des milliers de petits paysans sont ruinés et abandonnent la campagne pour se réfugier dans les centres urbains à la recherche de travail. Cet exode rural massif est à l'origine de l'émergence, autour des grandes villes, de bidonvilles. Il faut dire que ce phénomène est né au lendemain de l'établissement du protectorat et de la spoliation des terres mais connaît une accélération après la Première Guerre mondiale (suite à la mécanisation) pour atteindre son paroxysme dans les années 1930 avec la crise mondiale. La paupérisation et la clochardisation de pans entiers de la population tunisienne sont visibles dans les rues des grandes villes et dans les campagnes. Les structures d'assistance et d'accueil traditionnelles (zaouïas, confréries, administration des habous, etc.) sont débordées et s'avèrent incapables de faire face au flot sans cesse grossissant de pauvres.
La dégradation de la situation économique et sociale suscite l'effervescence nationaliste et la conscientisation de la population autochtone. La décennie 1930 marque ainsi un tournant dans l'histoire de la Tunisie contemporaine : la crise économique et les changements politiques, survenus en France et en Europe, favorisent la naissance d'organisations politiques, syndicales, philanthropiques, sportives, culturelles, de jeunesse, etc. Tous ces groupements, surtout politiques et syndicaux, vont déployer un effort de propagande multiforme : campagnes de presse, meetings, déplacements à l'intérieur du pays, diffusion d'une presse nationaliste et d'une littérature clandestine, etc.
La jeunesse cultivée et diplômée de l'Université Zitouna ou des établissements français (tel le collège Sadiki) exprime dès lors son désir d'émancipation en contestant et en brisant les anciens cadres respectueux de l'ordre politique et social établis. À partir de ce moment, cette jeunesse va jouer un rôle de premier plan sur la scène politique, sociale et culturelle.
[modifier] Mouvement national
[modifier] Embryon du nationalisme tunisien
Le mouvement national tunisien puise ses principes dans l'action réformatrice apparue durant la seconde moitié du XIXe siècle et qui s'illustre notamment par les initiatives entreprises par Kheireddine Pacha. Il se renforce sous l'influence des Jeunes Turcs, au début du XXe siècle, grâce à Béchir Sfar qui, malgré l'occupation française, transforme ce mouvement en résistance à l'occupation. Il donne naissance en 1906 au mouvement des Jeunes Tunisiens dont les chefs de file sont Abdeljelil Zaouche et Ali Bach Hamba. En 1907, Zaouche et Bach Hamba fondent l'hebdomadaire Le Tunisien en français puis en arabe 2 ans plus tard. Ce journal revendique l'égalité devant l'instruction (90% des Tunisiens sont alors analphabètes), l'égalité des salaires et l'accession à l'enseignement supérieur et à la fonction publique. Zaouche entretient lui des correspondances avec de nombreuses personnalités sympathisantes de la cause tunisienne parmi lesquelles des parlementaires et hommes de lettres dont Pierre Loti, Charles Géniaux, René Millet ou encore Mustafa Kemal Atatürk.
Le mouvement est durement réprimé par l'occupant français : En novembre 1911, la municipalité de Tunis décide d'immatriculer le cimetière du Djellaz. La population se soulève et, au terme de la répression, on relève 8 morts chez les Européens et plusieurs dizaines chez les Tunisiens. L'état de siège dure jusqu'en 1921 alors que les chefs de la révolte sont expulsés. Mais la situation ne se calme pas : les tensions autour des chauffeurs italiens des tramways tunisois entraînent un boycott non-violent des tramways en février 1912, action d'une ampleur exceptionnelle plusieurs années avant que le mahatma Gandhi n'utilise cette forme de résistance. Pourtant, un nouveau drame se produit[4]. Zaouche, alors conseiller municipal de Tunis, est incriminé par Victor de Carnières comme le principal instigateur de ces événements. Zaouche porte plainte contre ce dernier pour diffamation et fait appel à Vincent de Moro Giafferi (dit Le Grand Moro). Il perd le procès à Tunis en octobre 1912 mais le remporte le 26 juin 1913 à Alger. Avec le procès Zaouche-De Carnières, c'est tout le mouvement des Jeunes Tunisiens qui est remis en cause.
[modifier] Renaissance et structuration
Après la Première Guerre mondiale, les 14 points du président américain Woodrow Wilson prônant l'autodétermination des peuples, le renforcement des pouvoirs de l'administration du protectorat, la mise à l'écart des Tunisiens, la confiscation des terres agricoles les plus fertiles et le pillage des ressources du pays donnent des arguments aux nationalistes tunisiens qui fondent le Parti libéral constitutionnaliste tunisien ou Destour. On y trouve Abdelaziz Thâalbi, Mohieddine Klibi et de jeunes tunisiens revenus au pays après avoir accompli des études supérieures en France comme le jeune avocat Habib Bourguiba ou Mahmoud Materi. Entré en conflit avec le régime du protectorat, le Destour expose, dès la proclamation officielle de sa création le 3 juin 1920, son programme en 8 points. Imprégné de nationalisme et de panarabisme, ce parti est modéré et ne conteste pas le protectorat. De plus, il ne s'adresse pas directement aux masses populaires considérées comme ignorantes et incapables de connaître leurs intérêts. Aussi l'action de ce parti se limite à quelques protestations de pure forme. Au cours des années 1920 se crée également le premier mouvement syndicaliste tunisien sous la direction de Mohamed Ali El Hammi. Son action dérange tant les autorités du protectorat qu'elles décident de l'exiler en Arabie saoudite. Sur le plan social, Tahar Haddad surprend par ses idées progressistes sur la nécessité de l'accès de la femme tunisienne à l'enseignement et à la modernité. Ses idées sont alors farouchement combattues par les oulémas conservateurs et l'on assiste à une floraison de pamphlets contre ses travaux. Dans le même temps, les premières grèves apparaissent dans les cimenteries en décembre 1924 : elles sont accompagnées par celles des ouvriers agricoles soutenus par la Confédération générale du travail et le Parti communiste tunisien. Les militants cégétistes européens sont arrêtés. Pour ne pas calmer les esprits, une statue du cardinal Lavigerie est installée en 1925 à l'entrée de la médina (place de la Bourse qui devient place du cardinal Lavigerie par décision municipale) et le 30e congrès eucharistique se tient en Tunisie en 1930 (année du centenaire de la conquête de l'Algérie)[5].
En 1933, un jeune monastirien, Chaâbane Bhouri, tombe sous les balles des gendarmes devant le cimetière musulman de Monastir en tentant de s'opposer à l'inhumation d'un naturalisé. Les notables de la ville confient à Bourguiba, en tant qu'avocat et enfant du pays, de porter une lettre de protestation au bey contenant une plainte contre le caïd de Monastir. La commission exécutive du parti lui inflige un blâme pour ne l'avoir pas informée au préalable. Bourguiba déclenche alors une offensive en règle contre l'immobilisme du parti et dénonce ses méthodes d'action. Il convoque, en accord avec certains de ses compagnons, le 2 mars 1934 à Ksar Hellal, un congrès extraordinaire du Destour qui désavoue les membres de la commission exécutive et donne naissance à un nouveau parti : le Néo-Destour. À la tête de celui-ci, on trouve le groupe de jeunes militants du journal nationaliste L'Action : Bourguiba, Materi, Tahar Sfar et Bahri Guiga. Il seront rejoint plus tard par Salah Ben Youssef et Slimane Ben Slimane. Formés à l'école socialiste française, ils sont laïcs et rejettent le panarabisme. Bourguiba, encadrant 400 cellules et près de 100 000 militants ou adhérents, devient rapidement l'interlocuteur privilégié et Léon Blum le reçoit à Paris. Il présente alors ses revendications au sous-secrétaire d'État chargé des protectorats du Maghreb et des mandats du Proche-Orient Pierre Viénot : arrêt des spoliations et abolition du tiers colonial pour les fellahs. Malgré leurs idéaux socialistes, Viennot et Bourguiba n'arrivent pas à s'entendre : « La France ne saurait abandonner sa possession tunisienne » selon Viennot. Pendant ce temps les mineurs de Métlaoui se révoltent.
Les autorités du protectorat laissent faire en espérant tirer profit de la division du Destour et du Néo-Destour. Mais lorsqu'éclatent des heurts sanglants dans les villages du Sahel, elles s'empressent d'exiler les chefs du Néo-Destour en plein désert. Ceux-ci restent donc sourds aux appels du pied du résident Marcel Peyrouton leur promettant la liberté en contrepartie de leur renoncement définitif à toute action politique.
[modifier] Espoir et désillusions
L'accès au pouvoir en France du Front populaire et sa volonté d'engager le dialogue avec les chefs nationalistes permet le retour des exilés. Un vent d'espoir se lève alors en Tunisie lorsque Viénot débarque le 1er mars 1937 et évoque la possibilité d'accorder aux Tunisiens une certaine forme d'autonomie interne. Le Néo-Destour accorde un préjugé favorable aux nouvelles autorités françaises. Entre temps, Thâalbi, fondateur du Destour, rentre au pays après un exil volontaire et reçoit un accueil triomphal en vue de marquer l'union sacrée autour de la cause nationaliste. Pourtant, dès le retour de Viénot en France, la résidence générale durcit sa politique de répression dans les régions minières. La chute du Front populaire et le durcissement de la politique de la résidence générale amènent le Néo-Destour à retirer sa confiance au gouvernement français. Son bureau politique appelle à une grève générale le 20 novembre. Ce durcissement amène Materi à présenter sa démission le 13 janvier 1938. Celle-ci n'entame, en rien, la détermination du parti de mobiliser les masses populaires face à l'escalade de la répression. Les étudiants de l'Université Zitouna sont incités à faire grève, ce qui provoque le renvoi de 108 d'entre eux (dont 88 Tunisiens) pour activités au sein du Néo-Destour, formation de comités estudiantins liés au Néo-Destour et associations illégales. Le 10 mars, Ali Belhouane, que l'on surnommera le « leader de la jeunesse », donne une conférence sur le « rôle de la jeunesse dans la bataille de libération nationale » auquel 700 élèves de différents établissements scolaires assistent. Le Conseil national du Néo-Destour, réuni les 13 et 14 mars, adopte une motion appelant à la poursuite des manifestations, au non-paiement des impôts et au boycott du service militaire. Belhouane est congédié du collège Sadiki où il enseigne.
Ayant eu vent de ces activités, les autorités du protectorat anticipent en procédant à l'arrestation de Youssef Rouissi, Hédi Nouira, Ben Youssef et Ben Slimane accusés d'incitation à la haine raciale et d'atteinte aux intérêts de la France en Tunisie. En représailles, le Néo-Destour organise, le 7 avril, une manifestation drainant 2500 personnes devant le palais beylical d'Hammam Lif. Mongi Slim, membre du Conseil national du Néo-Destour, parvient à rencontrer le bey et sollicite son intervention en vue d'obtenir la libération des responsables emprisonnés. Ne voyant rien venir, le Néo-Destour décide d'appeler à une grève générale le 8 avril. Le même jour, une grande manifestation conduite par Slim et Belhouane s'ébranle d'Halfaouine et se dirige vers le siège de la résidence générale. Devant une foule de 10 000 personnes, Belhouane harangue les manifestants : « Nous sommes venus aujourd'hui démontrer notre force [...] celle de la jeunesse qui ébranlera le colonialisme [...] Le parlement tunisien ne sera créé que par le martyr des militants et les sacrifices de la jeunesse... » Avant la dispersion des manifestants, Slim rappelle dans un discours les revendications du Néo-Destour et annonce l'organisation d'une deuxième manifestation pour le 10 avril. Entre temps, Belhouane est convoqué par le juge d'instruction le 9 avril. Une foule immense se rassemble devant le Palais de justice où les forces de l'ordre accourent et commencent à tirer en l'air dans le but d'effrayer les manifestants. Des heurts sanglants éclatent ensuite et se soldent par 22 morts et près de 150 blessés. Le résident général se rend auprès du bey et promulgue une loi instaurant l'état de siège à Tunis, Sousse et dans le Cap Bon. Le lendemain, Bourguiba et Slim sont arrêtés et traduits, avec le reste des dirigeants du Néo-Destour, devant le tribunal militaire pour complot contre la sûreté de l'État. Le Néo-Destour est dissout le 12 avril, ses locaux fermés, ses documents confisqués et la presse nationaliste suspendue. Les militants du Néo-Destour entrent alors dans la clandestinité.
[modifier] Seconde Guerre mondiale
La Seconde Guerre mondiale offre un climat propice à la lutte nationaliste : la propagande des radios étrangères, tant celles des Alliés que celles de l'Axe, joue un rôle majeur dans l'enracinement chez les masses populaires de l'idée de l'indépendance. L'arrestation des dirigeants ayant ouvert la voie à une lutte clandestine, un nouveau bureau politique est créé sous la présidence de Bahi Ladgham. Des tracts sont distribués sous le manteau et donnent lieu à des actes de sabotage. Un comité de résistance est également mis sur pied. Radio Berlin sert de porte-voie à cette action militante destinée à briser l'isolement imposé par les autorités du protectorat. Mais, encore une fois, la répression s'abat sur les dirigeants clandestins du parti en juillet 1940. Des manifestations éclatent à Ksar Hellal et au Kef. Habib Thameur, revenu de France après avoir terminé ses études supérieures, prend le relais à la tête du bureau politique. Mais Thameur ne tarde pas à être arrêté à son tour (21 janvier 1941). Rachid Driss se met à la tête du Néo-Destour alors qu'un groupe clandestin, surnommé La Main noire, est mis sur pied.
L'accession de Moncef Bey sur le trône, le 19 juin 1942, constitue un appui important pour le mouvement national car le monarque est connu, depuis sa jeunesse, pour sa sympathie envers le Néo-Destour. En dépit de la propagande italo-allemande, Moncef Bey reste neutre, rejette l'ordre de Vichy de s'opposer aux Alliés et fait part de sa décision au président américain Franklin Delano Roosevelt et au conseiller d'Adolf Hitler le 12 novembre. Bourguiba, depuis sa prison de Marseille, met en garde les militants du Néo-Destour contre la propagande nazie et leur enjoint de prendre attache, sans délai, avec les partisans de Charles de Gaulle. Cette position lui vaut d'être aussitôt arrêté par les nazis mais va être à l'origine de sa remise en liberté en avril 1943.
Après la libération des dirigeants du parti en décembre, Moncef Bey, faisant fi des prérogatives des autorités du protectorat, annonce la constitution d'un gouvernement, le 1er janvier 1943, comprenant des personnalités de premier plan comme M'hamed Chenik et Materi. Libérés des prisons françaises, à l'exception de Bourguiba, les dirigeants du Néo-Destour regagnent Tunis, le 25 février, mettent de l'ordre dans les structures du parti et entreprennent des contacts avec les militants dans toutes les régions du pays. Le retour de Bourguiba, le 8 avril, après un passage en Italie où il adresse un message radiophonique au peuple tunisien mettant l'accent sur le rôle de la jeunesse dans la libération nationale, renforce l'activité du parti. Pourtant, dès qu'elles reprennent les choses en main, les autorités du protectorat tentent de se débarrasser des nationalistes : une vague d'arrestations et de répression a lieu, les nationalistes étant accusés de collaboration avec les forces de l'Axe. Une vive réaction suit ces arrestations : révolte des Mrazig, désobéissance civile à Zéramdine, etc.
Afin de poursuivre la propagande à l'étranger, un groupe de dirigeants quitte le pays le 3 mai et constituent le Bureau du Maghreb arabe à Berlin le 21 juillet. Entre temps, le général Alphonse Juin, commandant les Forces françaises libres en Afrique du Nord ordonne à Moncef Bey d'abdiquer, ce qu'il refuse. Il est donc destitué et éloigné à Laghouat (dans le Sahara algérien) et doit signer son abdication le 6 juillet. De vives protestations éclatent après sa destitution, notamment à l'Université Zitouna.
En dépit de l'emprisonnement de bon nombre de Tunisiens pour connivence avec les forces de l'Axe et l'éloignement de beaucoup d'autres, les cellules du parti sont réactivées, des tracts imprimés et distribués et des journaux clandestins circulent parmi les militants. En même temps, des tentatives de dialogue avec les autorités du protectorat sont entreprises, notamment au lendemain de la conférence de Brazzaville (1944) qui reconnaît le droit des peuples à l'autodétermination dans le cadre de l'Union française.
Les nationalistes rejettent, dans une note adressée au gouvernement français le 8 mars, le projet de l'Union française. Suite à la répression qui s'abat sur eux, ils prennent contact avec les consuls britannique et américain à Tunis. Dans le même temps, un front national de 60 membres est mis sur pied le 30 octobre où figurent le Destour, le Néo-Destour, les partisans de Moncef Bey, les enseignants de l'Université Zitouna et des représentants de la communauté juive. Réuni, le 13 novembre, le comité élabore un rapport revendiquant l'autonomie interne et un régime monarchique constitutionnel. Seuls, les communistes ne se joignent pas au comité, ce qui a pour conséquence d'entamer sérieusement leur audience.
La victoire des Alliés, le 8 mai 1945, incite les responsables du Néo-Destour à intensifier leur action. Les autorités du protectorat manifestent, face à l'intensification de ces actions, quelque velléité de réformes : création d'un ministère des affaires sociales et parité entre les membres tunisiens et français au Grand Conseil. Mais les militants ne peuvent accepter ces timides réformes et entreprennent de faire appel à une aide extérieure pour essayer d'obtenir, par une pression internationale sur la France, les réformes qu'elle ne veut pas consentir : la création de la Ligue arabe, le 22 mars 1945, les encourage dans ce sens. Le roi Farouk Ier d'Égypte avait fixé le statut de la Ligue pour la collaboration de ses membres en vue de « sauvegarder leur indépendance et leur souveraineté ». Le pacte se rapportait essentiellement aux signataires mais il élargissait la compétence de la Ligue jusqu'à « s'intéresser d'une manière générale aux questions touchant les pays arabes et leurs intérêts ». Une annexe admettait les pays arabes non membres à « participer aux travaux des commissions ». Bourguiba est dépêché au Caire le 26 mars et s'y fait l'avocat de l'indépendance tunisienne auprès des foules, des hommes politiques et des chefs d'États, d'abord en Égypte puis dans les pays du Moyen-Orient. Il va jusqu'aux États-Unis ou il participe à la session de l'ONU en décembre 1946.
Le 18 mars 1947, de retour au Caire, il participe à la création du Bureau arabe du Maghreb, un organe de nationalistes maghrébins où sont représentés le Néo-Destour, le Parti du peuple algérien de Messali Hadj et l'Istiqlal d'Allal Al-Fassi. Bourguiba ne fera son retour en Tunisie qu'en septembre 1949[6].
[modifier] Route vers l'indépendance
La stratégie du mouvement national s'appuie dès lors sur une mobilisation nationale tout en œuvrant à gagner le soutien de l'opinion publique française et mondiale. Elle alterne donc entre action politique et lutte armée.
[modifier] Réveil du sentiment national
Après la fin de la Seconde Guerre mondiale, le Néo-Destour adopte une politique pragmatique car fondée sur une action par étape. Depuis le départ de Bourguiba au Caire en mars 1945, le bureau politique, sous la direction du secrétaire général, Salah Ben Youssef, encourage la constitution d'organisations professionnelles et de jeunesse. C'est ainsi que l'Union générale tunisienne du travail (UGTT) est créée en janvier 1946 par Farhat Hached.
Le directeur du parti, Mongi Slim, incite les travailleurs à démissionner de la Confédération générale du travail et des réunions conjointes entre Hached et Slim ont lieu régulièrement dans le but de renforcer les rangs et l'action de l'UGTT. Celle-ci enregistre, en 1946, plus de 12 000 adhérents. La revendication de l'indépendance totale est proclamée pour la première fois lors d'un congrès tenu le 23 août à Tunis. Les autorités du protectorat arrêtèrent alors 46 des 300 délégués dont Ben Youssef, Slim, Salah Farhat et Fadhel Ben Achour. La réaction des organisations nationales ne se fait pas attendre. Elles organisent, le 30 août, une grêve réclamant la libération des détenus. Mais l'annonce par le général Mast de son programme de réforme amène le Néo-Destour à revenir à une politique modérée en se contentant de ne revendiquer que l'autonomie interne. Malgré l'inscription par la Ligue arabe de la question tunisienne à l'ordre du jour de ses travaux, les autorités coloniales s'entêtent à intégrer les pays du Maghreb dans l'Union française. Bourguiba s'emploie alors à renforcer les relations du Néo-Destour avec les pays anglo-saxons : il se rend, fin novembre, aux États-Unis. De son côté, Hached se rend en France, le 20 décembre, où il met en exergue, au siège de l'Association des étudiants musulmans d'Afrique du Nord, le rôle de l'UGTT dans la lutte nationale.
La désignation de Jean Mons au poste de résident général en 1947 contribue à détendre l'atmosphère. Libérée de la censure en avril, la presse nationaliste connaît un regain d'activité : de nouveaux titres apparaissent : Jallouli Farès fait paraître à Paris, dès le mois de janvier et avec quelques compagnons, un périodique intitulé La Tunisie vous parle qui est destiné aux partis politiques français. Quant à la résidence générale, elle entreprend quelques réformes : création d'un ministère de l'agriculture, d'un autre pour l'industrie et le commerce et élargissement des prérogatives du grand vizir. Mais celles-ci n'emportent pas l'adhésion des nationalistes, d'autant plus que la désignation de Mustapha Kaak au poste de grand vizir jette de l'huile sur le feu. Le 5 août, l'UGTT lance une grève à Sfax qui se solde par 29 morts et 150 blessés parmi les grévistes.
La mort de Moncef Bey, le 13 septembre 1948 et le rapatriement de sa dépouille plongent le pays dans un immense chagrin. L'UGTT, représentée par Hached, et le bureau politique du Néo-Destour organisent conjointement ses funérailles.
[modifier] Augmentation de la pression
Dès la création, en décembre 1949 de la Confédération internationale des syndicats libres (CISL), l'UGTT, sous l'impulsion d'Hached, se retire de la Fédération syndicale mondiale (d'obédience communiste) et adhère à la CISL. De retour du Caire, Bourguiba multiplie, de septembre 1949 à mars 1950, les contacts avec la base du Néo-Destour en appelant toutes les sensibilités politiques à s'entendre sur un programme réaliste. Il fait observer que si les autorités du protectorat n'engagent pas de vraies réformes susceptibles de conduire à l'autonomie interne du pays, il n'y aurait d'autre alternative que le combat pour la libération nationale (à l'instar de ce qui se passe en Indochine). Le 12 avril 1950, Bourguiba se rend en France afin de gagner de nouveaux sympathisants à la cause nationale (surtout dans les milieux de la gauche française). Il soumet à ses différents interlocuteurs et à la presse un projet de réformes en 7 points destiné à faire accéder la Tunisie à l'autonomie interne :
- Création d'une autorité tunisienne exécutive et garante de la souveraineté nationale
- Constitution d'un gouvernement strictement tunisien, responsable de la sécurité générale et dirigé par un premier ministre présidant effectivement le gouvernement
- Abrogation de la fonction de secrétaire général
- Suppression du corps des contrôleurs civils
- Suppression de la gendarmerie française
- Création de municipalités élues où sont représentés les intérêts français là où existent des minorités
- Création d'un Conseil national élu au suffrage universel dont la première tâche consiste à élaborer une constitution démocratique qui définit les relations entre la Tunisie et la France sur la base du respect de la souveraineté nationale et des intérêts français légitimes
Ces revendications sont favorablement accueillies par le Parti socialiste français et le Mouvement républicain populaire ainsi que de la part de personnalités hostiles au colonialisme comme l'historien Charles-André Julien et le journaliste indépendant Jean Rous. En écho à l'initiative de Bourguiba, le ministre français des affaires étrangères Robert Schuman, déclare, le 9 juin à Thionville, à l'occasion de la désignation de Louis Périllier au poste de résident général que la mission de celui-ci consiste « à conduire la Tunisie vers l'indépendance. » Mais il ne tarde pas à se rétracter et à préciser que par indépendance, il entend en fait l'autonomie interne.
Le 17 août, un gouvernement est constitué sous la présidence de Chenik. Le Conseil national du Néo-Destour, réuni, 3 jours avant, décide de participer à ce gouvernement, en y désignant Ben Youssef au poste de ministre de la justice. Alors que le Destour, le Parti communiste tunisien et des personnalités indépendantes s'opposent à la formation de ce gouvernement, le Néo-Destour multiplie les contacts avec l'UGTT, l'Union générale de l'agriculture et l'Union tunisienne du commerce et de l'artisanat. Mais la politique de dialogue adoptée par le résident général n'empêche pas la poursuite de l'action de résistance et des mouvements de grèves destinés à faire pression sur les autorités du protectorat. C'est ainsi qu'éclatent à Enfida, le 20 novembre des heurts sanglants qui se soldent par 5 morts et 30 blessés. Dans le même temps, soucieux de ménager les radicaux et les conservateurs français, Périllier fait marche arrière. À peine installé, le gouvernement Chenik découvre que sa marge d'action est quasiment inexistante. Le secrétaire général, Jacques Vimont, se montre extrêmement tatillon et fait sentir aux nouveaux ministres, par des brimades humiliantes, qu'il ne laisserait pas son autorité être contestée. De plus, l'ancien grand vizir, Mustapha Kaak, est nommé membre de la délégation française auprès de l'ONU sans que Chenik soit préalablement consulté. Enfin, les contrôleurs civils reçoivent l'ordre de freiner les initiatives de l'administration beylicale. Anticipant l'échec des négociations, le bureau politique du Néo-Destour forme des groupes armés clandestins prêts à entrer en action. Les réformes limitées du 8 février 1951 et le blocage des négociations précipitent les événements. Bourguiba se rend à l'étranger. Il est au Caire en février, en Inde, au Pakistan et en Indonésie en mars puis en Arabie saoudite, en Italie, au Royaume-Uni, en Suède et aux États-Unis de mars à septembre. Le 15 décembre, le ministre français des affaires étrangères fait parvenir une note à Chenik lui signifiant l'option française pour la co-souveraineté. Le 16 décembre, les organisations nationales adressent un télégramme de protestation au gouvernement français et lancent une grève générale de 3 jours (du 21 au 23 décembre).
Le 13 janvier 1952, à Bizerte, Bourguiba annonce, lors d'un meeting populaire, qu'il est désormais nécessaire de consentir des sacrifices pour la patrie.
[modifier] Montée des tensions
Face à la multiplication des manifestations de protestation dans plusieurs régions du pays, les autorités françaises décident de réprimer tout mouvement populaire. Le nouveau résident général, Jean de Hauteclocque, cousin du maréchal Leclerc, décide d'employer la manière forte : il fait interdire la tenue du congrès du Néo-Destour, procède (18 janvier) à l'arrestation de Bourguiba et d'une vingtaine d'autres militants nationalistes, qui sont tous déportés dans le sud du pays, et lance de vastes opérations de ratissage dans la région du cap Bon (foyer traditionnel d'agitation). Du 20 janvier au 1er février, le cap Bon est ainsi investi par l'armée française placée sous le commandement du général Pierre Garbay qui avait déjà « fait ses preuves » en 1947 à Madagascar. C'est alors que des groupes de résistants volontaires gagnent le maquis et sèment la terreur aussi bien dans les villes qu'autour des fermes isolées des colons, provoquant l'engrenage du terrorisme et de la répression aveugle. Le bureau politique du Néo-Destour, formé dans la clandestinité, organise l'action militante et lance des appels aux manifestations et aux grèves. Plusieurs villes connaissent, pendant les journées des 22, 23 et 24 janvier, des manifestations et des affrontements avec les forces de la police et l'armée. Ces événements se soldent par des dizaines de morts et de blessés parmi les manifestants. Poursuivant les militants nationalistes, les autorités du protectorat procèdent à des arrestations en masse parmi ces derniers. Les prisons regorgeant de détenus, des camps sont établis dans diverses régions.
Alors qu'une commission de l'ONU se penche sur le dossier tunisien, Hached est assassiné le 5 décembre par des extrémistes de La Main rouge. Dans une tentative de dépasser les critiques dirigées contre sa politique, le gouvernement français décide d'organiser des élections de conseils de travailleurs à partir du 10 avril 1953 et des élections municipales à compter du 3 mai de la même année. Face à l'échec électoral, le gouvernement français désigne, le 2 septembre, un nouveau résident général et prend un ensemble de mesures, dans le cadre de ce qu'il appelle alors la politique de pacification. Il s'agit, notamment, de la restitution de l'autorité sécuritaire à la police, de la suppression de la censure et des dispositions cœrcitives en vigueur dans le Sahel (28 octobre) et de la remise en liberté d'un certain nombre de détenus et de déportés. Pourtant, la lutte reprend de plus belle en juin 1954, ce qui sème la terreur parmi les Français.
[modifier] Échec de l'autonomie interne
Mais la défaite des troupes françaises à la bataille de Điện Biên Phủ, le 7 mai 1954, change le cours des événements et renforce, en France, les modérés. Le 12 juin, le gouvernement de Joseph Laniel tombe. Son remplacement par Pierre Mendès France marque un tournant politique. Dès son accession au pouvoir, le nouveau président du Conseil se concentre sur le dossier indochinois. Dans le même temps, la chute du gouvernement de Mohamed Salah Mzali (16 juin 1954), loin d'apaiser les tensions, provoque une escalade. Une fois l'Indochine apaisée, Mendès France, se concentrant désormais sur la Tunisie, présente son projet au Conseil des ministres le 30 juillet. Le communiqué publié à l'issue de la réunion fait état de la décision du gouvernement de « donner un nouveau souffle aux relations tuniso-françaises » sans révéler le contenu du projet par crainte de susciter une réaction défavorable de la part de la communauté française de Tunisie et de ses partisans en France et en Algérie. Le lendemain, Mendès France se rend, en secret, à Tunis et annonce, dans un discours officiel devant le bey au palais de Carthage, l'octroi de l'autonomie interne à la Tunisie[7]. Réuni le 3 août à Genève, le bureau politique du Néo-Destour décide de participer au gouvernement.
Ouvertes le 4 septembre à Tunis, les négociations tuniso-françaises voient de sérieuses divergences apparaître concernant le contenu de l'autonomie interne et les délais de passation des pouvoirs. Alors que le gouvernement tunisien réclame une trêve, le gouvernement français exige de la délégation tunisienne de persuader les résistants de descendre du maquis et de rendre leurs armes, estimant que la poursuite de la lutte armée est incompatible avec la participation du Néo-Destour au gouvernement. Cette revendication ayant été satisfaite, le 20 novembre, la voie est ouverte à la poursuite des pourparlers. Le 31 janvier 1955, Mendès France rejoint le groupe des négociateurs pour tenter de parvenir à un résultat décisif avant la tenue de la séance parlementaire qui doit être consacrée à la discussion de sa politique tunisienne. Mais le gouvernement Mendès France doit faire face à de violentes critiques de la part de la droite colonialiste qui provoque sa chute le 5 février.
[modifier] Confrontation interne
Après l'accession d'Edgar Faure à la présidence du Conseil, le 23 février, les négociations reprennent le 15 mars pour aboutir, le 3 juin, à la signature des accords portant sur l'autonomie interne. À la suite de cette signature, la Tunisie vit une période de grave sédition qui oppose la direction du Néo-Destour à l'intérieur du pays et ses représentants à l'étranger (dont le secrétaire général Ben Youssef). En effet, contrairement à Bourguiba qui prône une indépendance obtenue « pacifiquement, à travers des étapes, avec l'aide de la France et sous son égide », Ben Youssef soutient une ligne panarabiste et souhaite l'indépendance totale et immédiate. Dans une confrontation sans merci, les partisans de Bourguiba et de Ben Youssef, les « bourguibistes » et les « youssefistes » multiplient les meetings populaires pour dénoncer et battre en brèche la position de la partie adverse. Réuni le 8 octobre, sous la présidence de Bourguiba, le bureau politique du Néo-Destour décide de tenir le congrès du parti le 15 novembre, de démettre Ben Youssef et de l'exclure du parti. Le congrès, tenu à Sfax, tranche le conflit en faveur du bureau politique en considérant que les accords constituent « une étape importante sur la voie de l'indépendance » qui représente « l'objectif suprême de la lutte du parti. » Pourtant, Ben Youssef continue à faire campagne dans le Sud où il organise, fin novembre, un certain nombre de réunions qui donnent lieu à des affrontements avec les partisans du bureau politique. Dès lors, le différend se transforme en confrontation armée. Ayant eu connaissance de la résolution prise par le gouvernement tunisien de l'arrêter, Ben Youssef prend le chemin de l'exil, le 28 janvier 1956, et poursuit, à partir de l'étranger et notamment de l'Égypte, son opposition aux accords que ses partisans et lui-même qualifiaient de « pas en arrière. »
[modifier] Dernière étape
Les conditions se trouvant réunies pour revendiquer la reconnaissance de l'indépendance, Bourguiba se rend en France où il rencontre, le 3 février, Guy Mollet, alors secrétaire général du Parti socialiste français, qui vient d'accéder à la présidence du Conseil. Il est convenu d'envoyer une délégation pour discuter des revendications. Des négociations sont effectivement entamées le 29 février et, après 18 jours de tergiversations du côté français, un accord intervient le 20 mars. Consacrant la reconnaissance, par la France, de l'indépendance de la Tunisie (à l'exception de la base navale de Bizerte qui reste française), l'accord implique « l'exercice par la Tunisie de ses responsabilités en matière d'affaires extérieures, de sécurité et de défense ainsi que la constitution d'une armée nationale tunisienne[8]. » Moins d'un mois plus tard, une assemblée nationale constituante est élue et Bourguiba en devient président.
[modifier] Notes et références
- ↑ Accord international garantissant à la Tunisie les droits, privilèges et immunités consentis aux divers États de la péninsule italienne (avant son unification). Les Italiens conservent leur nationalité d'origine et ne relèvent que de la juridiction consulaire en matière civile, commerciale et judiciaire, mais non en matière immobilière, où, néanmoins, est réservée au consul l'application des sentences prononcées par les tribunaux beylicaux. L'égalité civile leur assure la liberté de commerce et un véritable privilège d'exterritorialité pour leurs établissements. En matière de pêche et de navigation, ils bénéficient du même traitement que les Tunisiens. Enfin, le bey ne peut modifier les droits de douane sans consultation préalable du gouvernement italien. Pour plus de détails sur les capitulations, voir ici.
- ↑ Charles-André Julien, L'Afrique du Nord en marche, pp. 48 et 52
- ↑ 3,0 3,1 3,2 3,3 3,4 (fr) « La justice française et le droit pendant le protectorat en Tunisie », Institut de recherche sur le Maghreb contemporain, Tunis, 8-9 décembre 2005
- ↑ http://profburp.com/tunisie/biblio/boycottage.htm
- ↑ Il s'agit d'un congrès international (20 nations représentées) organisé par le Vatican avec l'aval des autorités du protectorat.
- ↑ Charles-André Julien, L'Afrique du Nord en marche, pp. 158-159
- ↑ (fr) Voyage du président Mendès France en Tunisie, Actualités françaises, 5 août 1954
- ↑ (fr) Signatures du protocole franco-tunisien à Paris, JT 20H (ORTF), 20 mars 1956
[modifier] Liens externes
- (fr) Un printemps 1956. L'indépendance de la Tunisie, film de Frédéric Mitterrand, Electron Libre Productions, Paris, 2006
- (fr) Morgan Corriou, Les Français et la vie culturelle en Tunisie durant la Seconde Guerre mondiale, thèse de l'École nationale des chartes, 2005
- (fr) Laurence Decock, « Histoire et mémoire de la décolonisation tunisienne », Histoire en réseau des Méditerranées, Université de Paris VII
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